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I.          Introduction

La justice est un élément essentiel aux efforts de reconstruction à long terme de la République Démocratique du Congo (RDC).  Dans un rapport récent au Conseil de sécurité sur la protection des civils dans les conflits armés, le Secrétaire général des Nations Unies a rappelé que la justice est l’un des bénéfices de la paix que les sociétés en conflit attendent et méritent.  Il a insisté sur le fait que « les processus de la justice et de la réconciliation jouent un rôle fondamental (…) dans l’instauration d’une paix durable », et que si mettre l’accent sur la sanction des atrocités passées pourrait déstabiliser les situations d’après conflit et compromettre la réconciliation nationale, « l’impunité est un moyen encore plus sûr de retomber dans les conflits. »1  Il ne peut être mis fin aux abus systématiques des droits de l’homme tant que leurs auteurs ne sont amenés à faire face à leur responsabilité.

Ituri est souvent décrit comme la partie la plus ensanglantée du Congo.  Sa population a été l’objet de graves atrocités commises par des groupes armés rivaux.  Des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité y ont été commis à la suite d’abus systématiques des droits de l’homme.  La justice est un besoin profond dans cette partie du pays, à la fois pour aider à reconstruire la société et pour s’assurer que ceux qui ont commis et qui continuent de commettre des abus des droits de l’homme ne sont plus libres de le faire.

Human Rights Watch se félicite de la mise en œuvre depuis six mois d’un programme de restauration d’urgence du système judiciaire pénal à Bunia, province de l’Ituri (« le programme »).  Ce programme est le résultat d’un effort conjoint du gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC), de la Commission Européenne (la CE), et du service de coopération du gouvernement français (la Coopération française).  Il vise la remise en place rapide des structures judiciaires dans le district de l’Ituri afin de mettre un terme à l’impunité qui y a nourri les cycles des violences et des crimes graves depuis 1998.


Ce programme est un cas d’expérimentation de la reconstruction de la justice à travers toute la RDC et, de ce fait, il a des répercussions bien au-delà de l’Ituri.  Le besoin d’une justice effective et fonctionnelle est ressenti de façon particulièrement urgente dans toute la partie orientale du Congo.  Les leçons tirées de ce programme devraient donc servir au gouvernement de la RDC et aux bailleurs de fonds dans leurs efforts de la reconstruction à long terme d’un système de justice effectif.  Par ailleurs, le Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) a récemment annoncé le début des enquêtes sur les crimes commis en RDC.2  Compte tenu de la nécessité d’une collaboration avec les autorités judiciaires congolaises et du nombre limité des cas dont la CPI pourra s’occuper, l’efficacité des enquêtes de la CPI dépendra en grande partie d’une justice congolaise forte et efficiente.

Comme dans le reste du pays, la justice à Bunia était plongée dans un état de délabrement presque total.  Le programme constitue le premier véritable investissement dans la justice congolaise depuis plusieurs années.3  Six mois après sa mise en œuvre le programme affiche un bilan remarquable.  Le Tribunal de grande instance de Bunia et le parquet fonctionnent à nouveau de façon effective.  Cinq juges au Tribunal et quatre magistrats au parquet affectés en novembre 2003 ont pris leurs fonctions en février 2004.  Ceci constitue un développement majeur dans le processus de pacification de l’Ituri.  Le district de l’Ituri était privé d’appareil judiciaire effectif pendant une longue période au cours de laquelle les groupes armés ont fait régner leur loi.  La réhabilitation de la justice à Bunia dans un délai aussi rapide a envoyé un message clair que l’impunité ne sera pas tolérée plus longtemps.  Il a également clairement démontré non seulement que la justice est possible dans un environnement post-conflictuel, mais qu’elle est surtout nécessaire à l’accompagnement d’un processus de transition politique.  A cet égard, le programme projetait l’Ituri au statut de modèle qui a le potentiel d’inspirer l’ensemble du système judiciaire congolais.

Pour y arriver, beaucoup reste encore à faire après cette phase initiale du programme.  Le programme devrait être redéfini pour en faire un instrument de lutte conte l’impunité pour les crimes graves commis en Ituri, y compris des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et non pas uniquement pour des infractions relevant de la petite délinquance.  Son concept de base devrait être repensé avec l’objectif de libérer le fonctionnement de la justice en Ituri des contradictions nées d’une gestion institutionnelle par une organisation non gouvernementale.  Les conditions de sécurité toujours déplorables, l’insuffisance de la législation pénale existante, le manque de moyens policiers nécessaires aux enquêtes, l’insuffisance des moyens matériels et financiers affectés au soutien aux magistrats et aux juges, et l’absence au niveau gouvernemental d’une politique pénale claire de lutte contre l’impunité sont parmi les nombreux défis auxquels la nouvelle justice pénale doit faire face en Ituri.

Le présent document n’est pas une évaluation exhaustive de tous les obstacles et de tous les accomplissements du programme.  Il sélectionne les plus saillants dans le but d’identifier les défis qui se dressent sur le chemin de la lutte contre l’impunité en Ituri.  Il est basé essentiellement sur des entretiens approfondis conduits par Human Rights Watch à Bunia et à Kinshasa auprès des acteurs judiciaires, des décideurs politiques, des représentants d’agences onusiennes et européennes concernées par le programme et des acteurs des organisations non gouvernementales nationales et internationales impliquées dans le fonctionnement de la justice en Ituri.  Ce document est élaboré avec l’objectif principal de contribuer à l’amélioration de la capacité des tribunaux de Bunia à poursuivre les auteurs des violations les plus graves des droits humains.  Il émet des recommandations à cet effet.  Human Rights Watch espère que ces recommandations seront prises en compte au moment des négociations entre parties pour le début de la deuxième phase du programme.



[1] Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur la protection des civils dans les conflits armés, S/2004/431, 28 mai 2004.

[2] Cour pénale internationale, « Le bureau du Procureur de la Cour pénale internationale ouvre sa première enquête », communiqué de presse, 23 juin 2004.

[3] Sur l’état du système judiciaire en RDC, voir « République démocratique du Congo : faire face à l’impunité », document d’information de Human Rights Watch, janvier 2004.


index  |  suivant>>September 2004