Rapports de Human Rights Watch

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Conséquences humanitaires de l’impasse de ‘ni guerre ni paix’

 

Avec l’aggravation de la crise politique, les services publics qui étaient autrefois délivrés aux Ivoiriens, en particulier les soins médicaux, l’éducation publique, et l’eau et l’assainissement, se détériorent continuellement, aboutissant à l’effritement des droits élémentaires sociaux et économiques des Ivoiriens. Le déclin est plus fort dans Nord tenu par les rebelles, où la prestation des services élémentaires a été handicapée par l’absence de personnel qualifié et de ressources —après le déclenchement de la rébellion en septembre 2002, la plupart des fonctionnaires ont fui dans le Sud contrôlé par le gouvernement.

 

Manque de soins médicaux

Après trois ans d’instabilité économique et politique, beaucoup d’Ivoiriens n’ont pas la possibilité d’accéder à des soins médicaux satisfaisants ni de les payer. Les Ivoiriens ont le sixième plus haut taux de mortalité infantile dans le monde, et l’espérance de vie moyenne est seulement de 41 ans, ces deux phénomènes reflétant presque certainement l’impact négatif d’un accès décroissant aux services de santé.114

 

La plupart des hôpitaux et des cliniques dans le Nord restent coupés des fonds publics, et une majorité des employés des services de santé ont fui dans le sud. En 2003 le Comité International de la Croix Rouge a évalué à seulement 25 pour cent les hôpitaux et les centres de soins opérationnels dans la moitié nord du pays.115 Dans tout le pays, le coût élevé des transports, les honoraires médicaux, et les médicaments dépassent les moyens de la plupart des familles.116 Cette situation a entraîné une fréquence accrue de maladies telles que le choléra, la fièvre jaune, la méningite, la rougeole et la poliomyélite. Les organisations humanitaires internationales et les Nations Unies ont été actives dans le secteur de la santé, combattant les cas nationaux croissants de malnutrition et de maladie. D’après le Fonds des Nations Unies pour les enfants (UNICEF) et d’autres organisations d’aide internationale, jusqu’à 15 pour cent des enfants dans le Nord tenu par les rebelles et dans l’Ouest contrôlé par le gouvernement souffraient de malnutrition en 2005.117

 

Il existe aussi de sérieuses inquiétudes quant à l’impact de la stagnation sur la fréquence du VIH/SIDA en Côte d’Ivoire. Le VIH/SIDA s’est développé au sein du conflit ivoirien, nourri par l’instabilité, les déplacements fréquents, et la détérioration des normes de santé. Avec le taux le plus élevé de VIH en Afrique de l’Ouest (7 pour cent selon des estimations prudentes), le VIH/SIDA est devenu la principale cause de mortalité en Côte d’Ivoire.118 Un rapport de UNAIDS fait en 2004 détaille des taux croissants d’infection par le VIH, faisant état d’augmentations largement répandues parmi les populations affectées par la malnutrition et l’insécurité alimentaire.119 Dans la ville de Korhogo, au Nord du pays, plus de 10 pour cent des habitants étaient infectés par le virus en 2001, avant le début du conflit, et une enquête informelle récente donne à penser que ce taux d’infection déjà élevé a encore beaucoup augmenté depuis la rébellion : en janvier 2005, quand un docteur local a testé 60 patients pour le VIH/SIDA à l’hôpital de Korhogo, 35 se sont révélés positifs au virus.120 Quand des estimations mises à jour seront disponibles, trois années de déplacements constants, de violences sexuelles et de campagnes de prévention limitées dans le pays tout entier auront certainement conduit à une élévation notable des taux d’infection. 121

 

Education

La disponibilité et la qualité de l’éducation dans le Nord se sont sérieusement détériorées depuis le début de la rébellion in 2002. A cause du conflit en cours et de l’instabilité de la région, des dizaines de milliers d’enfants ivoiriens seront probablement exclus pour toujours du système national d’éducation, se retrouvant avec des options de carrière limitées et donc en grand danger d’être recrutés et maltraités par les groupes armés opérant en Afrique de l’Ouest.122

 

Des travailleurs de l’action humanitaire ont dit à Human Rights Watch que des milliers d’employés du gouvernement, dont les enseignants, ayant fui le Nord —certains selon les instructions du gouvernement— les écoles ont été obligées de fonctionner avec l’aide d’enseignants bénévoles non payés.123 En plus du pillage et de la destruction largement répandus des écoles dans le nord et dans l’ouest du pays, l’UNICEF a signalé la fermeture de nombreuses écoles.124 De ce fait, environ 700 000 enfants auraient été non scolarisés en 2005. Les filles non scolarisées en particulier ont été extrêmement vulnérables à l’exploitation et aux sévices sexuels. Un exemple a été signalé par un dirigeant local dans la ville de Man contrôlée par les rebelles, où 2000 filles âgées de douze à quinze ans se sont livrées à la prostitution après la fermeture d’écoles locales dans cette partie de l’Ouest de la Côte d’Ivoire.125

 

Depuis la rébellion en 2002, des milliers d’étudiants dans les zones contrôlées par les rebelles ont également été dans l’impossibilité de passer leurs examens annuels. L’UNICEF estime que 60 000 étudiants ont été touchés par le report des examens dans le Nord pendant l’année 2005.126 Si les enfants ne passent pas les examens de fin d’année, ils ne peuvent pas passer de l’éducation primaire à l’éducation secondaire, et à l’âge de quinze ans, si les examens de l’école secondaire n’ont pas été passés, les enfants sont considérés comme trop âgés pour rester dans le système d’éducation. Le ministre de l’Education Amani N’Guessan a donné plusieurs raisons pour l’incapacité à organiser les examens, dont le manque de sécurité, le manque de financement et de surveillance des examens. En réponse aux préoccupations du ministre, les organisations humanitaires et les Nations Unies ont offert leur soutien financier et logistique concret pour garantir la tenue des examens. Cependant, au moment de la rédaction de ce rapport, le ministre de l’Education n’a pas encore pris de mesures concrètes (que ce soit seul ou en partenariat) pour faire avancer les examens.

 

Pénuries d’eau et installations sanitaires médiocres

Plusieurs villes dans le Nord contrôlé par les rebelles, comme Man et Korhogo, ont subi des pénuries d’eau cruelles durant 2005.127 Une étude faite par le CICR en 2005 a constaté qu’un pourcentage considérable des échantillons d’eau analysés dans plusieurs villes était impropre à la consommation humaine, et que 7 pour cent de ces mêmes échantillons étaient gravement contaminés par des agents responsables de la fièvre typhoïde et de la dysenterie.128 Ceci est dû principalement au manque d’entretien des installations et des pompes à eau et à l’absence de personnel qualifié.

 

 

 

 



[114] Côte d’Ivoire Profil de pays, IRIN PlusNews, [online] http://www.plusnews.org/AIDS/cote-d-Ivoire.asp

[115] “Côte d’Ivoire : lutte pour faire revivre les services de santé dans le Nord tenu par les rebelles,” IRIN PlusNews, 8 mai 2005.

[116] Projet de l’Union Européenne/UNICEF : Soutien aux installations sanitaires affectées par la crise, 2005.

[117] Ibid.

[118] “Côte d’Ivoire : la feuille de route contre le SIDA doit être repensée à cause de la guerre et de la pauvreté” IRIN PlusNews, 14 février 2005.

[119] Rapport annuel d’activités, Direction de Coordination du Programme Elargi de Vaccination (DCPEV), 2004.

[120] “Côte d’Ivoire : plus de la moitié des patients testés dans un hôpital rebelle sont HIV positifs,” IRIN PlusNews, 27 janvier 2005.

[121] “Côte d’Ivoire : un docteur inquiet du taux élevé de HIV dans le Nord-est oublié,” IRIN PlusNews, 15 mars 2005.

[122] “Les droits des enfants ne sont pas respectés dans la crise politique et militaire en cours en Côte d’Ivoire,” Communiqué de presse de l’UNICEF, 21 novembre 2005.

[123] Entretiens de Human Rights Watch avec des travailleurs de l’aide humanitaire, Abidjan et Bouaké, Septembre-Octobre 2005.

[124] “UNICEF presse le gouvernement de Côte d’Ivoire d’organiser les examens scolaires annuels dans tout le pays,” UNICEF Communiqué de presse, 5 octobre 2005.

[125] “Côte d’Ivoire: plus de la moitié des patients testés dans un hôpital rebelle sont HIV positifs,” IRIN PlusNews, 27 janvier 2005.

[126] “Les droits des enfants ne sont pas respectés dans la crise politique et militaire en cours en Côte d’Ivoire,” Communiqué de presse de l’UNICEF, 21 novembre 2005.

[127] Entretiens de Human Rights Watch avec des travailleurs de l’aide humanitaire, Abidjan et Bouaké, Septembre-Octobre 2005.

[128] “Sixième rapport de progression du Secrétaire général sur l’Opérations des Nations Unies en Côte d’Ivoire,” 26 septembre 2005, S/2005/604, p. 11.


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