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Russie: Le sommet avec Poutine doit aborder le problème des droits humains

New York, le 24 août 2004  
 
Président Jacques Chirac  
Palais de l’Élysée  
Paris F-75008  
 
Chancelier Gerhard Schröder  
Chancellerie fédérale  
Willy-Brandt Str. 1  
10557 Berlin  
 
 
Via facsimile : +33-01-4742-2465; +49-30-4000-1818  
 
 
Monsieur Le Président de la République, Monsieur Le Chancelier,  
 
Durant le sommet auquel vous allez participer avec Vladimir Poutine, vous aurez l’opportunité de réaffirmer l’importance que vous accordez aux droits humains en Russie. En raison de sa récente expansion, l’Union européenne se trouve, géographiquement, plus proche que jamais de la Russie. L’évolution récente de cette dernière l’éloigne cependant de plus en plus des valeurs européennes en matière de droits humains. Le gouvernement russe a indéniablement remis en cause certains des grands acquis de la période post-soviétique dans le domaine des droits humains en limitant la liberté de la presse et en menaçant les organisations non gouvernementales. De plus, en Tchétchénie où le conflit dure depuis plus de cinq ans, il s’est bien gardé d’obliger les responsables des graves violations des droits humains à rendre compte de leurs actes. Nous nous permettons donc de vous écrire pour vous conseiller, respectueusement, d’aborder ce problème au plus haut niveau durant votre visite et de souligner à quel point les droits humains seront une préoccupation majeure de l’Union européenne dans les mois qui précèderont le sommet entre la Russie et l’Union européenne.  

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La liberté de la presse  
La présidence de Vladimir Poutine a été catastrophique pour la liberté de la presse, principal acquis dans le domaine des droits humains de la période de la glasnost. En 1999, plusieurs chaînes de télévision nationales avaient une rédaction indépendante et défendaient des idées souvent en contradiction avec les prises de positions du gouvernement russe. Désormais, toutes les grandes chaînes de télévision sont sous son strict contrôle. En juin dernier, la dernière émission de débats politiques, diffusée en direct sur une chaîne importante, a été supprimée. Dorénavant, il n’existe plus aucun débat animé autour des problèmes politiques clés sur les écrans de télévision russes. Nous espérons que vous exprimerez votre inquiétude quant à ces changements, que vous soulignerez l’importance que revêt le débat public sur les problèmes politiques pour le bon fonctionnement de toute démocratie et que vous inciterez le gouvernement russe à autoriser la création d’une chaîne de télévision réellement indépendante.  
 
 
Les libertés universitaires  
Les poursuites judiciaires engagées contre un certain nombre de scientifiques russes, à la suite d’accusations d’espionnage, représentent une menace pour le travail de recherche universitaire légitime effectué en Russie. En avril 2004, à la suite d’un procès manifestement inéquitable, le Dr. Igor Sutiagin, travaillant pour l’Institut américano-canadien de l’Académie russe des sciences, a été condamné par un tribunal de Moscou à quinze ans de camp d’internement (peine de prison la plus longue pour haute trahison depuis l’ère soviétique). Vous trouverez ci-joint un commentaire de ce cas rédigé par Human Rights Watch et par d’autres organisations. Le 17 août 2004, la Cour Suprême de la Russie a rejeté l’appel fait par le Dr Sutiagin de cette condamnation. Cette même Cour a annulé l’acquittement dont avait bénéficié Valentin Danilov en juin 2004 et révise actuellement le procès de ce scientifique. En raison de ces poursuites judiciaires, les scientifiques et les chercheurs craignent désormais que le simple fait de mener des recherches politiques et scientifiques légitimes en Russie puisse être considéré comme un crime. Les décisions rendues par la Cour Suprême dans ces affaires signifient également que la plus haute cour russe n’est plus assez indépendante pour protéger les citoyens russes des actes arbitraires des services de sécurité fédéraux. Nous vous incitons à faire part de votre inquiétude quant à ces poursuites judiciaires et à leur impact sur les libertés universitaires. Nous espérons que vous mettrez en avant le fait que la science est capitale dans le développement de la Russie en tant que nation industrielle. Nous vous incitons aussi à pousser le gouvernement russe à faire en sorte que le dernier examen de l’appel fait par le Dr Sutiagin s’effectue sans délai et qu’il réponde aux normes internationales en matière de procès juste et équitable. Nous vous demandons aussi de faciliter le travail du rapporteur nommé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour suivre le cas du Dr Sutiagin.  
 
Les organisations non gouvernementales  
Au mois de mai, le Président Poutine s’en est violemment pris aux organisations non gouvernementales (ONG) dans son message sur l’état de l’Union, les accusant de ne pas défendre « les véritables intérêts des gens » et d’ « être au service de groupes douteux et d’intérêts commerciaux ». Depuis, les ONG sont menacées : des dizaines de haut fonctionnaires ont attaqué les ONG de la même manière que le Président ; la police a mené des opérations de fouille dans les locaux de plusieurs associations et les nouvelles lois en matière d’impôts, si elles sont votées, mettront en danger l’indépendance, voire l’existence même de nombreuses ONG. Nous vous incitons à faire part de vos inquiétudes aux dirigeants russes quant à cette évolution et à mettre en avant le rôle vital que joue une communauté vibrante et critique d’ONG dans le bon fonctionnement de la démocratie russe.  
 
La Tchétchénie et le Caucase du Nord  
Comme viennent cruellement de nous le rappeler des évènements récents, le conflit tchétchène continue de plus belle. L’une des principales raisons pour lesquelles la Russie ne parvient pas à rétablir la paix en Tchétchénie est qu’elle n’a pas mis en place de procédures dignes de ce nom obligeant les soldats et les policiers russes à rendre compte des crimes qu’ils ont commis dans cette région. Le fait qu’absolument personne n’ait été traduit en justice pour avoir commis les violations systématiques et à grande échelle des droits humains qui ont eu lieu (au nombre desquelles on peut citer les disparitions forcées, les exécutions sommaires et l’utilisation de la torture) a sérieusement diminué la confiance que le tchétchène ordinaire aurait pu avoir dans les institutions étatiques russes. Cela a aussi favorisé l’apparition d’un climat d’impunité au sein de l’armée et de la police. Nous vous incitons à faire comprendre au gouvernement russe qu’une paix durable en Tchétchénie est impossible sans justice. Nous espérons aussi que vous encouragerez le gouvernement russe à ne plus restreindre l’accès de la communauté internationale à la région, notamment en invitant enfin les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la torture et les exécutions extrajudiciaires à se rendre en Tchétchénie.  
 
Nous espérons que vous soulèverez ces questions très importantes pendant vos réunions avec le Président Poutine et les autres dirigeants russes. Nous vous remercions par avance de l’attention que vous porterez aux inquiétudes exprimées dans cette lettre.  
 
Veuillez agréer, Messieurs, l’expression de toute notre gratitude et l’hommage de notre plus profond respect.  
 
Rachel Denber  
Directrice Exécutive par interim  
Division Europe et Asie Centrale  
 
Lotte Leicht  
Directeur du bureau de Bruxelles  
 
Cc : Dr. Hans-Friedrich von Ploetz, Ambassadeur de l’Allemagne en Russie  
Mr. Jean Cadet, Ambassadeur de la France en Russie  
 
Document ci-joint :  
Déclaration commune sur le cas d’Igor Sutiagin, juin 2004