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La réaction des auteurs de violations des droits humains

Intensification des attaques contre les militants, organisations et institutions de défense des droits humains

Par Kenneth Roth, Directeur exécutif de Human Rights Watch 

Tout gouvernement est parfois tenté de violer les droits humains. Pour encourager les gouvernements à résister à cette tentation, le mouvement pour les droits humains cherche à accroître le prix à payer pour les violations afin de renverser le rapport coût-bénéfice des actions d'un gouvernement.

La capacité du mouvement pour les droits humains à faire payer aux gouvernements le prix fort pour les violations commises s'est considérablement accrue au cours de ces dernières années. Aujourd'hui, des militants sont capables de révéler des abus presque partout dans le monde, mettant un grand coup de projecteur déshonorant sur leurs responsables, ralliant les gouvernements et les institutions concernés pour user de leur influence au service des victimes et, dans les cas les plus graves, en persuadant les procureurs internationaux de traduire les auteurs de violations en justice. Ce sont des outils efficaces et ils ont gardé leur pouvoir alors même que certains alliés traditionnels vacillaient dans leur soutien aux droits humains. Cette efficacité a fait réagir les auteurs de violations et leur réaction s'est faite particulièrement intense en 2009.

Certains gouvernements auteurs d'abus, travaillant parfois ensemble, d'autres fois en suivant des voies parallèles, sont engagés dans un intense combat contre les militants, les organisations et les institutions de défense des droits humains. Leur but est de réduire au silence les messagers, de faire peser la pression sur d'autres, de réduire le prix à payer pour les violations des droits humains.

Ces attaques pourraient être vues comme un hommage involontaire aux mouvements des droits humains. Si les gouvernements ne sentaient pas la pression, ils ne prendraient pas la peine d'essayer d'étouffer la source de cette pression. Mais le cynisme de leurs motivations n'amenuise pas le danger. Sous divers prétextes, ces gouvernements sont en train d'attaquer les fondements mêmes du mouvement pour les droits humains.

Les techniques varient du subtil au transparent, du raffiné à l'impitoyable. Dans certains cas, des militants des droits humains - qu'ils soient défenseurs, journalistes, avocats, pétitionnaires ou personnes qui recueillent des preuves de violations et les rendent publiques ou encore qui défendent des victimes - ont été harcelés, détenus et parfois tués. Des organisations ont été fermées ou empêchées d'agir. Les outils utilisés vont de la descente de police classique à l'utilisation plus nouvelle de contraintes réglementaires.

Des institutions internationales ont aussi été visées. L'émergence d'un système international de justice - notamment la Cour pénale internationale - a particulièrement concentré le venin des chefs de gouvernement qui ont peur des poursuites pénales. Le but est apparemment de supprimer toute institution capable de poursuivre ceux qui violent les droits humains. Les attaques se fondent sur des argumentations qui rencontrent un certain écho mais qui sont incompatibles avec l'impératif de justice pour les pires des crimes internationaux. De plus, le Conseil des droits de l'homme, l'organe intergouvernemental pour les droits humains le plus important des Nations Unies, est désormais victime d'efforts concertés pour saper son potentiel en imposant des restrictions aux voix indépendantes de tout contrôle gouvernemental.

L'émergence d'un mouvement fort pour les droits humains n'a bien entendu pas signifié la fin des violations des droits humains. La pression extérieure aide parfois à atténuer ou à limiter les violations, mais d'autres fois les gouvernements voient tant d'avantages à violer les droits humains qu'ils sont prêts à en assumer le coût. Cependant, la tendance est à ce qu'un nombre croissant de gouvernements espère avoir sa part du gâteau et en profiter - violer les droits humains sans avoir à en payer le prix. Ils espèrent atteindre ce paradis des auteurs de violations en neutralisant les individus et les institutions qui imposent un coût pour les violations des droits humains.

Les gouvernements, bien sûr, ont longtemps été tentés d'attaquer le porteur de mauvaises nouvelles. Ceci est la longue histoire sordide des défenseurs des droits humains ; censurés, emprisonnés, « disparus » ou tués. Mais aujourd'hui, le mouvement pour les droits humains étant devenu plus fort et plus efficace, les efforts de beaucoup de gouvernements pour réduire au silence le messager sont devenus plus subtils et sophistiqués. Des meurtres sont indéniablement commis. Des poursuites motivées politiquement sont déguisées en poursuites pénales de droit commun. La censure se fait au travers de mesures réglementaires qui semblent neutres. Les flux de capitaux sont bloqués. Comme le rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains l'a noté en août 2009 : « Les moyens et méthodes appliqués dans certains pays pour restreindre les activités des organisations de défense des droits humains sont maintenant largement utilisés dans toutes les régions du monde ».

Les auteurs de ces attaques n'appartiennent pas aux seuls gouvernements autoritaires tels que Cuba ou la Chine. Des démocraties comme le Sri Lanka ont augmenté la pression sur les organisations locales et internationales de défense des droits humains qui avaient fourni des preuves de violations, tout comme des gouvernements qui ont tenu des élections sans pour autant être des exemples en matière de démocratie comme la Russie.

Ces efforts n'ont pas encore réussi à faire diminuer la pression exercée par le mouvement en faveur des droits humains. Beaucoup de défenseurs des droits humains prennent ces attaques pour des compliments indirects et redoublent d'efforts. Mais la campagne pour affaiblir l'activisme en faveur des droits humains n'en est pas moins dangereuse. En mettant un coup de projecteur sur ce phénomène à travers le présent Rapport annuel, Human Rights Watch cherche à révéler les faits et à contribuer à renverser la tendance. Une véritable défense des droits humains dépend de la vitalité du mouvement pour les droits humains aujourd'hui attaqué. Nous appelons les gouvernements qui soutiennent les droits humains à protéger les défenseurs des droits humains en identifiant ces attaques rétrogrades et en les contrant.

Attaques contre les défenseurs des droits humains

Meurtres et autres attaques violentes

Les gouvernements ont longtemps eu recours au meurtre pour réduire au silence ceux qui les critiquaient au nom des droits humains. Mais au lieu d'agir ouvertement, ils tendent aujourd'hui à se cacher derrière les agissements d' « éléments inconnus » dont le crime est ensuite opportunément ignoré par la justice nationale.

Russie

En 2009, la Russie a figuré au premier rang des gouvernements qui ont utilisé le meurtre en représailles contre les défenseurs des droits humains. Plusieurs victimes avaient pour point commun d'avoir dénoncé les détentions arbitraires, la torture et les exécutions sommaires pendant la guerre en République de Tchétchénie par des forces armées qui étaient de facto sous le contrôle du président tchétchène Ramzan Kadyrov. Les autorités russes ont laissé se développer une culture de l'impunité pour les violences qui n'a fait qu'enhardir les auteurs de ces meurtres. Par exemple :

  • En juillet 2009, Natalia Estemirova, chercheuse principale sur la Tchétchénie au sein de l'organisation russe de défense des droits humains Memorial, a été enlevée par des hommes non-identifiés à son domicile de Grozny, la capitale tchétchène, et retrouvée assassinée peu de temps après.
  • En août, les forces de l'ordre ont enlevé Zarema Sadulayeva et son mari Alik Dzhabrailov à leur bureau de Grozny ; ils ont été retrouvés tués par balles le lendemain. Ils travaillaient pour « Save the Generation », une association caritative qui porte assistance aux enfants victimes du conflit en Tchétchénie.
  • En janvier, Umar Israilov, un ancien agent de sécurité de Kadyrov qui avait porté plainte contre lui pour torture devant la Cour européenne des droits humains a été assassiné par un inconnu à Vienne, en Autriche.

En janvier également, l'avocat des droits humains Stanislav Markelov, ainsi qu'une journaliste qui l'accompagnait, Anastasia Baburova, ont été tués à Moscou juste après avoir tenu une conférence de presse. Deux suspects ont été arrêtés et l'un d'eux aurait avoué avoir des motifs personnels à ce meurtre par balles, prétendument lié au travail de Markelov contre les néo-fascistes russes. À l'heure où nous écrivons ces lignes, il est difficile de savoir clairement s'il s'agit bien là du véritable motif du meurtre, Markelov étant aussi l'avocat représentant la famille d'un jeune Tchétchène tué par un colonel russe. Il avait aussi auparavant représenté Anna Politkovskaya, une journaliste spécialisée dans les reportages sur les violences sous Kadyrov. Elle a été tuée à Moscou en 2006 et son meurtre n'a pas encore été élucidé.

Certains défenseurs russes des droits humains ont été victimes de violences liées à leur travail hors du contexte de la Tchétchénie.

  • Le militant anti-corruption Andrei Kulagin, qui travaillait pour l'organisation Spravedlivost (Justice) à Petrozavodsk, au nord-ouest de la Russie, a été retrouvé mort en juillet 2009, deux mois après avoir été porté disparu. À Khimki, tout près de Moscou, Albert Pchelintsev, qui travaille lui aussi à révéler la corruption locale, a été attaqué en juillet par deux hommes qui lui ont tiré dans la bouche pour « le faire taire », selon ses agresseurs.
  • En août, le bureau des Mères du Daghestan pour les droits humains, organisation de mères dont les fils sont présumés avoir été victimes de disparitions forcées, a subi un incendie, après que les noms de certains des membres de l'équipe ont été mentionnés dans un pamphlet appelant au meurtre des défenseurs des droits humains.
  • En juin, Aleksei Sokolov, un défenseur des droits humains d'Ekaterinbourg, dans la région de l'Oural, a été arrêté pour des motifs clairement infondés. Membre d'une organisation d'observation des prisons publiques, il a été passé à tabac par la police qui le narguait en disant : « Vous pensez que vous avez un droit de regard sur nous ? »

Autres pays

  • La Russie n'a pas été la seule à mener des attaques violentes contre les défenseurs des droits humains. Parmi les autres pays où des militants des droits humains ont été assassinés, ont « disparu » ou on été sérieusement attaqués en 2009, l'on compte :
  • Le Kenya, où Oscar Kamau Kingara et John Paul Oulu de l'Oscar Foundation, une organisation d'assistance juridique, ont été assassinés par des agresseurs non identifiés à Nairobi en mars après avoir informé le Rapporteur spécial des Nations Unies, Philip Alston, sur les exécutions sommaires perpétrées par la police.
  • Le Burundi, où Ernest Manirumva, membre de l'organisation anti-corruption OLUCOME, a été assassiné en avril. Le gouvernement a d'abord mis sur pied une commission qui a mené un simulacre d'enquête. Sous la pression, il a installé une commission d'enquête en apparence plus sérieuse au mois d'octobre.
  • Le Sri Lanka, où en mai des hommes armés en uniformes ont enlevé et « fait disparaître » Stephen Suntharaj, du Centre pour les Droits Humains et le Développement. Il n'a pas été vu depuis. Il venait d'être relaxé sur ordre de la Cour Suprême après deux mois de détention policière.
  • L'Afghanistan, où Sitara Achakzai, une défenseure reconnue des droits humains de Kandahar, a été tuée par balles en avril. Elle se plaignait depuis des semaines aux autorités gouvernementales des menaces dont elle faisait l'objet mais rien n'avait été fait pour la protéger ; ce type de plainte est courant parmi les femmes afghanes qui ont une visibilité publique, notamment les journalistes, les femmes politiques et les militantes des droits humains. Les autorités ont fait peu d'efforts, voire aucuns, pour retrouver les assassins d'Achakzai.
  • La Malaisie, où Finardo Cabilao, un attaché à la protection sociale à l'ambassade des Philippines, a été retrouvé matraqué à mort en août. Il semble avoir été visé en raison de son combat contre le trafic d'êtres humains.
  • L'Inde, où des avocats représentant des individus soupçonnés de terrorisme ont été physiquement agressés par d'autres avocats souvent proches des partis militants hindous et menacés par les foules. Le gouvernement n'a pas entrepris d'actions contre les responsables de ces attaques. Par exemple en mars, l'avocat Anjali Wagmare s'est porté volontaire pour représenter bénévolement le seul terroriste survivant des attaques de Bombay en novembre 2008. Une foule de 200 personnes, menée par les leaders locaux du parti extrémiste Shiv Sena a encerclé sa maison de Bombay, jetant des pierres et criant des obscénités. Un juge a ordonné une protection spéciale pour l'avocat mais aucun de ses attaquants n'a encore été poursuivi.
  • L'Ouzbékistan, où trois membres de l'Alliance pour les droits humains d'Ouzbékistan - Elena Urlaeva, Salomat Boimatova et Ilnur Abdulov - ont été arrêtés par des présumés policiers en civil alors qu'ils se rendaient au bureau des Nations Unies à Tachkent en mai 2009 pour rendre un rapport sur les défenseurs des droits humains en Ouzbékistan. Lorsque les membres de l'alliance se sont opposés à une injonction de se rendre au bureau de police, trois officiers ont battu Abdulov et l'ont forcé, ainsi que ses deux collègues, à monter dans une voiture de police. Au poste, ils n'ont été questionnés sur aucun crime en particulier et ont vite été relâchés. Urlaeva a été forcée de signer une déclaration selon laquelle elle ne participerait à aucune activité ayant trait aux droits humains jusqu'au 10 juin 2010, date du Dialogue Union européenne-Ouzbékistan sur les droits humains. Malgré l'intensification de la répression, en octobre, l'UE a levé l'embargo sur les armes qui frappait l'Ouzbékistan, la seule sanction imposée après le massacre d'Andijan en 2005 qui n'avait pas encore été levée.

Sociétés fermées et conditions restreintes pour le militantisme

Certains gouvernements sont si répressifs qu'aucun mouvement national pour les droits humains ne peut exister ouvertement. Personne ne s'y risque. Ces gouvernements empêchent aussi habituellement les visites d'observateurs internationaux. À cet égard, l'Erythrée, la Corée du Nord et le Turkménistan sont à souligner. De petits mouvements des droits humains en difficulté subsistent en Birmanie et en Iran, mais ces pays barrent l'entrée aux organisations internationales. L'Arabie Saoudite ne reconnaît pas la promotion des droits humains non-gouvernementale, ignorant parfois les militants isolés, mais le plus souvent agissant avec fermeté lorsque ces individus courageux trouvent un écho plus large, en particulier dans les médias occidentaux. La Somalie est si dangereuse qu'y observer ouvertement la situation des droits humains est pratiquement impossible : les trois dernières années de conflit brutal ont vu la société civile décimée et de nombreux militants ont été tués ou ont dû fuir le pays.

La Lybie a autorisé les visites internationales mais fait barrage à une observation intérieure indépendante parce que le concept d'une société civile indépendante est en contradiction avec la théorie du leader Mouammar Kadhafi d'un gouvernement par les masses sans intermédiaire. En Syrie toutes les organisations de défense des droits humains demeurent non autorisées, puisque les autorités refusent systématiquement leurs demandes d'enregistrement. L'Organisation nationale pour les droits humains a fait appel devant une cour administrative de la décision du ministre des Affaires sociales et du Travail de refuser d'enregistrer sa demande. Le ministre a répondu en demandant à ce que les membres de l'organisation soient poursuivis.

Certaines sociétés généralement ouvertes empêchent les organisations internationales de défense des droits humains de visiter les sites où ont été commises de graves violations. L'Indonésie a par exemple empêché le Comité International de la Croix Rouge (CICR) et des organisations internationales de défense des droits humains de se rendre en Papouasie. Israël a empêché des défenseurs israéliens et internationaux des droits humains ainsi que des journalistes d'entrer à Gaza pendant le conflit de décembre 2008-janvier 2009 et continue d'en écarter les militants des droits humains (mais il a été possible d'y accéder par l'Égypte depuis la fin du conflit et les défenseurs basés à Gaza ont pu travailler pendant cette période). Le Sri Lanka a bloqué l'accès pour les organisations locales et internationales de défense des droits humains et les journalistes indépendants à la plupart de la région où le conflit armé, qui a culminé en 2009, avait lieu ainsi que l'accès aux personnes déplacées retenues dans des camps.

Nombre de gouvernements bloquent l'accès aux experts indépendants et aux rapporteurs de l'ONU pour les droits humains. Les gouvernements de l'Ouzbékistan, du Turkménistan et du Vietnam continuent de refuser l'accès à plus d'une demi-douzaine de procédures spéciales de l'ONU, y compris celles sur la torture et les défenseurs des droits humains, malgré des demandes anciennes et répétées d'être invitées à se rendre dans ces pays. D'autres gouvernements tels que l'Égypte, l'Érythrée, l'Éthiopie, le Pakistan et l'Arabie Saoudite sont également peu coopératifs. À la fin du mois d'octobre, 2009, le Zimbabwe a empêché le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture d'entrer dans le pays, bien que l'ayant invité et ayant donné son accord sur les dates de la visite. La Russie, quant à elle, a résolument refusé de garantir les conditions demandées pour qu'il mène à bien sa mission.

Certains gouvernements semblent n'avoir aucun scrupule à fermer purement et simplement les organisations de défense des droits humains :

  • Après le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale contre le président Omar el-Béchir en mars 2009, le gouvernement soudanais a fermé trois organisations locales pour la défense des droits humains et a expulsé treize ONG humanitaires internationales qui travaillaient au Darfour.
  • En juillet, le gouvernement chinois a fermé la Open Constitution Initiative, l'organisation d'assistance juridique la plus importante du pays, qui a travaillé sur des questions telles que les causes sous-jacentes des manifestations au Tibet en 2008 et le scandale du lait empoisonné à la mélamine qui a contaminé des centaines de milliers d'enfants.
  • En Azerbaïdjan, après avoir refusé six fois l'enregistrement du Centre d'Observation des Élections, le gouvernement l'a brièvement enregistré en février 2008 avant de le fermer trois mois plus tard sous prétexte que l'organisation avait fourni de fausses informations sur son fondateur et son adresse légale et ouvert des agences régionales sans en avoir informé le gouvernement. En 2009 l'organisation s'est reformée sous un nouveau nom - le Centre pour l'Observation des Élections et les Études sur la Démocratie - et a demandé son enregistrement, mais le ministère de la Justice a refusé en mai et en août de l'enregistrer.

Détention, harcèlement, menaces et autres attaques

D'autres gouvernements harcèlent ouvertement et arrêtent les défenseurs des droits humains :

  • Le gouvernement cubain refuse de reconnaître la légitimité de toute organisation indépendante de défense des droits humains. Les défenseurs locaux sont l'objet d'un harcèlement permanent, menacés de violences physiques et d'emprisonnement s'ils n'abandonnent pas leur travail et jugés selon des lois très larges qui criminalisent toute forme de contestation. Des douzaines de défenseurs des droits humains sont actuellement emprisonnés à Cuba, y compris plusieurs ayant été jugés selon une loi sur la « dangerosité » qui n'est pas sans rappeler les œuvres de George Orwell et qui permet aux individus d'être jugés non pas parce qu'ils ont commis un crime, mais pour les empêcher d'en commettre un à l'avenir.
  • Le gouvernement vietnamien bannit toute organisation des droits humains indépendante, qu'il considère comme faisant partie de complots visant à ébranler le Parti Communiste Vietnamien à travers une « évolution pacifique ». Les défenseurs des droits humains sont souvent emprisonnés pour des atteintes à la sécurité nationale telles qu' « avoir abusé des libertés démocratiques » que sont la liberté d'expression, de rassemblement et d'association afin de « nuire aux intérêts de l'État ». Les avocats qui défendent les militants vietnamiens des droits humains font aussi l'objet de menaces, de harcèlement, sont radiés du Barreau, sont victimes de violences physiques et sont arrêtés. En juin 2009 par exemple, la police a arrêté l'avocat Le Cong Dinh et l'a accusé d'utiliser le fait qu'il représentait des militants de la démocratie et de la liberté religieuse pour « faire de la propagande contre le régime et dénaturer la Constitution et les lois du Vietnam ». L'avocat Bui Kim Than a été enfermé de force dans un hôpital psychiatrique en 2008 pour avoir défendu des paysans demandant réparation pour la confiscation de leurs terres.
  • En Iran, les forces de sécurité ont saccagé les bureaux du Prix Nobel de la Paix Shirin Ebadi en décembre 2008, confisqué les fichiers et les ordinateurs et ont arrêté certains membres de son équipe en amont d'un événement organisé pour célébrer le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. En novembre 2009, les autorités ont confisqué la médaille de Shirin Ebadi symbole du prix Nobel, et ont ouvert une procédure de redressement fiscal sur le volet financier du prix. Des avocats des droits humains ont été arrêtés pour les empêcher de défendre les cas de militants réformistes suite à l'élection présidentielle iranienne contestée de juin 2009.
  • En Arabie Saoudite, la police secrète a arrêté les militants des droits humains Muhammad al-‘Utaibi et Khalid al-‘Umair alors qu'ils avaient prévu de se rendre à un rassemblement de solidarité pacifique à Gaza. Les forces de sécurité les ont gardés en détention préventive au delà de la limite de six mois prévue par la loi saoudienne et ce malgré le fait que le procureur avait décidé de ne pas les poursuivre. En novembre 2009, lorsque les autorités ont suspecté al-‘Umair d'informer des amis militants des droits humains, via un téléphone portable qu'il détenait illégalement, sur les conditions de détention à la prison de al-Ha'ir, notamment  sur les gardiens qui frappaient les prisonniers et les prisonniers qui mouraient par manque de soins, il a été transféré à l'isolement.
  • En octobre 2009, le service de sécurité nationale syrien a mis en détention Haytham al-Maleh, un éminent défenseur des droits humains âgé de 78 ans, après son apparition sur une chaine de télévision d'opposition au cours de laquelle il a critiqué la répression actuelle contre la liberté d'expression en Syrie. En novembre, un juge militaire l'a accusé de « répandre des informations fausses ou exagérées susceptibles d'affaiblir le sentiment national ». Son procès est en cours.
  • Au Cambodge, plus de soixante militants d'une communauté rurale ont été emprisonnés ou attendaient leur procès en 2009, accusés - souvent de manière infondée - d'avoir aidé à coordonner ou représenté des membres de la communauté menacés d'expulsion, de confiscation de leurs terres par des compagnies privées liées à des personnes haut-placées au gouvernement ou dans l'armée.
  • Le Yémen reste tristement célèbre pour ses disparitions forcées, notamment celle de Muhammad al-Maqalih, journaliste sur Eshtiraki.net, le site internet du Parti Socialiste Yéménite, un parti de l'opposition. Un groupe d'hommes a enlevé Maqalih en septembre 2009 dans la capitale Sanaa, peu après qu'il eut critiqué la campagne de bombardements menée par le gouvernement contre les rebelles du nord. Selon ses collègues, des témoins l'ont aperçu à la prison de l'Organisation de la Sécurité Politique puis à la prison du ministère de la Défense et, en novembre, dans une prison d'Aden.

Certains gouvernements ont recours à des menaces de violence, explicites ou codées, pour dissuader ou punir les défenseurs des droits humains. Par exemple :

  • En Colombie, le président Álvaro Uribe et les hauts-fonctionnaires du gouvernement ont porté des accusations infondées liant des défenseurs des droits humains, des journalistes et des syndicalistes à la guérilla des FARC. Dans le contexte d'une longue histoire de groupes armés assassinant des défenseurs des droits humains à cause de leur travail, de telles accusations peuvent être extrêmement dangereuses. Le service de renseignement colombien, qui rend compte directement à Uribe, a également surveillé de près des organisations de défense des droits humains par le biais d'écoutes illégales, interceptions d'emails et filatures.
  • Le gouvernement de la République démocratique du Congo a accusé des employés d'organisations de défense des droits humains d'être des « terroristes humanitaires » - augmentant ainsi considérablement le danger qu'ils courent déjà en travaillant dans la zone de guerre de l'est du Congo.
  • Nombre de militants sri lankais ont fui le pays à cause des menaces et du harcèlement. En août 2009, le Dr Paikiasothy Saravanamuttu, directeur exécutif du Centre pour des Alternatives à la Police, un « think-tank » sri lankais souvent critique à l'égard du gouvernement, a reçu une menace de mort par lettre anonyme, lui reprochant la possible perte des privilèges commerciaux du Sri Lanka avec l'UE à cause de son médiocre bilan en termes de droits humains. Deux semaines plus tard, la police l'a brièvement emprisonné et interrogé à l'aéroport à son retour au Sri Lanka après un séjour à l'étranger.
  • Au Nicaragua, des défenseurs des droits des femmes qui faisaient campagne contre une interdiction totale de l'avortement décrétée en 2006 ont vu leurs travaux faire l'objet d'enquêtes officielles, ont reçu des appels de menace et ont été victimes d‘actes de vandalisme commis par des inconnus.

Malgré une large reconnaissance des droits à la reproduction et des droits à la sexualité dans le Droit international, ces droits restent attaqués socialement et politiquement dans beaucoup de pays. La discrimination et l'extrême violence allant parfois jusqu'au meurtre se poursuivent contre ceux qui revendiquent ces droits. Des avocats participant à la lutte contre le VIH/SIDA, ceux qui promeuvent l'accès des femmes à l'avortement en toute sécurité et en toute légalité, ou les ONG qui promeuvent les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels sont fréquemment attaqués en raison des controverses sociales et politiques autour de ces questions. En Ouganda par exemple, une proposition de loi « anti-homosexualité » vise à criminaliser la « promotion » de l'homosexualité, sous peine de poursuites au pénal et de dissolution de l'ONG qui enfreindrait cette loi.

Règlements restrictifs

Les méthodes décrites ci-dessus visant à réduire au silence les mouvements de défense des droits humains sont peu subtiles. Mais le fait qu'elles soient employées au vu et au su de tous fait qu'elles peuvent directement porter préjudice à la réputation et aux relations internationales des gouvernements qui y ont recours. Par conséquent, ces gouvernements tendent à utiliser des techniques moins visibles. Une méthode qui pourrait être classée dans cette catégorie est celle de l'adoption de lois et de règlements à caractère intrusif - destinés non pas à fournir un cadre pour faciliter la création et le travail des ONG mais au contraire à les contrôler et à les museler. En 2006, le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits humains a noté que « certains États ont adopté des lois nationales reflétant les obligations internationales contenues dans la Déclaration [sur les Défenseurs des droits humains], mais la tendance générale a été pour les États d'adopter de nouvelles lois restreignant l'espace pour les activités en faveur des droits humains ». Les gouvernements qui adoptent cette approche essaient de prétendre qu'il s'agit ni plus ni moins que d'une surveillance ordinaire d'un secteur important, mais le véritable but et l'effet de ces mesures sont d'empêcher les organisations d'évaluer les gouvernements à l'aune des normes internationales en matière de droits humains.

La Russie a durci cette approche réglementaire lors de l'adoption en 2006 d'une loi controversée régissant les activités des ONG. Les autorités utilisent aussi les lois sur l'impôt, la sécurité contre l'incendie et le piratage de logiciels dans le même but. Ces lois n'ont pas eu un impact significatif sur les ONG travaillant dans un secteur non-controversé, mais les organisations de défense des droits humains se sont vu imposer des règlements très lourds, une surveillance rapprochée, des audits et des inspections imposés sélectivement et sont menacées de fermeture si elles refusent de s'y soumettre. Au mieux, ces organisations doivent perdre leur temps à répondre à des inspecteurs du gouvernement plutôt que de continuer leur travail ; selon une étude, l'enregistrement pour les ONG est devenu 40 % plus cher que pour les entreprises commerciales. Au pire, ces organisations sont l'objet de liquidation ou de suspension pour des infractions mineures d'ordre technique, ou bien elles sont empêchées de faire leur travail à cause des demandes d'inspection. En 2009, les tribunaux ont invoqué des infractions techniques pour ordonner la liquidation de deux bureaux régionaux de « For Human Rights Movement ». Agora, une association régionale de défense des droits humains, a été empêchée de faire son travail depuis juillet à cause d'une série d'inspections relevant du harcèlement.

La nouvelle loi éthiopienne sur les organisations de la société civile, adoptée en janvier 2009, a eu un effet encore plus dévastateur. Elle a pour l'essentiel mis fin à toute forme de contrôle du respect des droits humains par des observateurs nationaux. La loi fait barrage aux « organisations étrangères », c'est-à-dire toute organisation qui reçoit plus de 10 % de ses financements de l'étranger pour mener toute activité liée aux questions de droits humains, de droits des femmes, de droits des enfants ou de bonne gouvernance. Le manque de donateurs nationaux signifie que les ONG doivent maintenant éviter ces sujets sensibles. Le gouvernement éthiopien justifie cette loi en signalant que de nombreux gouvernements, notamment celui des Etats-Unis, interdisent les dons aux candidats aux élections provenant de l'étranger ; cependant, une campagne politique est très différente du travail que peut effectuer une organisation de la société civile en vertu de ses droits à la liberté d'expression, d'association et d'assemblée pacifique. Le gouvernement éthiopien précise également qu'il autorise les capitaux étrangers pour les projets de développement (source majeure de revenus pour le gouvernement), mais le meilleur moyen de s'assurer que les projets de développement répondent bien aux besoins des populations est justement d'autoriser le genre d'observation indépendante que la loi sur la société civile interdit. Son effet restrictif est aggravé par une nouvelle loi anti-terroriste qui peut être utilisée pour criminaliser toute manifestation ou expression publique pacifique sous une large définition de « promotion du terrorisme ».

Alors qu'elle avait été initialement adoptée pour empêcher les partis politiques, les politiciens et les candidats aux élections d'accepter un soutien financier étranger afin de s'assurer que les élections indiennes ne seraient pas biaisées par des intérêts étrangers, la loi indienne « Foreign Contribution (Regulation) Act » a au contraire été utilisée pour harceler les organisations critiques à l'égard de la politique et des pratiques du gouvernement et les empêcher de se financer. Des amendements à cette loi ont été proposés, mais ils visent à affaiblir encore le droit des ONG de chercher et de recevoir du soutien financier pour toute activité jugée pouvoir porter préjudice à l' « intérêt national ».

En Israël, le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a utilisé le pouvoir lié à sa fonction plutôt que la loi pour attaquer la source de financements d'une organisation clé de défense des droits humains. En août, il a publiquement appelé les gouvernements européens à cesser de financer l'organisation de vétérans israéliens « Breaking the Silence », peu après que cette organisation eut publié un rapport hautement critique sur la conduite des forces de défense israéliennes à Gaza. Le rapport incluait les témoignages de 26 soldats ayant participé aux opérations militaires de Gaza. Un haut fonctionnaire du bureau de M. Netanyahou a témoigné publiquement : « Nous allons consacrer du temps et des forces à combattre ces organisations ; nous n'allons pas rester assis comme des canards dans une mare en attendant que les organisations de défense des droits humains nous tirent dessus impunément ».

Parmi les autres gouvernements ayant adopté des lois restrictives contre les ONG et les associations, l'on peut citer :

  • L'Égypte, où la loi qui régit les associations prévoit des sanctions pénales qui étouffent les activités légales des ONG, y compris pour « l'engagement dans des activités politiques ou syndicales », et autorise la dissolution des ONG par ordre administratif. L'Egypte met également en œuvre des pratiques administratives intrusives qui empêchent le développement naturel de la société civile et autorise largement l'ingérence politique ou bureaucratique. Les services de sécurité se sont fait une routine d'analyser et de rejeter les demandes d'enregistrement d‘ONG et passent au crible leurs dirigeants, leurs activités et leurs sources de financement.
  • La Jordanie, où une loi de 2009 permet au gouvernement de changer la direction d'une ONG et de la remplacer par des fonctionnaires d'État. La loi oblige maintenant les ONG à demander une approbation officielle pour toute donation étrangère.
  • L'Ouganda où, depuis 2007, une loi oblige les ONG à informer les autorités sept jours à l'avance de toute intention de « prendre contact directement avec le peuple dans toute zone rurale de l'Ouganda ».
  • Le Turkménistan, qui ne fait même pas semblant de respecter l'indépendance des ONG. Selon la loi turkmène, les ONG doivent s'assurer du soutien d'une agence gouvernementale pour être enregistrées. Elles doivent également autoriser des représentants du gouvernement à assister à toutes les réunions et enregistrer chaque don auprès du ministère de la Justice.
  • La Libye, où la loi sur les associations exige qu'un organisme politique valide toutes les ONG et autorise toute ingérence gouvernementale dans leur gestion à tout moment. Toute organisation soupçonnée de s'opposer à l'idéologie de la révolution libyenne de 1969 est mise hors-la-loi ; ce crime peut même être passible de la peine capitale.

Cette approche réglementaire visant à restreindre les possibilités de surveillance du respect des droits humains a fait preuve d'une telle efficacité que nombre de gouvernements - et pas uniquement les gouvernements traditionnellement répressifs - ont proposé des lois similaires. Parmi les pays où des projets de loi sont en cours de discussion, l'on trouve :

  • Le Venezuela, où un projet déposé devant l'Assemblée nationale depuis 2006 propose que les ONG bénéficiaires d'aide étrangère soient soumises à une obligation d'enregistrement aux conditions encore floues et tenues de répondre à des questions intrusives du gouvernement sur leurs activités, leur financement et leurs dépenses.
  • Le Pérou, où une commission d'enquête parlementaire a pris des mesures pour réinstaurer une loi autorisant une agence gouvernementale à superviser les ONG, bien que le Conseil Constitutionnel du Pérou ait rejeté la loi.
  • Le Cambodge, où le Premier ministre Hun Sen a déclaré en novembre 2009 qu'une loi destinée aux ONG allait bientôt passer pour éliminer les « mauvaises ONG » qui « parlent trop fort », qui sont utilisées comme façade pour les activités politiques ou terroristes ou reçoivent des fonds de l'étranger pour s'opposer au gouvernement cambodgien. Un projet de loi est attendu devant l'Assemblée nationale prochainement, même si les organisations de la société civile n'ont pas eu le droit de voir ni de commenter le projet.
  • Le Rwanda, où le gouvernement a proposé de resserrer des conditions requises déjà intrusives, qui prévoient que les ONG fournissent au gouvernement des informations financières détaillées, les listes de leurs employés et de leurs biens et les rapports annuels d'activité.
  • Le Kirghizistan, où un projet de loi imposerait aux ONG de produire des rapports d'activité très onéreux, les empêcheraient de s'engager dans des activités « politiques » et mettrait sur pied un nouveau régime d'inspections gouvernementales et de mises en garde. Les auditions parlementaires sur le projet ont été reportées suite au tollé suscité aux niveaux local et international.

Avocats radiés du Barreau   

Parce que les avocats jouent souvent un rôle important dans la défense des droits humains, ils sont régulièrement la cible d'attaques spécifiques. La Chine et l'Iran ont tous deux radié de leur Barreau respectif des avocats sur des bases politiques pour les empêcher de représenter des victimes de violations des droits humains.

  • En Chine, le gouvernement a fait taire des avocats militants en refusant le renouvellement de leur licence professionnelle, en faisant pression sur les cabinets qui les emploient et en restreignant le type d'affaires qu'ils ont le droit de suivre. Au cours de la plus importante campagne de représailles jamais enregistrée à ce jour, jusqu'à trente avocats de Pékin ont été radiés du Barreau. Ces avocats avaient tous été impliqués dans des cas médiatisés mettant en cause les autorités locales ou centrales : le scandale du lait contaminé de Sanlu, les accusations de corruption dans la construction des écoles qui se sont effondrées lors du tremblement de terre au Sichuan en 2008, une affaire sur le contrôle par le gouvernement de l'association officielle du Barreau de Pékin et une série d'affaires sur les droits humains allant d'expulsions forcées de propriétaires et de paysans à des poursuites pour motifs politiques de dissidents et de contestataires religieux.
  • En juin 2009, après l'élection présidentielle contestée, le gouvernement iranien a adopté un nouveau règlement qui limite considérablement l'indépendance de l'association du Barreau iranien en donnant au gouvernement le contrôle sur le droit des avocats à exercer. Jusque là, l'association du Barreau, qui a le pouvoir exclusif d'accorder ou de refuser les licences pour exercer, a résisté à la volonté du gouvernement de faire obstacle aux avocats qui défendent les droits humains.
  • En juillet, la sécurité nationale syrienne a emprisonné Muhannad al-Hasani, président de l'Organisation syrienne des droits humains (Swasiah). Un juge d'instruction l'a accusé d' « affaiblir le sentiment national » et de « répandre des informations fausses ou exagérées » sur la base de sa surveillance des procès devant la Cour Suprême de la sécurité nationale. Son procès est en cours. En novembre, l'association du Barreau syrien a décidé de le radier définitivement.

Poursuites pénales

De nombreux gouvernements ont utilisé des accusations forgées de toutes pièces pour réduire au silence les défenseurs des droits humains.

Par exemple :

  • Dans leur tentative de réduire au silence la plus importante organisation indépendante chinoise pour l'assistance juridique, l'Open Constitution Initiative, les autorités de Pékin ont emprisonné son fondateur, Xu Zhiyong, et un autre membre de l'équipe pendant trois semaines en août 2009, les accusant d' « évasion fiscale ». Le motif avancé : ne pas avoir payé d'impôt sur une donation caritative reçue de l'université de Yale. L'organisation a également été déréférencée. Le tollé suscité par cette affaire sur les scènes intérieure et internationale a contribué à faire relaxer Xu Zhiyong mais l'ONG qu'il a fondée est toujours fermée.
  • En novembre, la Chine a inculpé le militant vétéran des droits humains Huang Qi de « recel de secrets d'État » et l'a condamné à trois ans de prison après un procès à huis clos et sans même divulguer publiquement les secrets qu'il était supposé posséder. Huang a été poursuivi après qu'il a enquêté sur le fait qu'une construction soupçonnée de mauvaise qualité aurait contribué à l'effondrement d'écoles dans la zone du tremblement de terre au Sichuan en mai 2008. Le gouvernement a également poursuivi Tan Zuoren, un éditeur littéraire et un militant pour l'environnement ; il avait été jugé à Chengdu en août 2009 pour « subversion » après avoir établi une liste d'enfants morts dans le tremblement de terre du Sichuan.
  • L'Ouzbékistan a également utilisé de façon répétée les poursuites pénales abusives à l'encontre de militants en faveur des droits humains et notamment ceux travaillant sur les droits des paysans. Par exemple, Ganikhon Mamatkhanov, un militant défenseur des droits humains et des droits des paysans qui commente régulièrement la situation des droits humains dans le pays sur Radio Ozodlik, la branche ouzbèke de Radio Free Europe/Radio Liberty, a été condamné en novembre 2009 à cinq ans de prison pour fraude et de corruption. Il avait déjà été emprisonné le mois précédent suite à une tentative évidente de coup monté contre lui : Mamatkhanov a reçu un appel anonyme lui demandant de le retrouver au marché. Lorsqu'il s'y est rendu, un homme aurait commencé à le frapper et aurait fourré quelque chose dans son sac. Mamatkhanov a alors essayé de l'en empêcher, réalisant que c'était un coup monté, et a essayé de se débarrasser de l'objet. Toutefois, il a immédiatement été arrêté par la police, qui lui a confisqué l'objet ; il s'est avéré par la suite qu'il s'agissait de billets de banque pour la somme de 500 000 soms ouzbeks (environ 330 USD). Mamatkhanov a indiqué n'avoir jamais vu son agresseur auparavant.
  • Le Rwanda a utilisé sa loi pénale contre l'« idéologie du génocide » pour réduire au silence des individus critiques à l'égard des politiques actuelles du gouvernement ou ceux qui évoquent les abus passés commis par le Front patriotique rwandais. Il a aussi utilisé ses tribunaux informels Gacaca - une forme de justice populaire dépourvue des garanties de procès équitable - pour accuser faussement de complicité dans le génocide de 1994 ceux qui critiquent le gouvernement. Paradoxalement, ces mesures, prises au nom de la réconciliation nationale, ont nui à la formation de groupes indépendants au sein de la société civile qui auraient pu aider à combler les fossés et apaiser les tensions ethniques.
  • Le gouvernement iranien a arrêté nombre de militants d'ONG et les a condamnés à la prison sur les motifs que leur travail ou leur discours « portaient atteinte » à la « sécurité nationale » ou qu'ils étaient des « agents étrangers ». Des membres d'organisations de défense des droits des Kurdes ont subi des attaques pires encore, avec des condamnations à de longues périodes de détention et pouvant aller jusqu'à la peine de mort, pour leur travail portant sur les violations des droits dont a été victime la communauté kurde. En 2008, le gouvernement a condamné à mort Farzad Kamangar, un membre de l'Organisation pour la défense des droits humains au Kurdistan, prétendant sans preuve qu'il était un membre du Parti des travailleurs kurdes (PKK) interdit. Il a aussi condamné Sadigh Kaboudvand, le dirigeant de l'organisation, à onze ans de prison pour ses activités au sein de l'ONG et prononcé des peines de prison pour douze de ses collègues.

Autre exemple de l'utilisation d'accusations douteuses, Evgeniy Zhovtis, le directeur et fondateur du Bureau International du Kazakhstan pour les droits humains et l'Etat de droit et le défenseur des droits humains le plus reconnu dans le pays, a été condamné en septembre 2009 pour homicide après un accident de la circulation dans lequel un jeune homme a été tué. L'enquête et le procès menant à sa condamnation ont été entachés de graves vices de procédure, ne lui permettant pas  d'exercer son droit à la défense, et ont suscité des inquiétudes quant à l'exploitation politique de cette tragédie humaine.

Les lois pénales contre la diffamation sont également devenues un outil pour faire taire les critiques concernant le respect des droits humains.

  • Au Maroc, en juin, un tribunal a condamné Chekib el-Khayari, président de l'Association pour les droits humains dans le Rif, à trois ans de prison au motif que sa critique de fonctionnaires complices du trafic de drogue avait « gravement offensé » les institutions de l'Etat ; le tribunal l'a aussi condamné pour des infractions mineures.
  • Le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, a porté plainte contre Oleg Orlov, le directeur de l'organisation russe de défense des droits humains Memorial, pour diffamation à son encontre. Orlov avait accusé Kadyrov d'être responsable de l'assassinat de la militante des droits humains Natalia Estemirova. Un tribunal a tranché en faveur de Kadyrov lors du procès civil en octobre, avant la fin de l'enquête sur l'assassinat d'Estemirova. La police enquête sur Orlov pour un autre délit de diffamation.
  • Natasa Kandic, directrice du Centre pour la Loi Humanitaire très critique de l'échec de la Serbie à faire face à son rôle dans les abus commis pendant la guerre des Balkans dans les années 1990, est actuellement l'objet d'une douzaine de plaintes civiles et pénales déposées en 2009 par des officiels serbes. Parmi les plaignants se trouvent de hauts-fonctionnaires du ministère de l'Intérieur et des membres haut-placés de la police ; tous avaient été accusés par Kandic d'avoir participé directement ou indirectement aux crimes de guerre. Le gouvernement serbe n'a pas officiellement réagi à ces affaires.
  • En Indonésie, Usman Hamid, directeur de Kontras, l'une des principales organisations de défense des droits humains du pays, fait l'objet de poursuites pénales en diffamation engagées par Muchdi Purwopranjono, l'ancien commandant des Forces spéciales et directeur adjoint des Renseignements nationaux. Hamid avait critiqué la relaxe de Muchdi suite à un procès complètement faussé pour l'assassinat par empoisonnement à l'arsenic de Munir Said Thalib, le fondateur de Kontras.

Une légère variante dans la même veine : le Sri Lanka a détenu quatre médecins fonctionnaires pendant plusieurs mois sous prétexte qu'ils avaient « répandu de fausses informations » suite à leurs témoignages au sujet des bombardements à l'aveugle d'hôpitaux dans les zones contrôlées par les Tigres tamouls au cours des dernières semaines du conflit armé avec les Tigres.

* * *

Malgré les variations et l'inventivité des efforts des différents gouvernements pour restreindre ou punir les défenseurs des droits humains, les objectifs sont sensiblement les mêmes. Dans le monde d'aujourd'hui, les attaques contre les droits humains ont un prix. L'on pourrait espérer que, pour la plupart des gouvernements, ce prix à payer serait une raison de plus de respecter leurs obligations légales et de faire respecter les droits humains. Mais certains gouvernements, comme décrit précédemment, ne résistent pas à la tentation de chercher à minimiser ce prix à payer en attaquant ou en mettant des bâtons dans les roues des messagers des droits humains. La réussite de cette approche cynique dépend de la vigueur de la réponse de la part des gouvernements qui sont engagés pour la protection des droits humains ; Human Rights Watch espère qu'en mettant un coup de projecteur sur cette tendance inquiétante, nous favoriserons une réponse puissante.

Les attaques contre les institutions des droits humains

La Cour pénale internationale

Les représailles liées à une défense puissante des droits humains n'ont pas uniquement visé les défenseurs des droits humains. La plus grande victoire récente du mouvement pour la défense des droits humains a probablement été sa contribution à la mise en place d'un nouveau système de justice internationale pour les auteurs des pires violations des droits humains, et notamment la création en 2002 de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Avant l'émergence d'un système international de justice, certains gouvernements très abusifs pouvaient raisonnablement calculer qu'ils pouvaient massacrer en masse et s'en tirer en recourant à la violence ou aux menaces pour museler leur justice nationale. La CPI et ses institutions sœurs, comme le Tribunal pour le Rwanda, pour la Sierra Leone et l'ex-Yougoslavie, représentent la possibilité d'une justice hors de portée pour les tyrans ou les dictateurs qui voudraient la voir transiger.

Ces institutions sont encore à l'état rudimentaire et elles n'auront jamais la capacité de poursuivre tous les auteurs présumés de crimes. De plus, avec des disparités de pouvoir solidement enracinées qui déterminent souvent quels auteurs d'abus vont être mis en examen, les officiels de certains pays, ou bien soutenus par eux,  sont moins vulnérables face aux poursuites internationales. Ces défaillances signifient que beaucoup d'atrocités restent impunies. Mais le fait que, parfois, la justice internationale peut palier aux manquements de la justice nationale est une évolution d'une importance capitale. Traduire les auteurs d'abus devant la justice, c'est rendre hommage à leurs victimes. Le fait de menacer de potentiels auteurs de crimes futurs d'être traduits en justice offre la perspective de pouvoir les dissuader de commettre des atrocités et de sauver des vies.

Mais, de même que ces évolutions sont bienvenues aux yeux des victimes et des survivants de ces atrocités, elles sont vues comme une menace par les auteurs de violations des droits humains. Et, de même que les gouvernements criminels ont attaqué les défenseurs des droits humains pour avoir révélé les abus et avoir créé une pression en faveur du changement, ils ont commencé à s'en prendre au système international de justice parce qu'il remet en cause l'impunité dont ils jouissent encore.

Le déclencheur de ce nouvel assaut contre la justice internationale a été la demande formulée par le procureur de la CPI en juillet 2008 qu'un mandat d'arrêt soit lancé contre le président soudanais Omar el-Béchir pour des crimes commis contre la population civile au Darfour par les forces soudanaises et leurs milices alliées. En mars 2009, Omar el-Béchir est devenu le premier chef d'Etat en poste à être poursuivi par la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

L'on aurait aimé que les leaders africains se félicitent de ce dénouement. Après tout, le monde a hésité pendant plus de cinq ans tandis que le peuple du Darfour subissait des massacres de masse et des déplacements forcés. Finalement, quelqu'un entreprenait une action décisive. Malheureusement, certains leaders africains semblaient moins troublés par le massacre d'Africains que par la perspective audacieuse qu'un leader africain en poste puisse réellement être traduit en justice pour ces crimes abominables.

Le paroxysme s'est produit lors du sommet de l'Union africaine (UA) en juillet 2009 à Syrte, en Libye. Sous la pression du leader libyen, Mouammar Kadhafi, et des gouvernements de plusieurs États nord-africains, l'UA a adopté une résolution enjoignant les États africains à ne pas coopérer avec la CPI dans ses efforts d'exécuter le mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir. Certains gouvernements, notamment le Botswana et l'Afrique du Sud, ont par la suite rejeté cette position, mais reste le triste spectacle d'une UA, une institution fondée sur les principes des droits humains et de l'Etat de droit, qui place un homme soupçonné d'avoir commis un massacre de grande ampleur au-dessus de ses victimes.

L'UA a justifié sa position de différentes façons, mais aucune des raisons avancées ne résiste à l'examen. L'une était que le Conseil de sécurité de l'ONU n'avait pas répondu formellement à la demande de l'UA de remettre à plus tard le cas Omar el-Béchir. Mais cette demande était pour le moins controversée, fondée sur l'hypothèse douteuse qu'un chef d'Etat qui avait commandité un massacre à grande échelle au Darfour pourrait soudainement devenir un homme de paix et qu'on pourrait lui donner une seconde chance. Le Conseil de sécurité de l'ONU était divisé sur la réponse à donner et sans l'accord des cinq membres permanents, était incapable de répondre.

Mis à part ce tour de passe-passe procédurier, certains leaders africains ont objecté que la CPI exerçait la justice de façon sélective, puisque les quatre situations sur lesquelles se concentrait la CPI se trouvaient en Afrique (le procureur de la CPI a depuis demandé l'autorisation d'ouvrir une enquête sur une cinquième situation, impliquant le Kenya). En fait, cette attention particulière aurait dû être une raison de se réjouir pour les Africains : pour la première fois un tribunal international s'intéressait à des crimes graves commis sur ce continent. Par ailleurs, les leaders africains n'avaient pas émis d'objections lorsque la Cour avait inculpé plusieurs seigneurs de guerre.

Mais le ton a changé lorsque la CPI a lancé un mandat d'arrêt contre le soudanais el-Béchir en 2008. L'UA, menée par certains des pires autocrates du continent, a commencé à accuser la Cour de cibler les Africains de façon injuste. En réalité ces leaders essayaient cyniquement de protéger l'un des leurs. Ils savaient très bien que, dans trois des quatre endroits, les gouvernements africains eux-mêmes avaient invité la Cour à ouvrir une enquête. Le quatrième - le Darfour - provenait d'un renvoi par le Conseil de sécurité après un vote soutenu fortement par le Bénin et la Tanzanie, les membres africains du Conseil de sécurité à ce moment-là. Même le propre groupe consultatif de l'UA sur le Darfour, établi en 2009 et mené par l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki, a mis en lumière la nécessité de poursuites pour les crimes commis au Darfour. La société civile africaine et les États africains progressistes ont clairement identifié ces tentatives évidentes de perpétuer l'impunité sur le continent et se sont à juste titre concentrés sur les obligations légales de tous les gouvernements à respecter la loi et des membres de la CPI à coopérer avec la Cour.

Nous n'entendons pas par là nier que la portée de la CPI ait pu poser problème. Le procureur a mené les enquêtes préliminaires ailleurs - notamment en Colombie, en Afghanistan, en Géorgie et dans la bande de Gaza - mais il n'a pas encore mené d'enquête formelle hors d'Afrique. Cela semble en partie dû à sa réticence générale à chercher à ouvrir des enquêtes de sa propre initiative (par opposition à des enquêtes fondées sur le renvoi, même si la récente action au Kenya était de son initiative) ou à ouvrir des affaires qui pourraient déboucher sur des questions légales complexes. Une volonté démontrée de poursuivre quiconque se rend responsable d'atrocités à grande échelle améliorerait grandement la légitimité de la CPI aux yeux de tous.

Un autre problème est le manque d'une large ratification de la CPI. Certains des cas les plus évidents pour l'implication de la CPI - Sri Lanka, Irak, Gaza, Tchétchénie - sont rendus difficiles par le fait que les gouvernements responsables n'ont pas ratifié le traité de la CPI. Plutôt que d'attaquer la CPI pour cette défaillance, ceux qui sont intéressés par une compétence plus large de la CPI devraient plutôt promouvoir sa large ratification.

Il y a aussi un problème plus général de politique des « deux poids, deux mesures » et de divergences au sein des plus grandes puissances occidentales. L'enthousiasme des Occidentaux à voir des poursuites pour, disons, des atrocités commises en Guinée, au Kenya et au Darfour, contraste avec leur réticence à presser Israël de traduire en justice devant ses propre tribunaux ceux qui sont responsables des crimes de guerre à Gaza. Cette tendance à protéger des amis auteurs de violations des droits humains ne fait qu'encourager un resserrement des rangs du côté de l'UA.

Mais l'UA a quand même une grande part de responsabilité dans sa solidarité avec Omar El Béchir. Que les appels des victimes non africaines des crimes internationaux soient restés sans réponse n'est pas une raison pour ignorer la quête de justice des victimes africaines. L'Occident devrait arrêter de faciliter la dureté de l'UA face à sa propre population. Une défense de la justice avec plus de principes, même quand un ami est impliqué, est le meilleur moyen d'encourager l'émulation et la justice quel que soit l'endroit où des crimes graves sont commis.

Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU

Le Conseil des droits de l'homme est une organisation qui a fait preuve d'incohérence à plusieurs reprises. Le Conseil critique sans cesse le gouvernement israélien pour ses violations des droits humains, mais a négligé ou sous-évalué des situations comparables, voire plus graves. Par exemple, en mai 2009, un petit groupe de gouvernements habituellement pro-droits humains a réussi à organiser une session spéciale pour aborder la situation au Sri Lanka, où le gouvernement venait juste de bombarder et de tuer plusieurs milliers de civils retenus contre leur gré par les Tigres tamouls et avait ensuite enfermé près de 300 000 civils à la fin des combats avec les Tigres tamouls. Mais au lieu de faire pression pour que soit ouverte une enquête indépendante sur les crimes de guerre commis tant par le gouvernement que par les Tigres tamouls, le Conseil a ouvertement félicité le gouvernement en ignorant les violations dont il était l'auteur et s'est concentré uniquement sur les abus commis par les Tigres tamouls.

Comme c'était le cas également pour d'autres actions décevantes du Conseil, cette résolution embarrassante n'était aucunement dictée par la composition du Conseil. La plupart des membres du Conseil sont des démocraties et l'on aurait pu s'attendre à ce qu'ils votent au Conseil selon les mêmes principes que ceux auxquels ils souscrivent chez eux. Le fait que ces Etats aient à plusieurs reprises agi de la sorte reflète l'habileté de certains des gouvernements les plus répressifs au monde à les convaincre de voter selon un sens illogique de solidarité régionale ou de solidarité entre pays du Sud plutôt que selon les principes des droits humains qu'ils respectent pourtant chez eux. Autrement dit, comme dans le cas de la CPI et de l'UA, les dirigeants de pays répressifs au sein du Conseil ont réussi à convaincre ces démocraties de faire passer la solidarité avec des dirigeants de pays du Sud responsables de violations des droits humains avant la solidarité avec leurs victimes.

Là encore, leur position a été facilitée par l'esprit de bloc et les solidarités mal placées des Occidentaux. Quand l'UE consacre tant de temps à discuter d'une position commune au point qu'il ne lui reste plus assez d'énergie pour discuter avec d'autres, ou quand les États-Unis, protégeant Israël comme par réflexe, ont attaqué le rapport de l'ONU, publié en septembre 2009, suite à la mission à Gaza menée par l'ancien ministre de la Justice sud-africain Richard Goldstone, ils ont facilité la tâche des dirigeants répressifs, qui ont pu faire front commun pour soutenir leurs propres auteurs d'abus préférés.

Mais ces dirigeants responsables de violations des droits humains ne se contentent pas d'une série de victoires politiques. Le Conseil est un organe constitué de gouvernements, mais l'une de ses qualités est que ses traditions offrent de nombreuses opportunités pour que des voix indépendantes s'y fassent entendre. Des experts et des rapporteurs indépendants y témoignent régulièrement. Des ONG apportent leurs points de vue. Le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'Homme a son mot à dire. Tout cela est un antidote important à un système qui est actuellement dominé par beaucoup des auteurs d'abus qui devraient justement faire l'objet d'une action du Conseil.

Les dirigeants responsables de violations des droits humains au sein du Conseil semblent désormais déterminés à faire taire ces voix chaque fois que possible. Ils ont proposé une série de techniques, allant de « codes de conduite » à des règles restrictives et de surveillance, pour limiter la capacité de ces voix à se faire entendre. Cela pourrait miner certains des moyens par lesquels le Conseil continue à être utile, bien qu'il soit actuellement dominé par un leadership répressif. Alors que la date de la révision du mandat du Conseil, qui doit avoir lieu tous les cinq ans, approche (en 2011), ce plan risque de réussir, sauf si les défenseurs traditionnels des droits humains parviennent à se mobiliser.

Cuba illustre bien l'utilisation d'outils de manipulation par les gouvernements abusifs pour empêcher les voix indépendantes de se faire entendre. Cuba a pris pour cible une procédure connue sous le nom d'Examen Périodique Universel - une innovation importante du Conseil qui permet que le bilan de tous les gouvernements, même les plus puissants, en matière de droits humains, soit examiné tous les quatre ans. Comme la plupart de ceux qui participent à cet examen sont des gouvernements, Cuba s'est donné beaucoup de mal pour s'assurer que de nombreux gouvernements amis s'exprimeraient lors de l'examen pour soutenir son bilan, réduisant ainsi le temps de parole de ceux qui souhaitaient critiquer ce bilan. Quand ce fut au tour des ONG de s'exprimer, le gouvernement cubain a tenté de diluer cette voix indépendante en encourageant des douzaines d'associations gouvernementales à prendre la parole pour défendre d'une seule voix le bilan du gouvernement cubain. Le fait de museler ainsi les commentaires indépendants a facilité la tâche au gouvernement cubain pour nier, de façon totalement non-crédible, qu'il détiendrait des prisonniers politiques ou qu'il restreindrait la liberté d'expression. De plus, il semble qu'en préparant sa présentation, le gouvernement cubain n'a consulté aucune figure indépendante à Cuba, comme on l'a encouragé à le faire.

Le Comité des ONG de l'ONU

Cette attaque contre des ONG indépendantes à l'ONU s'étend au delà du Conseil. Pour avoir le droit de parler devant un organe de l'ONU, une ONG doit obtenir un « statut consultatif » du Comité des ONG de l'ONU, une autre assemblée de gouvernements. Comme dans le cas du Conseil, les gouvernements qui tendent à avoir des politiques restrictives vis-à-vis des ONG semblent chercher activement à devenir membre de ce Comité et y sont surreprésentés. Les membres actuels comprennent l'Angola, la Chine, Cuba, l'Égypte, la Russie et le Soudan. Parmi les ONG que le Comité a rejetées se trouve un groupe chrétien de Chine (exclu pour avoir refusé de fournir la liste de ses membres en Chine - une révélation qui aurait entraîné des représailles contre eux à Pékin), le Conseil des droits humains éthiopien (sous prétexte que le groupe ne respecterait pas la nouvelle loi éthiopienne, très restrictive, relative à la société civile,) et le Democracy Coalition Project basé aux Etats-Unis (parce que la Chine, Cuba et la Russie se sont opposés à sa supposée discrimination à leur égard ; un organe plus élevé de l'ONU est par la suite revenu sur cette décision de rejet). Il a été particulièrement difficile pour des organisations de défense des droits des gays et lesbiennes d'obtenir le statut consultatif parce que les membres du comité substituent leurs propres valeurs morales au droit des ONG à défendre librement les droits humains de chacun.

Les mécanismes régionaux européens

Les institutions de l'ONU ne sont pas les seules à faire face aux attaques violentes des auteurs d'abus des droits humains. La Cour européenne des droits de l'Homme est l'institution internationale qui réclame le plus régulièrement des comptes au gouvernement russe pour sa conduite extrêmement abusive en Tchétchénie. La Cour a rendu plus de cent décisions contre la Russie pour l'enlèvement, la torture et l'exécution de personnes en Tchétchénie et pour ne pas avoir enquêté sur ces crimes. La Russie paie les compensations qui lui sont imposées par la Cour mais refuse systématiquement de mettre en œuvre les réformes structurelles qu'elle lui ordonne, comme de mettre fin à l'impunité qui sous-tend nombre de ces abus en menant des enquêtes et des poursuites effectives. Cet échec est particulièrement flagrant lorsque l'identité du commandant ou de l'unité responsable est connue, comme c'est parfois le cas. Dans une quarantaine de cas, le gouvernement russe n'a pas respecté son obligation de partager des documents importants avec la Cour. En outre, la Russie est le seul membre du Conseil de l'Europe à bloquer le protocole 14 de révision de la Convention européenne des droits de l'Homme qui permettrait à un comité ministériel intergouvernemental de poursuivre un gouvernement devant la Cour européenne pour refus d'exécuter les jugements de la Cour. Le gouvernement russe continue également de reporter la visite prévue de longue date de Dick Marty, le rapporteur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la situation des droits humains dans le nord du Caucase.

La Commission ASEAN pour les droits humains

La seule évolution institutionnelle potentiellement positive en 2009 s'est révélée ne mériter que peu de bruit. En octobre 2009, les dix membres de l'Association des Nations de l'Asie du Sud -Est (ASEAN) ont lancé une commission intergouvernementale pour les droits humains - une institution qui était en gestation depuis des années. A en juger par son démarrage, cela ne valait pas la peine d'attendre. Elle a pour but d'adopter une approche « constructive », « non-conflictuelle » et « évolutive » des droits humains. Même si sa mission comprend la promotion et la protection des « droits humains et des libertés fondamentales des peuples de l'ASEAN », sa portée est limitée par son engagement à « ne pas interférer avec les affaires internes des États membres de l'ASEAN », son mandat est de prendre des décisions par « consultation et consensus » et elle s'engage à veiller au respect des « particularités régionales et des différences historiques, culturelles et religieuses et à l'équilibre entre les droits et les responsabilités ». Ces principes réunis donnent le droit de veto à tout Etat membre et empêchent tout Etat membre de recevoir des plaintes, de surveiller et d'enquêter sur un Etat accusé de violer les droits humains et d'imposer des sanctions ou exclure un membre récalcitrant.

Le Premier ministre thaï, Abhisit Vejjajiva, en sa qualité de Président de l'ASEAN, a expliqué que selon l'ASEAN, « s'agissant de droits humains, il ne s'agit pas de condamner mais de faire prendre conscience », ajoutant qu'améliorer le respect des droits humains est un « processus évolutif ». Étant donné que la Birmanie, dirigée par un gouvernement militaire sans foi ni loi qui ne montre aucun signe de respect des droits de son peuple, ou que des dictatures bien implantées telles que le Vietnam et le Laos sont membres de l'ASEAN, cette forme d'évolution sans pression risque de prendre beaucoup de temps.

L'on s'attendait à ce que la nouvelle commission travaille avec la société civile. Mais à la première « réunion d'interface », la Thaïlande a rejeté cinq des dix organisations qui devaient participer - venues de Birmanie, du Cambodge, du Laos, des Philippines et de Singapour - ce qui a conduit trois des cinq organisations restantes à se retirer. Auparavant, lors d'une réunion des ministres des Affaires étrangères, les membres de l'ASEAN avaient décrété que chaque Etat choisirait l'organisation de la société civile qu'il voudrait voir participer à l'interface, laissant entendre que l'indépendance n'était pas un critère très important.

Conclusion

Le mouvement pour la défense des droits humains se passerait bien du compliment indirect que représentent ces attaques contre ses militants et ses institutions. S'il est doux de penser que nos cibles commencent à sentir monter la pression, leurs réactions violentes peuvent nuire gravement à ceux qui l'exercent. Le mouvement dans son ensemble fait montre d'une résistance impressionnante, capable de se battre contre ces forces réactionnaires. Mais, prise individuellement, chaque partie de ce mouvement - notamment les défenseurs et les organisations - demeure vulnérable et a besoin de soutien.

Une chose est de noter que de nombreux gouvernements répressifs essaient de faire baisser le prix à payer pour leurs violations des droits humains, de réduire à néant la capacité du mouvement à leur faire payer ce prix et de changer le calcul coût-bénéfice. Mais une autre chose est d'agir contre cela. Le succès de ces actions ne devrait pas dépendre seulement du courage de militants pour les droits humains isolés. Le mouvement en faveur des droits humains devrait aussi bénéficier du soutien des gouvernements qui défendent ostensiblement les mêmes valeurs. Les représailles décrites dans la présente introduction, bien que souvent plus subtiles que par le passé, sont visibles par tous. Les gouvernements qui défendent les valeurs des droits humains dénonceront-ils ces méthodes ou fermeront-ils les yeux de façon opportuniste sur ce qu'ils ont à leur portée ? La réponse à cette question pourrait bien déterminer le succès ou non des mesures de représailles mises en œuvre par les auteurs de violations des droits humains.

Il est temps que les gouvernements défendent plus vigoureusement les défenseurs des droits humains et leurs institutions à travers le monde. Cela exige de défendre avec davantage de fermeté les peuples et les principes attaqués, même si l'attaquant est un allié. Cela demande aussi de voir clair dans ces mesures de représailles, de les reconnaître et de les condamner en tant que telles. Tuer ou détenir arbitrairement un défenseur des droits humains, déréférencer une organisation de défense des droits humains ou attaquer une institution représentative des droits humains, n'est pas une violation anodine ; c'est un aveu tacite d'un abus encore plus grand. Les gouvernements essaient de réduire au silence le messager parce qu'ils ne veulent pas que le message soit entendu. Le moyen le plus sûr pour contrer cette censure est de redoubler d'efforts pour, au contraire, révéler ces abus que les gouvernements cherchent à dissimuler.