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II.        Contribution à la pacification en Ituri

La restauration rapide de la justice à Bunia s’est imposée comme une suite logique du mandat de la ‘‘Force multinationale intérimaire d’urgence’’ (« force Artémis ») déployée à Bunia par l’Union européenne entre juin et septembre 2003 avec l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU.4  Dans leur tâche régulière de maintien de l’ordre, les troupes de la force Artémis – et celles de la Mission des Nations Unies au Congo (MONUC) plus tard – ont été amenées à arrêter des personnes qui avaient commis des actes de violence ou qui avaient défié leur autorité.  Parmi ces personnes figuraient parfois des chefs de groupes armés responsables des crimes qui ont émaillé le conflit en Ituri.  Mais, faute de tribunaux et de juges,5 les personnes arrêtées ont parfois été immédiatement relâchées sans être jugées.  Cela a nui fortement à la crédibilité, aux yeux de la population locale, des opérations de restauration de la sécurité et de maintien de la paix menées par les troupes de la force Artémis et de la MONUC.  Il est donc apparu nécessaire de réhabiliter d’urgence la justice à Bunia.

Le rétablissement de la justice en Ituri répondait également au besoin d’accompagner et soutenir la dynamique de la cohabitation pacifique déclenchée à la base depuis septembre 2003 par les communautés Hema et Lendu lassées par des affrontements interethniques.  Des réunions de concertation étaient régulièrement organisées à l’initiative des dirigeants communautaires dans les localités rurales affectées par les conflits ethniques.  L’absence prolongée de la justice était susceptible de contrarier cette dynamique et d’encourager à nouveau le recours aux moyens plus violents de règlement des conflits.

Un protocole d’accord a été proposé à cette fin par l’Union Européenne et conclu le 16 décembre 2003 entre le gouvernement de la RDC, la Commission Européenne et la Coopération française (‘Protocole d’accord’).  Il définit les tâches à remplir par chacune des parties et par la MONUC.6  Ainsi la Commission européenne devait apporter appui et financement aux besoins en matières de déploiement des magistrats et du personnel judiciaire, de leurs traitement et encadrement et de l’approvisionnement en matériel de fonctionnement.  La MONUC se chargeait du transport du personnel judiciaire et de tout ce qui touchait à la sécurité des juges et des personnes intervenant dans le processus judiciaire.  La remise en état des bâtiments du tribunal, des bureaux des magistrats et des locaux de la prison était, quant à elle, confiée à la Coopération française.

Depuis sa mise en œuvre fin janvier 2004, le programme a connu des succès notables.  L’effet dissuasif a immédiatement été ressenti dès l’arrivée des premiers magistrats.  De nombreuses personnes ont témoigné de l’impact que l’arrivée des magistrats a eu sur l’attitude des membres des groupes armés.7  Les activités criminelles de ces derniers ont sensiblement diminué d’intensité dans les mois qui ont suivi les premières inculpations.

Les premières poursuites déclenchées par le nouveau procureur de la République incluaient des responsables notoires des groupes armés, dont Matthieu Ngunjolo, chef d’état-major du FNI (Front des Nationalistes Intégrationnistes – groupe armé Lendu) et Aimable Rafiki Saba, chef des Renseignements militaires de l’UPC (Union des Patriotes Congolais – groupe armé majoritairement Hema).8  En tout une trentaine de responsables des groupes armés ont été arrêtés dont certains ont été déjà déférés devant des magistrats instructeurs.  Cela a énormément contribué à une normalisation lente mais progressive des conditions de sécurité en Ituri, en dépit du fait que ces personnes étaient généralement arrêtées ou poursuivies pour des infractions mineures, plutôt que pour les crimes graves auxquels elles avaient été associées.  Les magistrats eux-mêmes ont dit avoir noté une attitude progressive de respect pour la justice depuis les premières inculpations.9  Un d’eux a déclaré, parlant des chefs des groupes armés, que désormais « personne ne peut plus faire des choses aussi ouvertement qu’avant notre arrivée. »10

Les audiences du tribunal lors des premiers procès de certains chefs des groupes armés début avril se sont déroulées dans une atmosphère particulièrement tendue.  Des combattants des milices manifestaient bruyamment devant le palais de justice de Bunia.  Ils scandaient des slogans hostiles aux juges et à la MONUC dans le but apparent d’intimider le tribunal et les témoins potentiels.  Dans l’affaire des poursuites contre Matthieu Ngunjolo, par exemple, des partisans du FNI lui manifestaient ouvertement leur allégeance, se mettant au garde-à-vous pour saluer son entrée dans la salle d’audience.  Les juges ont par la suite réussi à imposer une discipline à l’intérieur de la salle d’audience.  La rigueur imposée par le président du Tribunal de grande instance pour restaurer la discipline et le respect pour la justice au cours des audiences a été particulièrement soulignée.11

Le maintien en détention par un magistrat des dirigeants des groupes armés locaux et leur comparution devant un tribunal étaient pour la population très significatifs du changement positif que la justice peut désormais générer après avoir négativement contribué à l’exacerbation du conflit en Ituri.12  La confiance en la justice est progressivement revenue.  D’après un magistrat, de plus en plus de personnes se présentaient désormais et offraient de témoigner sous anonymat.

Ce regain d’engouement pour la justice et la confiance retrouvée aux vertus de l’état de droit sont cités par les observateurs locaux comme le plus grand accomplissement du programme.  Les magistrats semblent conscients de leur contribution personnelle et du caractère historique de leur rôle.  L’un d’eux a déclaré : « Nous sommes conscients que notre comportement va déterminer le cours de la justice dans le reste du pays. »13



[4] Résolution 1484 (2003) du Conseil de sécurité autorisant, sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le déploiement d’une force multinationale intérimaire d’urgence à Bunia « en vue de contribuer à y stabiliser les conditions des sécurité et à y améliorer la situation humanitaire. »

[5] Les cinq ans de conflit violent en Ituri avaient entraîné l’effondrement total du système judiciaire qui n’était déjà pas en meilleur état que dans le reste du pays.  Voir « République démocratique du Congo : faire face à l’impunité », document d’information de Human Rights Watch, janvier 2004.

[6] La MONUC n’a pas signé le Protocole d’accord mais a participé aux négociations de ses termes et des obligations précises lu incombent en vertu du protocole.

[7] Entretiens de Human Rights Watch avec des groupes de la société civile à Bunia, mai 2004.

[8] Ngunjolo était poursuivi, entre autres faits, pour la disparition d’un responsable de l’UPC.  Rafiki est poursuivi pour diverses charges, dont association des malfaiteurs, arrestations arbitraires et détention illégale.

[9] Entretien de Human Rights Watch avec un groupe de magistrats du parquet de Bunia, le 8 mai 2004.

[10] Ibid.

[11] Entretiens conduits par Human Rights Watch à Bunia, mai 2004.

[12] Une affaire de conflit foncier dans laquelle des juges étaient soupçonnés de corruption est citée parmi les éléments déclencheurs du conflit en Ituri en 1999.

[13] Entretien de Human Rights Watch avec le président du Tribunal de grande instance, Bunia, 7 mai 2004.


<<précédente  |  index  |  suivant>>September 2004