Africa - West

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    V. AMBIGUÏTÉS DU "TRAVAIL CIVIL MILITAIRE"

A un moment donné, les autorités burundaises ont décrit le travail des Gardiens de la Paix comme un "travail civil militaire", description parfaitement adaptée à un statut ambigu. En juin 2001, un officier militaire en charge du programme d'autodéfense a insisté sur le caractère autonome de plusieurs programmes, dans différentes régions du pays, déclarant que chaque commandant militaire décidait, localement, comment les groupes paramilitaires allaient travailler dans la zone sur laquelle il avait autorité.18 Cependant, il est clair que tous ces programmes étaient autorisés au niveau national et que les commandants locaux, tout comme les paramilitaires qu'ils commandaient, agissaient en tant qu'agents de l'état.

Recrutement

Le Burundi exige un service militaire des diplômés du second degré qui poursuivent leurs études dans le supérieur, exerçant ainsi son droit à la conscription généralement reconnu par le droit international. Mais les jeunes hommes recrutés pour servir comme Gardiens de la Paix ne rentraient pas dans la catégorie couverte par le droit. Ces unités paramilitaires n'étaient pas non plus considérées comme faisant partie des forces armées burundaises. Dans la plupart des cas, les autorités administratives locales, agissant sous ordre des commandants militaires, désignaient simplement ceux qui devaient servir.19 Certains ont rejoint le programme volontairement afin de protéger leurs maisons, de se venger d'attaques rebelles antérieures ou parce qu'ils espéraient utiliser leur position à des fins personnelles. Mais un nombre substantiel, peut-être la majorité de ces jeunes hommes, a accepté de servir simplement parce qu'ils se sentaient contraints de le faire. L'un de ces jeunes recrutés par la contrainte a déclaré :

Quand les gardiens ont commencé, j'ai d'abord refusé d'avoir quoi que ce soit à faire avec eux mais ceux qui refusent sont considérés comme des soutiens à la rébellion. Alors j'ai décidé de faire ça plutôt que de subir les conséquences.20

"Je me suis senti obligé de rejoindre les gardiens", a déclaré une autre recrue, "parce qu'en refusant, j'aurais été pris pour un complice des rebelles."21 D'autres ont rejoint les gardiens parce qu'ils avaient peur de châtiments tels qu'amendes ou emprisonnement s'ils refusaient.

Alors que l'activité rebelle augmentait début 1997, les autorités ont forcé des centaines de milliers de résidents ruraux à se rendre dans des camps de regroupement. La concentration des gens dans ces sites a rendu le recrutement des Gardiens de la Paix plus aisé. Un témoin a ainsi donné la description suivante :

Le gouverneur a ordonné que les jeunes hommes qui n'étaient pas à l'école deviennent des Gardiens de la Paix. Il a fait un discours à ce sujet sur le site, puis les chefs de zone ont organisé les choses localement. Ils ont distribué des papiers pour écrire le nom des recrues. Ils ont dit que ceux qui étaient contre ce programme seraient punis.22

Selon ce témoin, les recrues les plus jeunes étaient des enfants de dix ans alors que les recrues les plus âgées étaient des hommes mariés qui avaient trois enfants au plus. Les autorités administratives ont veillé à ce que toutes les recrues possibles soient incorporées, même si occasionnellement, ils ont excusé ceux qui disposaient de suffisamment de moyens ou d'influence personnelle pour arranger une exemption.23

La vaste majorité des participants était des Hutu. A Gatete, l'une des six zones de la commune de Rumonge, par exemple, seul un des 540 Gardiens de la Paix aurait soit disant été tutsi.24 Dans la province de Makamba où les Tutsi et les Hutu vivent ensemble dans des camps pour personnes déplacées, un nombre un peu plus élevé de Tutsi a servi dans les gardiens.25

Les autorités cherchaient en particulier à recruter ceux qui avaient été des rebelles par le passé, à la fois parce qu'ils avaient déjà une expérience militaire et aussi parce qu'ils pouvaient fournir des informations précieuses sur les mouvements rebelles. Selon les participants, le nombre d'anciens rebelles servant maintenant parmi les Gardiens de la Paix varie entre 10 pour cent dans certaines régions et plus de 75 pour cent dans d'autres.26 Un ancien combattant FDD a affirmé qu'il avait été recruté pour servir dans les gardiens après avoir passé sept mois comme prisonnier, travaillant dans un camp militaire à Rutana. En acceptant, il a pu rentrer dans sa famille et sa commune.27 Une personnalité officielle du gouvernement a admis qu'elle connaissait des officiers militaires qui avaient forcé d'anciens rebelles à rejoindre les gardiens contre leur gré et qui avaient torturé jusqu'à la mort, ceux qui refusaient de fournir des informations sur la rébellion.28

Recrutement et utilisation des enfants comme Gardiens de la Paix

Le Burundi est un état partie au Protocole II des Conventions de Genève qui interdit le recrutement des enfants de moins de quinze ans pour un service militaire et qui exige que toutes les mesures possibles soient prises pour s'assurer que les enfants de moins de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités. Le Burundi a également ratifié la Convention sur les Droits de l'Enfant qui comporte des interdictions similaires.29 Cependant, des autorités civiles et militaires ont recruté et entraîné de nombreux enfants de moins de quinze ans comme Gardiens de la Paix. Un observateur bien informé a estimé qu'entre 750 et 900 enfants âgés de sept à douze ans ont été recrutés et formés, en un an, à Bururi. Les enquêteurs de Human Rights Watch ont pu obtenir le nom du plus jeune de ces enfants ainsi que d'autres informations concernant son identité. Il était bien connu de tous que cet enfant avait commencé son service militaire à l'âge de sept ans. Ces jeunes enfants ont beaucoup souffert des rigueurs de l'entraînement militaire. Un témoin a raconté que les plus jeunes pleuraient parfois, en particulier lorsque les soldats les battaient parce qu'ils ne réussissaient pas à faire correctement ce que l'on attendait d'eux. Les efforts de recrutement les plus récents ont apparemment épargné les très jeunes enfants mais le recrutement de ceux de quatorze ans et plus continue.30

Les parents étaient souvent réticents à laisser leurs fils rejoindre les forces paramilitaires mais beaucoup craignaient des sanctions s'ils refusaient. Le père d'un jeune de seize ans a raconté qu'il avait accepté d'envoyer son fils chez les gardiens afin d'éviter une amende ou un emprisonnement. L'enfant qui venait juste de terminer sa sixième année d'enseignement primaire a reçu une formation au maniement des armes à feu pendant deux jours, dans le stade de foot proche de son école. Un mois plus tard, il était tué au combat.31 Beaucoup d'autres enfants, certainement plusieurs centaines, sont morts au combat entre 1997 et 2001.

Formation

Certaines des premières recrues dans la province de Bururi ont été soumises à deux semaines intensives de formation, au camp militaire de Bururi où les instructeurs étaient des officiers ou des soldats de l'armée burundaise. Le commandant Ntungumburane aurait été en charge de la formation avec le commandant Kibati qui dirigeait le camp. Le colonel en charge de la cinquième région militaire aurait assisté à l'une au moins des sessions de formation. Les recrues ont appris des man_uvres et exercices militaires, ils ont reçu un enseignement en éducation civique et sur les lois de la guerre. Ils ont appris à tirer et ils se sont familiarisés avec plus d'une douzaine d'armes à feu, apprenant à assembler et désassembler un certain nombre d'entre elles, les yeux fermés. Ils ont été soumis à des conditions très dures, dormant à même le sol, sans drap et mangeant un maigre repas seulement par jour. Les hommes recrutés participaient à des exercices fatigants pendant plusieurs heures par jour et étaient battues par des soldats usant de bâtons s'ils n'exécutaient pas leurs tâches correctement ou tombaient au sol d'épuisement. Dans un programme de formation, trois jeunes recrues - l'une âgée d'environ douze ans, l'autre d'environ quinze ans et la dernière d'environ dix-sept ans - sont mortes des suites des coups et de l'épuisement.

D'autres recrues ont reçu une forme beaucoup plus sommaire de formation. L'un des participants de Rumonge, par exemple, a déclaré qu'il avait été formé pendant trois demi-journées seulement, dans le terrain de foot près du bureau local de zone. Son groupe a seulement appris comment armer les kalachnikovs, faire feu et ce fut tout.32 Un participant ayant rejoint les Gardiens de la Paix dans les premiers mois a exprimé son inquiétude sur l'ensemble du programme ainsi que sur le caractère limité de la formation :

Parce que beaucoup parmi nous sont pauvres, armés, désespérés, il y a un risque réel qu'on tombe dans la politique. Certains pourraient être tentés avec l'argent de faire des choses terribles comme dans le passé, au Burundi. C'est vraiment un problème parce que beaucoup parmi nous n'ont pas reçu d'enseignement ou très peu et risquent d'être facilement manipulés. On n'avait pas de formation idéologique et on n'a rien appris sur les lois de la guerre. On nous a juste montré comment utiliser un fusil et on nous a mis au travail.33

18 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 14 juin 2001.

19 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Mutambu, 16 juin 2000 ; Bujumbura, 28 août, 4 et 17 octobre, 11 décembre 2000.

20 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bururi, 18 août 2000.

21 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bururi, 18 août 2000.

22 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001.

23 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bururi, 18 août 2000.

24 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 10 juin et 4 octobre 2000 et Bururi, 18 août 2000.

25 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 13 septembre 2001.

26 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bururi, 18 août 2000 et Bujumbura, 28 août et 17 octobre 2000 et juin-juillet 2001.

27 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 13 septembre 2001.

28 Human Rights Watch, "Vider les Collines: Camps de Regroupment au Burundi", rapport de Human Rights Watch (Human Rights Watch Short Report), vol. 12, no. 4(A), juillet 2000, p. 15.

29 Article 4(3) (c-d), Protocole II des Conventions de Genève qui s'applique à toutes les forces dans un conflit armé non-international ; Article 38 (2), La Convention relative aux Droits de l'Enfant, Résolution 44/25 de l'Assemblée Générale en date du 20 novembre 1989, 44 U.N. GAOR Supp. (No.49) à 167, U.N. Doc. A/44/49 (1989), entré en vigueur le 2 septembre 1990.

30 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bururi, août 2000 ; Bujumbura, 18 octobre 2000, juillet 2001.

31 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bururi, août 2000.

32 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 28 août et Bururi, 18 août 2000.

33 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bururi, 18 août 2000.

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