Rapports de Human Rights Watch

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Les normes juridiques internationales

 

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que le Maroc a ratifié sans émettre de réserves, stipule en son Article 19 que:

 

Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.

 

L'Article 19, paragraphe 3, du PIDCP précise que ce droit peut être soumis à des restrictions "qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires: (a) au respect des droits ou de la réputation d'autrui; (b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques."

 

Le Comité des droits de l'homme de l'ONU, dans son Observation générale interprétant ce droit, stipule ce qui suit:

 

Lorsqu'un Etat partie impose certaines restrictions à l'exercice de la liberté d'expression, celles-ci ne peuvent en aucun cas porter atteinte au droit lui-même. Le paragraphe 3 énonce certaines conditions, et c'est seulement à ces conditions que des restrictions peuvent être imposées: elles doivent être fixées par la loi; elles ne peuvent être ordonnées qu'à l'une des fins précisées aux alinéas a) et b) du paragraphe 3; l'Etat partie doit justifier qu'elles sont nécessaires à la réalisation d'une de ces fins.4

 

Bien que les amendements de 2002 au Code de la Presse aient apporté quelques améliorations à la loi existante, nombre d'aspects répressifs de cette loi sont néanmoins toujours en vigueur. Par exemple, le Code a conservé les peines pénales pour diffamation mais la durée des peines d'emprisonnement possibles a été réduite. La loi prévoit toujours une peine d'emprisonnement pour ceux qui "offensent" le roi ou qui "portent atteinte" à la religion islamique, au régime monarchique ou à "l'intégrité territoriale" du Maroc – un concept aussi vaste qu'ambigu qui est invoqué pour poursuivre ceux qui contestent le droit que fait valoir le Maroc d'exercer sa souveraineté sur le territoire contesté du Sahara Occidental.

 

Par conséquent, les observations émises par le Comité des droits de l'homme de l'ONU à propos du Maroc en 1999 continuent à être largement applicables à la situation actuelle difficile de la presse. Lors de son évaluation du quatrième rapport périodique du Maroc relatif à son respect du PIDCP, le Comité a déclaré:

 

Le Comité s'inquiète toujours de ce que le Code de la Presse au Maroc renferme des dispositions … qui restreignent gravement la liberté d'expression en autorisant la saisie de publications et en prévoyant des sanctions dans le cas d'infractions définies au sens large (comme par exemple la publication d'informations inexactes ou les atteintes aux fondements politiques ou religieux). … De plus, le Comité s'inquiète tout particulièrement du fait que des personnes ayant exprimé des opinions politiques contraires à celles du Gouvernement ou réclamé un type de gouvernement républicain ont été condamnées à une peine d'emprisonnement. … Ces lois et leur application semblent outrepasser les limites autorisées par le paragraphe 3 de l'article 19. [Le Maroc] devrait aligner pleinement toute sa législation pénale et civile sur l'article 19 du Pacte….5

 

Human Rights Watch défend le droit des victimes de diffamation à tenter d'obtenir réparation par voie judiciaire. Cependant, elle estime que les lois pénales relatives à la diffamation sont incompatibles avec l'Article 19 du Pacte et elle est en faveur de leur abolition. L'organisation non gouvernementale Article 19, basée à Londres, a élaboré un ensemble utile de principes qui propose un équilibre entre le droit à la liberté d'expression et le droit à la protection de sa réputation, prévoyant notamment que:

 

  • Toutes les lois pénales relatives à la diffamation devraient être abolies et remplacées, s'il y a lieu, par des lois civiles appropriées. Des mesures devraient être prises dans les Etats où des lois pénales relatives à la diffamation sont encore en vigueur afin de mettre progressivement en œuvre ce Principe.

 

  • Concrètement, en reconnaissance du fait que dans de nombreux Etats, les lois pénales relatives à la diffamation constituent le principal moyen de lancer des attaques injustifiées contre la réputation des personnes, des mesures immédiates devraient être prises pour faire en sorte que toutes les lois pénales relatives à la diffamation et encore en vigueur soient pleinement conformes aux conditions suivantes:

 

    • personne ne devrait être reconnu coupable de diffamation au pénal à moins que la partie qui déclare avoir été victime de diffamation ne prouve, avec quasi-certitude, la présence de tous les éléments du délit tels que définis ci-après;

 

    • le délit de diffamation au pénal ne sera invoqué que s'il est prouvé que les déclarations faisant l'objet d'une contestation sont fausses, que l'auteur de ces déclarations avait pleinement conscience de leur inexactitude ou qu'il ne se souciait pas de leur bien-fondé, et qu'elles ont été faites dans le but précis de causer préjudice à la partie qui prétend avoir été diffamée;

 

    • les autorités publiques, notamment la police et le ministère public, ne devraient jouer aucun rôle dans l'engagement de poursuites au pénal pour diffamation, indépendamment du statut de la partie prétendant avoir été diffamée, même s'il s'agit d'un haut fonctionnaire de l'Etat;

 

    • les peines d'emprisonnement, les peines de prison avec sursis, la suspension du droit de s'exprimer par l'entremise de l'une ou l'autre forme de média ou de pratiquer le journalisme ou toute autre profession, les amendes excessives et autres peines sévères ne devraient jamais être possibles pour sanctionner une infraction aux lois relatives à la diffamation, quel que soit le caractère manifeste ou flagrant des propos diffamatoires.6

 

Human Rights Watch ne prend pas position sur le bien-fondé des différents procès en diffamation décrits dans le présent rapport. Toutefois, les montants exceptionnellement élevés octroyés sans explication par les tribunaux marocains dans les affaires de diffamation intentées à l'encontre du Journal et de TelQuel laissent entendre que les autorités ont exercé une influence politique sur les tribunaux pour faire payer aux publications non seulement les dommages prétendument occasionnés aux plaignants mais également leurs critiques et révélations à propos des politiques et pratiques gouvernementales ainsi que leurs enquêtes sur la corruption. Notre préoccupation quant aux conséquences effrayantes des poursuites en diffamation ne se limite pas simplement aux procès intentés par des fonctionnaires publics ou au nom des institutions étatiques mais elle porte également sur les actions en justice engagées par des parties civiles.

 



[4] Comité des droits de l'homme (CDH), Observation générale No. 10: Liberté d'expression (Article 19): 29/06/83, en ligne sur http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/2bb2f14bf558182ac12563ed0048df17?Opendocument.

Le Comité des droits de l'homme (CDH) est l'organe qui supervise la mise en oeuvre du PIDCP par les Etats parties. Les organes des droits de l'homme de l'ONU tels que le CDH publient leur interprétation du contenu des dispositions relatives aux droits de l'homme sous la forme d'observations générales traitant de questions thématiques.

[5] Doc. ONU CCPR/C/79/Add.113 (1999), en ligne sur http://www1.umn.edu/humanrts/hrcommittee/morocco1999.html.

[6] Article 19, “Defining Defamation: Principles on Freedom of Expression and Protection of Reputation,” Londres: Article 19, juillet 2000, en ligne sur www.article19.org/publications/global-issues/defamation.html.


<  |  index  |  suivant>>9 mai 2006