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La crise du Darfour, au Soudan, qui s’est insinuée au Tchad
durant ces trois dernières années, s’introduit maintenant librement au-delà de
la frontière. Une contre insurrection menée par le gouvernement soudanais et
ses milices contre les groupes rebelles au Darfour, caractérisée par des crimes
de guerre et le “nettoyage ethnique,” a contraint près de deux millions de
civils au Darfour à quitter leur maison et environ 220 000 personnes ont fui
pour entrer au Tchad en franchissant la frontière. Les mêmes milices ethniques
“Janjawid” responsables d’abus systématiques au Darfour ont lancé des raids
transfrontaliers au Tchad, attaquant aussi bien des réfugiés du Darfour que des
villageois tchadiens, s’emparant de leur bétail et tuant ceux qui résistaient.
Le gouvernement du Soudan exporte activement la crise du
Darfour vers son voisin en fournissant une aide matérielle aux milices
Janjawids, se montrant incapable de les désarmer ou de les contrôler, en
appuyant les groupes rebelles tchadiens à qui il permet d’opérer depuis des
bases situées au Darfour, et en déployant ses propres forces armées de l’autre
côté de la frontière, au Tchad.
Depuis des décennies, tant les gouvernements soudanais que
tchadien ont soutenu par intermittence des rebelles agissant contre l’autre
pays tout le long de leur frontière commune (les changements successifs de
régime au Tchad ont été obtenus de cette façon). Mais les attaques contre des
civils tchadiens se sont considérablement accentuées à la suite d’une attaque
menée contre Adré, en décembre 2005, dans la région est du Tchad, par des
rebelles tchadiens basés au Darfour et soutenus par le gouvernement du Soudan.
Même si les rebelles tchadiens ne visaient pas des civils tchadiens, l’attaque
de décembre, combinée à une vague de défections de soldats tchadiens vers les
groupes rebelles tchadiens basés au Darfour, a eu pour conséquence de pousser
l’armée tchadienne à redéployer ses forces, laissant sans défense de longues
portions de la frontière avec le Soudan. Les milices Janjawid ont exploité
cette faille, lançant des raids sur la région est du Tchad avec une fréquence
croissante et en totale impunité.
Les raids des Janjawids ont pris pour cible des villages au
Tchad et ont délibérément tué des civils tchadiens, appartenant en particulier
aux groupes ethniques Masalit et Dajo (tribus frontalières non-arabes ayant
également fait l’objet d’attaques des Janjawids au Darfour). A cause des
attaques au Tchad, les civils ont dû quitter leurs maisons, et leurs maigres
possessions, surtout du bétail, ont été pillées. Les personnes vivant le long
de la frontière Tchad-Soudan, qui font déjà partie des plus pauvres du monde,
ont peu d’accès à l’aide humanitaire nationale ou internationale.
Dans certains cas, les attaques des Janjawids semblent être
coordonnées avec celles des rebelles tchadiens. Dans d’autres cas, les milices
Janjawid ont mené des attaques en territoire tchadien accompagnées par les
soldats de l’armée soudanaise avec le soutien d’hélicoptères de combat.
Cette situation pourrait avoir de graves implications pour
le gouvernement du Président Idriss Déby au Tchad. Les actions du gouvernement
soudanais —soutien aux rebelles tchadiens et incapacité à maîtriser les milices
Janjawid — exacerbent l’instabilité politique au sein du Tchad, où la
candidature controversée du président pour un troisième mandat aux élections de
mai 2006 est entachée d’allégations de corruption liées aux nouvelles richesses
pétrolières croissantes du Tchad. Que le Président Déby reste au pouvoir ou
non, cependant, les attaques à caractère ethnique à la frontière de l’est ont
fait des douzaines de victimes et obligé des milliers d’autres Tchadiens à se
déplacer à l’intérieur du pays dans d’épouvantables conditions depuis le mois
de décembre. D’autres civils tchadiens encore sont exposés au danger, ainsi que
des centaines de milliers de réfugiés du Darfour vivant du côté tchadien de la
frontière, avec la détérioration rapide de la situation.
Pour le Darfour, cette situation pourrait signifier que son
conflit sera plus difficile à résoudre avec l’entrée en action de nouveaux
venus de son instable voisin, qui ont leurs propres objectifs. Les Janjawids,
se déplaçant pour pénétrer au Tchad avec l’aide du gouvernement soudanais,
augmenteront leur pouvoir et leur base de ressources, et leur alliance avec les
rebelles tchadiens les renforcera tous les deux. Les combats au Darfour
pourraient s’amplifier si une guerre civile tchadienne était portée, une fois
encore, au sein du Darfour.
Les gouvernements du Tchad et du Soudan, la Mission de
l’Union Africaine au Soudan, et la communauté internationale doivent agir
davantage pour assurer la sécurité dans la région frontalière, empêcher
l’expansion du “nettoyage ethnique” au Tchad, et protéger les civils tchadiens
contre les attaques de la part du gouvernement soudanais, des rebelles
tchadiens et des milices Janjawid. Les personnes impliquées dans des crimes de
guerre et autres actes criminels doivent être poursuivies—qu’il s’agisse
d’officiers gouvernementaux, de chefs militaires rebelles, de dirigeants civils
ou de Janjawids.
Ce rapport s’appuie sur une mission d’enquête menée par
Human Rights Watch dans la région est du Tchad en janvier et février 2006.
Dans certains cas, les emplacements précis des incidents et autres détails
d’identification ont été dissimulés pour protéger la sécurité des témoins.