Rapports de Human Rights Watch

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Introduction

 

La série de poursuites en justice intentées à l'encontre d'hebdomadaires indépendants, le secteur le plus franc et le plus critique des médias marocains, montre que les restrictions qui frappent la liberté de la presse dans ce pays n'ont pas disparu. L'année dernière, les tribunaux pénaux ont reconnu coupables quatre hebdomadaires au moins, ou leurs journalistes, du chef de diffamation, de publication de "fausses nouvelles", ou d' "offense" à un chef d'Etat étranger, et un cinquième passe actuellement en jugement pour avoir "porté atteinte" au régime monarchique.

 

Un hebdomadaire, Le Journal hebdomadaire (francophone, appelé ci-après Le Journal), pourrait être obligé de fermer ses portes s'il est forcé de verser le montant record de 3,1 millions de dirhams1 auquel il a été condamné et qu'une cour d'appel a confirmé le 18 avril. Par ailleurs, il y a lieu de penser que les autorités ont orchestré des manifestations de rue contre Le Journal en février. Avec ces manifestations, un ton menaçant s'est fait sentir qui vient s'ajouter aux pressions déjà exercées par le gouvernement sur la presse indépendante, comme l'a bien montré la couverture partiale et peu critique de ces mouvements de contestation par la télévision publique.

 

Au cours des quinze dernières années, les médias marocains ont joui d'une liberté croissante pour couvrir des sujets sensibles, notamment les droits humains, les problèmes socio-économiques et la corruption. Les hebdomadaires indépendants, et dans une moindre mesure certains quotidiens, ont testé les limites de cette nouvelle liberté à la fois au niveau du ton employé dans les articles et au niveau des reportages d'investigation. Ils comptent parmi les médias les plus critiques du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, en dehors d'Israël.

 

La radio et la télévision marocaines sont par contre demeurées proches de la ligne officielle, bien que les responsables aient promis que la délivrance de licences à de nouvelles stations privées au cours des prochains mois diversifiera le paysage audiovisuel.

 

En dépit de ces progrès, le Code de la Presse de 1958,2 amendé en 2002 sous le roi actuel, Mohammed VI, contient de nombreuses dispositions incompatibles avec le plein exercice de la liberté d'expression, notamment plusieurs qui prévoient des peines de prison pour les propos "offensants". L'application fréquente de ces dispositions à l'encontre de journalistes est en contradiction avec l'image que les autorités marocaines cherchent à projeter d'un engagement envers les droits de l'homme, en particulier la liberté d'expression.

 

Lorsqu'ils statuent à propos de présumées infractions au Code de la Presse et qu'ils fixent des dommages-intérêts dans les affaires de diffamation, les juges marocains ne semblent, pour leur part, pas considérer la liberté d'expression comme un bien public ni comme un droit garanti dans la constitution marocaine.3 Bien que l'année dernière, les tribunaux n'aient condamné aucun journaliste à la prison ferme en vertu du Code de la Presse, ils en ont condamné au moins cinq à des peines d'emprisonnement avec sursis et ont infligé à des magazines faisant preuve de franc-parler des amendes pour diffamation arbitrairement élevées, qui semblent destinées à les étouffer financièrement ou à les forcer de fermer leurs portes. Notamment:

 

  • Une cour d'appel a confirmé la condamnation au pénal de journalistes du Journal pour diffamation à l'encontre d'un institut de recherches basé à Bruxelles, fixant des amendes et des dommages-intérêts de 3,1 millions de dirhams, montant dépassant de loin tous ceux octroyés auparavant dans un procès en diffamation.

 

  • Des cours d'appel ont condamné des journalistes de TelQuel (francophone) lors de deux affaires de diffamation, leur ordonnant de verser 50.000 dirhams d'amende et 500.000 dirhams de dommages-intérêts dans le premier cas, et 10.000 dirhams d'amende et 800.000 dirhams de dommages-intérêts dans le second. Dans le premier cas, TelQuel a été condamné à verser un montant beaucoup plus élevé que trois autres publications qui avaient tenu les mêmes propos diffamatoires, alors que TelQuel a un tirage beaucoup moins important que deux d'entre elles et avait rapidement publié une rétractation et des excuses pour l'article diffamatoire. Dans aucune des deux affaires à l'encontre de TelQuel, le tribunal n'a exposé clairement les critères sur lesquels reposait sa décision d'octroyer des dommages d'une telle importance.

 

  • Un tribunal de première instance a condamné des journalistes d'al-Ayyam ("Les Jours", arabophone) pour avoir publié sans autorisation des photos de la famille royale, en vertu d'une loi de 1956 peu connue et rarement utilisée, et pour avoir publié de "fausses informations". Le tribunal a fixé des amendes et des peines d'emprisonnement avec sursis à l'encontre d'un reporter et du directeur de la publication.

 

  • Un tribunal de première instance a condamné al-Machâal ("La Torche", arabophone) pour offense à un chef d'Etat étranger en raison d'une caricature et d'un article ridiculisant le Président algérien Abdelaziz Bouteflika. Il a condamné le directeur de l'hebdomadaire à une amende de 100.000 dirhams et à un an de prison avec sursis. Une cour d'appel devrait statuer sur ce cas le 9 mai.

 

  • Le directeur d’al-Ousbou`iyya al-Jadida ("Le Nouvel Hebdomadaire", arabophone) est jugé au pénal, ainsi que Nadia Yassine, pour avoir "porté atteinte" au régime monarchique en publiant une interview de Yassine dans laquelle celle-ci qualifie la monarchie de système politique qui ne convient guère au Maroc.

 



[1] Le dirham marocain vaut 11,5¢US

[2] Dahir no 1-02-207 du 3 octobre 2002, portant promulgation de la loi no 77-00, modifiant le Code de la Presse de 1958.

[3] La constitution de 1996, en son Article 9, garantit à tous les citoyens marocains “la liberté d'opinion, la liberté d'expression sous toutes ses formes…Il ne peut être apporté de limitation à l'exercice de ces libertés que par la loi.”


index  |  suivant>>9 mai 2006