Africa - West

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INTRODUCTION*

Human Rights Watch s'inquiète du fait que les autorités espagnoles appliquent la loi espagnole 8/2000 (concernant les droits et les libertés des ressortissants étrangers vivant en Espagne et leur intégration sociale) et les règlements d'application de la loi espagnole sur les ressortissants étrangers1 en violant les normes nationales, régionales et internationales relatives au traitement des migrants. Bien que la loi 8/2000 soit une loi nationale applicable aux migrants de toutes les régions autonomes d'Espagne, le manque de coordination interministérielle et l'application incohérente de cette loi dans les différentes régions se traduisent par d'importantes différences dans le traitement des migrants. Les migrants sont ainsi soumis à un traitement arbitraire, violant les normes internationales et régionales en matière de droits de l'homme.

Prenons l'exemple d'un migrant arrivant à Ceuta. Celui-ci sera vraisemblablement envoyé automatiquement sur le continent avec un ordre d'expulsion, qui, bien qu'inexécutable, fait de lui un clandestin se trouvant dans l'impossibilité de trouver un emploi en Espagne. Cette personne n'aura guère l'occasion d'introduire une demande de régularisation en Espagne, quelle que soit sa situation particulière, même s'il peut prétendre à l'asile. Par contre, s'il arrive à Melilla, le même migrant pourra soit être envoyé sur la péninsule, avec un permis de séjour et de travail valides en main, soit être rapatrié au Maroc, dans le cadre d'une procédure de rapatriement qui n'est plus légalement applicable. Enfin, dans les îles Canaries, cette personne sera probablement détenue pendant une période pouvant aller jusqu'à quarante jours, dans des conditions très précaires, dans le cadre d'une procédure contraire aux normes nationales, régionales et internationales. Elle sera ensuite rapatriée vers son pays d'origine ou, plus probablement encore, relâchée dans les rues de Las Palmas où elle sera condamnée à vivre dans la clandestinité.

Les problèmes liés à l'application arbitraire de la loi sont encore aggravés par de graves violations des droits procéduraux des migrants, parmi lesquels le droit à une assistance judiciaire, à des services de traduction et d'interprétation et à un examen individualisé de leur dossier, le droit d'accès à des procédures d'octroi du droit d'asile2 et à l'examen en appel des décisions affectant leur situation juridique en Espagne. S'agissant de groupes de migrants, et notamment d'Algériens, l'absence de procédures d'identification officielles a encouragé le recours à des procédures de décision douteuses, arbitraires et potentiellement discriminatoires.

Il est urgent que le gouvernement espagnol mette au point des mécanismes permettant de clarifier, d'améliorer et de surveiller l'application de la loi. De tels mécanismes devraient s'attaquer à la tendance qu'ont apparemment certains fonctionnaires à profiter de la nouveauté de la loi et des différentes interprétations de ses règlements d'application pour justifier la détention, le transfert ou l'expulsion de migrants sans respecter les mesures de protection prévues par la loi.

L'analyse de Human Rights Watch repose sur une enquête de six semaines, réalisée fin 2001, portant sur le traitement des migrants en Espagne. A Madrid et à Barcelone, dans des villes côtières d'Andalousie, à Ceuta et Melilla ainsi que dans les îles Canaries, nos enquêteurs se sont entretenus avec un large éventail de fonctionnaires gouvernementaux, d'experts et observateurs d'organisations non gouvernementales, ainsi qu'avec des migrants3. Ils ont également visité des centres d'accueil et de détention, subventionnés par le gouvernement, dans lesquels sont détenus des migrants4.

En octobre et en novembre 2001, et une nouvelle fois en mars 2002, Human Rights Watch a fait part de ses inquiétudes lors de réunions avec des fonctionnaires gouvernementaux compétents en la matière, parmi lesquels des fonctionnaires des ministères de l'Intérieur, de l'Emploi et des Affaires sociales, et des Affaires étrangères, et des délégués gouvernementaux à Ceuta et Melilla. Toutefois, à ce jour aucune amélioration ou modification dans la pratique et la politique espagnole, susceptible de remédier à ce traitement arbitraire des migrants et des demandeurs d'asile, n'a encore été observée. Au contraire, le gouvernement a récemment mis l'accent sur les efforts visant à lutter contre l'immigration clandestine, et envisage même une révision de la loi sur les étrangers en vue d'accélérer l'expulsion de certains migrants. Et cela malgré que tout porte à croire que l'application actuelle de la loi est déjà trop rapide et qu'elle prive de nombreux migrants des garanties procédurales prévues par la législation nationale, régionale et internationale.

Même si ce rapport se concentre exclusivement sur les difficultés rencontrées par le gouvernement espagnol pour faire appliquer sa loi sur l'immigration, il soulève des problèmes communs à de nombreux États membres. En Europe, la politique de l'asile et de l'immigration relève de la compétence nationale des États membres, mais ces politiques sont de plus en plus coordonnées et élaborées par l'Union européenne (U.E). Ceci élargit donc la portée des conclusions présentées dans ce rapport. Ces conclusions insistent plus particulièrement sur la nécessité d'intégrer dans la politique européenne des clauses de sauvegarde pour préserver les droits fondamentaux des migrants. Human Rights Watch s'inquiète du fait qu'au cours des six mois de la présidence espagnole, la définition des politiques européennes en matière d'immigration se soit exclusivement concentrée sur le contrôle de l'immigration, négligeant les droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile.5

* La version originale du présent rapport a été rédigée en anglais. Pour toute question relative au texte, veuillez vous référer à la version originale anglaise.
Loi organique 8/2000 du 22 décembre 2000, amendant la loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000, concernant les droits et les libertés des ressortissants étrangers vivant en Espagne et leur intégration sociale [loi 8/2000]; arrêté royal 864/2001 du 20 juillet 2001, approuvant les règlements d'application de la loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000 concernant les droits et les libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale, réformée par la loi organique 8/2000 du 22 décembre 2000 [règlement].
La loi espagnole 8/2000 régit les droits et les libertés de tous les étrangers-c'est-à-dire des personnes ne possédant pas la nationalité espagnole-en Espagne. La loi 8/2000 réformant la loi précédente relative aux étrangers (loi organique 4/2000) de décembre 2000, a été motivée par "la situation et les caractéristiques de la population étrangère en Espagne, non seulement à l'heure actuelle mais également en prévision des prochaines années". Ibid. Ladite loi vise à "régler l'immigration, eu égard au fait qu'il s'agit d'un phénomène structurel, qui a fait de l'Espagne un pays de destination des flux migratoires ainsi qu'un pays de transit vers d'autres pays, où les contrôles aux frontières sur les routes quittant notre pays ont été abolis ou sensiblement réduits". Ibid. En résumé, la loi 8/2000 entend offrir un "cadre global et coordonné pour le traitement du phénomène migratoire en Espagne", en fixant les droits des étrangers en Espagne, légaux ou clandestins, avec ou sans papiers, ainsi que les procédures pour leur traitement, en ce compris les décisions relatives à leur régularisation ou leur expulsion, et leur intégration sociale. Ibid. Une loi distincte, la loi espagnole 9/1994, régit les droits et les procédures applicables aux demandeurs d'asile en Espagne.
Les travaux de recherche de Human Rights Watch se sont concentrés sur le traitement des migrants et des demandeurs d'asile en Espagne, parmi lesquels les personnes dont les papiers sont en règle, les sans-papiers, les personnes autorisées à rester en Espagne et celles qui n'en ont pas le droit. A ce titre, le présent document d'information se penche essentiellement sur l'application de la loi 8/2000, du point de vue du respect, par l'Espagne, des normes nationales, régionales et internationales relatives au traitement des migrants.

2 Les violations des droits procéduraux, comme le manque d'information sur ses propres droits ou l'impossibilité d'avoir accès à des services juridiques et de traduction valables, peuvent également être des obstacles au droit d'asile. Lorsque ces violations sont antérieures à l'expulsion de migrants, d'éventuels demandeurs d'asile courent le risque d'être refoulés vers des pays où leur vie ou leur liberté pourrait être menacée, ce qui viole les obligations fondamentales de non-refoulement de l'Espagne. Pour en savoir plus sur l'accès à l'asile en Espagne, consulter Human Rights Watch, "L'autre visage des îles Canaries: violations des droits des migrants et des demandeurs d'asile", Un Rapport de Human Rights Watch, vol. 14, n° 1 (D), février 2002.

3 Voir Human Rights Watch, "L'autre visage des îles Canaries, " p. 24. Human Rights Watch a également réalisé une mission d'enquête de cinq semaines en vue d'analyser le traitement des enfants migrants non accompagnés ayant quitté le Maroc pour rejoindre Ceuta et Melilla. Voir Human Rights Watch, "Personne vers qui se tourner: Abus des États espagnol et marocain contre les enfants migrants non accompagnés", Un Rapport de Human Rights Watch, vol. 14, n° 4 (D), mai 2002.

4 Human Rights Watch a demandé et reçu l'autorisation de visiter trois des six centres de détention ou centres d'internement d'Espagne : les centres d'internement de Barcelone, de Málaga, et de Murcie. Nous avons par ailleurs été autorisés à visiter les deux centres d'accueil pour migrants, subventionnés par le gouvernement, les centres de Ceuta et de Melilla. Le gouvernement espagnol a toutefois refusé notre demande de visiter le centre de détention non-officiel situé dans le vieil aéroport de Fuerteventura, en nous faisant remarquer que les organisations non gouvernementales (ONG) n'ont pas accès à ce centre ni au centre d'accueil d'urgence de Lanzarote, de construction similaire. Human Rights Watch s'est néanmoins entretenu avec de nombreux migrants, avocats et représentants d'organisations non gouvernementales et humanitaires, tous au courant des conditions et du traitement des migrants dans ces centres de détention de fortune.

5 Voir Human Rights Watch, "The Human Rights Dimension of E.U. Immigration Policy: Lessons from Member States", discours présenté lors de la Conférence de l'Academy of European Law : "State of Play on European Immigration and Asylum Policy: Patching Up Tampere", Trèves, Allemagne, avril 2002 (disponible en anglais à l'adresse http://hrw.org/backgrounder/eca/eu-immigration.pdf).

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