NIGERIA
Depuis quelques années, le delta
du Niger a été le théâtre de confrontations
majeures entre les populations qui y vivent et les forces de sécurité
du gouvernement nigerian, avec pour résultat des exécutions
extrajudiciaires, des détentions arbitraires, et des restrictions
draconiennes des droits à la liberté d'expression, d'association
et d'assemblée. Ces violations des droits civils et politiques ont
été commises en réponse principalement aux protestations
contre les activités des companies multinationales qui produisent
le pétrole du Nigeria et contre l'usage que le gouvernement nigerian
fait des revenus du pétrole. Bien que l'accession au poste de chef
d'Etat du Gén. Abdulsalami Abubakar en juin 1998 ait resulté
en une réduction visible de la répression que le défunt
Gén. Sani Abacha infligeait au peuple nigerian, les violations des
droits de l'homme dans les communautés petrolifères continuent
et la situation de base dans le delta reste inchangée.
A son accession au pouvoir, le Général
Abubakar annula le "programme de transition" élaboré par
le Général Abacha --programme visiblement conçu pour
installer comme président "civil" le chef d'Etat militaire, libérer
les prisonniers politiques et instaurer un nouveau programme de transition
dans des conditions d'ouverture croissante. Des élections locales,
étatiques et nationales eurent lieu en décembre 1998 et en
janvier et février 1999, et avaient pour but de conduire à
l'inauguration d'un gouvernement civil le 29 mai 1999, avec à sa
tête le président élu et ancien chef d'Etat militaire
Olusegun Obasanjo. Depuis le décès d'Abacha, et dans le contexte
d'une plus grande compétition de l'environnement politique encouragée
par les élections, il y a eu un accroissement dans les demandes
au gouvernement pour améliorer la position des différents
groupes vivant dans les régions produisant du pétrole. En
particulier, des membres du groupe ethnique Ijaw --le quatrième
plus large groupe du Nigeria-- adoptèrent la Déclaration
de Kaiama le 11 décembre 1998, dans laquelle ils se déclaraient
propriétaires de toutes les ressources naturelles se trouvant sur
territoire Ijaw. Il y a eu également un accroissement d'incidents
dans lesquels des manifestants ont occupé des stations d'écoulement
de l'industrie pétrolière et ont interrompu la production
ou pris des employés des companies pétrolières en
otages.
En février 1999, Human Rights Watch
a publié un rapport de 200 pages The
Price of Oil: Corporate Responsibility and Human Rights Violations in Nigeria's
Oil Producing Communities, qui examinait les violations des droits
de l'homme en relation avec la suppression des protestations contre les
activités des companies pétrolières. Le rapport fut
imprimé avant que les détails de la répression par
les forces de sécurité à Bayelsa et dans les Etats
du Delta à la fin de décembre 1998 et en janvier 1999 ne
soient connus. Le présent court rapport décrit ces évènements
sur la base d'interviews faits dans la région du delta durant le
mois de février 1999. Nous concluons que la répression militaire
à Bayelsa et dans les Etats du Delta à la fin de décembre
1998 et en janvier 1999 a conduit à la mort de quelques douzaines
de personnes, et probablement à plus d'une centaine; à la
torture et au traitement inhumain d'autres; et à la détention
arbitraire de beaucoup d'autres. Ces abus ont eu lieu en réponse
aux manifestations organisées par la jeunesse Ijaw à Yenagoa,
la capitale de l'état de Bayelsa, et à Kaiama, une communauté
à une heure de voiture. Les manifestations furent initialement pacifiques,
et la majorité des personnes tuées n'étaient pas armées.
Certaines furent exécutées sommairement. Dans un autre incident,
deux communautés dans l'Etat du Delta furent attaquées par
des soldats utilisant un hélicoptère et des bateaux réquisitionnés
depuis une installation exploitée par
Chevron, à la suite d'une soit-disant confrontation ayant eu
lieu à une station de forage voisine. Plus de 50 personnes auraient
perdu la vie dans ces incidents. Chevron a affirmé n'avoir pas eu
le choix s'agissant d'autoriser l'utilisation de son matériel de
construction à de telles fins. La companie n'a publié aucune
note de protestation contre les tueries; elle n'a pas non plus declaré
qu'elle prendrait des mesures pour empêcher de tels incidents dans
le futur.
Les soldats restent déployés
dans les régions riveraines de Bayelsa et les Etats du Delta. Bien
qu'il y ait de vrais préoccupations de sécurité, notamment
s'agissant de kidnappings d'employés de la companie et de conflits
inter-communautaires, particulièrement dans l'Etat du Delta, ces
soldats sont responsables des violations continuelles des droits de l'homme.
Ces violations vont de l'extortion routinière d'argent aux barrages
routiers, à la détention arbitraire et à la torture.
A diverses occasions, des individus ont également été
sommairement exécutés.
Les récentes élections ont
été profondément entachées d'irrégularités
dans de nombreuses parties du Nigeria, mais les élections tenues
dans la zone Sud-Sud, le territoire comprenant les communautés pétrolifères
du Delta du Niger, ont été particulièrement problématiques.
Des observateurs ont noté de nombreuses irrégularités
électorales dans les Etats de Rivers, Bayelsa et du Delta, les régions
les plus touchées par les récentes manifestations.
A la suite de la conclusion du processus
électoral, le gouvernement du Général Abubakar a nommé
un comité chargé d'étudier les besoins du Delta du
Niger, comité qui a recommandé le déboursement immédiat
de 15.3 milliards de naira (N), U.S. $170 million, pour des projets de
développement et l'établissement d'un Conseil Consultatif
du Delta du Niger, composé de membres du gouvernement et de représentants
des companies pétrolières, pour contrôler les projets
de développement. Le gouvernement du Général Abubakar
a aussi organisé, en relation avec ce plan, des discussions avec
des chefs choisis, en particulier, parmi le groupe ethnique Ijaw.
La crise dans les régions pétrolifères
sera l'un des problèmes les plus urgents pour le nouveau gouvernement
du Nigeria, quand il entre en fonction le 29 mai. Le degré de ressentiment
contre le gouvernement fédéral et les companies pétrolières
parmi les résidents des communautés petrolifères signifie
qu'il y aura certainement des manifestations, ainsi que des incidents de
prises d'otages et d'autres actes criminels. La répression dans
le Delta du Niger autour du Nouvel An est la preuve de la forte détermination
de l'actuel gouvernement -- qui jusqu'à présent a montré
un respect accru pour les droits de l'homme-- d'utiliser la force militaire
pour écraser les manifestations pacifiques, plutôt que d'essayer
de résoudre les problèmes qui sont à la base des manifestations.
Cependant, toute tentative pour arriver à une solution militaire
aura pour conséquence certaine la violation généralisée
des engagements pris par le Nigeria de respecter les droits de l'homme
reconnus internationalement. Dans le but d'éviter une crise des
droits de l'homme, le nouveau gouvernement
devra permettre aux populations du Delta du Niger de choisir leurs
propres répresentants et de participer au processus de décision
concernant le destin futur de la région. La nature problématique
des élections fait qu'il est encore plus important que les tentatives
effectuées pour résoudre les revendications des communautés
du delta comprennent des discussions avec des individus choisis librement
par les communautés du delta et avec pour mandat de répresenter
leurs intérêts, plutôt que des individus choisis par
le gouvernement comme représentantifs. De plus, le gouvernement
doit faire des efforts pour rétablir le respect des droits de l'homme
et la primauté du droit, et pour mettre un terme aux violations
continues des droits de l'homme résultant du déploiement
de soldats dans la région du delta.
Les companies pétrolières
qui opèrent au Nigeria partagent la responsabilité de s'assurer
que la production pétrolière ne continue pas aux dépens
des droits des habitants de la région où le pétrole
est produit. Etant donné la détérioration de la situation
de sécurité dans la région du delta, il est d'autant
plus urgent pour les companies d'adopter des mesures pour s'assurer que
la protection légitime du personnel de la companie et de ses biens
ne conduise pas à des exécutions sommaires, des détentions
arbitraires, et d'autres violations. Il est encore plus indispensable qu'il
y ait un contrôle systématique et une condamnation des violations
des droits de l'homme par le gouvernement, ainsi que des mesures pour s'assurer
que les companies elles-mêmes ne se rendent pas complices de telles
violations des droits de l'homme.
Human Rights Watch a fait de vastes recommandations
dans son rapport Le Prix du Pétrole : Responsabilités des sociétés pétrolières multinationales et violations des droits de l'homme dans les communautés des régions pétrolifères En plus des mesures mentionnées dans
ce rapport, Human Rights Watch fait les recommandations suivantes au gouvernement
du Nigeria, aux companies pétrolières et à la communauté
internationale.
A l'Actuel Gouvernement Militaire et Au Nouveau Gouvernement Civil du Nigeria:
A Chevron Nigeria Ltd:
Aux Institutions Multilatérales et Aux Partenaires Commerciaux Bilatéraux du Nigeria:
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