Rapports de Human Rights Watch

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Historique

 

Le Tchad et le conflit du Darfour sont étroitement liés

Depuis février 2003, le gouvernement soudanais et ses milices “Janjawid” ont mené une campagne dévastatrice de “nettoyage ethnique” et de crimes de guerre contre des civils appartenant aux groupes ethniques de deux mouvements rebelles du Darfour, l’Armée de Libération Soudanaise (SLA/M) et le Mouvement pour l’Egalité et la Justice (JEM), issus surtout des groupes ethniques Zaghawa, Fur et Masalit. Environ 1 800 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays du fait de cette campagne et ont perdu leurs moyens de subsistance et leurs foyers.1 Environ 200 000 réfugiés soudanais du Darfour vivent dans des camps établis dans la région est du Tchad depuis fin 2003 et 20 000 autres réfugiés soudanais sont installés dans des villages le long de la frontière du Soudan.2

 

Trois ans après le début du conflit au Darfour, celui-ci menace maintenant de s’étendre au Tchad. C’est un pays déjà secoué à plusieurs reprises par ses propres crises économiques et politiques, et en termes de développement c’est l’un des plus pauvres du monde.3

 

Le conflit du Darfour est étroitement lié à la politique tchadienne et à la situation instable de la sécurité tout au long des 1360 kilomètres de la frontière Tchad-Soudan. La frontière est habitée des deux côtés par de nombreux groupes ethniques qui sont impliqués dans le conflit du Darfour soit comme partisans de l’une ou l’autre des parties en guerre, soit comme leurs victimes. Les gouvernements tchadiens successifs, y compris le président tchadien en exercice Idriss Déby, sont arrivés au pouvoir grâce à des campagnes militaires lancées depuis des bases situées au Darfour, avec le soutien ou la complicité du gouvernement soudanais.4 Le gouvernement de Déby est maintenant à son tour menacé par des rebelles basés au Darfour (voir ci-dessous).

 

Pendant le conflit du Darfour, le gouvernement du Tchad a accusé à plusieurs reprises le Soudan d’abriter et de soutenir les rebelles tchadiens et d’encourager les attaques contre son territoire, mais les relations se sont améliorées. Le gouvernement soudanais a répondu par des dénégations, et a également accusé le Tchad d’intrusions au Soudan.5 Dans la rupture la plus aiguë jusqu’ici, le Tchad a déclaré un “état de belligérance” avec le Soudan le 23 décembre 2005, et les deux pays ont commencé à masser des troupes à la frontière à la fin décembre et au début de janvier, se dirigeant apparemment vers une guerre ouverte. Le Tchad a fait publiquement opposition à la candidature du gouvernement soudanais à la présidence de L’Union Africaine au motif que le Soudan encourageait l’instabilité dans la région ; le Soudan a échoué dans sa tentative au Sommet de l’Union Africaine qui s’est tenu à Khartoum les 23 et 24 janvier 2006.6

 

Les pourparlers de haut niveau qui se sont déroulés en Libye ont abouti à une déclaration d’amélioration des relations le 8 février 2006, et à un engagement des deux gouvernements de mettre un terme à leur soutien aux groupes d’opposition respectifs opérant depuis les deux pays.7 De tels accords ont déjà été obtenus auparavant et cependant n’ont pas été contrôlés de façon indépendante et n’ont pas été respectés.

 

Précarité de la situation politique interne et de la sécurité au Tchad

Quinze ans après s’être emparé du pouvoir par un coup d’état militaire, Déby se maintient au pouvoir avec de plus en plus de difficulté. Déby, membre du clan Bideyat des Zaghawa, a nommé des membres de confiance issus de sa tribu Zaghawa à des postes à tous les niveaux du gouvernement, mais il en a rendu plus d’un furieux dans son propre cercle en refusant d’apporter un soutien direct aux rebelles Zaghawa soudanais contre le gouvernement du Soudan au Darfour. Ce refus a été l’une des raisons d’une tentative manquée de coup d’état (pas la première) en mai 2004,8 cette fois de la part de membres du clan même de Deby au sein du palais et de l’armée. En juin 2005 Déby s’est isolé encore davantage en appuyant des changements constitutionnels dans le corps législatif qui lui permettront de briguer un troisième mandat présidentiel en 2006.

 

Entre octobre et décembre 2005, des membres des forces armées tchadiennes (y compris la garde présidentielle) et même des membres de la famille de Déby l’ont abandonné pour rejoindre les groupes de l’opposition armée tchadiens dans la région est du Tchad et au Darfour.9 De nombreux observateurs à N’Djamena (la capitale tchadienne) estiment que ces défections peuvent avoir des raisons intéressées, leur but étant d’obtenir des concessions de la part de Déby dans les conflits actuels portant sur l’attribution des richesses pétrolières du Tchad découvertes récemment.10 Si déserter pour se joindre aux rebelles peut sembler un pas drastique irréversible, il y a des exemples dans l’histoire tchadienne de militaires déserteurs accueillis à nouveau au sein du gouvernement après que leurs réclamations aient été satisfaites.

 

Le 18 décembre 2005, le Rassemblement pour la Démocratie et la Liberté (RDL), un groupe rebelle tchadien basé au Darfour, a attaqué la ville frontalière de Adré. Adré est la clef stratégique de la défense du Tchad contre les attaques lancées depuis le Soudan (aussi bien Déby que Hissène Habré avant lui ont accédé au pouvoir au Tchad après avoir attaqué depuis le Darfour et s’être emparé de Adré). Déby, apparemment incité par la vague de défections dans l’armée tchadienne entre octobre et décembre, a commencé à renforcer Adré, ainsi que Abéché, la capitale de la province de Ouaddaï, dès avant l’attaque du 18 décembre 2005.11

 

Il a commencé à réorganiser ses forces armées le long de la frontière au sud de Adré, en commençant par le bataillon à Modoyna, qui a été déployé vers Adré le 10 octobre 2005,12 suivi des bataillons stationnés à Koloy et Koumou le 10 décembre 2005. Au début février 2006, les garnisons militaires tchadiennes de Modoyna, Koumou, Koloy, Adé, Aourado, Borota et Goungour étaient vides.13 Le retrait de ces positions frontalières a permis aux milices Janjawid d’opérer sans être contrôlées dans la région est du Tchad, avec des conséquences désastreuses pour les civils.

Le 28 décembre 2005, le RDL et sept autres groupes tchadiens politico-militaires anti-gouvernementaux ont créé le Front Unique pour le Changement Démocratique au Tchad (FUC) et ont uni leurs troupes sous les ordres d’un seul commandant militaire, Mahamat Nour, ancien chef du RDL.14 Dans une récente interview, Nour a déclaré qu’il prendrait le pouvoir par la force des armes si Déby ne convoquait pas un “ forum national ” pour décider de l’avenir de la nation avant la fin de son mandat présidentiel en juin.15

 



[1] Il y a à l’intérieur du Darfour environ 1,8 million de personnes déplacées. Voir l’Appel global 2006 de l’UNHCR pour le Darfour sur http://www.unhcr.org/cgiin/texis/vtx/home/opendoc.pdf?tbl=PUBL&id=4371d17fe&page=home. Environ 220 000 réfugiés soudanais de plus se trouvent au Tchad, soit 200 000 dans des camps et 20 000 qui se sont installés spontanément dans des villages le long de la frontière avec le Soudan. Voir l’Appel global 2006 de l’UNHCR pour le Tchad sur http://www.unhcr.org/cgi=bin/texis/vtx/home/opendoc.pdf?tbl=PUBL&id=4371d1a80&page=home.

[2] Voir Human Rights Watch, “Le Darfour en feu: Atrocités dans l’ouest du Soudan,” un rapport de Human Rights Watch, vol 16, no. 5(A) Avril 2004, [online] http://hrw.org/reports/2004/sudan0404; “Darfour en flammes: Atrocités au Soudan occidental,” un rapport de Human Rights Watch, vol 16, no. 6 (A), Mai 2004, [online] http://hrw.org/reports/2004/sudan0504; “Darfur Documents Confirm Government Policy of Militia Support,” un document d’information de Human Rights Watch, 20 juillet 2004, [online] http://hrw.org/english/docs/2004/07/19/darfur9096.htm; “Empty Promises? Continuing Abuses in Darfur, Sudan,” un document d’information de Human Rights Watch, 11 août 2004, [online] http://hrw.org/backgrounder/africa/sudan/2004; “If We Return We Will Be Killed,” un document d’information de Human Rights Watch ,15 novembre 2004, [online] http://hrw.org/backgrounder/africa/darfur1104; “Targeting the Fur: Mass Killings in Darfur,” un document d’information de Human Rights Watch, 24 janvier 2005; “Sexual Violence and its Consequences Among Displaced Persons in Darfur and Tchad,” un document d’information de Human Rights Watch , 12 avril 2005, [online] http://hrw.org/backgrounder/africa/darfur0505; “Impunité inébranlable : responsabilité gouvernementale dans les crimes internationaux commis au Darfour,” un rapport de Human Rights Watch, vol. 17, no. 17(A), Décembre 2005, [online] http://hrw.org/reports/2005/darfur1205; et “Impératifs pour un changement immédiat : La mission de l’Union africaine au Soudan,” un rapport de Human Rights Watch, Janvier 2006, vol.18, no. 1(A), [online] http://hrw.org/reports/2006/sudan0106.

[3] Le pouvoir n’a jamais changé de mains de façon pacifique au Tchad, et ce pays est classé 173 sur 177 dans le Rapport 2005 des Nations Unies sur le Développement Humain (Tableau 1, p. 222), voir [online] http://hdr.undp.org/reports/global/2005/pdf/HDR05_complete.pdf.

[4] Entretiens de Human Rights Watch, Nord Darfour, Juillet-Août 2004.

[5] Opheera McDoom, “Darfur rebels attack Sudan army base,” Reuters, 28 janvier 2006, [online]

http://za.today.reuters.com/news/newsArticle.aspx?type=topNews&storyID=2006-01-28T160000Z_01_ALL852624_RTRIDST_0_OZATP-SUDAN-DARFUR-TCHAD-20060128.XML.

[6] Opheera McDoom, “Sudan bid to head AU gathers pace despite critics,” Reuters, 20 janvier 2006, [online]

http://today.reuters.com/news/newsArticleSearch.aspx?storyID=118279+20-Jan-2006+RTRS&srch=Sudan+bid+to+head+AU+. Opheera McDoom, “U.S. praises AU decision not appoint Sudan as head,” Reuters, 24 janvier 2006, [online] http://today.reuters.co.uk/News/CrisesArticle.aspx?storyId=L24424239.

[7] “Sudan and Tchad agree peace plan,BBC News,9 février 2006, [online] http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/4696008.stm.

[8] Mark Doyle, “Darfur misery has complex roots,” BBC News, 26 septembre 2005, [online] http://news.bbc.co.uk/1/hi/world/africa/3692346.stm

[9] “Tchad: With insecurity mounting in the east, are Déby's days numbered?”, IRIN, 10 février 2006, [online] http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=51646&SelectRegion=West_Africa. Un nombre important d’anciens membres de l’armée tchadienne ont aussi rejoint les insurgés de la SLA et du JEM du Darfour. Entretiens de Human Rights Watch, Nord Darfour, Juillet-Août 2004.

[10] Communications confidentielles à Human Rights Watch, N’Djamena, Tchad, 3 et 4 février 2006. En décembre, invoquant des nécessités de sécurité, le Président Déby a remanié une loi sur la gestion des revenus pétroliers conçue par la Banque mondiale et des organisations non gouvernementales pour réserver les revenus pétroliers aux secteurs prioritaires tels que la santé et l’éducation. La Banque mondiale a répliqué en gelant l’accès du gouvernement du Tchad aux revenus pétroliers sur un compte de la Citibank à Londres le 12 janvier 2006, mais elle n’a pas pu geler un fonds de 36,2 millions de $ destiné aux générations futures, également administré par la Banque mondiale, que le gouvernement de Déby a retiré dans son intégralité (ceci comparé au $46 millions versés au budget général du Tchad depuis que la production de pétrole a commencé en 2003). Entretiens de Human Rights Watch, N’djamena, Tchad, Février 2006. Voir aussi “World Bank Suspends Disbursements to Tchad,” communiqué de presse de la Banque mondiale, Washington, DC, 6 janvier 2006, [online] http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/COUNTRIES/AFRICAEXT/TCHADEXTN/0,,contentMDK:20778928~menuPK:349881~pagePK:141137~piPK:141127~theSitePK:349862,00.html.

[11] Les rebelles tchadiens ont attaqué Guereda, à 120 kilomètres au nord de Adré, le 7 décembre 2005, faisant dix victimes et cinq blessés.  L’attaque (attribuée au Socle pour le Changement, l’Unité et la Démocratie, SCUD, un groupe de soldats déserteurs de l’armée tchadienne) a marqué le début d’une campagne d’incursions rebelles depuis le Darfour, et a poussé le gouvernement tchadien à condamner Khartoum pour son soutien aux rebelles.  Communication confidentielle de Human Rights Watch, 12 décembre 2005.

[12] Selon des témoignages, deux hélicoptères auraient atterri à Modoyna, déchargé du carburant, et donné des instructions au commandant du bataillon pour qu’il ravitaille ses huit véhicules en carburant et les redirige sur Adré, ce qui a été fait ce jour-là. Entretien de Human Rights Watch, 29 janvier 2006.

[13] L’armée tchadienne prévoit de renvoyer des soldats à Adré et Modoyna, et dans ce but elle a retiré 300 soldats de N’Djamena et du commandement du nord du Tchad en janvier. Au moment où nous écrivons, les soldats redéployés restent bloqués à Abéché, la capitale de la province de Ouaddaï, à cause du manque de moyens de transport. Communication confidentielle de Human Rights Watch, 30 janvier 2006.

[14] Les sept autres groupes sont le Socle pour le Changement, l’unité et la Démocratie (SCUD), le Front National pour le Tchad Rénové (FNTR), le Conseil National pour le Redressement (CNR), la Force pour le Ratissage, le Regroupement et le Redressement du Tchad (FRRRT), le Grouped u 8 Décembre, le CNT et le FIDL. Nour, de la tribu Tama, a aide à renverser le président Hissène Habré en 1990, mais a rejoint l’opposition armée sous la direction de Déby peu après. En 2003, avec le soutien du gouvernement soudanais, Nour a organisé et dirigé les milices Janjawid au Darfour. Entretien de Human Rights Watch, Tchad, Janvier 2006.

[15] Opheera McDoom, “Tchadian rebels threaten fresh assault,” Reuters, 10 février 2006, [online] http://www.alertnet.org/thenews/newsdesk/B776255.htm.


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