Rapports de Human Rights Watch

<<précédente  |  index  |  suivant>>

Considérations juridiques

A Kigali, les enfants de la rue—qui comptent probablement parmi les enfants les plus vulnérables et les plus nécessiteux du Rwanda—ne bénéficient dans la pratique d'aucune protection de l'Etat digne de ce nom et souvent, leurs droits sont bafoués par les autorités qui devraient les protéger. La détention de personnes, en particulier d'enfants de la rue, à Gikondo viole un certain nombre de garanties en matière de droits humains que le Rwanda s'est engagé à respecter, tant aux termes du droit international des droits de l'homme qu'aux termes de la législation nationale relative aux droits de l'homme.

Le Rwanda est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ainsi qu'à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (CDE).35 Il est également signataire de la Charte régionale africaine des droits et du bien-être de l'enfant36 et de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Charte de Banjul), laquelle non seulement prévoit de protéger les droits civils et politiques élémentaires mais requiert également d'assurer "la protection des droits de la femme et de l'enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales."37 Au niveau national, le Rwanda a adopté sa propre loi visant à protéger les enfants et à garantir leurs droits et (comme il est mentionné antérieurement) il a élaboré une politique nationale qui établit des normes louables en matière de traitement des enfants vulnérables, notamment les enfants de la rue.

Une réglementation qui remonte à l'époque coloniale du dix-neuvième siècle sert apparemment de base légale pour opérer des rafles visant les "vagabonds." La loi, bien que sans doute incompatible avec les normes et critères actuels régissant les motifs de détention, garantit au moins une protection minimale aux détenus: elle requiert qu'ils comparaissent devant un tribunal compétent et que les enfants soient détenus séparément des adultes.38 Même s'il s'agit en principe de la loi, la protection élémentaire prévue par cette réglementation n'a, dans la pratique, pas été appliquée aux détenus interrogés par un chercheur de Human Rights Watch.39

Les détenus ont été incarcérés au centre de Gikondo sans avoir comparu devant une autorité judiciaire compétente, sans inculpation et en l'absence des procédures appropriées auxquelles ils ont droit. Ce type de privation de liberté viole les obligations qui incombent au Rwanda en vertu du PIDCP et de la Charte de Banjul.40 La CDE stipule que les enfants accusés d'un délit ont le droit de ne pas être privés de liberté de façon illégale ou arbitraire,41 que l'emprisonnement d'un enfant ne doit être qu'une mesure de dernier ressort et qu'il doit être d'une durée aussi brève que possible et se faire séparément des adultes. D'autres garanties prévoient que les enfants privés de liberté ont le droit d'avoir rapidement accès à l'assistance juridique et à toute autre assistance, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, et à ce qu'une décision rapide soit prise en la matière 42

La CDE prévoit par ailleurs que les institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants doivent se conformer aux normes fixées par les autorités compétentes dans le domaine de la santé, de la sécurité et du contrôle.43 Mais les rafles d'enfants de la rue et leur détention à Gikondo condamnent à une peine extrajudiciaire des enfants qui n'ont commis d'autre crime que celui d'être pauvres et sans abri, et elles les exposent aussi à de nombreuses formes de traitement inhumain et dégradant et au risque de blessures physiques et mentales, de négligence, de maltraitance et de violences sexuelles. Les conditions dans lesquelles vivent les détenus, à savoir la surpopulation carcérale qui s'ajoute à la pénurie d'approvisionnement de base, notamment en eau et en nourriture, ainsi que l'hygiène et les exercices très limités, équivalent à des traitements inhumains et dégradants.

En 2004, lors de l'examen du deuxième rapport périodique du gouvernement rwandais, le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies, organe chargé de superviser la mise en œuvre de la CDE, s'est inquiété des mesures prises par le gouvernement envers les enfants de la rue, en particulier de la détention d'enfants dans des centres mal entretenus. Il a recommandé au gouvernement rwandais de « mettre un terme aux rafles d’enfants et à leur placement en détention ».44

La Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant contient des garanties analogues à celles de la CDE, notamment que tout enfant en contact avec le système de justice pénale "a droit à un traitement spécial compatible avec le sens qu'a l'enfant de sa dignité et de sa valeur."45Aux termes de la Charte, le Rwanda s'engage également à "(a) veiller à ce qu'aucun enfant qui est détenu ou emprisonné, ou qui est autrement dépourvu de sa liberté ne soit soumis à la torture ou à des traitements ou châtiments inhumains ou dégradants; et (b) veiller à ce que les enfants soient séparés des adultes sur les lieux de détention ou d'emprisonnement."46 Les enfants doivent en outre pouvoir user pleinement de leur droit à des procédures équitables s'ils sont accusés d'un délit. Ils doivent être protégés de toutes formes d'abus et la liberté d'association doit leur être garantie.47

La détention d'adultes et d'enfants de la rue à Gikondo soi-disant pour "vagabondage,"  sans respecter les procédures requises, dans des conditions inhumaines et sans la protection juridique prévue par la loi, viole clairement non seulement les obligations internationales mais également la législation nationale. La Loi rwandaise relative aux droits et à la protection de l'enfant contre les violences se fait tout particulièrement l'écho de nombreuses dispositions du droit international, garantissant qu'en cas d'emprisonnement, les enfants seront séparés des adultes. "Les mesures appropriées, d’ordre administratif, juridique, social et éducatif doivent être prises pour renforcer la protection de tout enfant contre tout forme de violence, d’atteinte ou de brutalité physique ou mentale, d’abandon ou de négligence, de stress et d’être objet de profit.”48



[35] Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée le 20 novembre 1989, Rés AG. 44/25, Doc. ONU A/RES/44/25 (entrée en vigueur le 2 septembre 1990) et ratifiée par le Rwanda le 23 février 1991; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966, Rés. AG 2200A (XXI), 999 U.N.T.S. 171 (entré en vigueur le 23 mars 1976), auquel a adhéré le Rwanda le 23 mars 1976.

[36] Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, Doc. OUA CAB/LEG/24.9/49 (1990), entrée en vigueur le 29 novembre 1999, ratifiée par le Rwanda le 11 mai 2001.

[37] Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Charte de Banjul), adoptée le 27 juin 1981, Doc.OUA CAB/LEG/67/3 rev. 5, 21 I.L.M. 58 (1982), entrée en vigueur le 21 octobre 1986, ratifiée par le Rwanda le 15 juillet 1983.

[38] Décret du Roi Souverain: Vagabondage et Mendicité 23 mai 1896, Article 1: “Tout individu trouvé en état de vagabondage ou de mendicité sera arrêté et traduit devant le tribunal compétent; Article 2: Les jeunes vagabonds resteront, pendant la durée de leur internement, séparés des individus d’un âge plus avancé.” Selon la vice-maire aux affaires sociales de Kigali, cette réglementation est encore en vigueur. Entretien de Human Rights Watch avec Jeanne Gakuba, vice-maire aux affaires sociales, Kigali, 4 mai 2006.

[39] Entretiens de Human Rights Watch avec d'anciens détenus, 17 et 27 avril 2006.

[40] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Article 9; Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Article 6.

[41]  Convention relative aux droits de l'enfant, Article 37 (b).

[42] Ibid., Art. 37 (d).

[43] Ibid., Art. 3 (para. 3).

[44] Comité des droits de l'enfant, Observations finales du Comité des droits de l'enfant: Rwanda, CRC/C/15/Add.234 (July 1, 2004), [en ligne], http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/G04/424/66/PDF/G0442466.pdf?OpenElement, paras 68-69.

[45]  Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, Article 17.

[46] Ibid.

[47] Ibid., Articles 16 et 14 respectivement.

[48] Loi relative aux droits et à la protection de l'enfant contre les violences, Loi no. 27/2001 du 28/04/2001, Arts. 21 et 22 c.


<<précédente  |  index  |  suivant>>mai 2006