Skip to main content

La situation des droits humains reste déplorable en Tunisie, où la vie politique est dominée par le Président Zine-al-Abidine Ben Ali et le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD).

Le gouvernement utilise régulièrement la menace du terrorisme et de l'extrémisme religieux comme prétexte pour réprimer toute contestation pacifique, tandis que les agents de sécurité de l'État ont recours à la surveillance, la détention arbitraire et l'agression physique pour intimider et persécuter ceux que le gouvernement considère comme des « menaces ». Les journalistes indépendants, les défenseurs des droits humains et les militants syndicaux s'exposent à des poursuites fondées sur des chefs d'accusations forgés de toutes pièces.

Les militants des droits humains ont souvent recours à Internet pour diffuser et accéder à l'information, puisque les autorités leur refusent l'espace physique pour le faire. Cependant, la Tunisie mène une politique agressive de blocage de l'accès aux sites contenant des informations critiques sur les droits humains et la politique, et semble impliquée, directement ou indirectement, dans le sabotage des comptes de messagerie de personnes connues pour leur engagement en faveur des droits humains ou dans l'opposition politique.

Criminalisation des contacts entre Tunisiens et entités étrangères

La Chambre des députés- la chambre basse du Parlement tunisien- a amendé le 15 juin l'article 61bis du code pénal en introduisant des sanctions pour les personnes qui « établissent, de manière directe ou indirecte, des contacts avec des agents d'un État étranger, d'une institution ou d'une organisation étrangère dans le but de les inciter à porter atteinte aux intérêts vitaux de la Tunisie et à sa sécurité économique ». Cet amendement pourrait menacer les personnes qui fournissent des informations sur les droits humains en Tunisie aux gouvernements étrangers et aux organisations multilatérales, parmi lesquelles l'Union européenne et les Nations Unies.

Le ministre de la Justice et des Droits de l'Homme, Lazhar Bououni, a déclaré devant le Parlement le 15 juin que « nuire aux intérêts vitaux de la Tunisie » inclut le fait d' « inciter des parties étrangères à ne pas accorder des crédits à la Tunisie, à ne pas investir dans le pays, à boycotter le tourisme ou à saboter les efforts de la Tunisie visant à obtenir le statut de partenaire avancé avec l'Union européenne ». Le Parlement a approuvé cette disposition le 15 juin, après que des défenseurs tunisiens des droits humains ont participé à une réunion avec des représentants de l'UE en avril à Madrid, dans le cadre des négociations entre l'Union et la Tunisie sur l'accession du pays au statut de partenaire avancé.

Défenseurs des droits humains

Les autorités ont refusé de reconnaître légalement toutes les organisations des droits humains réellement indépendantes qui en ont fait la demande au cours de la dernière décennie. Par la suite, les autorités utilisent le statut « illégal » des organisations pour entraver leurs activités.

Les défenseurs des droits humains et les dissidents font l'objet d'une surveillance pesante, d'interdictions de voyager arbitraires, de licenciements, d'interruptions des services téléphoniques, d'agressions physiques, de harcèlement à l'encontre de leurs proches, d'actes suspects de vandalisme et de vol et de campagnes de diffamation dans la presse. Les membres d'organisations de défense des droits humains non reconnues, comme l'Association Internationale de Soutien aux Prisonniers Politiques (AISPP) et l'Association de Lutte contre la Torture en Tunisie (ALTT), sont régulièrement la cible de harcèlement par les forces de sécurité. Des agents de police en civil harcèlent les avocats qui sont membres de ces organisations et qui prennent en charge des affaires politiquement sensibles. Radhia Nasraoui, avocate et porte-parole de l'ALTT, a déclaré que la police interroge régulièrement ses clients sur les sujets dont ils ont discuté avec elle de façon confidentielle, ce qui fait fuir les clients potentiels.

Les autorités pénitentiaires ont empêché Samir Ben Amor, avocat et secrétaire général de l'AISPP, de rendre visite à ses clients en prison d'août 2009 à mars 2010, bien que ces visites aient été autorisées par la Cour.

Liberté des médias

Les médias de la presse écrite et audiovisuelle nationale n'offrent aucune couverture critique des politiques gouvernementales, à l'exception de quelques magazines à faible tirage - comme l'hebdomadaire d'opposition al-Mawkif - qui font l'objet de saisies occasionnelles. Des chaînes de radio et de télévision privées existent en Tunisie mais aucune n'a de ligne éditoriale indépendante. Le gouvernement bloque l'accès à certains sites Internet nationaux et internationaux traitant de sujets politiques ou relatifs aux droits humains et publiant des articles critiques à l'égard de la Tunisie.

Le 6 juillet 2010, la Cour d'appel de Gafsa a condamné à quatre ans de prison le journaliste Fahem Boukadous à l'issu d'un procès inéquitable, pour « appartenance à une association criminelle susceptible de porter atteinte aux personnes et à leurs biens » et « diffusion d'information de nature à troubler l'ordre public ». Les poursuites contre lui étaient apparemment motivées par son reportage de 2008 pour El-Hiwar el Tounsi, une chaîne de télévision par satellite basée en Italie, sur des manifestations et troubles sociaux dans la région minière de Gafsa, qui ont conduit à la mise en accusation de près de 200 personnes, dont beaucoup ont affirmé par la suite avoir subi des actes de torture et des mauvais traitements lors de leur détention. Au cours de l'audience du 6 juillet, le président de la Cour a refusé d'ouvrir une enquête sur les accusations de torture portées par Boukadous et a empêché les avocats de la défense de présenter leurs arguments à la Cour. La police a encerclé le tribunal et a empêché de nombreux journalistes et observateurs locaux d'y accéder. La femme de Boukadous a déclaré qu'il n'avait pas reçu de soins médicaux adaptés en prison pour son asthme et ses problèmes respiratoires.

Le 27 avril, les autorités ont permis la sortie de prison du journaliste dissident Taoufik Ben Brik, après qu'il a purgé une peine de six mois d'emprisonnement pour agression sur une femme. Ben Brik a été condamné par le Tribunal de première instance de Tunis, à l'issue d'un procès inéquitable au cours duquel il a été reconnu coupable sur la seule base du témoignage de la prétendue victime et d'aveux qu'il affirme inventés de toutes pièces. Ce procès s'inscrit dans un schéma récurrent de poursuites judiciaires engagées à l'encontre des journalistes qui critiquent le gouvernement, sur la base de chefs d'accusation douteux.

Mesures antiterroristes et droits humains

Depuis 1991, la Tunisie a fait l'objet d'une seule attaque terroriste meurtrière : en avril 2002, un camion piégé a pris pour cible une synagogue sur l'île de Djerba, acte qui a été revendiqué par Al-Qaïda. Les forces de sécurité ont également affronté des militants armés en décembre 2006 et janvier 2007, aux alentours de la capitale.

La Loi de 2003 relative au soutien des « efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d'argent » donne une définition vague du terrorisme que le Comité des droits de l'homme de l'ONU a critiquée le 28 mars 2008, pour son « manque de précision ». Les autorités ont condamné plusieurs centaines d'hommes, ainsi que quelques mineurs, en vertu de cette loi. Presque toutes les personnes condamnées et emprisonnées étaient accusées de se préparer à rallier des groupes djihadistes à l'étranger ou d'inciter d'autres personnes à le faire et non d'avoir projeté ou commis des actes spécifiques de violence. En juillet 2009, le Parlement tunisien a adopté un amendement réduisant la définition par la loi d'un acte terroriste en limitant la mesure dans laquelle « l'incitation à la haine » répondrait à la définition.

En janvier 2010, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour la promotion et la protection des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Martin Scheinin, a visité la Tunisie et fait cette remarque : « L'expérience la plus troublante que j'ai faite pendant ma mission était de constater de graves incohérences entre la loi et ce qui se passait dans la réalité. » Il a souligné «le recours fréquent aux aveux comme élément de preuve devant les tribunaux, en l'absence d'enquête appropriée sur les allégations de torture ou d'autres mauvais traitements ». Il a également remarqué le très petit nombre de procédures judiciaires ou d'autres formes de constats explicites concernant la torture, particulièrement disproportionné par rapport aux fréquentes allégations rapportant de tels actes.

Procédures judiciaires contre les militants des syndicats étudiants

Les membres de l'Union Générale des Étudiants de Tunisie (UGET) ont subi des persécutions en raison de leurs activités syndicales. Le 3 février, le Tribunal de première instance de Mahdia a condamné cinq membres de l'UGET à vingt mois de prison pour agression et destruction de biens publics, en dépit de l'absence de preuves convaincantes de leur culpabilité. Les accusations remontent à octobre 2007, quand les étudiants ont organisé un sit-in de deux jours en protestation contre ce qu'ils considéraient comme des expulsions arbitraires de leur université, pour avoir organisé une manifestation. Les étudiants sont restés libres dans l'attente de leur procès en appel, qui a été repoussé à quatre reprises et est prévu pour début janvier 2011 au moment où nous rédigeons ce rapport.

Acteurs internationaux clés

La France est le principal partenaire commercial de la Tunisie et son quatrième investisseur étranger. En avril 2009, la France a conclu un accord de coopération énergétique nucléaire et alloué une enveloppe globale de 80 millions d'euros d'aide à la Tunisie. Bernard Valero, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, a rappelé le 16 juillet 2010 l'attachement de la France à la liberté d'expression et à la liberté de la presse, et a déclaré que la France « suivait la situation de Mr [Fahem] Boukadous, en particulier ses conditions de détention qui doivent lui permettre de suivre son traitement médical. » Cette déclaration constitue une exception, car la France se montre généralement réticente à faire pression publiquement sur la Tunisie pour qu'elle améliore son bilan en matière de droits humains. Le 22 mars 2009, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a reconnu : « Il est vrai qu'il y a des violations des droits humains en Tunisie, des journalistes qui sont harcelés, parfois emprisonnés, et une politique générale de fermeté. » Il a ensuite fait l'éloge des avancées économiques et sociales de la Tunisie, concernant notamment le statut des femmes et les valeurs de laïcité.

L'accord d'association Union européenne-Tunisie continue d'être en vigueur, en dépit du bilan du gouvernement en matière de droits humains. La 8ème session du Conseil d'association Tunisie-Union européenne s'est tenue le 11 mai à Bruxelles, en Belgique. Les deux parties se sont mises d'accord sur l'élaboration d'une feuille de route pour l'accession de la Tunisie au « statut avancé » de partenaire de l'UE.

À l'heure où nous écrivons ce chapitre, le projet 2011 de loi américaine relative aux crédits pour les opérations étrangères affecterait à la Tunisie 15 millions de dollars US en aide au financement des forces étrangères. Pour la première fois, la loi conditionne l'obtention d'un million de dollars sur cette somme globale à la réalisation par le gouvernement tunisien d' « efforts significatifs pour respecter l'équité dans les procédures judiciaires ainsi que le droit de ses citoyens à s'exprimer et s'associer en paix, et pour leur fournir l'accès à Internet. »

Si la Tunisie a autorisé courant 2010 la visite du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la lutte antiterroriste (voir plus haut), à ce jour, elle n'a pas approuvé une demande de visite du Rapporteur spécial sur la torture. Cette demande, qui est en suspens depuis 1998, a été renouvelée en novembre 2009.