Rapports de Human Rights Watch

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Situations à venir

La Conférence a également donné mandat au Comité d’Eminents Juristes Africains « de faire des recommandations concrètes sur les voies et moyens permettant de traiter des questions de cette nature dans l’avenir ».

Par l’expression « questions de cette nature », la Conférence semble viser le cas d’anciens chefs d’Etat exilés et accusés de violations graves du droit international, telles que le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et la torture. Nous laissons, de ce fait, ouvertes les questions relatives aux mesures que doit prendre l’Union africaine afin de prévenir que des chefs d’Etat en exercice commettent de tels crimes ou à la manière dont les pays en transition démocratique doivent traiter les crimes perpétrés sous des régimes précédents.

Human Rights Watch estime que l’approche à adopter pour traiter l’affaire Habré, ainsi que toute autre situation analogue se présentant dans l’avenir, est de respecter et d’appliquer les principes fondamentaux et objectifs de l’Union africaine,51 les principes et règles applicables en droit international, et les mécanismes internationaux de contrôle et de responsabilité existants. Ce qui embrasse les règles en matière de lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux les plus graves, les traités obligeant les Etats parties à extrader ou à poursuivre les auteurs des pires atrocités, et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Au vu des instruments et des mécanismes existants, il ne semble pas nécessaire de mettre sur pied de nouveaux mécanismes pour traiter des questions de cette nature.

L’affaire Hissène Habré nous fournit à cet égard une illustration. Ainsi qu’il est énoncé plus haut, le Sénégal était—et demeure toujours—juridiquement tenu de poursuivre ou d’extrader Hissène Habré lorsque ce dernier a foulé le territoire sénégalais, et ce en vertu de la Convention des Nations Unies contre la Torture et des Conventions de Genève dont le Sénégal est Etat partie ainsi que du droit coutumier international.52 Si le Sénégal avait respecté ses engagements internationaux, les objectifs de la Convention contre la Torture auraient été réalisés, Hissène Habré aurait cessé de bénéficier de l’impunité pour les crimes qui lui sont reprochés, les victimes ne se seraient pas tournées vers un tribunal belge, et la question ne serait pas entre les mains de l’Union africaine.

Les tribunaux sénégalais ont justifié l’incapacité du Sénégal d’honorer ses engagements conventionnels par l’absence de transposition dans le code sénégalais de procédure pénale des dispositions donnant compétence à ses tribunaux judiciaires de poursuivre les actes de torture perpétrés par des ressortissants non sénégalais hors du Sénégal, transposition pourtant directement exigée par la Convention. Il semble que cetobstacle juridique soit commun à plusieurs Etats africains ayant ratifié la Convention contre la Torture. Le CEJA est, par conséquent, invité à recommander aux Etats non seulement de ratifier les instruments pertinents, à l’instar de la Convention contre la Torture et des Conventions de Genève, mais également d’harmoniser leur droit interne avec les traités internationaux afin qu’ils puissent souscrire à leurs engagements internationaux.

Comme il a été précédemment indiqué, le président du Sénégal a, à plusieurs reprises, refusé de juger Hissène Habré au Sénégal avançant qu’un tel procès impliquerait le déplacement de centaines de témoins et engendrerait un coût exorbitant pour les tribunaux sénégalais. Nul doute que le procès de Hissène Habré, ou de tout autre ancien chef d’Etat, organisé hors du pays où les crimes ont été commis, avoisinerait un coût de plusieurs millions de dollars. Afin de permettre au pays hôte du procès de répondre à ses engagements internationaux,le Comité est invité à examiner les options tendant à réduire ou à repartir la charge financière d’un tel procès entre les pays africains via un « Fonds pour la Justice en Afrique » et/ou via une coopération internationale.

En ce qui concerne les crimes internationaux perpétrés postérieurement à juillet 2002, le régime de la Cour pénale internationale semblerait offrir la garantie la plus sûre contre l’impunité lorsque les juridictions nationales ne sont ni disposées ou ni en mesure de poursuivre en justice les auteurs présumés de crimes internationaux. Vingt-sept Etats africains sont Etats parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et le CEJA est invité à recommander à l’ensemble des Etats africains de ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et de transposer en droit interne les dispositions directement exigées par le Statut.

Afin de traiter les questions de cette nature se présentant dans l’avenir, le Comité est invité à recommander que :

  • L’ensemble des Etats africains ratifient les principaux instruments internationaux dans le domaine de la lutte contre l’impunité, y compris le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, la Convention des Nations Unies contre la Torture et les Conventions de Genève, mais aussi qu’ils harmonisent leur droit interne avec l’ensemble de ces traités afin d’être en mesure de souscrire à leur engagements ; et

           

  • Un Fonds, ouvert aux donateurs internationaux, soit mis sur pied afin d’assister les Etats africains à poursuivre en justice les auteurs des violations internationales les plus graves.




[51] L’Article 3(h) de l’Acte Constitutif de l’Union africaine élèvent la promotion et la protection des « droits de l’homme et des peuples conformément a la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme » au rang des objectifs de l’Union africaine. L’Article 4 du même Acte pose comme principe fondateur de l’Union africaine « le respect du caractère sacro-saint de la vie humaine, condamnation et rejet de l’impunité, des assassinats politiques, des actes de terrorisme et des activités subversive ».

[52] Bien que cela n’ait pas d’incidences quant aux engagements juridiques du Sénégal, il doit être cependant rappelé que la fuite d’Hissène Habré du Tchad le 1er Décembre 1990 et son arrivée au Sénégal ne faisaient pas l’objet d’une entente préalable garantissant à Mr. Habré l’immunité le protégeant contre toutes poursuites judiciaires. Hissène Habré a fui vers le pays voisin, le Cameroun, alors que les troupes du Mouvement Patriotique du Salut (MPS) de l’actuel Président Idriss Déby Itno progressaient vers la capitale N’Djaména. A la demande du Président du Cameroun, le Sénégal a accepté de laisser Mr. Habré s’établir au Sénégal.


<<précédente  |  indexdecember 2005