Rapports de Human Rights Watch

index  |  suivant>>

Contexte

 

Le génocide au Rwanda, comme tous les génocides, est un phénomène complexe, résultant d'une combinaison de forces structurelles persistantes ainsi que de décisions plus immédiates prises par de puissants acteurs. Il est évident qu'aucune de ces circonstances—que ce soit la pauvreté, la pénurie de terres, une population composée de deux groupes très inégaux du point de vue du nombre, une histoire de régime colonial, une lecture erronée de l'histoire—n'a causé à elle seule le génocide, pas plus d'ailleurs que l'introduction du multipartisme ou le début de la guerre. Mais toutes ces circonstances conjuguées ont façonné le contexte dans lequel les Rwandais ont pris des décisions en cette période de crise et elles doivent donc être prises en compte dans toute tentative d'analyse du génocide.

 

 

 

Les forces économiques

Le Rwanda était très pauvre et dans les années qui ont précédé le génocide, il s'était appauvri davantage. Quelque 90 pour cent de la population vivait de la terre et en raison d'une augmentation démographique considérable au cours des récentes décennies, la plupart des paysans ne disposaient pas de suffisamment de terres pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. A la fin des années 80, les conditions économiques se sont détériorées à cause de la sécheresse, d'une nette chute sur le marché mondial des prix du café et du thé—les deux cultures d'exportation qui constituaient les principales sources de devises étrangères—et des réductions des dépenses publiques imposées par les institutions financières internationales.

 

La démographie et l'histoire

Parmi les trois groupes qui composaient la population, l'un d'eux, les Twa, était si petit qu'il ne jouait aucun rôle politique. Des deux autres, ce sont les Hutu qui formaient de loin le groupe le plus large. Hutu et Tutsi partageaient une culture et une langue communes et faisaient à l'occasion des mariages mixtes. Aucun groupe n'est arrivé au Rwanda en masse à une époque déterminée. Au contraire, c'est au fil des siècles que de petites communautés de personnes se sont installées peu à peu dans le pays, pour finalement se fondre dans les groupes connus sous le nom de Hutu et Tutsi une fois établies au Rwanda. Avec le développement de l’état, une élite s'est formée et ses membres ont été appelés Tutsi; les masses ont été désignées sous le nom de Hutu.

 

Les administrations coloniales, d'abord allemande puis belge, ont utilisé les Tutsi et ont été utilisées par ces derniers pour étendre et intensifier le contrôle de l'état central dominé par les Tutsi sur des zones—tant hutues que tutsies—qui avaient auparavant préservé une grande partie de leur autonomie. Pendant ces années de régime colonial, les catégories hutue et tutsie ont été de plus en plus clairement définies et opposées l'une à l'autre, l'élite tutsie se considérant supérieure et investie du droit de gouverner, les Hutu se voyant comme un peuple opprimé.

 

Influencés par les idées européennes de race et de peuplement de l'Afrique, les Rwandais ont fini par accepter une version déformée de l'histoire selon laquelle les Tutsi, groupe conquérant du nord-est de l'Afrique, avaient pris possession du Rwanda il y a des siècles et avaient établi l'Etat rwandais grâce à leurs exploits militaires, des unions matrimoniales intéressées et un système de clientèle exploiteur basé sur l'octroi de bétail. Les Hutu étaient dépeints comme les éternels perdants, que ce soit lors des importantes batailles ou lors des simples rapports de force de la vie quotidienne.

 

Au milieu du vingtième siècle, alors que les colonialistes se préparaient à partir, les Hutu ont renversé l'élite tutsie et ont instauré une république dirigée par les Hutu. Ce faisant, ils ont tué quelque 20.000 Tutsi et en ont forcé 300.000 autres à partir en exil. Cet événement, connu comme la révolution de 1959, est resté gravé dans l'esprit des Tutsi comme un événement tragique et meurtrier alors qu'aux yeux des Hutu, il s'agissait d'une bataille héroïque pour leur libération, à célébrer avec fierté. Juste avant et pendant le génocide de 1994, les dirigeants politiques hutus ont insisté sur l'importance de protéger les "acquis de la révolution", ce qui signifiait non seulement contrôler le pouvoir politique mais également les terres et les emplois autrefois aux mains des Tutsi et distribués aux Hutu après 1959.

 

Au cours des années 60, certains Tutsi en exil ont mené des incursions au Rwanda, cherchant à renverser les nouveaux dirigeants hutus. Au Rwanda, les responsables ont encouragé et, dans certains cas, dirigé des attaques contre des Tutsi résidant encore dans le pays, les accusant d'appuyer les raids. La plupart des 20.000 Tutsi recensés parmi les victimes de la révolution sont en réalité morts lors de ces actes de représailles et non lors des premiers combats qui ont eu lieu lors du changement de pouvoir.

 

Politique et régionalisme

Ce sont les responsables hutus du centre et du sud du Rwanda, ainsi que ceux de la préfecture2 de Ruhengeri au nord, qui ont mené la révolution et ont instauré la première république. Mais en l'espace de dix ans, les dirigeants du centre et du sud avaient pris le contrôle des postes gouvernementaux les plus importants et accaparaient les avantages qui en découlaient. En 1973, des officiers de l'armée dirigés par Juvénal Habyarimana et représentant les intérêts des préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri, au nord-ouest, ont renversé les leaders de la première république et instauré la deuxième république. Peu à peu, Habyarimana et son clan ont exécuté ou causé la mort, par la faim ou les mauvais traitements, du premier président et d'une cinquantaine d'autres personnes. Les Hutu du centre et du sud du Rwanda n'ont pas apprécié la perte de leur pouvoir et à leurs yeux, le meurtre de la première génération de dirigeants hutus était une trahison de ces leaders de la révolution.

 

 

 



[2]Au moment du génocide, le Rwanda était divisé en onze préfectures, chaque préfecture étant dirigée par un préfet. En dessous il y avait les communes, dirigées par des bourgmestres, et puis des secteurs, dirigés par des conseillers.

 


index  |  suivant>>avril 2006