Rapports de Human Rights Watch

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Deux jugements coûteux à l'encontre de TelQuel confirmés par les cours d'appel

 

Au cours des derniers mois, les tribunaux marocains ont condamné à deux reprises TelQuel à de lourds montants de dommages-intérêts. Le 7 février, la Cour d'Appel de Casablanca a ordonné à la revue de verser 500.000 dirhams à Touria Jaïdi (également connue sous son nom de femme mariée, Bouabid), présidente de l'Association marocaine d’aide aux enfants en situation précaire, pour avoir annoncé à tort, dans son numéro du 7 mai 2005, qu'elle faisait l'objet d'une enquête policière pour détournement de fonds. Dans son jugement, la Cour d'Appel a réduit le montant de 900.000 dirhams initialement octroyé par le Tribunal de première instance de Casablanca le 24 octobre 2005. Elle a toutefois confirmé les amendes de 5.000 dirhams que doivent verser chacun l'éditeur de TelQuel, Ahmed Benchemsi, et le journaliste Karim Boukhari.

 

Dans des procès séparés, des tribunaux ont condamné trois autres publications – al-Ahdath al-Maghribiyya ("Evénements marocains", quotidien arabophone), al-Ayyam et al-Ousbou`iyya al-Jadida – qui avaient publié, sous diverses formes, les mêmes informations erronées à propos de Jaïdi. Mais tant en première instance qu'en appel, les tribunaux ont fixé des dommages-intérêts beaucoup plus élevés pour TelQuel que pour les autres journaux, alors qu'au moins deux d'entre eux – al-Ahdath al-Maghribiyya et al-Ayyam – ont un tirage beaucoup plus important que TelQuel et quece dernieravait publié des excuses et s'était entièrement rétracté dans le numéro qui avait suivi celui contenant l'information erronée.9 Il semble que cette différence trouve son explication dans une détermination à punir ou à exercer des pressions sur TelQuel, dont les articles critiques sur les affaires ayant trait au gouvernement trouvent un lectorat dans l'élite.

 

Le 14 avril, une cour d'appel a confirmé la condamnation prononcée par l'instance inférieure à l'encontre d'al-Ousbou`iyya al-Jadida, maintenant les 20.000 dirhams d'amende et les 30.000 dirhams de dommages-intérêts à verser à Jaïdi. Le 18 avril, des cours d'appel ont confirmé les condamnations pour diffamation d'al-Ahdath al-Maghribiyya et d'al-Ayyam. En ce qui concerne le premier cas (affaires 71/67/05 et 72/67/05), la cour a confirmé les deux condamnations à une amende de 20.000 dirhams, l'une à l'encontre du directeur d'al-Ahdath, Mohammed Brini, l'autre à l'encontre du journaliste Abdelmjid Hachadi, et il a augmenté les dommages-intérêts à verser à Jaïdi, les faisant passer de 100.000 à 250.000 dirhams, tandis que les dommages-intérêts à verser à son association ont été réduits de 100.000 à 60.000 dirhams. Les cours d'appel ont donc condamné al-Ahdath à payer des amendes et des dommages-intérêts pour un montant total de 350.000 dirhams, soit plus que les 240.000 dirhams fixés par l'instance inférieure. La cour d'appel jugeant al-Ayyam (affaire 93/67/05) a confirmé les 12.000 dirhams d'amende que doit verser le directeur de la publication, Noureddine Miftah, et elle a augmenté les dommages-intérêts, les faisant passer de 120.000 dirhams à 250.000 dirhams, pour un montant total de 262.000 dirhams.

 

Les jugements en appel ont donc réduit, sans toutefois le résorber, l'écart entre le montant très élevé des dommages-intérêts fixés pour TelQuel et ceux fixés pour les autres publications. A l'image de l'instance inférieure, la cour d'appel qui a jugé TelQuel n'a pas fourni de précisions quant aux critères qui l'avaient amenée à déterminer le montant à verser à Jaïdi.

 

Dans la deuxième condamnation récente de TelQuel pour diffamation, le Tribunal de première instance de Casablanca a accordé, le 15 août 2005, un million de dirhams de dommages-intérêts à la plaignante, Halima Assali, et a condamné le directeur de TelQuel, Ahmed Benchemsi, et son rédacteur, Karim Boukhari, à des peines d'emprisonnement de deux mois avec sursis et à une amende de 25.000 dirhams chacun. Assali est une parlementaire progouvernementale que Boukhari avait ridiculisée, sans la nommer, dans sa chronique mondaine publiée dans une édition de juillet 2005.10 L'article la décrivait comme une campagnarde du Moyen Atlas élue au parlement malgré un manque de références pour le poste et assistant rarement aux sessions parlementaires. Il la qualifiait également "d'ex cheikha, femme de chant et de plaisir(s)...", certains observateurs y voyant là des insinuations malveillantes à l'égard de sa moralité.

 

Tant Assali que TelQuel ont fait appel de la décision du tribunal d'instance, la députée cherchant à obtenir plus de dommages-intérêts. Devant la Cour d'appel de Casablanca, Assali a déclaré qu'elle n'avait jamais été cheikha et que l'article l'avait blessée, elle qui était mariée et mère de deux enfants, et qu'il l'avait forcée à éviter les fonctions sociales en raison de la gêne qu'elle ressentait.11 Les défendeurs ont affirmé que ni le qualificatif de “cheikha” ni aucune des autres expressions utilisées dans l'article n'étaient diffamatoires et que l'article s'inscrivait bien dans le style familier des chroniques mondaines, à savoir "caustique mais pas insultant".

Le 29 décembre, la Cour d'appel a confirmé la condamnation et les peines d'emprisonnement avec sursis pour Benchemsi et Boukhari mais elle a réduit les dommages-intérêts dus à Assali, les faisant passer d'un million à 800.000 dirhams, montant qui demeurait malgré tout l'un des plus élevés jamais octroyés au Maroc dans un procès en diffamation. La cour n'a pas expliqué comment elle avait évalué le préjudice subi par Assali. Les défendeurs ont interjeté appel du jugement et se sont pourvus en cassation.

 

Au cours des dernières semaines, Assali a déclaré par écrit qu'elle ne réclamerait pas à TelQuel le versement du montant qui lui était dû.

 

 

 



[9] « Erratum. Mme. Bouabid hors de cause » TelQuel, 14 mai 2005, en ligne sur www.telquel-online.com/176/actu_176.shtml.

[10] L'article, “Secrets d’une brune”, se trouve en ligne sur www.telquel-online.com/184/actu_184.shtml.

[11] “Les choses sérieuses (si on ose dire) commencent,” TelQuel, 26 novembre 2005.


<  |  index  |  suivant>>9 mai 2006