Rapports de Human Rights Watch

L’Union européenne

Les Etats-Unis s’étant largement disqualifiés au niveau de la promotion des droits de l’homme, la Chine et la Russie sapant tout effort à cet égard, et le Sud global ne portant pas encore sa part du fardeau, il est impératif que l’Union européenne se montre à la hauteur et assume un rôle de leader. Après tout, l’UE est le plus grand regroupement de démocraties du monde, fondé sur un engagement envers les droits de l’homme et l’Etat de droit. Et pourtant, elle n’est malheureusement pas prête à endosser le rôle de leader. Bien trop souvent, lorsqu’elle s’accorde sur une déclaration commune relative à un problème de droits de l’homme, cette déclaration passe par le canal d’un bureaucrate de Bruxelles ou elle prend la forme d’un communiqué de presse écrit émanant de la Présidence de l’UE, au lieu d’être prononcée publiquement par un chef d’Etat ou un ministre des affaires étrangères, ce qui lui donnerait plus de poids. Ces communiqués sont rarement suivis par des actions fortes ou des pressions pour protéger les droits de l’homme. Due en partie aux problèmes structurels et en partie à un manque de volonté politique, la contre-performance de l’UE dans le domaine des droits de l’homme a transformé le vide de leadership en un gouffre béant.

Le rôle de l’UE au Conseil des droits de l’homme de l’ONU illustre bien le problème. Les Etats-Unis n’ont même pas cherché à être élus au conseil, décision qui, apparemment, s’explique largement par leur crainte de perdre. La lourde tâche qui consiste à faire du nouveau conseil un organe digne de ses idéaux repose donc en grande partie sur les épaules de l’UE et de ses proches partenaires, notamment l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Norvège et la Suisse.

Le conseil est divisé de façon égale entre partisans et opposants traditionnels de la mise en oeuvre des droits de l’homme, plusieurs démocraties d’Asie et d’Afrique détenant les voix décisives. En oeuvrant auprès des gouvernements latino-américains afin qu’ils rallient les voix des indécis, les gouvernements européens pourraient obtenir une majorité suffisante pour traiter de problèmes tels que les crimes contre l’humanité au Darfour, l’impunité assassine du gouvernement ouzbek, ou la reprise de la guerre civile au Sri Lanka. Malheureusement, les pays qui jouent les fauteurs de troubles—les gouvernements répressifs qui, bien qu’ils aient juré le contraire, semblent être entrés au conseil pour saper son travail—se sont montrés plus habiles que les Européens et leurs alliés. Apparemment perplexes, les partisans des droits de l’homme ont surtout fait preuve de défaitisme et n’ont offert que de piètres arguments.

L’UE et d’autres gouvernements favorables aux droits de l’homme n’ont jamais proposé de vision convaincante sur la façon dont le conseil devrait traiter les gouvernements qui violent les droits de l’homme. Ils n’ont jamais réalisé le travail de lobbying et de sensibilisation nécessaire pour dissuader les indécis de suivre leurs blocs régionaux menés par les fauteurs de troubles et pour les encourager à rester fidèles à leurs propres principes des droits de l’homme. Ils n’ont jamais appelé à organiser une session spéciale sur le Darfour ou sur la détérioration de la situation au Sri Lanka et ils n’ont fait qu’accentuer la fixation des Etats trublions sur Israël. De nombreux partisans sont allés jusqu’à reprendre le refrain des Etats perturbateurs, « coopération et non condamnation », comme si la menace d’une condamnation pour graves violations des droits de l’homme excluait toute coopération gouvernementale en vue de résoudre le problème. Pour ces raisons et d’autres, la première impression laissée par le conseil a été déplorable.

La prise de décisions

La maladresse de l’UE peut être attribuée en partie à la lourdeur de son processus de prise de décisions. Le besoin de ménager un consensus parmi les 25 membres (27 normalement lors de la publication du présent rapport) tend à provoquer des retards et une position fondée sur le plus petit dénominateur commun. Il suffit d’un seul gouvernement désireux de défendre vigoureusement ses intérêts de clocher—Chypre par rapport à la Turquie, l’Allemagne par rapport à la Russie, la France par rapport à la Tunisie—pour bloquer une prise de position effective de l’UE.

Par exemple, la nouvelle Ostpolitik de l’Allemagne compromet les chances d’une position ferme de l’UE sur les droits de l’homme en Asie centrale. En novembre 2006, l’Allemagne a mené une campagne agressive, parvenant même à alléger les modestes sanctions imposées contre l’Ouzbékistan suite au massacre d’Andijan en mai 2005. Le gouvernement ouzbek n’avait pourtant pris aucune mesure sérieuse pour satisfaire aux conditions initialement fixées pour la levée des sanctions. Plutôt que d’autoriser une enquête indépendante sur le massacre, comme il lui est demandé, l’Ouzbékistan n’a proposé qu’un « dialogue » et un « séminaire d’experts » sur Andijan. Pendant ce temps, sa répression à l’encontre de ceux qui osent exprimer leur désaccord a été sans pitié. Rien qu’en 2006, une dizaine de défenseurs des droits de l’homme ont été condamnés et emprisonnés pour des motifs politiques.

Afin d’étayer sa position à propos de l’Ouzbékistan, un pays qui compte d’énormes réserves de gaz et une base aérienne utile aux troupes allemandes opérant en Afghanistan, l’Allemagne a fait valoir que les sanctions n’avaient pas produit de résultats positifs—alors qu’elle avait œuvré au maximum pour miner leur effet dès leur adoption. L’interdiction qui frappe les voyages de hauts fonctionnaires du gouvernement ouzbek dans l’UE avait à peine été annoncée que Berlin a autorisé la venue en Allemagne, pour raisons médicales, de l’un des artisans du massacre d’Andijan—l’ex-Ministre de l’intérieur ouzbek, Zokir Almatov—premier nom sur la liste noire de l’UE. Lorsque les familles de plusieurs de ses victimes ont cherché à engager des poursuites en encourant d’énormes risques personnels, le procureur fédéral allemand a refusé de l’arrêter et même d’ouvrir une enquête criminelle. Rien de ce qu’a fait l’Ouzbékistan ne justifie l’approche capitulationniste de l’Allemagne. Celle-ci semble toutefois entraîner dans son sillage le reste de l’EU, en dépit de la résistance d’un groupe assez important d’Etats membres.

L’Allemagne a également été la première à présenter une position européenne conciliante sur le Kazakhstan, apportant un soutien sans équivoque à la demande introduite par ce pays pour présider l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe en 2009. Elle aurait plutôt dû profiter du fait que le Président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, convoitait ce poste pour le pousser à adopter des réformes concrètes, lesquelles se font attendre depuis longtemps.

Le cas du Népal est une autre illustration. Suite au coup d’Etat royal de février 2005, les gouvernements nordiques ont voulu condamner vigoureusement ce coup de force et priver le gouvernement militaire de l’aide des 25. Alors que le Danemark a joué un rôle particulièrement positif, d’autres gouvernements de l’UE, notamment la France et l’Allemagne, ont miné le consensus européen. La Grande-Bretagne a également mené une politique indépendante, voire accommodante, invoquant des liens historiques avec le Népal.  Résultat: dans la foulée du coup d’Etat, l’UE a adopté une position on ne peut moins vigoureuse, laissant la société civile népalaise en proie à un sentiment d’abandon et de découragement.

La tendance de l’UE à pencher pour le plus petit dénominateur commun traduit une préférence pour l’unité plutôt que pour l’efficacité. Certes, parvenir à adopter une position commune est important pour l’édification d’une communauté de nations européennes. Qui plus est, en formant un groupe compact, les gouvernements de l’UE ont plus de poids et le risque d’être confrontés à des représailles est moindre que s’ils agissaient individuellement. Mais si l’UE ne va jamais à l’encontre de la volonté de son membre le plus réticent, elle finira le plus souvent par agir un minimum, voire pas du tout. Un processus décisionnaire plus raisonnable et plus flexible s’impose. Une option serait de prévoir une supermajorité plutôt que l’unanimité pour adopter une politique étrangère commune. Mais cela signifie que chaque gouvernement de l’UE devrait renoncer à son précieux droit de veto sur l’action de l’Union ainsi qu’à la prérogative souveraine qu’il implique. Par contre, le statu quo équivaudrait à faire payer le prix fort aux opprimés du monde dont les appels à l’aide n’ont pas été entendus par l’UE.

Même en conservant le critère de l’unanimité, des améliorations sont possibles. Tout d’abord, au Conseil des droits de l’homme, l’UE semble exiger un consensus sur la moindre vétille. Plutôt que de s’accorder sur une stratégie et faire confiance à des représentants des 25 qui se chargeraient intelligemment du suivi, les membres de l’UE insistent pour approuver chaque mot de chaque résolution proposée. Cette microgestion empêche l’Union de réagir efficacement au cours fluctuant des événements ou de s’engager rapidement dans un jeu de concessions diplomatiques pourtant nécessaire pour bâtir des alliances majoritaires.

Lorsque les droits de l’homme sont en jeu, l’UE pourrait considérer sa position commune comme un plancher et non comme un plafond. Il convient de souligner que pour toutes les principales questions de droits de l’homme, aucun gouvernement ne doit faire moins que ce que prévoit la position commune de l’Europe. Mais pourquoi un gouvernement—ou groupe de gouvernements—ne pourrait-il pas faire plus? Rien ne l’interdit officiellement et cela arrive à l’occasion, par exemple dans le cas des traités sur la Cour pénale internationale, les mines antipersonnel et les disparitions forcées. Le Danemark a même suggéré cette approche en ce qui concerne le Darfour. Mais trop souvent, les gouvernements de l’UE se servent de l’absence de stratégie commune forte pour justifier l’absence de stratégie nationale forte. Cela ne manque pas de logique s’il s’agit d’une question fiscale ou commerciale. Mais exclure une action nationale en faveur des droits de l’homme, ou l’action d’un groupe de pays, lorsqu’un consensus minimal n’est pas atteint, relève du cynisme et consacre la victoire du collectif sur l’effectif. Cela donne à penser que l’UE, en dépit de ses idéaux et de ses nobles promesses, a décidé qu’au bout du compte, mieux valait une défense frileuse mais uniforme des droits de l’homme qu’une défense ferme mais diversifiée.

La règle de l’unanimité a connu une heureuse exception. En novembre 2006, après que plusieurs tentatives d’accord entre les 25 eurent échoué, 14 Etats membres de l’UE ont décidé de co-parrainer une résolution sur l’Ouzbékistan à l’Assemblée générale de l’ONU. D’autres initiatives de ce genre sont nécessaires.

Le but n’est pas de revenir à l’avant UE avec 25 politiques étrangères séparées. L’union fait la force. La relative faiblesse de la présence européenne en Afghanistan—où de nombreux gouvernements mènent à bien leurs projets bilatéraux sans bénéficier de la force de levier et du soutien d’une approche plus coordonnée—met en lumière le coût d’une politique disparate. La mission de l’UE à Kaboul est bien informée mais ses Etats membres l’utilisent à peine. Résultat: la réforme de la police menée par l’Allemagne ne s’est pas faite en coordination avec la réforme de l’appareil judiciaire dont s’est chargée l’Italie (réforme qui a pris fin en 2006). Les gouvernements ayant des équipes de reconstruction provinciales ne synchronisent pas leur travail de développement. Les participants de l’UE aux opérations militaires de l’OTAN imposent leurs propres restrictions bilatérales: les troupes allemandes n’engageront pas directement le combat contre les insurgés pour protéger les civils; les soldats britanniques ne mèneront pas d’action à l’encontre des trafiquants de drogue, même si ces derniers soutiennent les insurgés; les forces néerlandaises rechignent à faire des prisonniers. Ces conditions entravent les efforts faits pour garantir à la population afghane un environnement sécurisé. Néanmoins, une action forte menée par quelques-uns vaudrait parfois mieux qu’une action faible de beaucoup de pays, ou que l’absence d’action.

Même lorsqu’une position commune existe, l’insistance de l’UE à parler et à passer exclusivement par le canal de sa « présidence » réduit souvent sa portée. Au Conseil des droits de l’homme, la tradition de l’UE est de ne prendre la parole qu’une seule fois par le biais de sa présidence plutôt que d’autoriser les gouvernements membres à faire chorus pour appuyer la position commune. Cela permet aux Etats fauteurs de trouble, qui connaissent la valeur de la redite, de dominer les débats.

Plus fondamentalement, il est difficile d’imaginer une méthode moins efficace pour garantir la continuité ou acquérir des compétences que ce système confus de rotation tous les six mois à la tête de l’UE. Parfois, comme c’est le cas aujourd’hui de la présidence finlandaise, confrontée à la période critique des six premiers mois du Conseil des droits de l’homme, le gouvernement semble être dépassé et considérer que sa tâche consiste à forger un consensus plutôt qu’à diriger. Il arrive aussi que des gouvernements disposant de plus de ressources prennent les rênes, mais pour eux aussi, mener à terme un programme dans une période restreinte de six mois se révèle des plus difficiles. La tradition veut que la nouvelle présidence opère aux côtés du Conseil européen et de la Commission au sein d’une « troïka » présidentielle, ce qui atténue ce handicap auto-imposé, mais d’une manière insuffisante. Le principe de la présidence tournante réaffirme l’égalité de tous les membres de l’UE mais le refus de confier une responsabilité de longue durée à des gouvernements—limitant ainsi la possibilité qu’ils développent des compétences et des stratégies à long terme—est le meilleur moyen de garantir un dysfonctionnement. Dans certains cas, comme lors des négociations avec l’Iran à propos de son programme nucléaire, l’UE a pris des mesures en vue de surmonter cette limitation; elle a désigné une troïka permanente et solide composée de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne, chargée de représenter l’UE. Des mesures semblables n’ont cependant pas été prises en ce qui concerne d’importantes questions liées aux droits de l’homme.

Afin de résorber ce handicap, l’UE devrait reconnaître que la diversité de ses membres pourrait constituer un atout plutôt qu’un problème procédural. Ses 25 Etats présentent une variété d’expériences et de relations avec le reste du monde. Cette diversité pourrait être exploitée par des « troïkas expérimentées » ou des « troïkas efficaces » installées sur le long terme, en lieu et place d’un roulement de « troïkas de nouveaux arrivants ». La position de l’UE pèserait beaucoup plus lourd dans la balance si, plutôt que d’envoyer tous les six mois une nouvelle génération de visages inconnus, les trois mêmes gouvernements revenaient chaque année au même endroit stratégique, donnant l’image d’un suivi au niveau des affaires traitées et d’une détermination à aller jusqu’au bout.

L’efficacité de l’UE sur le plan des droits de l’homme est également freinée par un manque de transparence. La promotion des droits de l’homme butte souvent contre les intérêts des gouvernements. L’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie des droits de l’homme dans les coulisses ne permettent pas au public de savoir facilement comment l’UE résout ce type de conflit—surtout parce que tant de décisions importantes sont prises à Bruxelles plutôt que dans les capitales nationales et que très peu font l’objet d’un débat parlementaire public. Les gouvernements jugent peut-être opportun de pouvoir éviter le regard gênant du public mais les conséquences se font sentir dans les maigres engagements et la médiocre performance de l’UE en matière de droits de l’homme.

Ces défauts au niveau de la procédure ne peuvent expliquer complètement l’absence de l’UE à la tête du combat pour les droits de l’homme. Une grande partie du problème provient d’un simple manque de volonté politique. Promouvoir les droits de l’homme peut coûter cher et se révéler difficile, et beaucoup de gouvernements ne veulent pas s’en donner la peine—ou du moins dépasser le stade de la rhétorique. Mais que la faute incombe à la procédure ou à la volonté politique, la crédibilité de l’UE en tant que promoteur engagé des droits de l’homme est en jeu.

Afin d’examiner plus en détail le leadership de l’UE sur le plan des droits de l’homme, il convient d’examiner la réponse européenne face à une série de défis: les grandes puissances que sont la Chine, la Russie et les Etats-Unis; les crises telles que celle du Darfour; d’autres problèmes de droits de l’homme; et la question des droits de l’homme au sein même de l’UE.

A propos de la Chine

En ce qui concerne la Chine, l’UE a progressivement mis une sourdine à ses critiques sur les droits de l’homme, réduisant la plupart de ses commentaires publics à d’insipides déclarations écrites, facilement ignorées. L’UE entretient avec la Chine un « dialogue » périodique sur les droits de l’homme, mais ce sont des fonctionnaires de moyenne importance qui en sont chargés, dirigés chaque fois par un représentant d’une nouvelle présidence, sans points de repère apparents pour mesurer les progrès opérés entre deux réunions, et sans résultats tangibles. Par contre, Pékin a mis sur pied une équipe de spécialistes du dialogue, apte à détourner les critiques et à faire obstacle à toute velléité de réforme. En conséquence, le dialogue reste confiné entre les quatre murs du ministère des affaires étrangères, sans informations publiques susceptibles de mettre en péril la réputation de la Chine et d’inciter au changement.

Le peu d’importance accordé au dialogue a été mis en lumière lors du tout dernier sommet UE-Chine organisé à Helsinki en septembre 2006, en présence du Premier Ministre chinois, Wen Jiabao. Au nom de la présidence de l’UE, l’ambassadeur finlandais à Pékin, Antti Kuosmanen, a déclaré que les droits de l’homme ne seraient « pas un point dominant » du sommet et qu’ils constituaient une « question sensible et délicate… car il s’agit de valeurs ». Voilà que d’un seul coup, l’UE affirmait que les normes universelles des droits de l’homme relevaient du domaine de la subjectivité. Naturellement, les questions commerciales et de sécurité ont dominé l’agenda, comme ce fut le cas lors de la visite ultérieure de Wen au Premier Ministre britannique Tony Blair et à la Chancelière allemande Angela Merkel, et lors de la visite effectuée plus tard par le Président français Jacques Chirac à Pékin.

De même, en octobre, la Commissaire européenne aux relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, et le Commissaire au commerce, Peter Mandelson, ont vivement recommandé un « recadrage complet » des relations de l’UE avec la Chine, sans jamais mentionner les droits de l’homme. Leur proposition pourrait se résumer comme suit: les profits avant les principes.

La liberté des internautes est un domaine où ce manque de pressions sur les droits de l’homme s’est fait sentir. Sans aucun soutien de l’UE (ni d’ailleurs des Etats-Unis) pour résister à la pression chinoise, les compagnies Internet se sont engagées dans une course vers le bas, se chargeant du sale travail en jouant les censeurs du web pour le compte du gouvernement chinois.

Quelques points lumineux parsèment ci et là les relations Chine-UE sur le plan des droits de l’homme. Lors de son premier sommet avec les dirigeants chinois à Pékin, la chancelière allemande Merkel a pris le temps de rencontrer des militants chinois pour parler des problèmes et de l’agitation dans les campagnes. En dépit du lobbying de Pékin, l’UE a refusé de lever son embargo sur les armes qui frappe la grande puissance asiatique depuis la répression sanglante de la Place Tian an Men en 1989—rare cas où la règle du consensus a facilité une prise de position forte sur les droits de l’homme. En effet, l’embargo, imposé à l’origine sans date limite, requiert une position commune pour être levé. La Chine souhaite ardemment une levée de l’embargo avant les Jeux Olympiques de 2008 mais l’UE n’a pas encore défini les conditions à remplir—par exemple une enquête transparente et sérieuse sur les massacres de Tian an Men--, galvaudant ainsi un moyen potentiel d’influencer le cours des choses.

A propos de la Russie

La politique de l’UE à l’égard de la Russie est dominée par l’Allemagne, laquelle assumera la présidence de l’Union au cours du premier semestre 2007. La nouvelle Ostpolitik de Berlin reflète une apparente détermination à s’engager à tout prix, sans conditions. Bien qu’étant l’interlocuteur le plus important et le plus respecté de la Russie, le gouvernement allemand n’exploite pas son statut, semblant estimer que garantir la sécurité énergétique—une priorité majeure de l’Europe—est incompatible avec le fait d’interpeller la Russie sur son inquiétante politique de droits de l’homme. La réticence allemande à émettre des critiques à l’égard du Kremlin peut aussi provenir d’un sentiment de culpabilité en raison des millions de Russes tués lors de l’invasion allemande de la Deuxième Guerre mondiale. Quoiqu’il reste à expliquer pourquoi les victimes actuelles de l’oppression russe devraient souffrir parce que leurs ancêtres ont connu un sort tragique. L’UE organise des « consultations » sur les droits de l’homme avec la Russie deux fois par an, à un échelon diplomatique peu élevé, mais les droits de l’homme ne figurent pas parmi les principaux points à l’agenda général des relations UE-Russie. Comme dans le cas de la Chine, l’Union réagit périodiquement à des cas ou des événements ponctuels, notamment la nouvelle loi russe sur les ONG, mais les droits de l’homme font rarement partie du discours public des hauts responsables. Les atrocités en Tchétchénie ont en grande partie été oubliées: personne n’a exigé publiquement que les coupables soient punis, pas un seul mot n’a été prononcé sur le sort des « disparus ».

Comme ce fut le cas lors de son voyage en Chine, la Chancelière allemande Merkel n’a pas manqué de visiter les défenseurs russes des droits de l’homme à l’occasion de son premier sommet avec le Président Poutine. Elle a également mentionné l’importance des droits de l’homme et de l’Etat de droit en Russie. Mais aucun autre dirigeant européen n’a fait de déclarations ou de démarches équivalentes, et aucune position commune de l’UE n’a reflété ce point de vue. Le Président français Chirac a même élevé Poutine à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’honneur. Par contraste, à quatre occasions en 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé la Russie responsable de violations du droit à la vie en raison du rôle joué par les troupes russes et leurs collaborateurs dans les disparitions forcées en Tchétchénie. Les dirigeants européens passent à côté de l’énorme occasion que leur offrent les jugements de la cour de pousser la Russie à endiguer les exactions et à mettre un terme à l’impunité.

A propos des Etats-Unis

En ce qui concerne les Etats-Unis, l’UE présente un bilan mitigé. Les opérations américaines menées en Europe avec des détenus ont rendu les gouvernements européens complices d’actes de torture, de détentions arbitraires et de disparitions forcées. Tout porte à croire que la Pologne et la Roumanie ont autorisé la détention secrète de suspects « disparus » sur leur sol. Alors que le Congrès américain n’a entrepris aucune investigation sur ces opérations, le Parlement européen a ouvert une enquête. La commission parlementaire temporaire (TDIP) a estimé « invraisemblable » que ces activités aient pu avoir lieu sans que les services de renseignements ou de sécurité européens n’en aient eu connaissance. Elle a estimé qu’il y avait également eu complicité des Etats dans l’arrestation de suspects sur le sol européen et dans leur restitution à des gouvernements qui pratiquent systématiquement la torture. Elle a établi que l’Agence centrale américaine de renseignements (CIA) était « clairement responsable ». Pour sa part, la Pologne a fourni des réponses évasives face aux révélations concernant sa complicité, refusant de coopérer dans le cadre de diverses enquêtes sur les centres de détention clandestins.

Par contre, un tribunal italien s’est montré plus ferme, émettant des mandats d’arrêt à l’encontre d’agents de la CIA et de leurs complices italiens, présumés responsables de l’enlèvement, en 2003, d’Hassan Moustafa Ossama Nasr, dit Abou Omar, et de son transfert en Egypte pour y être torturé. En novembre, dans ce qui a été décrit comme une « relève naturelle », le nouveau gouvernement du Premier Ministre Romano Prodi a remplacé le chef des services de renseignements militaires (SISMI), lequel fait l’objet d’une enquête pour son rôle dans l’enlèvement. Mais le vrai test pour l’Italie consistera à envoyer aux Etats-Unis les demandes d’extradition du tribunal et à rendre publique l’information concernant son éventuelle connaissance préalable du rapt.

En ce qui concerne la conduite des Etats-Unis en dehors de l’Europe, l’UE n’a pas émis de commentaires en haut lieu concernant les conclusions du Comité de l’ONU contre la torture à propos de la complicité américaine dans des actes de torture et autres mauvais traitements commis lors d’interrogatoires. Par ailleurs, l’UE a attendu des années—jusqu’au sommet UE-USA en juin 2006—pour appeler collectivement à la fermeture des installations de détention américaines à Guantanamo Bay. La Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Espagne avaient déjà lancé des appels en ce sens. Néanmoins, l’UE a refusé de faire un geste humanitaire en acceptant les détenus de Guantanamo que les Etats-Unis sont disposés à libérer mais qui ne peuvent retourner dans leurs pays d’origine de crainte d’y être torturés. Seule l’Albanie, un Etat non membre de l’UE, a finalement accepté que cinq détenus ouïgours s’installent sur son territoire. Ceux-ci ont été libérés de Guantanamo mais ne peuvent rentrer en Chine en toute sécurité. L’Albanie a également accueilli des détenus d’origine égyptienne, algérienne et ouzbek.

A propos du Darfour

Dans le cas de la grave crise du Darfour, l’UE se plaît à claironner qu’elle a envoyé des fonds pour appuyer la force de l’Union africaine (AMIS) en manque d’équipement et de personnel. Elle ne s’est toutefois guère évertuée à persuader Khartoum d’accepter la force de protection de l’ONU que le Conseil de Sécurité a approuvée en août et qui est mieux fournie en matériel et en personnel. L’UE a décrété un embargo sur les armes à l’encontre du Soudan lors de la guerre civile nord-sud mais elle n’a pris aucune mesure pour appliquer cet embargo depuis le début du conflit au Darfour. Privilégiant les promesses, les membres de l’UE ont refusé de geler les avoirs et de frapper d’une interdiction de voyager les hauts fonctionnaires soudanais responsables de massacres au Darfour. Loin de copier les sanctions commerciales américaines contre le Soudan, l’Union a enregistré une nette augmentation de son commerce avec ce pays, particulièrement dans le chef de la France. Peu importe que Khartoum n’ait pas opéré de progrès sur le plan du désarmement de ces milices criminelles que sont les Janjawid et qu’il n’ait pas traduit en justice les responsables des atrocités, comme l’exigeaient pourtant l’UE et l’ONU. Cela n’a en rien incité l’UE à adopter une attitude plus ferme.

Le problème vient en partie du fait que la Grande-Bretagne et la France, en tant que membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, insistent pour que la politique de l’UE sur le Darfour soit définie à New York plutôt qu’à Bruxelles. Emmenée par la France et l’Allemagne, l’UE a, et c’est tout à son honneur, joué un rôle central dans la mise sur pied, par le Conseil de Sécurité, d’une commission d’enquête chargée d’examiner les atrocités au Darfour, ainsi que dans le renvoi ultérieur du dossier devant la Cour pénale internationale. Certes, obtenir justice pour les victimes est une tâche importante, mais elle ne peut se substituer à une action immédiate visant à mettre fin aux meurtres, viols et déplacements forcés perpétrés aujourd’hui. Quant à ses efforts pour encourager d’autres pays à mettre la pression sur Khartoum, l’UE a effectivement soulevé le problème avec la Chine à la veille du sommet sino-africain de novembre 2006, et la Chancelière allemande Merkel a parlé du Darfour lors de ses rencontres avec les dirigeants chinois et russes. Mais les démarches réalisées pour mobiliser la Chine et la Russie afin qu’elles poussent Khartoum à accepter une force de protection de l’ONU et à renoncer à sa politique brutale au Darfour n’ont pas été suffisamment soutenues ou intenses pour faire une différence sur le terrain. Khartoum et ses alliés janjawid persistent à y attaquer les civils en toute impunité.

A propos d’autres questions de droits de l’homme

Nombreux sont les autres pays où l’UE a raté le coche sur les droits de l’homme. Parfois, les intérêts commerciaux ont joué un rôle non négligeable.

  • Birmanie – L’UE fournit une aide au mouvement démocratique en exil. Elle porte également un regard critique à l’égard du gouvernement birman et a imposé des sanctions restreintes. Cependant, plusieurs membres de l’UE—la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas—ont des intérêts commerciaux et des investissements considérables en Birmanie, fait troublant quand on sait que l’armée birmane utilise des travailleurs forcés dans de nombreux secteurs de l’économie. Alors que les pays voisins critiquent aujourd’hui ouvertement la Birmanie, beaucoup d’Etats puissants de l’UE demeurent relativement passifs. Les 25 ont même jugé opportun d’inviter le ministre birman des affaires étrangères au sommet Asie-Europe (ASEM) de septembre.
  • Thaïlande – L’UE a réagi fermement au coup d’Etat militaire de septembre 2006 qui a renversé le Premier ministre Thaksin Shinawatra. Mais pendant les cinq années de mandat de Thaksin, l’Union avait à peine élevé la voix pour s’inquiéter de la détérioration de la situation des droits de l’homme—notamment les quelque 2 500 exécutions extrajudiciaires dans le cadre de la guerre anti-drogue menée par Thaksin, la suppression de la liberté de la presse, la contre-insurrection brutale dans le Sud, et la réduction de la protection des réfugiés. Pendant ce temps, l’UE a cherché à conclure un accord de libre échange avec la Thaïlande.
  • Au Moyen-Orient, l’UE, dont les accords commerciaux et de coopération avec la plupart des pays incluent des clauses relatives aux droits de l’homme, aurait dû jouer un rôle plus actif sur ce plan. La principale exception a été le soutien qu’elle a accordé à une enquête internationale sur l’attentat à la voiture piégée qui a coûté la vie à l’ex-Premier Ministre libanais Rafik Hariri en 2005.
  • Ethiopie – L’UE a émis de vives protestations concernant les exactions perpétrées par le gouvernement à l’occasion des élections de 2005 qui ont été violemment contestées. Elle a, de surcroît, joint le geste à la parole en différant ou réorientant le versement de 375 millions de dollars correspondant à un soutien multilatéral direct au budget du gouvernement éthiopien. Toutefois, l’UE n’a assuré aucun suivi visible par rapport aux problèmes majeurs de droits de l’homme qui persistent en Ethiopie, notamment la répression à l’égard des opposants politiques ainsi que les passages à tabac, viols et meurtres extrajudiciaires de membres du groupe ethnique anuak dans la région de Gambella.
  • L’UE a joué un rôle positif en incitant le Nigeria à livrer l’ex-Président libérien Charles Taylor afin qu’il soit jugé devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, sur base d’accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en appuyant le sanguinaire Front révolutionnaire uni de Sierra Leone. Mais lorsque le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a demandé que le procès soit transféré à La Haye pour des raisons de sécurité liées à l’incarcération de Taylor à Freetown—préoccupation relayée par le Liberia—, l’UE s’est mise à lambiner. La Cour pénale internationale a rapidement proposé ses services et les Pays-Bas ont accepté à condition qu’un autre gouvernement s’engage à emprisonner Taylor chez lui en cas de condamnation. En dépit du risque d’instabilité qui touchait l’Afrique occidentale, le transfert de Taylor a été différé de plusieurs semaines, le temps que l’UE trouve un volontaire. La Grande-Bretagne s’est finalement proposée.
  • Le gouvernement tunisien, intolérant à l’égard de toute entité critiquant sa politique, bloque depuis des années une série de subventions que l’UE a octroyées à la Ligue tunisienne des droits de l’homme, un organisme indépendant, ainsi que divers montants que l’UE souhaite verser à d’autres associations indépendantes. Pourtant, l’UE n’a, à ce jour, protesté que très modérément face à cette pratique.

Tout ce qui précède ne vise en rien à nier que parfois, l’UE joue un rôle positif, en particulier lorsqu’il s’agit de missions opérationnelles de terrain.

  • Elle a joué un rôle clé dans l’accord de paix forgé à Aceh et dans la mobilisation d’une équipe de surveillance. Il est néanmoins regrettable qu’elle n’ait pas insisté pour que le gouvernement indonésien laisse ouverte la possibilité de traduire en justice les responsables des atrocités commises pendant la guerre.
  • Une force européenne dépêchée en République démocratique du Congo en prévision des élections d’octobre 2006 a insufflé un élan considérable aux efforts de la force de maintien de la paix de l’ONU en vue d’assurer la sécurité. Ceci, en dépit de l’insistance de l’Allemagne pour que ses soldats rentrent au pays pour la Noël, risquant ainsi de réduire la puissance des troupes à un moment où les tensions politiques autour des résultats contestés des élections demeuraient vives. Ces risques ont été mis en évidence lors d’une nouvelle révolte dans l’Est du Congo à la fin novembre 2006.
  • En octobre 2006, un comité du Parlement européen a rejeté une proposition émise par la Commission européenne concernant un accord commercial intérimaire avec le Turkménistan, soulignant que le Parlement n’approuverait cet accord que lorsque « des progrès soutenus, clairs et tangibles seraient opérés sur le plan des droits de l’homme » au Turkménistan.
  • Six mille soldats de l’UE sont chargés du maintien de la paix en Bosnie, où l’UE sera censée assumer seule la responsabilité d’une présence civile internationale réduite à partir de la mi-2007.
  • Au Kosovo, l’UE envisage de prendre la direction de la mission civile internationale dont le déploiement est prévu en 2007, lorsque le statut du territoire sera déterminé. Il s’agira d’une mission de police et de justice.

Par ailleurs, l’UE a le pouvoir de promouvoir considérablement les droits de l’homme par le biais de son processus d’adhésion, où le critère d’unanimité requis pour toute décision tend à monter la barre pour l’Etat candidat plutôt qu’à mettre à mal l’image projetée par l’UE en ce domaine. En effet, tout membre de l’UE peut objecter que le candidat n’a pas suffisamment pris de mesures pour améliorer son bilan en matière de droits de l’homme. Cette influence positive s’est fait sentir beaucoup plus fortement dans les Balkans au cours des dernières années, quoique Bruxelles n’ait pas suffisamment insisté pour que les pays traduisent en justice les auteurs des crimes de guerre commis dans la région. Dernièrement, cette influence s’est fait sentir en Turquie également, bien que la réticence croissante de plusieurs gouvernements de l’Union face à l’adhésion de la Turquie, quelles qu’en soient les conditions, érode aujourd’hui le pouvoir que ce critère pourrait exercer sur ce pays.

Les exceptions positives ne suppléent toutefois pas au manque de cohérence politique qui handicape la réponse de l’UE face à certains des plus importants défis de notre temps sur le plan des droits de l’homme. Parler d’une voix plus ferme et plus homogène est indispensable si l’UE veut jouer, en ce domaine, le rôle nécessaire de leader global.

A propos des droits de l’homme dans l’UE

La politique relative aux questions des droits de l’homme au sein de l’UE est particulièrement décevante en ce qui concerne le traitement des migrants et des demandeurs d’asile. La détermination de l’Union à endiguer le flux des migrants à tout prix l’a conduite à ignorer les droits des migrants et à réduire leur droit à demander l’asile en Europe pour échapper à la persécution dans leurs pays d’origine. La Directive sur les procédures d’asile est entrée en vigueur en janvier 2006. Elle stipule que tous les Etats membres doivent renvoyer les demandeurs d’asile dont le pays figure sur une liste de l’UE des « pays d’origine sûrs ». L’absence de consensus à propos des pays qui devraient être repris sur la liste—beaucoup de ceux proposés offrent une sécurité douteuse—a jusqu’à présent empêché d’appliquer la directive, mais plusieurs Etats membres suivent déjà leur propre liste de pays sûrs.

Dans un souci « d’internationaliser » la gestion de l’immigration, l’UE s’est alliée à des régimes répressifs tels que la Libye, véritable rampe de lancement pour des milliers de migrants en quête de protection et de travail en Europe. La coopération UE-Libye en matière d’immigration est unidimensionnelle, se focalisant exclusivement sur un blocage de l’accès à l’Europe, sans trop se préoccuper des droits des migrants ou de leurs demandes de statut de réfugiés. Sur le front de l’Est, l’UE a signé un accord de réadmission avec l’Ukraine en octobre, lui demandant de réadmettre les ressortissants de pays tiers qui réclament la protection de l’UE. Ceci, en dépit des inquiétudes qui persistent à propos des pratiques de détention brutales de l’Ukraine et de son système d’asile qui peine à fonctionner. La « période de grâce » de deux ans qui précède le début de ces retours forcés suffira difficilement à corriger le système ukrainien gangrené par les problèmes. L’Espagne, qui en 2006 a eu son lot de migrants arrivés par la mer, cherche à conclure des accords de réadmission avec des pays tels que le Sénégal et la Mauritanie.

La plupart des gouvernements de l’UE traitent les délits terroristes par le canal normal du système de justice criminelle, comme il convient de le faire, mais le fait qu’ils rognent les garanties procédurales dans le cas de terroristes présumés risque de fissurer tout l’édifice de l’Etat de droit. Le Royaume-Uni a adopté une loi qui fait passer le délai de garde à vue de 14 à 28 jours, et la possibilité de le prolonger à 90 jours fait aujourd’hui l’objet d’un débat. Les Pays-Bas, dans l’attente d’une loi relative au contre-terrorisme, sont sur le point de faire passer leur délai de garde à vue de 3 à 14 jours. En France, depuis janvier 2006, les terroristes présumés peuvent être maintenus en garde à vue pendant six jours maximum, et leur accès à un avocat est extrêmement limité alors que la police a le droit d’interroger les détenus à volonté.

Certains membres de l’UE cherchent à éviter l’ouverture de poursuites pénales chez eux en expulsant ou extradant les terroristes présumés, souvent vers des pays où ceux-ci risquent d’être torturés. Le Royaume-Uni persiste à vouloir placer en détention des suspects sans les inculper et à tenter de les renvoyer vers des pays tels que la Libye et la Jordanie, en échange de la vague promesse que les suspects y seront traités humainement. Londres justifie cette violation du droit international en invoquant le besoin de combattre le terrorisme. Pourtant, le Royaume-Uni n’autorise pas son ministère public à utiliser les mises sur écoute de conversations privées comme éléments de preuve lors de procès devant les tribunaux. Il s’agit de la seule démocratie occidentale (avec l’Irlande) à avoir adopté ce point de vue extrême. Le gouvernement britannique n’a jamais expliqué pourquoi il faudrait envisager de sacrifier des droits fondamentaux avant même de chercher à utiliser des méthodes policières qui sont aujourd’hui largement acceptées.

Les Pays-Bas persistent à vouloir extrader certains terroristes présumés vers la Turquie, également en échange de promesses tout aussi aléatoires qu’ils n’y seraient pas maltraités. D’autres gouvernements, notamment le suisse, sont aujourd’hui prêts à adopter cette pratique douteuse. Ironie de l’Histoire, alors que le Parlement européen mène, à bon escient, une enquête sur la complicité de l’Europe dans les transferts opérés par la CIA vers des pays présentant un risque de torture, certains Etats membres de l’UE ont choisi, pour contrer le terrorisme chez eux, de transférer des suspects vers des pays du même acabit.