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I. RESUME

A la mi-mai 2002, des soldats et policiers de Kisangani, troisième ville de la République Démocratique du Congo (RDC), se sont mutinés contre leurs officiers et contre les autorités locales du Rassemblement Congolais pour la Démocratie, faction Goma (RCD-Goma).1 Le RCD dépend du soutien politique et militaire du Rwanda voisin pour exercer son contrôle sur quelque trente pour cent de la population de l'Est du Congo. Les mutins ont pris le contrôle de la station de radio et appelé la population à les rejoindre pour pourchasser et expulser les « Rwandais », se référant apparemment à la fois aux citoyens rwandais et aux Congolais d'origine rwandaise. Les mutins et la foule des civils ont tué six personnes présumées rwandaises.

Les soldats loyalistes du RCD ont rapidement écrasé la mutinerie. Après l'arrivée de renforts venus de Goma, les soldats du RCD ont mené des tueries indiscriminées contre les civils, exécuté sommairement des personnels militaires et civils, perpétré de nombreux viols et violences ainsi que des pillages à grande échelle.

Pratiquement dès l'arrivée des renforts et des officiers envoyés de Goma, les soldats du RCD sont entrés dans le quartier de Mangobo tuant des dizaines de civils, commettant de nombreux viols et pillant syétématiquement le voisinage. Dans le même temps, un nombre important de militaires et policiers congolais suspecté d'avoir été mêlés à la mutinerie étaient arrêtés et la plupart furent sommairement exécutés dans les soirées des 14 et 15 mai au pont de la rivière Tshopo, leurs corps précipités dans l'eau. Beaucoup de ces corps, parfois horriblement mutilés puis placés dans des sacs lestés, ont refait surface ultérieurement. D'autres tueries et exécutions sommaires se sont produites ailleurs, dans d'autres sites, notamment dans une brasserie abandonnée, sur l'aéroport de Bangboka et dans les casernes du camp militaire de Ketele.

L'enquête de Human Rights Watch a permis d'établir les identités des officiers du RCD-Goma impliqués dans ces abus qui relèvent du crime de guerre. Selon les témoins que nous avons interrogés, Bernard Biamungu, commandant de la Cinquième Brigade ; Gabriel Amisi, également connu comme Tango Fort, chef d'état-major adjoint chargé de la logistique ; et Laurent Nkunda, commandant de la Septième Brigade, se trouvaient parmi les officiers du RCD-Goma qui arrivèrent de Goma avec pour mission d'écraser la mutinerie. Ces officiers semblent avoir été présents sur beaucoup de scènes de massacres, en situation d'en être informés et, dans certains cas démontrés ci-dessous, les ont dirigés ou y ont participé. De nombreux autres officiers du RCD-Goma basés à Kisangani ont également joué rôle direct dans les violations exposées dans ce rapport.

La Mission d'observation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) comptait des dizaines d'obersvateurs militaires et environ un millier de troupes pour protéger le personnel de l'ONU à Kisangani à ce moment-là. Bien que le mandat de la MONUC l'ait autorisé à intervenir « pour assurer la protection des civils sous la menace imminente de violence physique », les responsables de la mission n'ont pas envoyé leurs observateurs militaires en patrouille pour dissuader les tueries au premier jours des violences du RCD. Les Nations Unies devraient examiner les comportements de la MONUC pendant le massacre de Kisangani. Notamment, une enquête des Nations Unies devrait déterminer si la MONUC avait les moyens militaires d'accomplir son mandat de protection et, si les officiers de la MONUC pensaient pouvoir compter sur le soutien des pays fournisseurs de contingents en accomplissant ce mandat et en risquant la vie du personnel de la Mission. Le deuxième jour, les officiers de la MONUC ont appelé à la retenue, obtenu la libération de deux prêtres détenus et protégé sept autres civils.

Au cours de son enquête, Human Rights Watch a pu retrouver les preuves du décès de plus de quatre-vingts personnes lors de la mutinerie puis de la répression qui s'en est ensuivie. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extra-judiciaires, arbitraire et sommaires a mené une enquête sur ces mêmes événements et estimé dans un rapport présenté le 16 juillet au Conseil de sécurité des Nations Unies par le Haut Commissaire aux droits de l'homme que les officiers du RCD étaient responsables de la mort de plus de 160 personnes. Le bilan définitif ne sera toutefois connu que lorsque les familles des victimes, trop effrayées actuellement par les autorités, auront suffisamment confiance pour rapporter tous les décès.

A la mi-juillet 2002, le Conseil de sécurité de l'ONU a exigé que le RCD traduise les auteurs des tueries en justice. Avec la publication de ce rapport, Human Rights Watch entend apporter des informations afin de contribuer à cet objectif grâce à l'identification de la chaîne de commandement qui lie les uns aux autres les responsables du massacre de Kisangani.

La plupart des informations de ce rapport sont fondées sur le témoignage d'un ou de plusieurs témoins des crimes décrits. Les chercheurs de Human Rights Watch ont interrogé ces témoins oculaires en privé et en toute indépendance, sans qu'ils aient connaissance des dépositions des autres témoins et ont tenté de corroborer leurs récits avec les informations disponibles chaque fois que possible. Pour leur sécurité, nous avons tu leurs noms et les détails qui auraient permis de les identifier. En raison de la grave insécurité qui règne à Kisangani, Human Rights Watch n'a pas été en mesure d'inclure certains témoignages oculaires car l'identité de leurs auteurs aurait été aussitôt connue, ce qui aurait mis leur vie en danger. Ces témoignages, conservés dans les dossiers au siège de Human Rights Watch, permettront d'apporter la preuve supplémentaire des entretiens publiés dans ce rapport.

Plusieurs groupes utilisent ou ont utilisé le nom de RCD. Dans ce texte, sauf mention explicite, le terme RCD se réfère à la faction de Goma. 

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