Scénarios de regain de la violence et leur impact sur les civils
Lincapacité des parties à résoudre les problèmes complexes et controversés qui sous-tendent le conflit armé augmente les possibilités de reprise des violences. Ces violences pourraient prendre de multiples formes, comme le retour des hostilités actives entre le gouvernement et les Forces Nouvelles ; un coup détat militaire ; ou des affrontements localisés entre les milices et les partis dopposition à Abidjan ou entre des groupes ethniques rivaux dans les régions agitées de louest productrices de cacao et de café. Ce qui est particulièrement préoccupant, cest la perspective daffrontements localisés autour dAbidjan ou dans louest qui échapperaient à tout contrôle.129 Exacerbé par la grande disponibilité darmes légères dans le pays, chaque scénario comporte des risques pour lensemble de la population. Coup détat militaireDes diplomates et des analystes militaires ont affirmé à Human Rights Watch que larmée est extrêmement divisée et que le risque existe dun coup détat militaire.130 Lune des causes de la division de larmée est que depuis 2002 le Président Gbagbo a systématiquement recruté des soldats et promu des officiers quils considèrent comme lui étant fidèles principalement issus des groupes ethniques des Bété, Attie, Abey, et Dida tout en marginalisant les autres.131 Cette stratégie a créé de graves divisions internes et a provoqué une fracture dans larmée, car des officiers supérieurs sont de plus en plus frustrés par la promotion dofficiers de rang inférieur ou même de nouvelles recrues qui sont moins qualifiées. 132
Un exemple notable de cette division de larmée a été la déclaration en août 2005 de Mathias Doué, que le Président Gbagbo avait remplacé à la tête de larmée au mois de novembre précédent par le Général Philippe Mangou (des sources militaires à Abidjan ont dit que Gbagbo avait promu Mangou pour montrer son soutien parce quil avait organisé lattaque sur le Nord tenu par les rebelles en novembre 2004).133 Le 20 août 2005, Doué a appelé publiquement au départ du Président Gbagbo, et a menacé de recourir à tous les moyens nécessaires si la communauté internationale ne réussissait pas à faire en sorte quil parte. 134
Doué nest pas le seul officier supérieur à avoir exprimé publiquement son mécontentement. En juin 2005, le Colonel Jules Yao Yao, ancien porte-paroles de larmée, était destitué, et quelques jours plus tard il était arrêté, interrogé et torturé en même temps que le Col.-Maj. Désiré Bakassa Traoré, le commandant de lOffice National de la Protection Civile, et le Général à la retraite Laurent MBahia. 135 Le Général Traoré est mort le 3 juillet 2005, des blessures subies sous la torture.136 Le Colonel Yao Yao, après avoir été libéré, sest caché et a rejoint ouvertement la contestation de la présidence de Gbagbo, comme récemment quand il a menacé avec Doué de revenir assumer leurs responsabilités.137
Plusieurs sources diplomatiques et militaires ont dit à Human Rights Watch que le Président Gbagbo était profondément inquiet de la situation dans larmée et du risque dun coup détat.138 Des analystes militaires et des diplomates basés à Abidjan ont raconté à Human Rights Watch que depuis la déclaration de Doué en août 2005, les soldats et les officiers nappartenant pas aux groupes ethniques loyalistes doivent restituer leurs armes quand ils quittent les casernes le soir. 139 En 2005 il y a eu aussi plusieurs disparitions et arrestations dofficiers suspectés de déloyauté, comme le populaire Sergent Abou Negue, proche associé du Général Doué, qui a disparu en septembre 2005 et dont on na plus entendu parler depuis son entrée au quartier général de larmée où il était supposé rencontrer le Général Mangou.140
Reprise du conflit arméLéventualité dune reprise du conflit armé entre le gouvernement et les Forces Nouvelles est considérée comme faible par les analystes militaires parce quaucun des deux côtés na probablement assez darmement lourd à mobiliser à travers la Zone de Confiance contrôlée par les Nations Unies.141 Plusieurs diplomates et sources militaires basés à Abidjan ont affirmé à Human Rights Watch que lembargo sur les armes avait été efficace pour stopper le courant darmement lourd vers la Côte dIvoire.142 Ces sources ont expliqué que si on peut se procurer facilement des armes légères, une victoire militaire pour lun ou lautre côté est peu probable sans armes lourdes ainsi que sans force aérienne, comme des hélicoptères dattaque. Cependant, les anciens combattants libériens et les organisations daide humanitaire interrogés par Human Rights Watch au Liberia en octobre 2005 ont tous dit que les milices et les rebelles ivoiriens avaient depuis au moins le mois daoût 2005 accentué le recrutement trans-frontalier de Libériens en anticipation, ont-ils dit, dune reprise des combats en Côte dIvoire.143 Affrontements localisés à AbidjanDaprès des diplomates, des sources militaires et des journalistes, lun des scénarios les plus probables dun regain des violences en Côte dIvoire est celui daffrontements localisés dans et autour dAbidjan.144 Si lopposition déclenche des manifestations de rue avec ou sans violence on peut sinquiéter de ce que le gouvernement réponde avec une force excessive, comme il la fait en mars 2004 quand les forces de sécurité gouvernementales ont violemment réprimé une manifestation de lopposition.145
Conflit inter-communautaire dans lOuest du paysEn plus des violences à Abidjan, il y a aussi un risque élevé daffrontements violents entre les groupes indigènes et les travailleurs agricoles immigrés dans les régions productrices de cacao et de café dans lOuest du pays. Depuis avant même la rébellion, cette région est le siège de conflits entre les tribus indigènes, comme les Guéré et les We, et les travailleurs agricoles immigrés du Nord, comme les Dioulas, ou dautres pays ouest-africains, principalement les Burkinabés. Au cours de 2005 il y a eu plusieurs flambées de violence inter-communautaire qui ont fait au moins soixante-dix victimes, provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes et une destruction considérable de biens. Les tensions à propos de la terre agricole de valeur dans louest ont existé depuis des dizaines dannées, et bien que les violences se manifestent sous la forme de conflit ethnique, leurs causes ont de multiples facettes et comportent une interaction complexe de facteurs économiques, de conflits sur les droits à la terre, lexistence de milices armées, et le type de manipulation politique de lethnicité que lon voit avec ladoption par le FPI de discours anti-étrangers. La stratégie du gouvernement jointe à la prolifération et au recrutement de milices armées dans louest depuis la rébellion a soufflé sur les flammes des rivalités ethniques et engendré une série dattaques et de contre-attaques entre les groupes indigènes et ceux des immigrés.146 Pendant ce temps, la résolution des conflits sur la propriété des terres agricoles est lune des principales demandes des Rebelles des Forces Nouvelles.
Facilité de se procurer des armesDans léventualité dun regain des violences, le risque pour les civils est exacerbé par la facilité constante de se procurer des armes légères. Les armes sont disponibles parce que ni les forces rebelles ni celles du gouvernement nont été désarmées, et lembargo sur les armes imposé par le Conseil de Sécurité des Nations Unies en novembre 2004 na apparemment pas empêché le flux des armes légères vers la Côte dIvoire.147
Daprès le directeur de la division de lUNOCI pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR), Jean-Luc Stalon, le processus de désarmement appuyé par les Nations Unies concernera environ 50 000 combattants, y compris les membres des Forces Nouvelles, les récentes recrues dans les forces de sécurité gouvernementales et les milices armées dans louest.Cependant, parce que le processus de désarmement reste lotage de la crise politique, jusquici il ny a pas eu de progrès significatif dans le désarmement des divers groupes armés dans le pays.148
En outre, des sources militaires et diplomatiques occidentales soutiennent que bien que lembargo sur les armes imposé par le Conseil de Sécurité des Nations Unies en novembre 2004 ait réduit le transfert darmes lourdes, les armes légères comme les AK-47 et les pistolets peuvent sacheter facilement.149 Lembargo sur les armes est difficile à faire respecter à cause des frontières poreuses et, daprès des diplomates occidentaux, des sources des Nations Unies et des analystes militaires, à cause des ressources limitées en personnel des Nations Unies. 150 Ce problème était lun de ceux identifiés par le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan dans un rapport de juin 2005 au Conseil de sécurité. Dans le rapport, il disait que la capacité de lUNOCI à faire respecter lembargo sur les armes est limitée par un manque dexpertise et de ressources, des agents de renseignement en nombre insuffisant et le défaut constant des FANCI [les Forces armées de Côte dIvoire] et des Forces Nouvelles à fournir à lUNOCI une liste complète de leurs armements.151
Inquiétudes sur une protection insuffisante des civilsDans léventualité dune éruption de violence, le potentiel datteintes aux droits humains contre des civils demeure élevé à cause de la capacité limitée des 6000 soldats des Nations Unies et des 4000 soldats français à assurer une protection solide aux civils en danger imminent dêtre attaqués. Comme stipulé par la résolution 1609 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, les forces de maintien de la paix des Nations Unies sont mandatées pour protéger les civils sous la menace imminente de violences physiques au sein de leurs zones de déploiement.152
Le 24 juin 2005, le Conseil de Sécurité a autorisé une augmentation de 850 personnes pour le personnel militaire de lUNOCI.153 Cependant, des diplomates et des analystes militaires interrogés par Human Rights Watch ne pensaient pas que cette augmentation soit suffisante pour permettre à lUNOCI doffrir aux civils une protection solide, en particulier si les violences éclataient en plusieurs endroits.154
Dans son rapport le plus récent au Conseil de Sécurité concernant la Côte DIvoire, en septembre 2005, le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan signalait la capacité limitée de lUNOCI à intervenir pour protéger les civils. Daprès ce rapport, la capacité de lUNOCI à maintenir la sécurité a été sérieusement entravée par une forte augmentation des cas dobstruction délibérée aux mouvements et aux opérations de la Mission dans diverses parties du pays.155 Cela sest produit par exemple le 24 juillet 2005, lorsque des membres des Jeunes Patriotes et des forces de sécurité publique ont refusé aux soldats de lUNOCI laccès à Agboville, au nord dAbidjan. Les soldats tentaient denquêter sur des attaques contre deux commissariats à Anyama et Agboville.156
[129] Entretiens de Human Rights Watch avec des diplomates, des analystes militaires, des journalistes, du personnel de lUNOCI et dune ONG, Abidjan, Guiglo, et Bouaké, Septembre-Octobre 2005. [130] Entretiens de Human Rights Watch, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. [131] Entretiens de Human Rights Watch avec des sources militaires, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. En 2002 seulement, Gbagbo a recruté dans larmée 3500 nouvelles recrues, principalement dans les groupes de jeunes et détudiants pro-gouvernementaux. [132] Entretiens de Human Rights Watch avec des sources militaires, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. [133] Entretiens de Human Rights Watch avec des sources militaires, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. [134] Pour la déclaration complète, voir Groupe de crise international, Les demi-mesures ne suffiront pas, Africa Briefing No. 33, 12 octobre 2005, p. 12. [135] Des diplomates occidentaux ont dit à Human Rights Watch que les arrestations ont eu lieu après quils aient participé à un dîner dadieu pour le départ du commandant des forces françaises à la résidence de lambassadeur français. Entretien de Human Rights Watch, Abidjan, 13 octobre 2005. [136] Christophe Boisbouvier, Gbagbo et larmée: Qui menace qui?, Jeune Afrique LIntelligent, Août 14-27, 2005, p. 26-32. [137] Ibid. [138] Entretiens de Human Rights Watch des sources diplomatiques et militaires, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. [139] Entretiens de Human Rights Watch avec des analystes militaires et des diplomates, Abidjan, Octobre 2005. [140] Entretien de Human Rights Watch avec un analyste militaire et un journaliste, Abidjan, 28 septembre 2005. [141] Entretiens de Human Rights Watch avec des diplomates, des analystes militaires et des journalistes, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. [142] Entretiens de Human Rights Watch, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. [143] Entretiens de Human Rights Watch, Liberia, Octobre 10-14, 2005. [144] Entretiens de Human Rights Watch, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. [145]Voir le rapport de Human Rights Watch, Côte dIvoire : violations des droits humains à Abidjan pendant une manifestation de lopposition - Mars 2004 et Human Rights Watch, Le nouveau racisme : la manipulation politique de lethnicité en Côte dIvoire, Vol. 13, No. 6(A), Août 2001. [146] Pour une discussion sur les racines du conflit dans louest, voir Groupe International de crise, Côte dIvoire : pas de paix en vue, Africa Report, No. 82, 12 juillet 2004, pp. 14-18 [147] Entretien de Human Rights Watch avec des analystes militaires et des diplomates, Abidjan, Octobre 2005. [148] Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Luc Stalon, directeur de la Division des droits humains de lUNOCI, Abidjan, 14 octobre 2005. [149] Entretiens de Human Rights Watch avec des sources diplomatiques et militaires occidentales, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. [150] Ibid. [151] Cinquième rapport de progression du Secrétaire général de lOpération des Nations Unies en Côte dIvoire, 17 juin 2005, S/2005/398, p. 8. [152] Résolution 1609 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, 24 juin 2005. S/RES/1609 (2005). [153] Ibid. [154] Entretiens de Human Rights Watch avec des sources diplomatiques et militaires occidentales, Abidjan, Septembre-Octobre 2005. [155] Sixième rapport de progression de lOpération des Nations Unies en Côte dIvoire, 26 septembre 2005, S/2005/604, p. 5. [156] Ibid., p. 6.
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