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Human Rights Watch Rapport Mondial 2002
INTRODUCTION


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Rapport Mondial 2002

Table des matières

Le rapport mondial 2002 en anglais

Des extraits du rapport sont disponibles en français :

Panorama mondial sur l'Afrique
Algérie, Burundi, Congo,
Maroc, Nigéria, Rwanda, Tunisie


A la suite des attaques du 11 septembre sur New York et Washington, le gouvernement américain a formulé un but principal - vaincre le terrorisme - et a cherché à construire une alliance mondiale dévouée à cette cause. Cependant, aussi volontariste que cette campagne ait pu s'affirmer, il reste à considérer si nous avons simplement affaire ici à une lutte contre un groupe particulier de criminels ou également à un effort pour triompher de la logique du terrorisme. S'agit-il seulement d'un combat contre Osama ben Laden, son réseau al-Qaeda et quelques groupes de la même mouvance ? Ou bien s'agit-il aussi d'un effort pour s'attaquer à l'idée que tout peut justifier une cause, à la croyance que même une attaque contre des gratte-ciel remplis de civils est un acte politique acceptable ?

Les attentats du 11 septembre sont diamétralement opposés aux valeurs des droits humains. C'est en effet le corps même du droit international en matière de droits humains et de droit humanitaire - à savoir les limites placées sur ce que peut être une conduite autorisée - qui explique pourquoi ces attaques ne sont pas des actes légitimes de guerre ou de politique. Si l'idée des droits humains a une quelconque signification, c'est bien le refus par principe que des civils soient massacrés délibérément, quelle que soit la cause avancée pour un tel acte. En temps de paix comme en temps de guerre, que l'acteur soit un gouvernement ou un groupe armé, certains moyens ne seront jamais justifiés, quelle que soit la fin qu'ils servent.

Alors que de nombreux gouvernements se joignent à la lutte contre al-Qaeda, ils sont confrontés à un choix fondamental. Ils doivent décider si cette bataille offre une opportunité de réaffirmer les principes des droits humains ou une nouvelle raison pour les ignorer. Ils doivent déterminer s'il s'agit maintenant d'adhérer à des valeurs régissant aussi bien les moyens que la fin ou s'ils disposent là d'une excuse pour rendre les moyens secondaires par rapport à la fin. Leur choix ne déterminera pas si tel ou tel coupable est capturé ou tué. Mais à long terme, il aura un effet sur la force de l'idéologie qui veut que la fin justifie les moyens, idéologie qui a conduit un groupe d'hommes à écraser délibérément des avions remplis de passagers civils contre les tours du World Trade Center et contre le Pentagone. Si la coalition mondiale contre la terreur ne rejette pas fermement cette amoralité, si les règles du droit international en matière de droits humains et de droit humanitaire ne président pas à toute forme d'action contre la terreur, alors la bataille contre des terroristes donnés se terminera probablement par une réaffirmation des principes faussés du terrorisme.

Malheureusement, à ce jour, la conduite de la coalition ne laisse toujours rien augurer de bon pour l'avenir. Comme le décrit cette introduction, ses membres les plus importants ont violé les principes des droits humains chez eux et complaisamment ignoré les transgressions de ces principes commises par leurs partenaires. Ils ont préféré obéir à des raisons de convenance immédiate plutôt que de réaffirmer un engagement ferme en faveur des droits humains qui seuls peuvent vaincre la raison d'être du terrorisme. Quels que soient ses succès dans la poursuite de terroristes particuliers, la coalition risque de conforter la logique du terrorisme sauf si l'on accorde aux droits humains un rôle beaucoup plus central.

CE RAPPORT

Ce rapport est le douzième examen annuel proposé par Human Rights Watch sur les pratiques en matière de droits humains, partout dans le monde. Il traite des développements dans soixante-six pays, couvrant la période de novembre 2000 à novembre 2001. La plupart des chapitres examinent des développements significatifs en matière de droits humains dans un pays donné ; la réponse des acteurs mondiaux, tels que l'Union Européenne, le Japon, les Etats-Unis, les Nations unies et diverses organisations régionales ainsi que la liberté accordée à des défenseurs locaux des droits humains de mener à bien leur travail. D'autres chapitres traitent d'importants sujets thématiques.

Les points forts de 2001, sur un plan positif, concernent différents coups portés à l'impunité qui si souvent sert de couverture à de graves abus, avec notamment la traduction de l'ancien Président yougoslave, Slobodan Milosevic, devant le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, l'inculpation, au Chili, de l'ancien Président Augusto Pinochet (même si les poursuites judiciaires ont été abandonnées pour raisons médicales), une décision argentine de justice déclarant les lois nationales d'amnistie inconstitutionnelles et les rapides progrès vers l'établissement d'une Cour Pénale Internationale, avec quarante-sept des soixante pays nécessaires ayant ratifié le traité, début décembre. D'autres événements importants ont été :
  • l'entrée en vigueur du protocole interdisant l'utilisation des enfants soldats ;
  • la présentation, lors de la Conférence mondiale contre le racisme, de la discrimination sur la base des castes comme un problème d'importance mondiale,
  • la rapidité et la détermination de la communauté internationale (pour la première fois en une décennie d'atrocités dans les Balkans) à désamorcer le conflit armé à motivations ethniques en Macédoine,
  • la condamnation par la Commission des Nations Unies sur les Droits Humains des atrocités actuelles russes en Tchétchénie ainsi que l'incapacité persistante du gouvernement de Moscou à tenir les coupables pour responsables de leurs actes.
Sur le plan négatif, l'Organisation Mondiale du Commerce a accepté de lancer une nouvelle série de négociations sur la réduction des barrières au commerce sans donner à la protection des droits du travail une place significative dans ce programme. Les efforts pour créer des tribunaux soutenus par la communauté internationale ont été stoppés dans le cas du Cambodge et ont progressé avec extrême lenteur pour ce qui concerne la Sierra Leone alors que les principaux architectes des atrocités de 1999, au Timor Oriental, restaient libres de leurs mouvements en Indonésie. Des guerres abusives et la violence politique ont continué à causer de nombreuses victimes civiles en Algérie, en Angola, au Burundi, en Colombie, en République Démocratique du Congo, en Indonésie et au Soudan.

Ce rapport est le reflet d'un intense travail d'enquêtes conduit, en 2001, par les chercheurs de Human Rights Watch, habituellement en partenariat étroit avec des militants des droits humains, dans les pays concernés. Ce rapport reflète aussi le travail de l'équipe de plaidoyer de Human Rights Watch qui surveille les politiques des gouvernements et des institutions internationales qui ont le pouvoir d'utiliser leur influence pour limiter les atteintes aux droits humains. Les publications de Human Rights Watch, qui paraissent tout au long de l'année, contiennent des développement plus détaillés sur les brefs résumés rassemblés dans cet ouvrage. Ils sont accessibles sur le site de Human Rights Watch, http://www.hrw.org/reports98/publctns.htm.

Comme par le passé, ce rapport ne comporte pas un chapitre sur chacun des pays où opère Human Rights Watch et n'aborde pas, non plus, chaque problème d'importance. L'incapacité à prendre en compte un pays ou un problème donnés n'est souvent que la traduction de limitations en personnel et ne doit pas être considérée comme un commentaire sur la signification de ce problème. Il existe de nombreuses violations graves des droits humains que Human Rights Watch ne peut tout simplement pas aborder.

Les facteurs que nous avons pris en compte pour déterminer le coeur de notre travail en 2001 (et donc le contenu de ce volume) sont la gravité des abus, l'accessibilité du pays et la disponibilité des informations concernant les abus, notre capacité à influencer les forces responsables des pratiques abusives, l'importance de traiter certains problèmes thématiques et de consolider le travail d'organisations locales de défense des droits.

LES VALEURS DES DROITS HUMAINS COMME ANTIDOTE AU TERRORISME

Toute lutte contre le terrorisme n'est qu'en partie une affaire de sécurité. C'est aussi une question de valeurs. La police, les unités de collecte de renseignements et même les armées ont toutes un rôle à jouer pour répondre à des menaces terroristes particulières. Mais le terrorisme relève aussi du domaine de la moralité publique. Le terrorisme est moins probable quand le public adhère à l'idée que des civils ne devraient jamais être pris pour cibles et quand il s'engage fermement en faveur des principes fondamentaux des droits humains.

S'atteler à traiter des doléances politiques et encore plus de la pathologie qui peuvent conduire un groupe d'hommes à s'attaquer à des milliers de civils se situe bien au-delà du mandat de Human Rights Watch. Notre préoccupation concerne les mœurs qui encouragent de tels meurtres collectifs et les présentent comme des outils politiques légitimes. La tolérance pour de tels crimes est un terreau fertile pour le terrorisme et les sympathisants de ces actes sont des recrues potentielles. Construire une culture des droits humains plus forte - une culture dans laquelle toute indifférence pour la vie des civils est condamnée plutôt qu'excusée - est un élément essentiel, à long terme, pour assurer la victoire contre le terrorisme.

Nombre de politiques des principales puissances, tant avant qu'après le 11 septembre, ont porté atteinte aux efforts de construction d'une culture mondiale des droits humains. Ces gouvernements adhèrent souvent aux droits humains seulement en théorie, tout en les ignorant dans la pratique. Opérer un renversement de tendance est essentiel à la construction de cette solide culture des droits humains nécessaire au rejet du terrorisme.

L'importance d'une telle révision de politique est particulièrement capitale au Moyen Orient et en Afrique du Nord où al-Qaeda semble avoir recruté nombre de ses partisans. Mais cette révision est aussi nécessaire sur un plan plus large - pour évaluer les politiques qui guident la nouvelle coalition mondiale contre le terrorisme et pour jauger la conduite de nombreux membres importants de cette coalition.

LE MOYEN ORIENT ET L'AFRIQUE DU NORD

Le Moyen Orient et l'Afrique du Nord n'ont pas le monopole de la production de praticiens du terrorisme. Des groupes armés ont eu recours aux attaques contre des civils et à la propagation de la terreur en Colombie, en Inde, en Espagne, au Sri Lanka, en Espagne, au Royaume Uni et dans de nombreux autres endroits. La raison d'être de nombreux groupes peut varier mais l'amoralité de leurs méthodes reste la même.

Et pourtant, l'attention mondiale est aujourd'hui focalisée sur al-Qaeda, à la fois à cause de la cible prise pour ses actes présumés - la superpuissance mondiale - et de l'amplitude des crimes présumés et projetés. Ainsi le Moyen Orient et l'Afrique du Nord sont-ils l'une des régions où il est essentiel d'affirmer une culture des droits humains comme antidote au terrorisme.

Beaucoup dans la région voient une illustration de la tolérance occidentale pour les atteintes contre les droits humains dans l'incapacité à contenir les abus d'Israël contre les Palestiniens ou à restructurer les sanctions contre l'Irak, afin de minimiser les souffrances du peuple irakien. De telles politiques - toutes les deux suivies de près dans la région - suggèrent que l'engagement occidental en faveur des droits humains est un engagement de façade, que l'on peut mettre de côté lorsque les abus sont commis par un allié ou sous prétexte de contenir un ennemi. Ce grief est devenu d'autant plus aigu après septembre 2000 que le nombre de morts causés par la violence israélo-palestinienne augmente et que les sanctions contre l'Irak perdurent sans indiquer pour autant que Saddam Hussein se pliera aux exigences de l'ONU.

Mais la fragilité de l'engagement occidental en faveur des droits humains est aussi visible dans l'attitude de l'ouest envers la région dans son ensemble et l'Arabie Saoudite et l'Egypte fournissent de bons exemples en ce sens. L'Arabie Saoudite, terre de Osama ben Laden ainsi que de quinze des dix neuf pirates de l'air présumés du 11 septembre, limite strictement la société civile, pratique une discrimination sévère contre les femmes et impose systématiquement le silence à toute dissidence. Mais à ce jour, les gouvernements occidentaux se sont contentés d'acheter le pétrole de l'Arabie Saoudite et de rechercher des contrats saoudiens tout en maintenant un silence honteux sur les abus commis dans le pays. L'Egypte, pays du chef de bande présumé du 11 septembre ainsi que d'autres dirigeants clés d'al-Qaeda, offre le spectacle d'un espace politique étroitement circonscrit et d'un gouvernement qui fait tout pour étouffer l'opposition politique pacifique. Cependant, comme "partenaire" de la paix au Moyen Orient, l'Egypte s'est assurée une aide massive de la part des Etats-Unis et une acceptation tacite de ses violations des droits humains.

Dans des sociétés où les libertés fondamentales s'épanouissent, les citoyens peuvent faire pression sur leur gouvernement pour qu'il réponde à leurs doléances, en le menaçant de dénonciation publique ou de non-reconduction au pouvoir. Mais en Egypte, en Arabie Saoudite et dans nombre d'autres pays où Osama ben Laden joue sur la corde de la rancœur, les gouvernements limitent le débat sur la façon de prendre en compte les maux de la société. Ils ferment toute possibilité de changements politiques pacifiques. Ils laissent les gens avec le choix difficile de tolérer le statu quo, de s'exiler ou de recourir à la violence. Fréquemment, alors que les options politiques disparaissent, les voix de l'opposition non violente sont étouffées par le radicalisme d'opposition.

L'Occident a calmement accepté ce modèle de répression parce qu'à court terme, il semble promettre la stabilité et parce que l'alternative démocratique fait peur. En réalité, le génie de cette stratégie, du côté des gouvernements répressifs est qu'ils ont réussi à créer un paysage politique dans lequel la seule alternative au soutien à leur régime autoritaire est de risquer leur renversement par des opposants radicaux. Dans un environnement où le centre politique a été systématiquement réduit au silence, ces gouvernements sont crédibles lorsqu'ils se présentent comme le seul rempart contre l'extrémisme.

Le défi pour les défenseurs mondiaux des droits humains - et pour toute campagne qui voudrait réussir à vaincre la logique du terrorisme - est de reconnaître le rôle joué par la répression gouvernementale dans la construction de ce dilemme. Plus le gouvernement bloque les canaux légitimes de la contestation, plus le fait qu'il se présente lui-même comme la seule alternative au radicalisme finit par devenir réalité.

La conduite du gouvernement saoudien illustre bien ce point. Alors que la corruption se répand parmi la famille royale et que les vastes mais néanmoins circonscrites richesses pétrolières du pays se révèlent inadaptées pour assurer un futur économique prometteur à une population en rapide expansion, la position du gouvernement saoudien s'avère de plus en précaire. Mais précisément lorsque le besoin d'ouverture est à son comble, c'est là aussi que les dangers sont les plus importants. Avec une ferme répression de l'opposition politique pacifique, les voix de la violence et de l'intolérance ont pris de l'ampleur. Riyad peut ainsi prétendre qu'elle seule fait face au problème, que les droits humains doivent être mis sous le boisseau pour leur propre bien et que la démocratisation conduirait à sa propre perte. Une seule alternative est aujourd'hui présentée comme possible : bloquer toute forme de libéralisation politique tel que cela s'est produit en Algérie, en 1992, lorsque les responsables militaires du pays sont intervenus pour barrer la route à un parti islamiste dont la victoire semblait imminente ou alors assister à une répétition du scénario iranien de 1979, dans lequel l'abandon du Shah par l'Occident a conduit à l'instauration d'un régime théocratique répressif.

Seule une perspective ignorant l'histoire permet de présenter ces options comme aussi clairement délimitées et sans attrait aucun. Une transition démocratique immédiate pourrait ne pas être possible dans un environnement politique aussi faussé mais des mesures peuvent et doivent être prises pour commencer à offrir un éventail de choix électoraux. Bien évidemment, dans une démocratie, rien ne garantit un résultat politique particulier plutôt qu'un autre. Mais si des pressions sont exercées sur des gouvernements autoritaires afin qu'ils autorisent un large spectre d'options politiques, la probabilité augmente de voir la démocratie conduire à des gouvernements respectueux des droits humains.

Plusieurs gouvernements du Moyen Orient et d'Afrique du Nord ont entamé un processus de libéralisation sans pour autant donner des pouvoirs aux extrémistes. Au cours des années récentes, le Maroc et la Jordanie sont devenus des sociétés plus ouvertes alors que le Qatar et Bahreïn ont commencé à relâcher les contraintes politiques et ont promis la tenue d'élections. Le Koweït a déjà un parlement élu même si ses pouvoirs sont limités et que toutes les femmes ainsi que nombre de résidents de naissance se voient toujours refuser le droit de vote. En Iran également, une ouverture progressive et partielle a coïncidé avec l'émergence d'un mouvement exigeant le respect des libertés civiles. Même si la corrélation n'est pas toujours nette, ces expériences suggèrent que l'attrait des mouvements violents et intolérants diminue lorsqu'on donne aux gens la chance de participer significativement à la vie politique et de choisir parmi un éventail de partis et d'idées politiques. La promotion d'un respect entier pour les droits humains nécessaire à la création de cet éventail d'options politiques devrait donc constituer une partie intégrante de toute stratégie anti-terroriste pour la région. Mais si l'Occident continue à accepter la répression comme la meilleure défense contre une politique radicale, il compromettra la création d'une culture des droits humains indispensable à long terme pour vaincre le terrorisme.

LA COALITION MONDIALE

Dans les jours qui ont suivi le 11 septembre, divers gouvernements ont profité de la tragédie pour faire passer leurs propres luttes internes pour des batailles contre le terrorisme. Par exemple, le Président de Russie, Vladimir Poutine, a adhéré à ce discours pour défendre la brutale campagne de son gouvernement en Tchétchénie. Le Ministre chinois des Affaires Etrangères, Tang Jiaxuan, a fait de même pour défendre la réponse apportée par son gouvernement à l'agitation politique dans la province de Xinjiang. Le Premier Ministre égyptien, Atef Abeid, balayant les accusations de torture et de procès militaires sommaires, a rejeté "les appels qui nous sont adressés pour donner à ces terroristes leurs 'droits humains'" et a suggéré que les pays occidentaux "considèrent le propre combat de l'Egypte contre la terreur comme leur nouveau modèle." Le Premier Ministre israélien, Ariel Sharon, a fait référence à plusieurs reprises au Président de l'Autorité Palestinienne, Yasser Arafat, comme "notre ben Laden." Faisant allusion au 11 septembre, le vice Premier Ministre de Malaysie, Abdullah Ahman Badawi, a défendu les détentions administratives pratiquées par son pays sous l'Internal Security Act, détourné depuis longtemps, comme "une mesure initiale de prévention avant que la situation ne devienne incontrôlable." Un porte-parole du Président du Zimbabwe, Robert Mugabe, a justifié la répression contre les journalistes indépendants qui couvraient les abus commis par son gouvernement comme une attaque contre les "supporters" du terrorisme.

Dans le cas de la Russie en particulier, cette stratégie a semblé fonctionner. Dans les jours qui ont suivi le 11 septembre, le Chancelier allemand, Gerhard Schroeder et le Premier Ministre italien, Silvio Berlusconi, ont déclaré que les actions de la Russie en Tchétchénie devaient être réévaluées. Le gouvernement américain, qui en avril avait soutenu la résolution des Nations Unies condamnant les atrocités en Tchétchénie, a commencé à mettre en sourdine ses inquiétudes sur les droits humains et à mettre en avant des liens supposés entre rebelles tchétchènes et le réseau al-Qaeda. Dans des remarques générales faites au sommet pour la Coopération Economique Asie-Pacifique, à Shanghai, en octobre, en présence de Poutine mais sans référence à un pays précis, le Président américain, George W. Bush, a mis publiquement en garde contre le fait que "la guerre contre le terrorisme ne devait pas être une guerre contre les minorités" et que les pays devaient "distinguer entre ceux qui poursuivent des aspirations politiques légitimes et les terroristes." Mais lors d'un sommet bilatéral avec Poutine, en novembre, Bush a largement évoqué les progrès russes en direction du respect des droits humains et des principes démocratiques, tout en mentionnant la Tchétchénie mais simplement pour louer "l'engagement du Président Poutine en faveur d'un dialogue politique." Rien n'a été dit publiquement sur les atrocités russes ni sur l'impunité dont continuent à bénéficier ceux qui les commettent.

L'Ouzbékistan illustre encore combien les préoccupations peuvent être sélectives concernant des attaques sur des civils. A l'exception possible du Turkménistan, l'Ouzbékistan est le pays né du démantèlement de l'Union soviétique qui a fait le plus afin de perpétuer la répression impitoyable de l'ère soviétique. Il n'y a pas de partis politiques, pas de médias indépendants, pas de société civile d'aucune sorte. Les tentatives des musulmans pour prier en dehors des mosquées sous contrôle de l'état sont durement réprimées par des tortures et de longues peines de prison sont fréquentes. Comme pays limitrophe de l'Afghanistan, l'Ouzbékistan était un allié potentiel évident pour les Etats Unis, en particulier parce qu'il est lui-même aux prises avec son propre mouvement rebelle en lien avec al-Qaeda, le Mouvement Islamiste d'Ouzbékistan. Mais il n'apparaît pas encore clairement si le gouvernement américain va tenter d'éviter que sa nouvelle alliance avec l'Ouzbékistan ne devienne une caution apportée aux politiques répressives du Président ouzbek, Islam Karimov. Le Président Bush a insisté, à plusieurs reprises, sur le fait que la campagne américaine contre le terrorisme n'était pas dirigée contre l'islam. Cependant, le gouvernement américain n'a pas déployé d'efforts visibles pour réfréner la sévère répression de l'Ouzbékistan contre les musulmans qui souhaitaient simplement pratiquer leur foi en paix, en dehors du contrôle de l'Etat. La plus belle occasion manquée a été lorsque, comme le demande la législation, le Département d'Etat américain a, en octobre, cité "les pays suscitant une inquiétude particulière" quant à la répression qu'ils exercent sur la liberté religieuse. L'Ouzbékistan, élément tout désigné pour cette catégorie, sous quelque critère objectif que ce soit, ne figurait pas sur la liste. (Ni, à cet égard, l'Arabie Saoudite malgré la reconnaissance par le porte-parole du Département d'Etat qu'il n'y avait pas de "liberté religieuse" dans ce pays.)

Le manque de cohérence avec lequel sont envisagés les abus violents commis contre les civils s'est exprimé ailleurs également. Washington (mais pas l'Union Européenne) a exercé une pression efficace sur Belgrade afin que soit livré l'ancien Président yougoslave, Slobodan Milosevic, pour qu'il soit jugé à La Haye pour les déprédations commises en Bosnie, au Kosovo et en Croatie. Mais tout au long de l'année, les troupes de l'OTAN en Bosnie ne sont pas parvenues à arrêter l'ancien chef politique serbe bosniaque, Radovan Karadzic, dans son refuge bosniaque. Par ailleurs, la communauté internationale a peu fait pour exercer des pressions sur Belgrade afin que soit livré l'ancien chef militaire serbe bosniaque, Ratko Mladic. Tous les deux sont accusés de crimes similaires. Plus proche des Etats Unis, le gouvernement américain continue à protéger Emmanuel "Toto" Constant, l'ancien chef paramilitaire haïtien connu pour son caractère impitoyable, contre les efforts de Haïti pour le traduire en justice. Au cours de la dictature militaire de 1991-94, Constant a supervisé la torture et le meurtre de nombreux civils haïtiens perçus comme des opposants au régime militaire.

Dans certaines régions du monde, en particulier en Afrique, des abus violents contre des civils ont été pratiquement ignorés par le gouvernement américain, sauf si un lien pouvait être établi avec al-Qaeda. Les atrocités ont fait partie de la routine des conflits d'Angola, du Burundi, de la République Démocratique du Congo et de la Sierra Leone. Or, l'attention du gouvernement américain a semblé se centrer presque exclusivement sur le Soudan, la Somalie et d'autres pays de la Corne de l'Afrique où le réseau al-Qaeda était supposé opérer. La visite à Washington en novembre, du Président nigérian, Olusegun Obasanjo, est emblématique de cette tendance. Aucune allusion n'a été faite au récent massacre de civils, dans le centre du Nigéria mais le Président Obasanjo a été loué pour son soutien à la lutte contre le terrorisme.

De telles incohérences renvoient le message que, selon Washington, la violence devient intolérable sur la base non pas de savoir si des civils sont attaqués mais quels civils sont attaqués et par qui. Des attaques contre des civils sur le sol américain doivent être vigoureusement condamnées mais des attaques contre d'autres civils échappent à la critique. Des attaques de rebelles ou d'insurgés contre des civils sont condamnées mais les attaques des gouvernements contre des civils - en particulier les attaques commises par des gouvernements alliés importants - sont ignorées. Un tel message n'aide en rien à construire un vaste mouvement public de soutien aux droits humains.

La réunion annuelle, en mars prochain, à Genève, de la Commission des Nations Unies sur les droits humains constituera un test de la disposition occidentale à condamner la violence contre des civils innocents, quel que soit l'endroit où elle se produit. Au cours des deux dernières années, avec la réticence puis finalement l'appui du gouvernement américain et de l'Union Européenne, la commission a condamné la Russie pour ses atrocités en Tchétchénie et son échec à poursuivre en justice les responsables de ces actes. Le moment n'est pas venu d'abandonner cet effort alors que les forces russes continuent de pratiquer exécutions, torture et arrestations arbitraires. Aucun progrès n'a été accompli pour traduire en justice les auteurs de massacres antérieurs. Les gouvernements occidentaux seront également jugés en fonction des efforts qu'ils déploieront à la Commission (pour la première fois sans participation américaine) pour condamner la persistance de la répression en Chine. Washington, tout particulièrement, sera jugée en fonction de son application ou non des lois destinées à sanctionner la répression religieuse en Ouzbékistan et en Arabie Saoudite.

Pour finir, la question demeure de savoir si l'Occident saura surmonter sa tendance traditionnelle à regarder d'un œil plus clément les atrocités commises en Afrique sub-saharienne. Si de telles opportunités de condamner et contenir la violence politique sont gaspillées, cela suggérera que les attaques violentes sur des civils ne garantissent la mise en œuvre d'actions sérieuses que si ces agressions se produisent près de chez soi. Le monde entier aura vite fait de percer à jour cette sélectivité.

L'IMPORTANCE DE NORMES RELATIVES AUX DROITS HUMAINS AYANT FORCE EXECUTOIRE

Si la bataille contre le terrorisme doit être comprise comme une lutte pour les droits humains, les combattants les plus passionnés ont souvent été les moins disposés à se lier par des principes. Washington se singularise parce que sa résistance opposée à des normes relatives aux droits humains ayant force exécutoire est véritablement fondamentale. Ceci ne signifie pas que les Etats-Unis ignorent les droits humains. Les droits protégés dont bénéficient la plupart des citoyens américains sont très nombreux. Mais la capitale américaine n'a jamais été disposée à se soumettre à un examen contraignant des droits humains effectué par la communauté internationale.

Le 11 septembre a offert une occasion de repenser cette disposition. Washington s'est immédiatement rendue compte que pour lutter contre un réseau terroriste mondial, elle avait besoin d'une coopération mondiale - pour la collecte de renseignements, le gel des avoirs financiers, la mise en œuvre d'arrestations et pour la défense de la légitimité de ses efforts militaires. L'appel à l'aide lancé par le gouvernement américain a été largement entendu mais ceci n'a pas modifié la résistance de Washington face au droit international en matière de droits humains.

Fréquemment, le gouvernement américain refuse simplement de ratifier des traités fondamentaux sur les droits humains comme ceux sur les droits des femmes, les droits des enfants et les droits économiques, sociaux et culturels. De façon plus significative en période de guerre, le gouvernement américain n'a toujours pas ratifié le Premier Protocole Additionnel de 1977 aux Conventions de Genève de 1949, concernant les normes les plus importantes en matière d'utilisation de la force aérienne, l'arme de guerre préférée de Washington.

De plus, lorsque, périodiquement, le gouvernement américain ratifie un traité sur les droits humains, que ce soit sous une administration républicaine ou démocratique, il le fait toujours de façon à s'assurer qu'il n'y aura pas de droit à la mise en application de sorte que la ratification n'impose aucune contrainte pratique sur les actions officielles. L'adhésion formelle à un traité devient ainsi un acte à usage extérieur - une déclaration vide affirmant que les Etats Unis font partie du système international des droits humains - et non pas un acte pour accorder, ou même consolider des droits, aux Etats Unis.

La plus importante déception peut-être est que l'administration Bush a en fait renforcé l'opposition américaine à une Cour Pénale Internationale - un forum potentiel pour traiter en justice de futurs crimes contre l'humanité tels que les attaques du 11 septembre. Le nombre de pays ayant ratifié le traité CPI augmentant rapidement, l'entrée en vigueur du traité, en 2002, est une certitude de fait. Mais Washington s'est opposée à la Cour parce qu'elle pourrait théoriquement être utilisée pour examiner minutieusement la conduite des forces armées américaines. Deux semaines seulement avant de lancer sa campagne de bombardement de l'Afghanistan, l'administration Bush a signé une législation autorisant des sanctions contre les gouvernements qui ratifieraient le traité CPI (autres que l'OTAN et certains alliés clés) - législation qui, sous une forme modifiée, était examinée par le Congrès, début décembre. La signature de l'Administration faisait partie d'un marché tactique permettant le versement aux Nations Unies de contributions financières en retard de paiement et était censée donner au Président le pouvoir d'écarter des sanctions. Mais même sous cet angle, la disposition de l'Administration Bush à soutenir une attaque contre la CPI au moment même où le pays appelait à la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme a des relents d'hypocrisie. Il semble que l'administration Bush est disposée à chercher des protections pour ses propres citoyens mais est déterminée à saper les bases d'une institution que de nombreux gouvernements considèrent comme essentielle à la protection d'autres citoyens.

Cette résistance à assumer certaines responsabilités - qui s'est répétée lors de négociations internationales sur les changements climatiques, les armes nucléaires, les armes biologiques, les armes de petit calibre et le racisme - a offert aux Etats Unis la latitude pour continuer, par exemple, à utiliser des bombes à fragmentation en Afghanistan, même si ces armes imprécises qui ont par le passé contaminé des paysages entiers avec des composants mortels et extrêmement sensibles sont responsables d'un quart des morts civiles par bombes, en Yougoslavie. Plus fondamentalement, cette résistance à assumer certaines responsabilités a exacerbé un malaise mondial sur le recours des Etats-Unis à la force, en particulier à la lumière d'incidents répétés ayant causé des victimes civiles. Le gouvernement américain semble supposer que si sa politique est de respecter le droit humanitaire international, sa conduite doit être irréprochable. Mais la majeure partie du reste de l'humanité condamne de façon bien compréhensible les Etats-Unis pour leur refus d'accepter toute application indépendante ou même l'examen formel des normes que le pays prétend soutenir. La capacité à assumer ses responsabilités est un élément clé qui manque à cette légitimité que Washington recherche mais échoue si souvent à obtenir.

LE FUTUR DE L'AFGHANISTAN

Les droits humains vont également être mis à l'épreuve alors que la communauté internationale travaille à la construction de l'après-Talibans en Afghanistan. Le bilan des Talibans en matière de droits humains était effroyable avec tout particulièrement une discrimination systématique contre les femmes, une utilisation rapide de la violence contre ceux qui ne respectaient pas leur vision stricte de l'islam et un recours périodique aux massacres de sympathisants présumés de leurs adversaires militaires. La chute de ce régime a créé une opportunité de changements positifs en Afghanistan. Mais nombre des forces en compétition pour succéder aux Talibans, et notamment les éléments de l'Alliance du Nord, ont également à leur actif des bilans terribles en matière de droits humains, allant de l'organisation en propre de massacres dans les années récentes, à la participation à la destruction de larges parties de Kaboul alors que ces forces partageaient le pouvoir en 1992-96.

L'engagement de la coalition anti-terreur en faveur des droits humains connaîtra son heure de vérité lorsqu'il s'agira d'exercer des pressions sur les parties afghanes pour qu'elles mettent un terme définitif aux atrocités du passé. La communauté internationale ne devrait pas simplement remplacer les Talibans par n'importe quel regroupement de forces qui emportera le contrôle du pays, se joindra à une coalition élargie et promettra de coopérer dans la lutte contre le terrorisme international. Cette attitude comporte le risque de remplacer un régime qui a apporté son soutien à des attaques internationales contre des civils par un régime qui simplement dirige sa violence contre ses propres civils. Cela handicaperait également très sérieusement l'Afghanistan au moment où le pays lutte pour sa reconstruction et pour répondre à de profonds besoins humanitaires. A court terme, même si des commandants abusifs doivent être acceptés comme les maîtres de facto de certaines parties de l'Afghanistan, des pressions intenses devraient être exercées à leur encontre pour éviter qu'ils ne se livrent à des représailles sur les civils et sur des combattants faits prisonniers ou ayant rendu les armes. A plus long terme, les responsables des pires atrocités devraient être écartés de tout rôle dans un futur gouvernement afghan ou dans toute force de sécurité afghane.

En attendant, la communauté internationale devrait s'employer activement à recueillir des preuves des abus commis par toutes les factions afghanes, à rendre ces preuves disponibles soit auprès d'un tribunal international nouvellement établi, soit d'une cour nationale renforcée et à s'assurer qu'aucune amnistie n'est accordée aux responsables de crimes graves. L'accord sur l'Afghanistan soutenu par les Nations Unies obtenu à Bonn, en décembre, a représenté un pas utile dans cette direction. La communauté internationale devrait également travailler à la fin de la discrimination contre les femmes afin que leur soit offerte une totale opportunité de participation dans un nouveau gouvernement. La communauté internationale devrait aussi s'assurer que la société civile dans son ensemble, y compris les femmes, jouit d'une voix significative dans la détermination des priorités pour la reconstruction et le développement économique. Ces mesures sont de celles qui permettront aux Afghans de rompre avec un passé peuplé de persécuteurs plutôt que de simplement remplacer un groupe d'oppresseurs par un autre.

LES DROITS HUMAINS EN OCCIDENT

A l'ouest, le danger d'un équilibre maladroit entre sécurité et droits humains était particulièrement sensible après le 11 septembre à cause de la nature très polarisée des efforts anti-terrorisme. Si les nouvelles mesures sécuritaires s'étaient appliquées à la population dans son ensemble, la pression de la rue se serait déchaînée afin d'empêcher que soient mises en vigueur des restrictions déraisonnables sur les droits. Mais parce que l'effort anti-terroriste visait largement les hommes jeunes originaires du Moyen Orient et de l'Afrique du Nord, la plupart des habitants des pays occidentaux ont estimé qu'ils ne seraient pas personnellement pris pour cibles par les pouvoirs chargés de l'application de ces nouvelles lois. Dans ces circonstances, un leadership politique est nécessaire pour s'assurer que les droits ne sont pas inutilement sacrifiés dans la course pour renforcer la sécurité. Un tel leadership a fait largement défaut.

Par exemple, la législation d'urgence examinée dans la précipitation par le Congrès américain - le USA Patriot Act - autorise la détention pour une durée indéfinie de personnes qui ne sont pas des citoyens américains et ne peuvent être déportées, une fois que l'attorney general (ministre de la Justice) "a attesté" qu'il a "des raisons valables de croire" que l'individu en question se livre à des activités terroristes ou met en danger la sécurité nationale. Ces critères à la fois larges et vagues autorisent l'attorney general à se prononcer contre tout étranger présent aux Etats Unis ayant eu un lien, même ténu ou éloigné dans le temps, avec un groupe qui a autrefois illégalement utilisé une arme contre une autre personne et à le maintenir en détention.

Le décret du Président Bush établissant les "commissions militaires" pour la traduction en justice des citoyens non américains représente un affront encore plus flagrant aux normes internationales en matière de conduite de procès équitables. Tout d'abord, le décret est particulièrement vague sur la nature des crimes pouvant relever du mandat de la commission. La commission pourrait être utilisée pour juger des gens accusés d'appartenance à al-Qaeda, d'implication dans le crime de " terrorisme international " aux contours mal définis ou d'assistance à toute personne accusée de ces délits. La commission s'étend donc bien au delà de tout recours traditionnel aux tribunaux militaires - traiter des crimes commis par des combattants lors de guerres - pour inclure des gens qui pourraient être accusés d'actes très éloignés de l'Afghanistan ou de tout autre conflit armé.

De plus, l'absence de fait, dans le décret, de garanties sur les procédures a soulevé la possibilité de voir des suspects jugés, inculpés voire même exécutés sans qu'ils aient pu comparaître devant un tribunal indépendant, sans qu'ils aient pu faire appel, sans qu'ils aient pu bénéficier d'un procès public ou de la présomption d'innocence, ni du droit de s'opposer aux preuves ou témoignages contre eux et sans avoir été protégés par l'exigence que les preuves retenues à leur encontre avaient bien été établies sans l'ombre d'un doute raisonnable. Certaines de ces transgressions aux normes légales normalement admises peuvent encore être corrigées par l'adoption de réglementations additionnelles - aucune n'avait été publiée au début décembre - mais le décret Bush en lui-même manifeste une indifférence préoccupante pour les normes internationales en matière de procès équitable et pour les valeurs américaines admises depuis longtemps. Tout en promettant "un procès entier et juste", le décret rejetait explicitement tout examen détaillé des procédures des commissions militaires par quelque cour que ce soit, nationale ou internationale. Le décret ignorait le Uniform Code of Military Justice - le code procédurier utilisé pour les cours martiales régulières - qui aurait garanti la plupart des droits fondamentaux à un procès équitable.

Alors que sont punis les gens accusés de graves abus, une telle indifférence pour les normes des droits humains portera atteinte à la valeur importante qui consiste à s'assurer que la justice est rendue et peut être vue en train d'être rendue. En empêchant le public d'avoir la certitude que l'état de droit est mis en œuvre avec équité, les procès secrets et sommaires de terroristes présumés portent atteinte aux principes des droits humains qui font obstacle au terrorisme. Le refus d'un juge espagnol d'extrader des membres supposés d'al-Qaeda vers les Etats Unis sans l'assurance qu'ils ne seraient pas jugés par de telles commissions illustre de façon pratique l'obstacle que de tels raccourcis de justice représentent à la mise en œuvre d'une coopération pour traduire en justice des suspects.

Le décret Bush, même modifié au moyen de régulations rédigées en petits caractères, menace aussi de réduire au silence les voix américaines favorables aux droits humains. Washington a sans relâche exprimé sa désapprobation lorsque des tribunaux militaires de même type ont été utilisés contre des "terroristes" supposés au Pérou, au Nigeria, en Russie et ailleurs. En proposant tout à coup de soutenir pareils travestissements de la justice face aux menaces sur sa propre sécurité, le gouvernement américain compromet sa capacité à défendre les droits humains à l'étranger. En effet, les dictateurs militaires de demain n'auront rien d'autre à faire que de reproduire le décret Bush pour se garantir un mécanisme répressif très efficace contre les critiques des Etats Unis. Pour finir, les commissions militaires envisagées, comme l'autre mesure décrite plus haut, renvoient le message profondément dangereux que les droits humains ne sont que des normes de convenance à appliquer lorsque d'autres pays sont confrontés à des menaces sur leur sécurité mais en aucun cas lorsque les Etats-Unis eux-mêmes sont en danger. De tels principes à la carte ne méritent évidemment pas d'être considérés comme des principes.

Des compromis semblables sur les droits humains pourraient être trouvés dans d'autres aspects de la réponse mondiale au terrorisme. Le Premier Ministre australien, John Howard, profitant de la peur des étrangers suite au 11 septembre, a construit sa candidature à la réélection, en novembre, autour de son expulsion sommaire, en violation flagrante du droit international sur les réfugiés, de demandeurs d'asile qui avaient atteint les bordures du territoire australien. Les mesures de sécurité proposées pour l'ensemble de l'Union Européenne comportaient une définition vague du terrorisme portant atteinte à la liberté d'association et au droit d'exprimer un avis divergent ; un mandat d'arrêt européen afin de faciliter le transfert de terroristes suspectés sans garanties de jugements équitables et une "réévaluation" du droit de chercher asile en Europe de l'Ouest à la lumière de nouvelles considérations sécuritaires. Les propositions du gouvernement britannique permettraient la détention arbitraire prolongée d'étrangers soupçonnés d'activité terroriste et limiteraient sérieusement le droit de demander asile.

Le gouvernement indien a utilisé cette attention accordée au terrorisme pour se prononcer en faveur de pouvoirs de police élargis en matière d'arrestation et de détention - pouvoirs dernièrement utilisés pour exercer une répression contre les opposants politiques, les militants des droits sociaux et les défenseurs des droits humains. Le gouvernement américain a maintenu en détention plus de 1 000 suspects suite aux attaques du 11 septembre mais a entouré ces cas de secret afin d'empêcher de déterminer si les pouvoirs en matière de justice criminelle avaient été correctement utilisés.

Dans l'enceinte des Nations Unies, les gouvernements occidentaux se dépêchent pour faire adopter un traité anti-terroriste qui selon le projet de début décembre, menace de fixer une définition extrêmement large du terrorisme sans garanties adéquates que la lutte contre le terrorisme sera circonscrite par des garanties sur les droits humains. De façon ironique, l'obstacle majeur à l'adoption du traité n'a pas été posé par les Etats défenseurs des droits humains mais par les Etats avançant que des moyens terroristes devraient être autorisés s'ils sont utilisés comme part intégrante d'une guerre de "libération nationale." On risque bel et bien d'aboutir à un traité anti-terroriste renforçant la raison d'être du terrorisme, à savoir que la fin justifie les moyens.

L'HYPOCRISIE NE PEUT ETRE IGNOREE

Cette hypocrisie ne peut être ignorée parce qu'il est profondément plus difficile de promouvoir les valeurs des droits humains si certains des défenseurs les plus visibles et les plus puissants cherchent à s'exempter de ces mêmes normes. Cette règle de l'exception a gagné en vigueur après le 11 septembre alors que les gouvernements cherchaient à justifier des limitations extraordinaires sur les droits au nom du combat contre des menaces extraordinaires. Cependant, à long terme, cette tendance a des effets contraires à ceux espérés. Si la logique du terrorisme, et pas seulement les menaces terroristes immédiates, doit en fin de compte être vaincue, les gouvernements doivent renforcer leur engagement en faveur des normes internationales et non pas se laisser aller à trouver de nouvelles excuses pour les ignorer.

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