Africa - West

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VIII. IMPUNITE POUR LES VIOLATIONS

Le Président Gbagbo a stigmatisé son prédécesseur, le Général Guei, comme instigateur des premières violences en octobre qui, selon les officiels du FPI, firent soixante morts parmi les partisans du FPI.118 Dans un discours diffusé le 25 octobre 2000, à la radio et à la télévision nationales, il a dit : "Je m'incline avec respect devant la mémoire des morts, ceux qui ont perdu la vie à la suite de l'ordre barbare de tirer qu'a donné le Général Guei."119 En dépit de cette déclaration, et d'autres déclarations similaires, il n'y a pas eu d'enquête officielle sur les actions du Président (à l'époque) Guei, du chef de la Brigade Rouge le sergent Boka Yapi ou de tout autre membre des forces de sécurité qui, sous le commandement de Guei, ont perpétré de graves violations à l'encontre de civils non armés.

Au lieu de cela, le 13 novembre 2000, le Président Gbagbo a tenu une réunion, à l'improviste, avec le Général Guei dans la capitale Yamoussoukro, au cours de laquelle Guei a demandé aux militaires de se mettre au service de l'état et Gbagbo lui a indirectement accordé l'impunité, disant "Ce qui est important, c'est que le pays commence un processus de réconciliation ... je ne suis ni policier ni juge. Sa [celle de Guei] déclaration me suffit."120 Toutefois, cette réunion a été très critiquée et, le 21 décembre 2000, le Ministre de la Défense, Moise Lida Kouassi, a affirmé que Guei n'avait pas reçu d''immunité pénale. Il a dit que la réunion avait eu lieu pour "résoudre un certain nombre de problèmes relatifs à la sécurité intérieure... La réunion ne veut pas dire l'impunité pour le Général Guei. Le gouvernement laissera les procédures judiciaires suivrent leur cours."121

Après la découverte des corps de cinquante-sept jeunes hommes dans le Charnier de Yopougon, le gouvernement a promis de retrouver et de punir les assassins. Sur la scène, le Ministre de l'Intérieur Emile Boga Dougou, qui venait d'entrer en fonctions, a déclaré "Notre réaction est l'indignation. Je n'aurais jamais pensé que la barbarie pouvait atteindre de tels niveaux... Les coupables seront punis, d'où qu'ils viennent."122 Entre-temps, le RDR a réclamé une enquête internationale. Le chef du RDR Ouattara a déclaré que les morts étaient des musulmans du Nord et a accusé les membres de la gendarmerie d'être responsables.123

Le Président Gbagbo a promis de mener trois enquêtes judiciaires officielles sur la violence d'octobre : la première sur le Charnier de Yopougon, la deuxième sur le massacre de dix-huit personnes dont les corps ont été retrouvés, flottants dans le lagon d'Ébrié, et le troisième sur le massacre d'au moins six personnes découverts assassinés dans le quartier Blokosso.

On estimait, tant à l'intérieur du pays qu'à l'étranger, qu'un procès sur le cas du Charnier de Yopougon était un test de la capacité de Gbagbo à tenir tête aux militaires et de son engagement à restaurer l'état de droit. Un verdict de culpabilité a été également interprété comme une condition de la restauration de l'aide financière, dont le pays avait tant besoin.124 Le 13 avril 2001, six gendarmes ont été inculpés de meurtre à propos du Charnier de Yopougon.125 L'un des six était le commandant du camp de gendarmerie d'Abobo, le commandant Be Kpan, qui était capitaine à l'époque des événements d'octobre et qui a été promu par la suite. Deux autres gendarmes ont été inculpés par la suite et, le 24 juillet 2001, le procès des huit gendarmes devant un tribunal militaire a commencé à l'intérieur du camp de gendarmerie d'Agban. Toutefois, les réquisitions ont été sérieusement affaiblies du fait qu'il n'y avait pas eu de tests balistiques sur les balles découvertes dans les corps et du fait que plusieurs témoins clés ne sont pas venus ou ont refusé de témoigner, y compris deux survivants du massacre, parce qu'ils disaient avoir peur et craindre pour leur propre sécurité. Pendant le procès, un avocat pour les familles des victimes, Ibrahima Doumbia a déclaré "Les témoins ne se sentent pas en sécurité. Et, sans eux, je ne pense pas que ce procès va établir la vérité."126 Pendant le procès l'avocat pour la défense Banti Kakou a laissé entendre que l'impunité pour les gendarmes était une condition de la stabilité de la Côte d'Ivoire en disant "en les condamnant, vous saperiez sans raison aucune le moral dans la gendarmerie et donc dans la Côte d'Ivoire."127Les huit gendarmes ont tous maintenu leur innocence: le commandant Be Kpan a dit "Mes hommes n'ont jamais ouvert le feu", et le sergent Nguessan Ble, un des accusés, a dit "J'ai été surpris d'apprendre qu'il y avait eu un massacre."128 Le 3 août 2001, les huit gendarmes ont tous été acquittés par le juge Delli Sepleu, qui a décidé que le ministère public n'avait pas présenté assez de preuves impliquant directement les gendarmes dans la responsabilité des massacres."129

Entre-temps, il n'y avait guère de pression internationale pour des enquêtes ou des procès concernant des centaines d'autres graves violations des droits de l'homme commises à l'égard de civils pendant les périodes électorales d'octobre et de décembre 2000. Les résultats des deux autres enquêtes judiciaires officielles, dans le cas de dix-huit corps découverts dans le lagon d'Ébrié et des tueries de Blokosso n'ont pas encore été publiés.

Après la vague de violence encouragée par l'Etat en octobre et la vague de condamnation internationale qui s'en est ensuivie, le Président Gbagbo aurait pu faire un effort sérieux pour enquêter et traduire les auteurs des atrocités en justice. Si tel avait été le cas, il aurait envoyé un message clair indiquant que la violence évidente durant la période électorale d'octobre ne serait pas tolérée par son régime. Toutefois ses interventions se sont limitées à une promesse d'enquêtes et à d'autres gestes apparemment symboliques. Le renouvellement de la violence en décembre, y compris la torture systématique des détenus, suggère qu'il n'y a pas eu de sérieux efforts en vue d'établir la responsabilité.

Le Président Gbagbo n'a pas ordonné d'enquêtes judiciaires spéciales sur la violence de décembre. Néanmoins, en guise de réponse à des allégations de violences sexuelles commises dans l'école nationale de police pendant les jours préalables aux élections législatives de décembre, le Président Gbagbo a demandé au Ministère de l'Intérieur de mener une enquête. L'enquête de décembre a conclu que, bien que trois viols aient été commis par des civils devant les gendarmes, aucun viol n'avait été commis à l'intérieur de l'école nationale de police.130

La portée très limitée de cette enquête et l'utilisation d'une définition de l'abus sexuel très restrictive et réduite à la pénétration d'un vagin par un pénis, ont sapé sa crédibilité. Plusieurs femmes interviewées par Human Rights Watch ont dit qu'elles n'ont pas été techniquement violées mais qu'elles ont néanmoins subi d'autres formes de graves violences sexuelles. Il n'y a pas eu d'enquête sur les actions des forces de sécurité à l'intérieur d'autres installations de détentions ou même dans le parc de l'institut technique.

Le 11 décembre 2000, le Ministre de l'Intérieur, Emile Boga Doudou, a répondu aux allégations de viols et d'autres formes de torture faites par le Mouvement Ivoirien pour les Droits de l'Homme. Il a effectivement justifié les violences sexuelles commis par les forces de sécurité, laissant entendre que, si des membres des forces de sécurité sont attaqués, les femmes deviennent des cibles légitimes pour des abus sexuels et autres formes de mauvais traitements. 131

J'aimerais vraiment répondre à ces accusations. Je suis d'accord avec vous qu'elles sont graves mais elles ne sont pas basées sur des faits parce que, quand on parle de viol, à qui incombe la responsabilité du viol? Je vous fais remarquer que dans une localité comme Tengrele [dans le Nord de la Côte d'Ivoire], des militants du RDR ont essayé de violer des religieuses. Et quand vous attaquez les forces de sécurité avec des armes à feu et des armes blanches, et quand vous en blessez de nombreux, ne vous étonnez pas de la réaction de la force de sécurité.

Le gouvernement a fait plusieurs gestes symboliques pour essayer de réduire la tension à l'intérieur du pays et détourner la critique internationale. Le 31 octobre 2000, le Président Gbagbo a mis en place un organisme de médiation de vingt-trois membres dans le but de promouvoir la réconciliation nationale. Le comité, dirigé par Mathias Ekra, qui a été "médiateur national" ou ombudsman sous Bédié, comprenait également des chefs musulmans et chrétiens, des universitaires, des chefs traditionnels et le chef des forces armées, le Général Mathias Doue. Le 9 novembre 2000 a été déclaré jour national de deuil pour ceux qui ont été tués lors de la violence d'octobre.

Au moment où nous écrivons ce rapport, aucun membre des forces de sécurité n'a été arrêté ou condamné à propos d'une grave violation quelconque commise pendant les vagues de violences électorales, soit en octobre soit en décembre. Deux frères accusés du meurtre du gendarme lieutenant Nyobo N'Guessan ont toutefois été arrêtés en novembre 2000 et sont, à l'heure actuelle, en détention à la prison MACA de Yopougon. Le premier frère, qui a été capturé le 18 novembre 2000, a dit à Human Rights Watch qu'il avait été menacé d'une exécution sommaire s'il ne révélait pas le lieu de travail du second frère. A la suite de l'arrestation du deuxième frère, tous deux ont déclaré qu'ils avaient été menacés de mort et forcés de confesser le meurtre.132

La Justice Internationale
Le 26 juin, une plainte a été déposée en Belgique contre Laurent Gbagbo, Robert Guei et les ministres ivoiriens actuels de l'Intérieur et de la Défense, Emile Boga Doudou et Moise Lida Kouassi, les accusant de crimes contre l'humanité. La plainte a été déposée par 150 personnes qui ont déclaré être les victimes des violences d'octobre et de décembre en Côte d'Ivoire, y compris un survivant du massacre de Yopougon.133 Elles ont choisi de poursuivre ces hauts responsables en Belgique en raison de la loi belge de 1993 donnant compétence aux tribunaux belges pour connaître en justice du génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et des crimes de torture, quelque soit le lieu où le crime a été commis et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes. La requête a été acceptée par le tribunal belge le 1er août.134

118      "Ivory Coast People Sweep Gbagbo to Power, 60 Dead", Reuters, le 25 octobre 2000.

119     "Gbagbo Addresses Ivorian Nation", site Web de la BBC, le 25 octobre 2000.

120      "Guei Comes Out of Hiding," www.bbc.co.uk, le 13 novembre 2000.

121      "Guei May Face Charges," www.bbc.co.uk, le 21 novembre 2000.

122     Ivory Coast to Probe Massacre, Ethnic Tension High", Reuters, la 28 octobre 2000.

123      Ivory Coast to Probe Massacre, Punish the Guilty", Reuters, la 28 octobre 2000.

124      "High Stakes for Gbagbo in Ivorian Massacre Trial", Reuters, la 1 août 2001.

125      Les sept autres gendarmes inculpés sont le sergent-chef Irié Bi Ba Célestin, le sergent N'Guessan Blé Nicaise, le sergent Seri Doukadji, le sergent Wodié Hervé Joel, le sergent Naza Yao Jacques, Tra Bi Tohola Rufin, et Yoro Dasiehond Alexis Le Sauveur.

126      "High Stakes for Gbagbo in Ivorian Massacre Trial", Reuters, la 1 août 2001.

127      "Ivory Coast Police Cleared of Murder", www.bbc.co.uk, le 3 août 2001.

128      "Ivory Coast Police Deny Guilt", Associated Press, le 31 juillet 2001.

129      "Ivory Coast Court Acquits Officers", Associated Press, le 3 août 2001.

130      "Côte d'Ivoire - Rapport de violations à l'intérieur de l'Ecole de police", Ministère de l'Intérieur, décembre 2000.

131      Radio France International, 11 décembre 2000. Transcription dans "Ivory Coast: Focus on Human Rights Issues", IRIN-West Africa, 14 décembre 2000.

132      Human Rights Watch, Abidjan, le 11 février 2001.

133      Laurent Houssay, "Plainte en Belgique contre le président ivoirien, nouvel embarras diplomatique", Agence France-Presse, 28 juin 2001.

134      Théophile Kouamamo, "Côte d'Ivoire : les gendarmes de Yopougon acquittés `faute de preuves'", Le Monde, le 4 août 2001.

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