Rapports de Human Rights Watch

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Violations des droits humains par les Forces Nouvelles : tendances 2005

 

Les rebelles des Forces Nouvelles détiennent arbitrairement et parfois exécutent de façon habituelle des personnes suspectées de travailler comme agents infiltrés du gouvernement. Ils exploitent aussi leur pouvoir et extorquent systématiquement de l’argent et volent des civils aux postes de contrôle militaires ainsi que dans les villes et les villages sous leur contrôle. Les Forces Nouvelles n’ont pas créé d’institutions de gouvernance opérationnelles et efficaces au sein du territoire qui est sous leur contrôle ; les accords de paix ne leur exigent pas de le faire. En pratique, les rebelles semblent exercer l’autorité par le recours à la force ou la menace d’y recourir, une situation qui contribue à l’insécurité et à de graves atteintes aux droits humains contre les civils. De plus, l’apparente fragmentation de l’autorité au sein des Forces Nouvelles exacerbe le sentiment d’insécurité et d’impunité dans le Nord.

 

Les Forces Nouvelles ont divisé le territoire sous leur contrôle en dix zones, dont chacune est contrôlée par un Commandant de Zone. Plusieurs sources ont déclaré à Human Rights Watch que les Commandants de Zone semblent être devenus les “chefs absolus” de leur territoire et ne suivent pas toujours les ordres de leurs supérieurs.67 Les unités rebelles semblent agir sans craindre beaucoup d’être châtiés pour des abus commis contre des civils. A certains points de contrôle des rebelles, les enquêteurs de Human Rights Watch en plus de civils ivoiriens se sont vu agressivement demander de l’argent. Les soldats des postes de contrôle ont justifié leurs actes en disant que leurs commandants ne les payaient pas.

 

 

 

 

 

Formes d’abus commis en 2005 par les Forces Nouvelles

Signalements de détention arbitraire

Les rebelles des Forces Nouvelles au cours de l’année 2005 ont fréquemment détenu des personnes de façon arbitraire.68 Comme l’a noté un défenseur local des droits humains, “Dans le Nord il n’y a pas de pouvoir judiciaire, pas de justice ni de réelle gouvernance. A la place, il y a beaucoup de ‘justice privée’ imposée par les hommes qui ont les armes.”69 Habituellement les détentions semblent être liées aux circonstances politiques, telles qu’une lutte interne pour le pouvoir entre les chefs rebelles Guillame Soro et Ibrahim Coulibaly, qui en 2004 a entraîné la mort de plus de 100 rebelles et civils. En 2005 il y a eu de nombreuses arrestations de présumés partisans du gouvernement à la suite de l’attaque en février par les milices pro-gouvernementales de la ville de Logoualé tenue par les rebelles.70 Cependant, selon des villageois, des victimes, des défenseurs des droits humains et des travailleurs humanitaires dans les villes de Man et Bouaké tenues par les rebelles, les détentions sont fréquemment arbitraires et semblent être utilisées principalement comme une méthode pour extorquer de l’argent aux civils.71 Un travailleur humanitaire dans une organisation internationale explique :

 

Les rebelles arrêtent les gens pour toutes sortes de choses : ne pas payer aux postes de contrôle, parce que vous avez quelque chose qu’ils veulent, pour des raisons politiques, pour vol… ou juste parce que quelqu’un accuse quelqu’un d’autre de quoi que ce soit. La justice est comme un menu, vous payez pour être libéré. C’est complètement arbitraire. C’est complexe, parce que les relations personnelles ou familiales affectent les montants que vous devez payer, la durée de votre séjour dans le centre de détention et la façon dont cette pseudo-justice est administrée.72

 

Le responsable des droits humains des Nations Unies à Bouaké a raconté à Human Rights Watch qu’une fois que les personnes sont détenues, elles sont alors transférées vers différents types de lieux de détention, tels que des camps militaires rebelles et des prisons civiles gérées par la police ivoirienne. Ces officiers de police, depuis la partition de facto du pays, ont fonctionné sans contrôle ni salaire d’aucune autorité centrale de police ivoirienne. Ils font en réalité la police eux-mêmes avec peu de moyens économiques, en coordination avec les autorités rebelles, administrant une justice arbitraire à la place du système judiciaire public.73

 

Extorsions et vols de civils

Comme les extorsions dans le Sud contrôlé par le gouvernement, les extorsions et les vols de civils aux points de contrôle et dans les villages du Nord sont largement répandus et semble être autorisés par la structure de commandement, qui ne fait rien pour les arrêter.74

 

Les chefs rebelles interrogés par Human Rights Watch maintiennent que les points de contrôle ont pour but d’assurer la sécurité et d’arrêter les incursions du gouvernement. Cependant, de nombreux travailleurs humanitaires, d’entrepreneurs locaux et de civils ordinaires ont décrit la façon dont les rebelles intimident et harcèlent régulièrement les voyageurs pour qu’ils leur donnent de l’argent. Ils ont décrit la façon dont les groupes de rebelles —parfois jusqu’à trente ou quarante par point de contrôle— effraient et intimident les gens pour qu’ils leur versent des pots-de-vin, et comment le personnel des Nations Unies semble être le seul à échapper à cette forme d’abus.75 Les enquêteurs de Human Rights Watch ont été témoins de plusieurs rebelles, qui étaient visiblement ivres ou sous l’influence de drogues, extorquant de l’argent aux gens à des points de contrôle. A un point de contrôle près de Bouaké, un rebelle ivre non armé a menacé les chercheurs de Human Rights Watch s’ils ne payaient pas 1000 CFA (environ U.S.$2), en disant : “Vous devez payer. Je m’en fiche de mes chefs. Je suis le seul chef ici.”

 

Les petits commerçants et vendeurs sur les marchés semblent être particulièrement vulnérables aux extorsions. Plusieurs femmes dans un village tenu par les rebelles près de Man ont dit à Human Rights Watch que les rebelles avaient l’habitude d’extorquer de l’argent quand les femmes entraient ou sortaient du marché.76 Comme l’a expliqué une des femmes : “Quand je vais au marché pour vendre de l’huile de palme, les rebelles m’obligent à payer 100 CFA. Quand je m’en vais, comme ils savent que j’ai vendu mon huile, je paie aussi 100 CFA. Si je ne paie pas ils prennent mon huile et je dois payer 500 CFA pour la récupérer. C’est comme ça depuis que la rébellion a commencé. Chaque fois que je vais au marché c’est la même chose.”77

 

Les rebelles des Forces Nouvelles se livrent aussi au vol largement répandu de bétail, de récoltes, et autres biens des villages sous leur contrôle, volant parfois les mêmes villages à plusieurs reprises.78 Un homme de soixante-dix ans a raconté à Human Rights Watch que des rebelles armés des Forces Nouvelles portant des uniformes viennent régulièrement dans son village pour voler de l’argent, des cigarettes, du savon et des machettes dans les boutiques ; selon cet homme, des groupes de rebelles ont au cours de l’année 2005 fait un raid sur son village en cinq occasions différentes. Il a dit qu’ils venaient d’habitude la nuit et souvent battaient les gens au cours de ces raids.79 Plusieurs habitants d’un village près de Bouaké ont raconté à Human Rights Watch comment, tout au long de l’année 2005, des groupes de rebelles armés d’un camp d’entraînement militaire voisin avaient attaqué et volé des récoltes, du bétail et autres denrées alimentaires de leurs champs. Comme l’a expliqué un villageois :

 

Quand la crise a commencé, les rebelles prenaient nos animaux et nos récoltes mais maintenant ça va mieux même si nous avons très peur. Ils viennent encore et ils prennent et récoltent directement dans le champ du fermier parce qu’ils ne sont ni payés ni nourris…Il y a deux semaines, ils sont venus et ils ont tué une chèvre et un mouton et ils les ont emportés. Ils ont des armes lourdes qui font takatakatak [armes automatiques].

 

En plus, les villageois ont dit que dans quatre occasions différentes en septembre 2005, des rebelles armés sont venus au village et se sont emparés par la force de poulets et de moutons.80

 

Dans un autre village au nord de Bouaké, une femme a dit à Human Rights Watch que des rebelles armés volaient régulièrement des yams et de la cassaves dans les champs du chef à proximité.81 Deux garçons qui vivent dans le village ont dit à Human Rights Watch que des rebelles portant des uniformes et armés de AK-47 viennent régulièrement d’un camp militaire proche pour voler des moutons et autres nourritures.82D’après l’un des garçons, âgé de quatorze ans :

Ils viennent une fois par semaine, plus ou moins…. Ils vont aussi dans nos champs et se servent directement. Ils prennent des poulets et des animaux. Si vous êtes dans le champ, ils vous demandent de récolter pour eux.”83 L’autre garçon, âgé de seize ans, a dit à Human Rights Watch : “Ils viennent voler nos animaux. Ils viennent par petits groupes de deux ou trois. Ils ne nous laissent pas parler. Ils attrapent les moutons. Les rebelles viennent quand les gens sont en train de travailler aux champs, d’habitude à deux heures de l’après-midi. Nous avons peur. Ils sont violents. Ils sont fous. Ils ont l’air d’avoir fumé des drogues. Ils ont les yeux rouges… Ils volent aussi les yams directement dans le champ. Nous ne le signalons pas. Nous n’allons pas à la police. Nous avons peur.84

 

Exécutions sommaires signalées

D’après des groupes ivoiriens des droits humains et la Division des droits humains de l’UNOCI, les rebelles des Forces Nouvelles en 2005 ont perpétré de nombreuses exécutions sommaires, principalement d’individus accusés par les rebelles de travailler avec les forces pro-gouvernementales. En outre, ces sources ont signalé que plusieurs individus ont été “portés disparus” et sont présumés avoir été exécutés. Les cas documentés concernent la “disparition” ou l’exécution de plusieurs individus soupçonnés d’être des agents infiltrés pro-gouvernementaux dans les régions de Man et de Danané à la suite de l’attaque de février 2005 contre Logoualé. Cependant, les sources ont noté que le nombre d’exécutions avait diminué depuis 2005 à cause de la résolution de la lutte pour le pouvoir (mentionnée ci-dessus) entre les chefs des Forces Nouvelles Guillaume Soro et Ibrahim Coulibaly.85

 

 

 

 

 



[67] Voir ausi Groupe de crise international : “Côte d’Ivoire: Les demi-mesures ne suffiront pas,” 12 octobre 2005, p. 15.

[68] Entretiens de Human Rights Watch avec des défenseurs des droits humains et des travailleurs humanitaires, Man, Bouaké, et Abidjan, Septembre-Octobre 2005; Voir aussi Division des droits humains de l’UNOCI, “Rapport sur la situation des droits humains en Côte d’Ivoire : mai, juin et juillet 2005,” Octobre 2005.

[69] Entretien de Human Rights Watch avec un défenseur des droits humains, Abidjan, 26 septembre 2005.

[70] Voir, Entretiens de Human Rights Watch avec des défenseurs des droits humains et des journalistes à Bouaké et Abidjan, Septembre-Octobre 2005.

[71] Entretiens de Human Rights Watch avec des défenseurs des droits humains et des travailleurs humanitaires locaux et des Nations Unies, Abidjan, Man, et Bouaké, Septembre-Octobre 2005.

[72] Entretien de Human Rights Watch avec une organisation humanitaire, Abidjan, 29 septembre 2005.

[73] Entretien de Human Rights Watch avec Joël Mermet, responsable des droits humains de l’UNOCI, Bouaké, 7 octobre 2005.

[74] Entretiens de Human Rights Watch avec des victimes et des travailleurs humanitaires et des droits humains locaux et internationaux, Man, Bouaké, et Abidjan, Septembre-Octobre 2005.

[75] Entretiens de Human Rights Watch, Nord de la Côte d’Ivoire, October 2005.

[76] Entretiens de Human Rights Watch, villages voisins de Man, 6 octobre 2005.

[77] Ibid.

[78] Entretien de Human Rights Watch avec Joël Mermet, responsable des droits humains des Nations Unies, Bouaké, 7 octobre 2005, et entretiens de Human Rights Watch avec des habitants des villages voisins de Man et de Bouaké, Septembre-Octobre 2005.

[79] Entretiens de Human Rights Watch, villages voisins de Man, 6 octobre 2005.

[80] Entretiens de Human Rights Watch, villages voisins de Bouaké, 8 octobre 2005.

[81] Ibid.

[82] Ibid.

[83] Ibid.

[84] Ibid.

[85] Entretiens de Human Rights Watch avec des défenseurs des droits humains locaux et des Nations Unies, Abidjan, Septembre-Octobre 2005.


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