Rapports de Human Rights Watch

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Rappel des faits

Les crimes allégués contre Hissène Habré

Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, jusqu’à son renversement par l’actuel Président Idriss Déby Itno. Son régime de parti unique fut marqué par la perpétration d’atrocités à très grande échelle. Habré a persécuté, par périodes, en procédant à des arrestations collectives et des meurtres en masse, différents groupes ethniques dont il percevait les leaders comme des menaces à son régime, notamment les Sara (1983-84), les Arabes tchadiens, les Hadjeraïs (1987), et les Zaghawas en 1989-90. Le nombre exact des victimes de Habré reste à ce jour inconnu. En 1992, une Commission d’enquête du ministère tchadien de la justice a accusé le gouvernement Habré d’avoir commis 40.000 assassinats politiques et d’avoir pratiqué systématiquement la torture.1 La plupart de ces exactions furent perpétrées par sa police politique, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), dont les directeurs ne rendaient des comptes qu’à Hissène Habré et appartenaient tous à sa propre ethnie, les Goranes. La torture était une pratique courante dans les centres de détention de la DDS. L’« arbatachar » compte parmi les plus tristement célèbres tortures de ce régime. Elle consiste à attacher les quatre membres du prisonnier derrière son dos, jusqu’à ce qu’il finisse par mourir de paralysie et d’ischémie.

Les dossiers de la DDS ont été découverts par Human Rights Watch en 2001. Parmi les dizaines de milliers de documents figurant dans les archives de la police politique, les enquêteurs ont retrouvé des listes quotidiennes de prisonniers et de morts en détention, des rapports d’interrogatoire, des rapports de surveillance et des certificats de décès. Ces documents rendent compte de manière détaillée de la façon dont Hissène Habré a placé la DDS sous son autorité, dont il a organisé l’épuration ethnique et dont il a gardé un contrôle étroit sur les opérations de la DDS. Ils ont révélé le nom de 1.208 personnes mortes en détention et font état de 12.321 personnes victimes de divers abus. Ces seuls fichiers contiennent 1.265 communications directes de la DDS à propos du statut de 898 détenus reçues par Hissène Habré.

La Commission d’enquête a également accusé Hissène Habré d’avoir détourné, juste avant sa fuite au Sénégal, 3,32 milliards de francs CFA (ce qui équivaut, aujourd’hui à U.S.$5.926.520). Il est estimé que le montant total des fonds détournés par Habré pendant son règne est beaucoup plus élevé.

Les tentatives pour juger Hissène Habré

Après avoir fui le Tchad, Hissène Habré s’est installé au Sénégal. La Commission d’enquête tchadienne avait recommandé que des poursuites soient engagées contre Hissène Habré et ses complices. Comme on le lira ci-après, le Tchad a renouvelé, a plusieurs reprises, son soutien à l’extradition de Hissène Habré vers la Belgique et a officiellement levé son immunité.

Sénégal

En janvier 2000, plusieurs victimes tchadiennes ont déposé plainte contre Hissène Habré au Sénégal, pays sur le territoire duquel se trouve l’ancien président tchadien, en se fondant sur le principe de la compétence universelle prévue par la Convention des Nations unies de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée par le Sénégal. Cette convention oblige en effet les Etats parties soit à extrader soit à poursuivre les auteurs présumés d’actes de torture présents sur leur territoire. La constitution sénégalaise dispose  que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ».2 En 1990, puis de nouveau en 1995, le Sénégal avait informé le Comité des Nations Unies contre la torture que les tribunaux sénégalais pourraient exercer leur juridiction à l’égard des actes de torture commis par des étrangers à l’extérieur du pays.3

En février 2000, un tribunal sénégalais a inculpé Hissène Habré de complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie et l’a placé en résidence surveillée. Après avoir été élu président du Sénégal en mars 2000,  Abdoulaye Wade, a, pourtant déclaré publiquement, et à maintes reprises, que Hissène Habré ne serait pas jugé au Sénégal. En juillet 2000, le juge, responsable de la mise en examen de Habré et qui poursuivait son enquête préliminaire, a été dessaisi du dossier Habré et a fait l’objet d’une mutation. Par la suite, la Cour d’appel a décidé que les tribunaux sénégalais n’étaient pas compétents pour juger au Sénégal des crimes commis à l’étranger et a, en conséquence,  annulé la procédure contre Hissène Habré.

Dans un appel conjoint, le Rapporteur spécial de la Commission des Nations Unies des droits de l’homme sur l’indépendance des juges et des avocats et le Rapporteur spécial sur la torture ont « fait part de leur préoccupation au Gouvernement du Sénégal s’agissant des circonstances dans lesquelles a été prononcé le non-lieu» et ont « rappel[é]au Gouvernement du Sénégal ses obligations en tant qu'État partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 ».4Pourtant, la Cour de Cassation du Sénégal décidait, le 20 mars 2001, que Hissène Habré ne pouvait être jugé au Sénégal pour des crimes qu’il aurait commis à l’étranger, au motif que le Sénégal n’avait pas intégré les dispositions de la Convention contre la torture dans son code de procédure pénale, et que—malgré la disposition constitutionnelle citée ci-dessus—la transposition en droit interne de la Convention des Nations unies était requise pour poursuivre Hissène Habré en justice.5

Cependant l’interprétation faite par les tribunaux sénégalais de la loi sénégalaise—il convient de rappeler à cet égard que la décision a été critiquée par, au moins, un éminent juriste sénégalais6—ne peut justifier la non-exécution du Sénégal de son obligation de poursuivre Hissène Habré. La Convention de Vienne sur le droit des Traités de mai 1969, dispose en effet qu’ « Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ».7

A la suite de la décision de la Cour de Cassation, les victimes/plaignants tchadiens ont déposé une communication contre le Sénégal devant le Comité des Nations Unies contre la torture,8 alléguant une violation de la Convention contre la Torture. En avril 2001, le Président Wade déclarait publiquement qu’il avait donné un mois à Habré pour quitter le Sénégal. Dans une décision préliminaire rendue en avril 2001, le Comité contre la torture a appelé le Sénégal à « prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher Hissène Habré de quitter le territoire sénégalais, autrement qu’en vertu d’une demande d’extradition ».9 Le Secrétaire Général des Nations Unies, M. Kofi Annan, a, en privé, invité le président Wade à respecter l’appel lancé par le Comité. Le Sénégal a, jusqu’ici, respecté scrupuleusement cette injonction.

Belgique

Après l’arrêt de la Cour de Cassation, les victimes de Hissène Habré avaient aussi annoncé qu’elles demanderaient son extradition vers la Belgique, pays où 21 victimes de Habré, dont trois citoyens belges, avaient introduit une plainte contre l’ancien dictateur en application de la loi belge dite « de compétence universelle ». Dans sa version initiale, cette loi autorisait les tribunaux belges à juger le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre quel que soit le lieu où les crimes avaient été commis, et quelle que soit la nationalité des accusés ou de leurs victimes. Le principe de droit international de la compétence universelle, qui figure dans la législation de nombreux pays, dispose que chaque Etat doit poursuivre en justice les responsables présumés de crimes de droit international humanitaire, lorsque ces personnes se trouvent sur son territoire, quel que soit l’endroit où ces crimes ont été commis.

A la suite de l’intervention du secrétaire général des Nations Unies,  Kofi Annan, le Président Wade a déclaré, en septembre 2001,  qu’il acceptait de garder Habré sur le sol sénégalais le temps qu’une demande d’extradition soit formulée. Le Président Wade a honoré cette promesse. Il avait, en outre, déclaré : « Si un pays, capable d’organiser un procès équitable—on parle de la Belgique—le veut, je n’y verrais aucun obstacle ».10

Les plaintes portées contre Hissène Habré ont été jugées admissibles par les tribunaux belges. En février et en mars 2002, à l’invitation du gouvernement tchadien, le juge d’instruction belge chargé du dossier, un procureur et des officiers de la police judiciaire se sont rendus au Tchad. Ils y ont interrogé des dizaines de témoins, ont visité les centres de détention et d’anciens charniers du régime en compagnie d’anciens détenus. Plusieurs milliers de copies d’archives de la DDS ont également été saisies.

Dans le même temps, de nombreuses plaintes avaient été déposées en Belgique contre des responsables en exercice d’autres pays. En février 2002, la Cour internationale de justice, dans une affaire opposant la République démocratique du Congo (RDC) à la Belgique portant sur le mandat d’arrêt international formulé à l’encontre du ministre des affaires étrangères de la RDC, Abdoulaye Yerodia Ndombasi,11 a déclaré que certains fonctionnaires de haut rang bénéficiaient d’une « immunité de juridiction » à l’encontre de toute poursuite devant les tribunaux d’un autre Etat. Par conséquent, un tribunal belge a par la suite rejeté les plaintes déposées contre le Premier ministre d’Israël, Ariel Sharon, sur la base de ce principe d’immunité. D’autres plaintes ont fait l’objet du même rejet, pour les mêmes raisons, dont certaines à l’encontre de chefs d’Etat africains.

La Cour internationale de justice a laissé ouverte la question de l’immunité de juridiction des anciens responsables politiques. Elle a cependant affirmé que les responsables politiques « ne bénéficient plus de l’immunité de juridiction à l’étranger si l’Etat qu’ils représentent ou ont représenté décide de lever cette immunité ».12 Dans une lettre d’octobre 2002 adressée au juge belge chargé du dossier Habré, le ministre tchadien de la justice de l’époque, Monsieur Djimnain Koudj-Gaou, a levé toute ambiguïté concernant l’immunité de Habré, en déclarant : « Il est clair que Monsieur Hissène Habré ne peut prétendre à une quelconque immunité de la part des autorités tchadiennes ».13

Le Parlement belge a abrogé sa loi de compétence universelle en juillet/août 2003. La majorité des plaintes déposées en application de cette loi ont alors été classées. Une disposition transitoire a toutefois permis de maintenir les affaires pour lesquelles l’instruction était déjà en cours et qui concernaient des plaignants belges. L’affaire Habré répondait à ces critères puisque le juge d’instruction avait déjà mené une mission d’enquête au Tchad, et que trois des plaignants étaient de nationalité belge depuis plusieurs années, avant même le dépôt de leur plainte. D’un point de vue politique, l’affaire Habré était considérée comme « sûre », étant donné que le gouvernement tchadien soutenait son extradition vers la Belgique et que le Président Wade avait explicitement déclaré qu’il considérerait favorablement une demande d’extradition de Hissène Habré formulée par la Belgique. D’autres affaires, dont l’instruction se poursuit en Belgique, concernent, entre autres, des citoyens belges tués au Guatemala et au Rwanda.

L’instruction menée par le juge belge pendant plus de quatre années dans l’affaire Habré a abouti le 19 septembre 2005 à la délivrance d’un mandat d’arrêt international à l’encontre de Hissène Habré pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre, actes de torture, et graves violations du droit humanitaire international.

Demande d’extradition de la Belgique

Le 19 septembre 2005, la Belgique adressait donc une demande d’extradition aux autorités sénégalaises. Cette demande d’extradition cite, entre autres, l’article 8 §2 de la Convention contre la torture qui prévoit que, s’agissant d’Etats parties, la Convention sert de base juridique pour l’extradition en raison d’actes de torture.

Le 5 octobre 2005, Kofi Annan, le Secrétaire Général des Nations Unies, déclarait: « I think the indictment of the (Belgian) Court ought to be respected and countries around the world should cooperate ».14 (« Je pense que l’inculpation par le tribunal (belge) devrait être respectée et que les pays du monde entier devraient coopérer ».)

Le 26 octobre 2005, Alpha Oumar Konaré, Président de la Commission de l’Union africaine, déclarait : « Concernant Hissène Habré, le gouvernement sénégalais avait dit que si un pays veut le juger, il s’engage à le livrer. D’après toutes les informations que nous avons, le dossier est au niveau de la justice sénégalaise pour qu'une telle procédure soit engagée et nous ne pouvons que l’approuver ». 15

Le 15 novembre 2005, donnant suite à la demande d’extradition, les autorités sénégalaises ont arrêté Hissène Habré.

Le 18 novembre, Manfred Nowak, le Rapporteur spécial de la Commission des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, accueillait favorablement l’arrestation de Hissène Habré, et appelait le gouvernement sénégalais à l’extrader vers la Belgique.

Le 24 novembre 2005, le Président tchadien, Idriss Déby Itno, appelait le Président Wade à extrader Hissène Habré vers la Belgique.

Le même jour pourtant, le Ministère Public sénégalais recommandait à la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar de se déclarer incompétente pour statuer sur la demande d’extradition.

Le 25 novembre 2005, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar se déclarait incompétente pour statuer sur la demande d’extradition, affirmant que Hissène Habré, en tant qu’ancien chef d’Etat, bénéficiait d’une « immunité de juridiction » au regard de la décision Yérodia de la Cour internationale de Justice,16 et que cette immunité ne pouvait être levée par la Cour d’appel. (Human Rights Watch estime pourtant qu’il s’agit d’une mésinterprétation de la décision Yérodia. Ainsi qu’il a été développé plus haut, la décision Yérodia a confirmé qu’un détenteur d’une charge publique « ne bénéficie plus de l’immunité de juridiction à l’étranger si l’Etat qu’il représente ou a représenté décide de lever cette immunité ». Or, il s’avère que le Tchad a levé l’immunité dont pouvait se prévaloir Habré.)17

La Cour d’appel a, en conséquence, invité le procureur « à mieux de pourvoir », et a laissé entendre que la Haute Cour de Justice (HCJ) serait la juridiction compétente pour lever l’immunité (il faut souligner à cet égard que la HCJ est la seule instance compétente pour instruire une plainte déposée contre le président du Sénégal mais qu’elle ne peut être saisie que par le Parlement), plaçant ainsi le dossier dans une impasse juridique. Conformément à la loi sénégalaise sur l’extradition, « si la décision de la Cour d’appel rejette la demande d’extradition, celle-ci ne peut être accordée ».18 « Dans le cas contraire, l’extradition peut être autorisée par un décret ».19 C’est dans cette (deuxième) situation que se retrouve la demande d’extradition étant donné que la Chambre d’accusation s’est déclarée incompétente. Une lecture littérale de la loi laisse à penser que le Président Wade peut à présent autoriser l’extradition de Hissène Habré par décret. Le procureur pourrait, comme l’a suggéré la Cour d’appel, demander également au Parlement de saisir la Haute Cour de Justice. Dans une note circulant à la session de la Conférence de l’Union africaine en janvier 2006, le gouvernement du Sénégal a cependant déclaré que, du fait de la décision de la Cour d’appel se déclarant incompétente en la matière, « le dossier relatif à l’affaire de la demande d’extradition de Monsieur Hissène HABRE était ainsi clos au Sénégal ».20

Le 26 novembre 2005, au lendemain de la décision du tribunal, le ministre sénégalais de l’Intérieur a promulgué une ordonnance plaçant Hissène Habré « à la disposition du Président de l’Union africaine » et disposant que Hissène Habré serait expulsé vers le Nigeria dans les 48 heures. Le 27 novembre, le ministre sénégalais des affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, affirmait que Hissène Habré resterait au Sénégal. Le communiqué du ministre des Affaires étrangères annonçait en ces termes que :

Suite à un entretien entre Son Excellence Maître Abdoulaye Wade, Président du Sénégal, et Son Excellence Olusegun Obasanjo, Président de la République fédérale du Nigeria et Président de l’Union africaine, il avait été convenu de porter l’affaire devant le prochain Sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine prévu à Khartoum (Soudan) du 23 au 24 janvier 2006.

Et ensuite, que :

L’Etat du Sénégal, sensible aux plaintes des victimes qui demandent justice, s’abstiendra de tout acte qui pourrait permettre à M. Hissène Habré de ne pas comparaître devant la justice. Il considère, en conséquence, qu’il appartient au sommet de l’Union africaine d’indiquer la juridiction compétente pour juger cette affaire.

Sur un plan juridique, il convient de rappeler que le rôle dévolu à l’Union africaine ne peut qu’être que politique ou consultatif. Les obligations conventionnelles consistant à s’assurer que Hissène Habré n’échappe pas à la justice relève de la seule responsabilité du Sénégal, et ce dernier ne peut transférer cette obligation à l’Union africaine.

L’Union africaine

Dans la perspective du Sommet de l’Union africaine de janvier 2006, la plupart des principales organisations des droits de l’homme en Afrique avaient appelé les chefs d’Etat de l’Union africaine à l’extradition immédiate de Hissène Habré vers la Belgique, ou à envisager son extradition dans l’hypothèse où l’Union africaine ne serait pas en mesure d’organiser, à court terme, son procès en Afrique.

Le Forum de la société civile de l’Afrique de l’Ouest (FOSCAO), précédant le Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDAO) qui s’est tenu à Niamey au Niger en janvier 2006, a réuni plus de 100 représentants des organisations de la société civile de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest. Au terme de cette rencontre, le Forum a adopté une résolution invitant l’Union africaine à recommander l’extradition de Habré vers la Belgique à défaut d’être en mesure d’organiser, dans un délai d’une année, le procès de Hissène Habré en Afrique.

Le 16 janvier 2006, trente-cinq des principales organisations africaines de défense des droits de l’homme à travers le continent21 ont « appel[é] l’Union africaine à encourager le Sénégal afin qu’il accepte d’extrader l’ancien chef d’Etat tchadien Hissène Habré en Belgique ». Dans une lettre adressée aux chefs d’Etat de l’Union africaine, les ONG ont déclaré que « Nous aurions bien évidemment souhaité que Habré puisse être jugé en Afrique. Mais le fait est que le Sénégal a refusé de poursuivre Hissène Habré lorsqu’il en a eu l’opportunité en 2000, que le Tchad n’a jamais sollicité l’extradition de l’ex-président tchadien (et ne pourrait, en tout état de cause, lui garantir un procès équitable), et qu’aucun autre pays n’a formulé de demande d’extradition à son encontre ».22

Au même titre, lors de la Consultation de la société civile africaine sur son engagement avec l’Union africaine, organisée à Nairobi les 13 et 14 janvier derniers, plus de 40 ONG23 avaient adopté une déclaration conjointe sur l’affaire Habré parvenant aux conclusions suivantes :

L’Union africaine est tenue de présenter un projet tangible, réaliste, pouvant faire l’objet d’un financement, et qui aboutirait à un procès juste et équitable se tenant dans des délais raisonnables en Afrique. Si l’Union africaine est dans l’incapacité de concrétiser une telle initiative, et de réaliser de réels progrès avant le Sommet de Juillet 2006, nous ne pourrons que nous incliner devant l’extradition de M. Habré comme constituant la seule alternative possible pour garantir la justice et l’Union africaine devra encourager le Sénégal dans ce sens.24

A la sixième session ordinaire de l’U.A. se tenant à Khartoum en janvier dernier, la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement a « réitér[é] son engagement à lutter contre l’impunité » et a décidé de « mettre en place un Comité d’éminents juristes africains qui seront désignés par le Président de l’Union africaine en consultation avec le Président de la Commission de l’Union africaine » afin d’« examiner tous les aspects et toutes les implications du procès d’Hissène Habré ainsi que les options disponibles pour son jugement » et de soumettre ses conclusions à la prochaine session ordinaire en Juillet 2006.25 La Conférence a demandé au Comité de tenir compte des éléments de référence suivants :

a. Adhésion aux principes du rejet total de l’impunité ;

b. Respect des normes internationales en matière de procès équitable, notamment l’indépendance du judiciaire et l’impartialité des procédures ;

c. Juridictions compétentes pour les crimes présumés pour lesquels Mr. Habré devrait être jugé ;

d. Efficacité en termes de coûts et de temps du procès ;

e. Accès des victimes présumées et des témoins au procès ;

f. Privilégier un mécanisme africain.

La Conférence a, en outre, donné mandat au CEJA de « faire des recommandations concrètes sur les voies et moyens permettant de traiter des questions de cette nature dans l’avenir ».



[1] Commission D’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice, Les Crimes et Détournements de L’Ex-Président Habré et De Ses Complices.

[2] Article 98, Constitution Sénégalaise

[3] Rapport initial du Sénégal au Comité contre la Torture, (Nations Unies, 1990), CAT/C/5/Add.19, para. 93. Cf. également le Second Rapport du Sénégal au Comité contre la TortureCAT/C/17/Add.14, para 42(« Ces dispositions légales […] ne font aucun obstacle aux poursuites d’infractions de torture commises au Sénégal ou à l’étranger, ce qui répond aux préoccupations de la Convention contre la torture »), et para. 43 (« Le souci de la Convention est que l’auteur de torture, présent sur le territoire d’un Etat partie, doit être mis en état d’arrestation, pour qu’il réponde des faits qui lui sont reprochés ».)

[4] « Les Experts indépendants des Nations Unies ont exprimé leurs préoccupations concernant le non-lieu dans le cas de M. Hissène Habré », Office du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Communiqué de presse, 2Août 2000, http://www.unhchr.ch/huricane/huricane.nsf/NewsRoom?OpenFrameSet.

[5] Cour de Cassation, Crim, Arrêt nº 14 du 20 mars 2001, «Souleymane Guengueng et autres Contre Hissène Habré », [online], http://www.hrw.org/french/themes/Habré-cour_de_cass.html. La Cour de Cassation a décidé « Qu'aucun texte de procédure ne reconnaît une compétence universelle aux juridictions sénégalaises en vue de poursuivre et de juger, s'ils sont trouvés sur le territoire de la République, les présumés auteurs ou complices de faits [de torture] … lorsque ces faits ont été commis hors du Sénégal par des étrangers ; que la présence au Sénégal d'Hissène Habré ne saurait à elle seule justifiées les poursuites intentées contre lui ».

[6] M. Guibril Camara, Premier Président de la Cour de Cassation du Sénégal et Vice-président du Comité des Nations Unies contre la torture, a souligné, à cet égard, que le raisonnement de la Cour « fait fit des dispositions de l’article 27 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités. » avant d’ajouter que « ce qui vicie le plus fondamentalement le raisonnement de la Chambre pénale, c’est sa lecture partielle et superficielle de la Convention contre la torture » (Article « Les Conventions internationales et la loi interne à travers la jurisprudence au Sénégal »  extrait de « Les Conventions internationales et la loi interne à travers la jurisprudence», publié aux  Actes de séminaire, Centre de documentation d’information et de formation en droits de l’homme, Royaume du Maroc—Ministère des droits de l’homme (2001), pp.53-55).

[7] Article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités, ratifiée par le Sénégal en 1986. D’après Ng. Q. Dinh, P. Daillier et A. Pellet, « les gouvernements sont [...] parfois tentés de justifier le non-respect d’un traité par son incompatibilité avec le droit national. Par réaction contre cet argument menaçant pour la sécurité des relations juridiques internationales, l’article 27 de la Convention de Vienne réaffirme la primauté du droit international » (Nguyen Quoc Dinh, P. Daillier, A. Pellet, Droit international public, Paris, LGDJ, 5ème éd., p. 221).

[8] Souleymane Guengueng et Autres C/ Sénégal, Communication Presentée au Comité Contre la Torture (Article 22 de la Convention), pour violation des Articles 5 et 7 de la Convention [en ligne], http://www.hrw.org/french/themes/habre-cat.html.

[9] Lettre du Chief, Support Services Branch, Bureau du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme à Reed Brody, Human Rights Watch, avril 2001 [en ligne], http://www.hrw.org/french/themes/images/guengueng_small.jpg.

[10] Le Temps (Genève), 27 septembre 2001.

[11] Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, (République démocratique du Congo contre la Belgique), Jugement du 14 février 2002 rendu par la Cour internationale de justice.

[12] Ibid., para. 61.

[13] Cette lettre est disponible à l’adresse suivante : http://www.hrw.org/french/press/2002/tchad1205a.htm.

[14] Un transcript est disponible en anglais à l’adresse suivante : http://transcripts.cnn.com/TRANSCRIPTS/0510/07/i_dl.01.html.

[15] « Alpha Konaré pour l’extradition de Hissène Habré » Panapress, 27 octobre 2005.

[16]  Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, (République démocratique du Congo c. Belgique), Jugement du 14 février 2002, rendu par la Cour internationale de Justice.

[17] Des extraits de la décision rendue par la Cour sont disponibles à l’adresse suivante: http://hrw.org/french/docs/2005/11/26/chad12091.htm.

[18] Article 17, loi sénégalaise sur l’extradition.

[19] Article 18, loi sénégalaise sur l’’extradition.

[20] NOTE de présentation du point de l’ordre du jour de la Sixième Session de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine proposé par le Sénégal et intitulé « l’affaire Hissène HABRE et l’Union africaine » (Assembly/AU/8(VI)/Add.9).

[21] Ces ONG réunissaient notamment l’Union interafricaine des droits de l’homme (UIDR) qui compte elle-même 40 ONG membres œuvrant dans différent pays africains, les principales organisations de défense des droits de l’Homme au Tchad, mais aussi le mouvement ivoirien pour les droits de l’Homme (MIDH), le mouvement burkinabé pour les droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP), la ligue de Djibouti pour les droits de l’Homme, Hurinet en Uganda, la Société Nationale pour les droits de l’homme en Namibie,  et la Commission kényane pour les droits de l’Homme.

[22] CF. communiqué de presse de Human Rights Watch, « Sommet Africain: Des ONGs demandent justice dans le cas Habré » [en ligne], http://hrw.org/french/docs/2006/01/16/africa12488.htm.

[23]  Comptent notamment parmi ces NGO, the African Centre for Democracy and Human Rights Studies); CREDO for Freedom of Expression & Associated Rights; African Women's Development & Communication Network—FEMNET; Centre for the Study of Violence and Reconciliation; Southern Africa Non-Governmental Organisation Network (Sangonet) and Third World Network—Africa.

[24] « The African Union must now propose a concrete, realistic and fundable plan which would lead to Hissène Habré’s prompt and fair trial in Africa. If the AU is unable to set such a plan in motion, with tangible progress by the mid-2006 summit, we would reluctantly conclude that Mr. Habré’s extradition to Belgium is the only possibility for justice and the AU should advise Senegal accordingly ».

[25] « Décision sur le procès d’Hissène Habré et l’Union africaine », Doc. Assembly/Assembly/AU/Dec.103 (VI), p. 19, http://www.africa-union.org/Summit/Jan%202006/Rapports/Décisions-Assemblée-KhartoumFINALE.pdf. Peut être aussi consultée sur le site web de Human Rights Watch [en ligne], http://hrw.org/french/docs/2006/01/24/chad12558.htm.


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