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RESUME

Sept mois seulement après la création en octobre 1996 de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (A.F.D.L.), les troupes de l'Alliance mettaient fin au régime corrompu et dictatorial du Président Mobutu Sese Seko, dans un pays connu à l'époque sous le nom de Zaïre. La décision du gouvernement Mobutu de retirer leur nationalité aux Banyamulenge, les Tutsi de la province du Sud Kivu, et de les déporter mit le feu aux poudres. Le conflit éclata et prit rapidement de l'ampleur, de nouveaux groupes ne cessant de se rallier à la cause antigouvernementale. La violence ne devint un instrument de changement politique que lorsque la population eut perdu tout espoir de voir le pays progresser pacifiquement vers la démocratie. Mobutu, manipulateur consommé, était en effet parvenu à bloquer pendant sept ans le processus électoral et à encourager les rivalités ethniques, afin de diviser ses opposants et de fournir d'autres terrains de bataille à tous ceux qui dans la population auraient pu souhaiter un véritable changement.

L'A.F.D.L. établit un nouvel ordre en prenant le pouvoir de manière formelle et en nommant son président chef de l'état. Un décret-loi constitutionnel accorda au nouveau président des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires d'une magnitude extrême, peu différents de ceux dont pouvait jouir le chef de l'ancien régime. Le président est en effet aujourd'hui habilité à légiférer par décret et à présider le conseil des ministres, dont il peut à loisir modifier la composition. Même si le décret-loi constitutionnel prévoit l'indépendance du pouvoir judiciaire, le président peut destituer les juges, les magistrats et le procureur de la république.

Lors de son accession au pouvoir, à la fin du mois de mai 1997, le Président Laurent-Désiré Kabila promettait la mise en oeuvre d'un programme de transition de deux ans, au terme duquel devaient avoir lieu des élections législatives et présidentielles. Alors que l'Alliance, dans sa charte, affirme être ouverte à d'autres partis politiques, aux organisations de la société civile et à tout individu adhérant à sa base idéologique, elle a dans la pratique strictement interdit toutes les activités politiques. L'interdiction touche à la fois les partis proches de l'A.F.D.L. et ceux qui s'opposent au contrôle exclusif du pouvoir dont l'Alliance dispose. Le premier pas fait vers la mise en oeuvre du calendrier électoral, à savoir la nomination en octobre 1997 d'une commission constitutionnelle composée exclusivement de membres de l'A.F.D.L., illustre à la perfection la volonté de tout contrôler qui anime l'Alliance.

Ce souci de monopoliser le pouvoir a également incité le gouvernement du Congo à systématiquement s'attaquer aux partis politiques susceptibles de recueillir un certain soutien populaire et d'être présents au niveau national. Forces de police et agences de sécurité lancent des attaques lors de meetings politiques, tant privés que publics, arrêtent les militants et, souvent, les torturent ou leur infligent de mauvais traitements. Ces attaques ont pour but de fragiliser autant que possible l'infrastructure de ces partis et de faire fuir leurs membres, notamment ceux affiliés aux branches jeunes et estudiantines, qui fournissent à l'opposition une grande partie de sa vitalité et de sa crédibilité. Les défenseurs des droits de l'homme qui ont tenté de dénoncer ces abus ont eux-mêmes été la cible de détentions arbitraires et de mauvais traitements.

La presse privée de Kinshasa, connue pour sa vitalité, a adopté vis-à-vis du nouveau gouvernement une attitude aussi critique que celle qui était la sienne lors de l'époque Mobutu. Face à cette attitude critique, les autorités semblent faire preuve d'une certaine tolérance, mais uniquement tant que certains sujets considérés sensibles, tels que la corruption régnant au sommet de l'état, ne sont pas abordés. Les journaux qui se sont aventurés au-delà des limites admises ont eu à en pâtir: bureaux attaqués et pillés, journalistes détenus pendant plusieurs semaines.

La situation politique et civile est également pleine de dangers pour les simples citoyens. Des membres de l'ancienne armée continuent à opérer au Congo sous la forme de gangs privés, mais sont également présents au sein de la nouvelle armée et des forces de sécurité. Le gouvernement n'a pas encore réussi à intégrer au sein d'un corps commandé par une structure unifiée des soldats qui, souvent, ont des origines ethniques multiples et proviennent de régions différentes, parfois même des pays voisins. Des tensions entre unités militaires ont donné lieu à plusieurs fusillades, au cours desquelles des civils se trouvant là par hasard ont été tués. Les nouvelles autorités n'ont pas réussi à mettre en oeuvre la nécessaire réforme du système judiciaire partial et inefficace dont ils ont hérité. La protection judiciaire des droits est donc restée lettre morte.

Ironiquement, le processus de transition lancé et finalement étouffé sous Mobutu, et qu'avaient fortement encouragé les groupes de la société civile et les églises, avait permis de générer des éléments solides de démocratie. Ainsi, on avait pu noter des progrès relatifs en matière de respect des libertés d'expression, d'association et de réunion, ainsi qu'une certaine mesure de multipartisme. Le processus de consultation à la base de la phase de démocratisation lancée sous Mobutu avait permis d'arriver à diverses propositions de constitution et de lignes directrices nationales qui permettaient d'espérer la mise en oeuvre d'une transition pacifique.

Ces acquis furent remis en question par les restrictions sévères imposées en matière de droits civils et politiques par les nouveaux dirigeants. La transition vers la démocratie présuppose en effet que soient respectés, tout au long du processus, un nombre minimum de droits et libertés démocratiques:

  • droit d'accéder à des sources alternatives d'information, indépendantes du gouvernement;
  • liberté d'opinion et d'expression;
  • droit de s'organiser librement en partis politiques, de voter et d'être élu lors d'élections périodiques;
  • égalité de tous en matière de protection légale.

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Des élections libres et justes ne peuvent être organisées que si elles sont le résultat d'un processus de transition au cours duquel ces droits et libertés ont été respectés.

Au moment où nous rédigeons le présent document, les Congolais doivent se contenter de vagues promesses, selon lesquelles les limites imposées par le gouvernement à l'exercice de ces droits seront levées après les élections. La déclaration suivante, faite par le Président Kabila, illustre parfaitement le flou que maintient le gouvernement quant à la date à laquelle un environnement multipartite sera restauré:

Nous sommes d'accord pour dire qu'après cette période de deux ans, pas un an de plus, des partis politiques seront créés ou reprendront leurs activités. Une Commission Constitutionnelle a été créée, nous tiendrons des élections, nous ne pouvons faire cela sans partis politiques. (1)
 

La déclaration du président apparaît contradictoire. Elle suggère une renaissance du multipartisme à la fois "après" et juste avant les élections. L'ambassadeur du Congo auprès des Nations Unies fut, lui, plus explicite. S'adressant à Washington à un public d'observateurs du Congo et de militants d'organisations non-gouvernementales (ONG), il déclara: "les partis peuvent reprendre leurs activités après que la constitution ait été soumise au peuple. Tout le monde peut se présenter aux élections. Pour le moment, la sécurité, la loi et l'ordre sont plus importants." (2)

Selon le calendrier électoral actuel qui, à la date où nous rédigeons ce document, compte un retard de six mois par rapport au projet original, le projet de constitution sera soumis au peuple en décembre 1998, quatre mois seulement avant les élections prévues pour avril 1999. Même si les partis peuvent "reprendre leurs activités" à cette date, le peuple congolais n'aura pas le temps de s'organiser librement en partis politiques, de recevoir et de diffuser des informations indépendamment du gouvernement et de se préparer aux élections. Imaginer que les partis politiques et la population dans son ensemble puissent se préparer aux élections sans pouvoir jouir de leurs droits fondamentaux n'a aucun sens.

L'A.F.D.L., entre-temps, aura été le seul acteur politique habilité à fonctionner, à propager son idéologie politique et à se préparer aux élections. La scène politique a été faussée, en faveur de l'A.F.D.L., lorsque les nouvelles autorités ont pris le pouvoir. Si l'interdiction de jouir des droits fondamentaux n'est pas levée, elle restera faussée jusqu'à la fin de la "transition".

Il semble que certains membres de la communauté internationale aient considéré, assez rapidement, que la promesse du gouvernement congolais d'organiser avant deux ans des élections représentait une preuve crédible de la volonté démocratique des autorités et qu'un geste de cette nature méritait la reconnaissance immédiate de la communauté internationale. La réalité que nous décrivons dans ce document, notamment le muselage de l'opposition pacifique et la priorité donnée à l'opportunisme politique, au détriment de l'autorité de la loi, ne permet certainement pas de croire en la véracité des promesses du gouvernement.

Divers rapports précédemment publiés par Human Rights Watch et d'autres organisations ont amplement démontré que toutes les parties ayant participé au conflit qui permit à la coalition actuelle de prendre le pouvoir ont délibérément perpétré des massacres de civils. Ces rapports ont notamment indiqué que l'A.F.D.L., pendant sa campagne militaire, avait de manière systématique et sans discrimination aucune assassiné des réfugiés. Ces révélations ont incité les Nations Unies à lancer une procédure d'enquête. L'A.F.D.L. a tout d'abord refusé que les membres de la mission d'enquête de l'ONU n'accèdent aux régions qu'elle contrôlait pendant le conflit. Par la suite, le gouvernement du Congo, contrôlé par l'A.F.D.L., a bloqué pendant trois mois le travail de l'ONU avant de céder à la pression internationale et de permettre que l'enquête démarre, en décembre 1997.


1. "Kabila Says He Will Respect Democracy Timetable," Reuter, Kinshasa, 19 novembre 1997.

2.Déclaration d'André Kapanga, Ambassadeur du Congo auprès des Nations Unies, Carnegie Foundation, 20 novembre 1997.