(New York, le 17 novembre 2007) – Un tribunal saoudien a doublé la peine de flagellation à laquelle avait été condamnée une victime de viol qui avait parlé publiquement de son cas et des efforts entrepris pour obtenir justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le tribunal a également harcelé son avocat, lui interdisant de s’occuper du dossier et lui confisquant sa licence professionnelle.
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Human Rights Watch a appelé le Roi Abdallah à annuler immédiatement le verdict, à abandonner toutes les charges à l’encontre de la victime du viol et à ordonner à la cour de mettre un terme à son harcèlement à l’égard de l’avocat de la victime.
« Une jeune femme courageuse risque la flagellation et la prison pour avoir parlé publiquement de ses efforts pour obtenir justice », a déploré Farida Deif, chercheuse à la division Droits des Femmes de Human Rights Watch. « Non seulement ce verdict transmet aux victimes de violence sexuelle un message suggérant qu’elles ne devraient pas porter plainte mais dans les faits, il offre aussi protection et impunité aux auteurs de ces violences. »
La jeune femme, qui est mariée, a déclaré qu’elle avait rencontré une connaissance masculine qui lui avait promis de lui rendre une vieille photo d’elle. Après avoir rejoint l’homme en question dans la voiture de ce dernier à Qatif, un gang de sept hommes les ont attaqués et violés tous les deux, à de multiples reprises. En dépit des demandes de la partie plaignante de condamner les violeurs à la peine maximale, le tribunal de Qatif a condamné quatre d’entre eux à des peines allant de un à cinq ans de prison et de 80 à 1 000 coups de fouet. Ils ont été reconnus coupables d’enlèvement, apparemment parce que les plaignants n’ont pas été en mesure de prouver le viol. Les juges auraient ignoré une preuve fournie par une vidéo de téléphone portable dans laquelle les agresseurs avaient enregistré l’agression.
Par ailleurs, en octobre 2006, le tribunal a également condamné l’homme et la femme victimes du viol à 90 coups de fouet chacun, pour ce qu’il a qualifié de « fréquentations illégales ». Human Rights Watch s’inquiète particulièrement du fait qu’en Arabie Saoudite, la criminalisation de tout contact entre personnes non mariées de sexe opposé constitue une grave entrave à la capacité des victimes de viol de réclamer justice. Un tribunal risque de considérer qu’en déposant plainte pour viol, une femme reconnaît avoir eu des relations sexuelles extraconjugales (ou « fréquentations illégales ») à moins qu’elle ne puisse prouver, au moyen d’éléments soumis à des critères stricts, que ce contact était légal et qu’elle n’était pas consentante.
Dans un entretien réalisé en décembre, la victime du viol a décrit à Human Rights Watch la façon dont elle a été traitée au tribunal :
« Lors de la première audience, [les juges] m’ont demandé, ‘quel genre de relations entreteniez-vous avec cette personne ? Pourquoi avez-vous quitté la maison ? Connaissez-vous ces hommes ?’ Ils m’ont demandé de décrire la situation. Ils criaient sur moi. Ils tenaient des propos injurieux. Le juge a refusé d’autoriser la présence de mon mari dans la salle d’audience avec moi. Un juge m’a dit que j’étais une menteuse parce que je ne me souvenais pas bien des dates. Ils n’arrêtaient pas de me demander, ‘Pourquoi avez-vous quitté la maison ? Pourquoi n’avez-vous pas dit à votre mari [où vous alliez] ? »
« En Arabie Saoudite, les victimes de violence sexuelle sont confrontées à d’énormes obstacles dans le système de justice pénale », a expliqué Deif. « Leurs interrogatoires et les audiences au tribunal sont plus susceptibles d’aggraver le traumatisme causé au départ par l’agression que de rendre justice ».
Lors des récentes audiences, sans raison apparente, le Juge al-Muhanna de la Cour de Qatif a également interdit à l’avocat de la victime, Abd al-Rahman al-Lahim, d’être présent dans la salle du tribunal et de représenter la jeune femme à l’avenir. Il lui a également confisqué sa carte d’identité d’avocat, délivrée par le Ministère de la Justice. Al-Lahim devra se présenter à une audience disciplinaire le 5 décembre au Ministère de la Justice, où les sanctions peuvent inclure une suspension de trois ans et la radiation de l’ordre des avocats.
Plus tôt dans l’année, Al-Lahim, qui est l’avocat des droits humains le mieux connu en Arabie Saoudite, avait envisagé d’intenter un procès au Ministère de la Justice pour avoir omis de lui fournir une copie du verdict prononcé à l’encontre de sa cliente afin qu’il puisse préparer un appel. En dépit de nombreuses protestations adressées au tribunal et au ministère, il n’a jamais reçu de copie du dossier ou du verdict.
« La décision d’interdire à l’avocat de la victime de viol de continuer à s’occuper du dossier illustre le peu de respect qu’ont les autorités saoudiennes pour la profession d’avocat ou pour la loi en général », a souligné Sarah Leah Whitson, directrice à la division Moyen-Orient de Human Rights Watch.
Le 3 octobre, le Roi Abdallah a annoncé une réforme judiciaire, promettant de nouveaux tribunaux spécialisés et une formation pour les juges et avocats. Actuellement, il n’existe pas de loi établie en Arabie Saoudite, pays qui ne dispose pas d’un code pénal écrit. Les juges ne suivent pas de règles procédurales, et prononcent des jugements arbitraires qui varient fortement de l’un à l’autre. Souvent, les juges ne fournissent pas de verdicts écrits, même en cas de peine de mort. Ils privent parfois des personnes de leur droit à une représentation en justice. En mai 2006, un juge de Djeddah avait expulsé un avocat de sa salle d’audience lors d’un procès au civil, pour l’unique raison qu’il était de religion isma’ili, une branche du shiisme. Les procès continuent d’avoir lieu à huis clos.