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V. LA REPRESSION

Une réponse officielle appropriée à la mutinerie aurait dû intégrer la volonté d'identifier et de traduire en justice les auteurs de tueries et autres crimes.25 A la place, le RCD a déchainé sa propre violence. Après avoir repris le contrôle de la station de radio et effectivement mis un terme à la mutinerie, les troupes du RCD se sont rendues coupables de tueries aveugles de civils, d'exécutions sommaires de personnels civils et militaires, de nombreux viols, violences et pillages à grande échelle. Ils n'ont pas rencontré de résistance armée au cours de leurs opérations, par conséquent, aucun de leurs crimes ne peuvent être présentés comme « dommage colatéral » des opérations militaires.

La structure de commandement

Selon trois différentes sources militaires au sein du RCD interrogées par Human Rights Watch, plusieurs des plus hauts-gradés du RCD dont le commandant de la Septième Brigade, Laurent Nkunda, se trouvaient à Goma au moment de la mutinerie et venaient tout juste d'achever un programme d'entraînement au camp militaire de Gabiro au Rwanda. (Goma, dans l'extrême-est du Congo près de la frontière rwandaise est le centre politique du RCD et abrite le siège de son bras armé, l'ANC). Selon ces sources militaires, les commandants Richard Mungura, chef de la police militaire, Franck Kamindja, responsable de l'aéroport de Bangboka et Christian Ndayabo, S5 (chargé de l'éducation morale et civique) de la Septième Brigade, tous s'exprimant en kinyarwanda, ont mis en place pendant la mutinerie une structure de commandement d'urgence pour reprendre le contrôle de la situation en l'absence des officiers de haut rang. Des sources militaires ont expliqué à Human Rights Watch que les officiers s'exprimant en kinyarwanda soupçonaient les officiers congolais appartenant à d'autres groupes ethniques de soutenir la mutinerie, suspicion apparemment alimentée par la tentative d'embuscade de Mungura alors qu'ils se rendaient à une réunion avec Ngwizani ; par conséquent ceux-ci furent exclus du processus de décision.26 Les loyalistes auraient en particulier soupçonné les soldats et officiers originaires de la province d'Equateur voisine et les soldats ayant servi dans l'armée gouvernementale de Kinshasa sous les anciens présidents Mobutu Sese Seko et Laurent Kabila.

Selon des sources militaires, la structure de commandement d'urgence a pris contact avec Goma et aurait reçu ses instructions du commandant Balthazar, le G2 (chargé des renseignements militaires et de la sécurité au commandement central de l'ANC). Alors qu'ils attendaient des renforts de Goma, ils ne pouvaient compter que sur leurs propres gardes militaires pour les protéger.

Selon un responsable du RCD, cette structure d'urgence a ordonné à Ngwizani d'arrêter près d'une dizaine d'officiers, dont Ibuka, Mabele, Mwamba, S3 de la Septième Brigade chargée des opérations ; le chef de bataillon Bosele Tshutshuhe du Bureau 2 (renseignements militaires et sécurité); Os Mabusu, pseudonyme du commandant chargé de la prison militaire attaquée par les mutins ; le commandant Ogi [position inconnue] et Nyembo-Kilonda, chef de compagnie au commandement central.27 Deux femmes furent également arrêtées : la soldate Florence Mobeyi et Marie Bagalet, qui travaillait comme secrétaire au siège de la police. Les officiers furent d'abord gardés dans divers lieux de détention de Kisangani, dont l'entrepôt de la compagnie de fret aérien GomAir, puis furent transférés dans un conteneur métallique à l'aéroport de Bangboka puis exécutés, à l'exception de Mabele qui a réussi à s'échapper.

Vers 11h00 le 14 mai, deux avions en provenance de Goma arrivèrent sur l'aéroport de Bangboka, amenant les officiers qui prirent ensuite la tête des opérations, écrasant la mutinerie et dirigeant les représailles contre les civils.28 Parmi eux se trouvaient le commandant Bernard Biamungu de la Cinquième Brigade, un ancien chef Mayi-Mayi.29 En avril 2001, Biamungu avait été condamné à Goma pour avoir donné ordre à son garde-du-corps de frapper un policier : Mwetombe Kamwizi, qui avait arrêté la voiture de l'officier pour permettre à des écoliers de traverser la route à un passage-piéton, était décédé ; le Conseil de guerre opérationnel du RCD avait jugé et condamné Biamungu à dix ans de prison. L'ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le Congo, Roberto Garreton, avait classé cette affaire comme un « décès consécutif à des tortures » dans son rapport d'août 2001 devant l'Assemblée générale de l'ONU, mais n'avait pas nommément cité Biamungu.30 En novembre 2001, Biamungu avait été officieusement remis en liberté. Selon des observateurs internationaux basés à Goma, les gardes de la prison prétendaient qu'il se trouvait à l'hôpital général de Goma pour un traitement médical, mais en janvier 2002, Biamungu suivait un entraînement militaire au Rwanda.31

Autre officier également arrivé de Goma, Gabriel Amisi - connu sous le pseudonyme de Tango Fort - Adjoint au Chef d'état-major chargé de la logistique, a été impliqué par des observateurs internationaux et une source locale à Goma d'avoir sommairement exécuté un soldat nommé Joe Lona Bifuko et d'avoir torturé plusieurs détenus de la prison militaire G2 à Goma, en 2001.32 Figuraient encore dans le groupe Laurent Nkunda, commandant de la Septième Brigade s'exprimant en kinyarwanda ainsi qu'au moins trois officiers, s'exprimant eux aussi en kinyarwanda, habituellement basés à Goma et inconnus à Kisangani.33 Les officiers ont débarqué avec deux bataillons, soit environ 120 hommes, pour la plupart rwandais ou congolais d'origine rwandaise semble-t-il. Un des bataillons est resté posté à l'aéroport tandis que l'autre gagnait le commandement central en ville..34

Selon des témoins interrogés par Human Rights Watch, Biamungu, Nkunda et Amisi semblent avoir été présents sur la scène de nombreux crimes exposés dans ce rapport, en situation d'en être informés et, dans certains cas, les ont dirigés ou y ont participé. Les officiers cités plus haut, arrivés de Goma, ont dirigé les tueries et autres crimes perpétrés le 14 mai et les jours suivants ; les commandants locaux Mungura, Kamindja, Charles, Claude, Christian et Santos ont également joué un rôle important, rapporté ci-dessous.

Meurtres, viols et pillages dans le quartier residentiel de Mangobo

Kisangani, qui compte 600.000 habitants, est administrativement divisée en communes : Makiso, Tshopo, Mangobo, Kisangani et Lubunga. Chacune de ces communes abrite des dizaines de quartiers plus petits. La commune de Mangobo, foyer de groupes de jeunes que les mutins avaient cherché à rallier à leur cause, comme les Bana Etats-Unis, fut l'une des principalec cibles de la répression. Pratiquement dès leur arrivée de Goma, les commandants du RCD se sont dirigés vers Mangobo et ont lancé une vague de tueries, viols et pillages.

Le 14 mai et pendant plusieurs jours consécutifs, les troupes du RCD ont tué de nombreux habitants de la commune de Mangobo. L'Eglise et les organisations non-gouvernementales ont dressé la liste d'au moins vingt-et-une qui auraient été tuées à Mangobo. Le nombre total des victimes n'a pas encore été établi mais les témoins interrogés par Human Rights Watch ont formellement soutenus que ceux qui furent abattus à Mangobo étaient des civils désarmés. 35 Leur assassinat devra faire l'objet d'une enquête pour crimes de guerre.

Peu après son arrivée le 14 mai, le commandant Biamungu a dirigé ses troupes dans Mangobo. Selon une personne qui l'accompagnait, Biamungu était responsable de l'opération. Voici ce que le témoin a rapporté :

Quand nous sommes arrivés à Mangobo, Biamungu a ordonné au bataillon d'ouvrir le feu. Nous avions quatre véhicules. Il ne s'agissait que du bataillon (acheminé de Goma) parce qu'ils n'avaient aucune confiance dans les troupes locales . Il n'y a pas eu de résistance armée à Mangobo. Biamungu s'est adressé aux troupes en kinyarwanda. Il leur a dit : « Parce qu'ils ont tué mes frères rwandais, aujourd'hui les Congolais vont payer. Tirez sur tous ceux que vous verrez ».36

Un second témoin a également vu Biamungu partir pour Mangobo ce jour-là. Il a d'abord vu Biamungu avec d'autres diriger les opérations depuis une tente dressée à l'aéroport. Le témoin a déclaré :

Il (Biamungu) était le chef des opérations - Je le dis parce qu'il a reçu un appel de la télévision nationale demandant la permission d'émettre et qu'il l'a refusée. Avec lui, se trouvaient les commandants Richard, Faustin, Santos, Bizimana, tous des Tutsis qui n'utilisent que leurs prénoms.... J'ai été menacé de mort par Biamungu.

A ce moment là, Biamungu a dit : « Allons à Mangobo ». Il était environ 14 heures. Ils sont montés dans un camion gris - Santos, Biamungu, and Bizimana.37

Selon des sources des Nations Unies, les forces du RCD-Goma ont effectivement encerclé la commune de Mangobo vers midi, le 14 mai.38

Meurtres

Le premier civil qui aurait été tué le 14 mai à Mangobo serait un étudiant à l'université de 23 ans, Raymond Temba. Un témoin du meurtre a raconté :

Vers 11h00, nous avons vu cinq soldats sur la route. Leur chef, j'en suis sûr, était rwandais. Il parlait à la radio avec d'autres commandants en kinyarwanda. Le chef a donné un coup de pied dans la porte et il est entré chez Temba.

Raymond faisait la lessive au-dehors. Il est rentré à l'intérieur et ... (le commandant rwandais) lui a demandé en swahili où se trouvait le propriétaire de la maison. Ensuite, le (commandant rwandais) s'est précipité dans la chambre de Raymond. Raymond le suppliait, « S'il vous plaît, ne tirez pas ». Le commandant a alors fait feu sur Raymond. Et puis il est parti.39

Raymond est décédé pendant son transfert à l'hôpital.

Catherine Tshiko, une marchande de légumes de 89 ans du marché principal de Mangobo, rentrait chez elle quand elle a croisé un groupe de soldats du RCD. Selon un témoin, « Ils l'ont vue et l'ont giflée. Elle est tombée. Ils ont ramassé des pierres et ont commencé à les lui jeter à la tête ».40 Quand les proches ont appris la nouvelle du décès, ils sont venus chercher le corps mais n'ont pas pu le trouver. « Les mêmes soldats avaient emmené le corps de (Mme Tshiko) », a indiqué le témoin. « Jusqu'à aujourd'hui, on ne sait pas où il a été emporté ».41 Selon une source qui accompagnait le commandant Biamungu à Mangobo, ce dernier a chargé un officier parlant le kinyarwanda, le commandant Santos, de ramasser les cadavres dans Mangobo et de les transporter jusqu'à une brasserie désaffectée près de la rivière Tshopo, l'UNIBRAS. « Il [Santos] a fait quatre voyages dans son Land Cruiser à double plateau pour (transporter les corps) », a assuré ce témoin.42 Il a ajouté que, dans la nuit du 15 mai, « Biamungu avait donné ordre de s'occuper des corps à l'usine... les cadavres (qui se trouvaient) à l'UNIBRAS ont été précipités directement dans la rivière (Tshopo) ».43

Vers 15h00 le 14 mai, les soldats du RCD ont tué quatre hommes qui rentraient de leurs champs aux abords du quartier de Matete à Mangobo où ils avaient bu du vin de palme. Trois des victimes, Ernest Mongbanga Lingule, son beau-frère Isaac Isabo Lotika et un cousin, Camille Mongamba, vivaient Avenue Fataki dans le quartier de Matete; le quatrième n'a pas été identifié. Selon un témoin :

Les soldats les ont forcés à s'allonger sur le sol et les ont abattus sur le champ. Mon parent a été touché dans le dos et il y avait aussi des balles devant. Les soldats ont ensuite tourné les talons, laissant leurs victimes saigner jusqu'à la mort .44

Un second témoin de la même tuerie a déclaré :

J'étais en vélo et j'avais un peu de nourriture que je venais d'acheter. Une femme m'a prévenu de ne pas continuer parce que les soldats me tueraient. J'ai fui dans la forêt et je m'y suis caché par peur.

Il y avait deux hommes arrivant du champ. Je les ai vus marcher en direction de cinq ou six militaires. Les soldats ont demandé à ces hommes pourquoi ils ne les saluaient pas. Ils ont dit aux hommes de s'asseoir. Les soldats avaient déjà regroupé (volé) de nombreuses bicyclettes. Un autre soldat qui était leur chef est arrivé, il était Tutsi, il a dit : « Qu'est-ce que vous attendez ? Tuez-les ! » Un des soldats a abattu les deux hommes là où ils étaient assis. Sur place. A ce moment là, deux autres sont arrivés de la forêt. Ils ont tiré sur les garçons et les ont tués.45

Constant Ebo, un menuisier de soixante-cinq ans, se trouvait hors de sa maison sur l'Avenue Bolingoli dans le quartier de Segama à Mangobo verss 16h00 le 14 mai. Un témoin a décrit comment il avait été tué par des soldats du RCD :

Trois soldats l'ont vu et lui ont demandé de l'argent. Il a rétorqué : « Où un grand-père comme moi trouverait de l'argent à vous donner ? » Ils l'ont tué sur le champ, sans aucune sommation. Une balle l'a atteint sur la gauche de la poitrine. Il s'est effondré, bel et bien mort.46

Plus tard, toujours le 14 mai, les soldats du RCD ont essayé de voler puis ont tué un père de famille de 46 ans, Thomas Luwembo, ainsi sa mère de 66 ans, Agnès Lofutu, qui tous deux vivaient près d'un camp militaire. Selon un témoin :

Ils ont arrêté (Luwembo) et ont commencé à le frapper avec leurs armes. Ils étaient six militaires, dont un Rwandais. Ils disaient : « Donne-nous de l'argent, si tu nous obliges à te mener à notre commandant tu mourras ». Il a dit qu'il n'avait pas d'argent, qu'il était sorti boire et avait tout dépensé. Il a essayé de rentrer chez lui et ils ont dit, « Tu vis si près du camp, tu dois être un militaire (un soldat mutin) ». Ensuite ils ont tiré deux balles sur lui. Ma grand-mère a tenté de les arrêter, mais ils ont aussi tiré sur elle.47

Dans une affaire similaire, cinq soldats - deux Congolais et trois parlant le kinyarwanda - ont tenté le 15 mai vers 16h00 de voler une femme de soixante-dix ans, Béatrice Mbutu, dans le quartier de Walendu à Mangobo. La petite-fille de Mme Mbutu, Lucy Lisaga, 16 ans et d'autres jeunes filles qui se trouvaient dans la maison ont cherché refuge dans la pièce du fond, craignant d'être violées ; mais la grand-mère est restée dans le pièce de devant. Voici ce qu'a relaté un témoin des faits :

Les soldats ont commencé à réclamer de l'argent, s'exprimant en swahili. Ils disaient « Donne-nous de l'argent, sinon on te tuera ». Ils étaient en uniforme, certains portaient des bérets verts, d'autres des rouges. (Béatrice Mbutu) a répondu : « Je n'ai pas d'argent, si vous me tuez vous ne serez pas plus riches parce que je n'ai rien ». Aussitôt, un soldat congolais l'a tuée d'une seule balle dans l'estomac.48

Beatrice Mbutu est morte sur le coup. Dès que les soldats furent partis, Lucy a commencé d'appeler à l'aide. Les soldats entendant ses cris sont revenus et ont tiré sur elle. Elle est morte deux jours plus tard.49

Viols

Les soldats du RCD ont violé des femmes au cours de leurs représailles contre la population civile de Kisangani comme ils l'ont fait ailleurs.50 La plupart des victimes de viols sont trop effrayées ou trop honteuses pour dénoncer le crime. Une femme violée a expliqué aux chercheurs de Human Rights Watch qu'elle n'avait même pas parlé du viol à son mari ou à ses proches parce qu'en faire état signifierait un divorce certain. Néanmoins, les chercheurs de Human Rights ont pu rassembler les preuves de trois différents incidents concernant au total huit femmes et les organisations locales de défense des droits humains ou d'aide humanitaire en ont enregistré d'autres.

Vers 13h00 le 14 mai, sept soldats ont ordonné à une mère de deux enfants âgée de 22 ans et à cinq autres femmes de les aider à transporter des biens qu'ils avaient volés dans des maisons du quartier jusqu'à l'aéroport voisin de Simi-Simi. Une fois là-bas, l'officier - qui parlait kinyarwanda avec un soldat et sawhili avec les autres - a dit aux soldats : « Répartissez vous les femmes, couchez avec elles et après, tuez-les ». Voici le récit de l'une d'elles :

Quand ils nous ont séparées, le commandant n'a pas voulu de femme mais tous les autres en ont pris une... Une des femmes a réussi à s'enfuir. Ensuite, les cinq (qui restions) avons été violées. Ils nous ont violées dans la brousse. Le soldats qui était avec moi était violent parce que je ne voulais pas (me laisser faire).

Alors quand le soldat avec lequel j'étais a eu fini, il a dit à son ami (dont la victime désignée avait fui) de venir prendre sa place. J'ai commencé à pleurer.51

Le second soldat a pris pitié d'elle quand il a compris qu'elle avait un petit bébé et lui a dit de fuir en vitesse sous peine d'être tuée. Cette victime ignore ce qui s'est passé avec les autres femmes. 52

Dans un autre cas, cinq soldats ont arrêté une jeune maman de vingt ans près du marché central de Mangobo, vers 16h00 le 15 mai et lui ont ordonné de transporter le butin de leurs pillages jusqu'à l'aéroport de Simi-Simi.53 Voici le récit de la victime :

Nous sommes arrivés à l'aéroport de Simi-Simi vers 19h00. Ils me disaient qu'ils allaient me tuer. A l'aéroport, le Rwandais qui commandait a donné ordre aux soldats congolais de me tuer. L'un des soldats congolais m'a prise à part et m'a dit, « Ma soeur, je ne veux pas te tuer, si tu couches avec moi, je te sauverai ».

Quand j'ai refusé, un autre soldat a commencé à me frapper. Le soldat qui voulait coucher avec moi m'a arraché mes vêtements et m'a violée. Les autres soldats étaient en train de boire à côté. Quand il a eu fini de me violer, il m'a dit de courir. Je n'avais qu'un tout petit vêtement pour me couvrir. J'ai couru en direction de la ville où je suis arrivée vers 20h30.54

Dans un troisième exemple, un jeune femme de dix-huit ans était venue consoler des voisins après la mort d'un de leurs proches tué par des soldats du RCD. Plusieurs soldats qui se trouvaient encore dans la maison l'ont emmenée dans une chambre et l'ont violée. Un témoin a rapporté que la fille, qui avait dix-sept ou dix-huit ans, venait juste de commencer l'université. Il a raconté : « Je les ai vus l'emmener dans la maison, plus tard elle m'a dit qu'elle avait été violée ».55

Les viols à l'aéroport se sont produits à proximité des casernements militaires où les officiers avaient installé leur poste de commandement, ce qui laisse penser que les violeurs ne craignaient aucun châtiment de la part de leurs supérieurs s'ils s'étaient faits prendre.

Pillages et Extorsions

De nombreux soldats du RCD ont pillé ou extorqué de l'argent et des biens aux civils pendant la répression. Comme décrit ci-dessous, les soldats ont tué des civils qui ne voulaient ou ne pouvaient pas leur tendre l'argent ou les articles réclamés et ont violé et tué certaines des femmes qu'ils avaient forcées à transporter le butin de leurs pillages jusqu'à leurs casernements. Dans d'autres cas, les soldats se sont accordés pour épargner des personnes menacées de mort en échange d'argent. Un homme de 42 ans, père de huit enfants, a raconté :

(Trois) soldats sont entrés dans notre maison et ont intimé à tout le monde d'aller dans le salon et de se coucher. Ils parlaient swahili avec un accent rwandais et ressemblaient à des Rwandais. En entrant, ils ont demandé en swahili : « Où est l'argent ? » Ensuite ils ont parlé kinyarwanda entre eux... L'un d'eux a dit « Tuez-les » en swahili. L'un des garçons qui s'était réfugié dans notre maison a dit « Ne nous tuez pas » et leur a donné de l'argent, 18.000 FC (72 USD). Ils ont vu l'argent et ont dit : « Partons ».

Quand ils sont partis, je suis allé regarder par la fenêtre. Il y avait d'autres soldats et je les ai vus transporter des radios, des matelas, des postes de télévision et même des animaux comme des canards, des vélos, beaucoup de choses. A environ 200 mètres plus loin ils pillaient une autre maison.56

Une famille avait fui sa maison dans le quartier de Walendu le 14 mai après qu'un proche eut été tué par des soldats du RCD. Quand elle est revenue le lendemain, elle a trouvé sa maison pillée. « Tout avait disparu », a dit un de ses membres. « Ils ont volé tous nos vêtements, nos casseroles, faitouts, assiettes, matelas, toutes les choses de notre ménage, la radio, notre valise, les chaussures - tout était parti ».57

Les soldats ont volé le père d'une victime qui rentrait de l'hôpital. Voici son récit : « Nous avons rencontré trois soldats qui ont tiré sur nous à plusieurs reprises et nous ont ordonné de descendre de notre mobylette. J'avais 3.500 FC (environ 14 USD) dans ma poche pour acheter du sang pour mon fils à l'hôpital. Ils ont pris l'argent dans ma poche et ont disparu avec la mobylette qui n'a pas été retrouvée à ce jour ».58

Les soldats du RCD ont également volé un véhicule et pillé des biens appartenant aux Jésuites qui travaillent à l'église de Mangobo. Vers 14H00 le 14 mai, les commandants Santos et Bizimana, s'exprimant en kinyarwanda et accompagnés de sept à huit soldats ont arrêté le Père Xavier Xabalo, soixante-deux ans, qui conduisait une femme blessée à l'hôpital. Le groupe avait déjà pillé des magasins à Mangobo. Le Commandant Santos a insulté le Père Xabalo et les soldats l'ont arrêté et lui ont volé sa montre, son sac et 3.000 FC (environ 12 USD). Ils ont confisqué sa camionette à plateau grise et l'ont chargé avec le butin de leurs pillages qu'ils ont ensuite déposé dans une petite maison proche de l'aéroport de Simi-Simi.59 Selon un témoin, Biamungu était également présent à l'aéroport à ce moment là.60

Peu après, Santos, Biamungu et Bizimana se sont dirigés dans un camion gris vers l'église jésuite. Un témoin de la scène a déclaré que les soldats avaient fait feu abondamment et sans discrimination, obligeant le Père Guy Verhaegen, soixante-quinze ans, à ramper pour se mettre en sécurité. Le Commandant Santos a demandé au Père Verhaegen où se trouvait le téléphone satellite et comme le père, entendant mal, désignait le téléphone public, Santos l'a frappé si fort que le religieux en a reculé de plusieurs mètres. Les soldats ont volé une moto, une radio Kenwood avec transformateur, un téléphone satellite, un ordinateur portable, une télévision, une radio ondes courtes et de nombreux autres articles. Les pères ont ensuite publiquement dénoncé les pillages et plusieurs choses leur ont été rendues.61

Victimes non-apparentes : les enfants traumatisés

Un père dont le fils aîné fut parmi les premiers à être tués à Mangobo a déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch: « J'ai un autre fils encore jeune. Nous n'avons pas pu le consoler depuis le jour où il a vu son frère saigner à mort. Il est maintenant traumatisé et souffre de crises de tremblements. Parfois, il s'évanouit ».62

Les représentants d'organisations médicales internationales présentes à Kisangani ont indiqué aux chercheurs de Human Rights Watch qu'ils s'occupaient de nombreux enfants traumatisés par la violence dont ils furent témoins à la mi-mai. Une organisation qui assurait une assistance à une trentaine de ces enfants a noté que nombre de familles étaient trop pauvres et trop effrayées pour rechercher un tel soutien.63

Executions sommaires au pont de la rivière Tshopo

La rivière Tshopo est un affluent dont le cours coule parallèle au fleuve Congo dans la région de Kisangani pour le rejoindre quelques kilomètres en contrebas de la ville. Son lit étroit et son cours rapide au nord-est de Kisangani ont été jugés idéal pour l'implantation d'une centrale hydro-électrique et d'un barrage de retenu, d'une station thermale et d'une usine de traitement des eaux. Un petit pont métallique qui enjambe les deux rives de la Tshopo, à peine assez large pour un véhicule à la fois, est utilisé par les fermiers qui apportent leur production au marché et par les soldats allant et venant du camp militaire de Kapalata. (Voir Figure 1)

Les soldats du RCD ont choisi ce site, légèrement à l'écart du centre-ville, comme lieu pour les exécutions sommaires en espérant semble-t-il pouvoir les garder secrètes. Mais de nombreux témoins ont vu on entendu ce qui se passait et au moins deux victimes désignées ont survécu pour raconter les massacres. Dans les jours qui ont suivi les exécutions, la rivière elle-même a révélé les secrets de leurs auteurs en chariant sous les yeux effarés des riverains et des observateurs internationaux des dizaines de corps demi-nus, marqués par les traces de coups ou décapités, les bras toujours liés à hauteur des coudes. 64

Les tueries des 14 et 15 mai

En début d'après-midi le 14 mai, les habitants ont vu des soldats boucler un large périmètre autour du pont. L'un d'eux a raconté l'opération :

... Les véhicules déposaient les soldats... tous les quelques mètres le long de la route, sur toute la route menant à l'usine de traitement des eaux à un kilomètre et demi plus loin... Au pont, ils en ont déposé quatre-vingts... Ils ont fait deux voyages, déposant environ 200 soldats au total. Ils ont fermé le pont, refusant de laisser quiconque traverser. A 16h00, il y a eu une famille qui voulait aller enterrer quelqu'un décédé de la malaria mais elle n'a pas été autorisée à franchir le pont.65

Les témoins ont rapporté qu'ils avaient vu trois commandants du RCD superviser ce déploiement : Gabriel Amisi (Tango Fort), Laurent Nkunda et Bernard Biamungu. « On observait les mouvements militaires quand on vu les trois officiers arriver », a déclaré un témoin. « Tango Fort était juché sur une moto Jaguar. Les autres sont arrivés en camions. Vers 16h30, les officiers ont tenu réunion pendant une trentaine de minutes ».66 Les enquêteurs de Human Rights Watch se sont procurés les numéros des plaques d'immatriculation des véhicules utilisés pour l'opération.67

Vers 20h00, les témoins ont vu plusieurs véhicules arriver au pont. Voici ce qu'a déclaré l'un d'eux :

Il faisait nuit et je ne pouvais voir que les phares avant des véhicules quand ils se sont arrêtés juste avant le pont pour déposer des gens. Les phares sont restés allumés quand ces gens ont traversé le pont principal à pied en direction de l'autre rive. Il y a eu ainsi une trentaine de rotations pour déposer des personnes de cette manière... Ces mouvements ont duré de 20h30 jusque vers 23h30.68

Les témoins ont également indiqué avoir entendu des coups de feu malgré le bruit de la rivière, plus fort qu'habituellement du fait que les portes du barrage avaient été ouvertes en début de soirée. « A 23h00, nous avons entendu le premier tir de revolver », a déclaré un témoin. « Après le deuxième puis le troisième tir, j'ai commencé à compter et j'ai entendu dix-huit coups de feu tirés par un revolver, à intervalle de quelques minutes. Le bruit provenait du pont ».69 Human Rights Watch n'a aucun élément prouvant que les commandants Nkunda, Amisi et Biamungu étaient encore présents sur le pont lors des exécutions.

Un soldat s'exprimant en lingala et qui avait participé aux tueries a raconté plus tard à une connaissance que son groupe venait de Goma avec Tango Fort. Selon son interlocuteur local, il a dit :  « Mon ami, jeudi soir on a tué plus d'une centaine de vos officiers sur le pont ».70 Selon un villageois, d'autres soldats auraient raconté avoir reçu l'ordre de tirer sur les officiers de police mais d'utiliser d'autres moyens pour mettre à mort les commandants militaires. Comme il leur demandait comment des soldats pouvaient tuer leurs officiers, ils ont répondu qu'ils auraient été eux-mêmes exécutés s'ils avaient refusé. Ils lui ont assuré qu'un soldat de leur groupe qui avait refusé d'obéir avait été tué le premier.71

Le lendemain, le pont est resté fermé mais des dizaines de témoins ont vu les soldats essayant apparemment de nettoyer le sang.72 Ce soir là vers 19h00, d'autres soldats sont venus sur le pont. A 23h00, le commandant Mungura, agissant sur ordre de Nkunda selon un témoin militaire, est arrivé et au même moment trois Land Cruisers et le véhicule volé aux prêtres de Mangobo se sont arrêtés sur le pont, avec à leur bord vingt-huit prisonniers qui avaient été gardés à l'aéroport.

Selon un soldat présent, les soldats qui tuaient les autres sur le pont venaient tous de Goma ; voici ce qu'il a déclaré :

Il y avait un cordon de soldats sur le pont. On a pris les prisonniers attachés et on les a menés sur le pont. Biamungu, Mungura, Santos, S3 Lubutu [l'officier qui dirigeait les opérations à Lubutu], Franck [Kamindja, commandant de l'aéroport de Bangboka] étaient présents. Biamungu dirigeait les opérations, il frappait les prisonniers. Puis il a ordonné de tuer les prisonniers à la baïonnette et de les jeter dans la rivière. Ils étaient attachés et baillonnés. Certains ont été tués à la baïonnette, d'autres ont eu la nuque brisée. Ils les plaçaient dans des sacs et les jetaient dans la rivière. Les deux femmes prisonnières n'étaient pas là.73

Quand les tueries furent achevées, les tueurs s'en furent boire tandis que Biamungu et les autres se rendirent dans l'immeuble de la Présidence du RCD.74

Les preuves du massacre et les tentatives de les dissimuler

A partir du 16 mai et pendant les deux journées qui suivirent, les pêcheurs et autres riverains ont vu des corps dans la rivière, masculins et celui d'une femme au moins.75 Un habitant de la commune de Tshopo qui a traversé le pont à pied s'est souvenu :

J'ai compté trente corps et sacs mortuaires (bodybags) entre le barrage et les petits rapides et douze au-delà des rapides. La plupart des cadavres étaient en sous-vêtements et beaucoup avaient été décapités. Sur le pont, il y avait encore de nombreuses traces de sang malgré les tentatives de les recouvrir de sable et dans le petit champ de maïs sur la gauche de la berge, l'odeur était insupportable.76

D'autres cadavres sont apparus le 17 mai et un témoin en a dénombré dix-sept, dont celui d'une femme. Il n'a pas compté les sacs contenant les cadavres. Quand les soldats se sont aperçus que les cavadres attiraient une foule de spectateurs sur les bords de la rivière, vers 8h30 du matin, ils ont commencé à tirer en l'air, ont fermé le pont et sollicité de l'aide par radio.77

Deux véhicules sont rapidement arrivés en renfort. Les soldats ont donné ordre à deux véhicules de la MONUC et à d'autres appartenant à des organisations non-gouvernementales (ONG) internationales qui se trouvaient dans le secteur de partir immédiatement (ONG) et ont bloqué les accès au pont.

Selon un soldat qui l'accompagnait, Mungura est arrivé avec des renforts, agissant une fois de plus sur ordre de Nkunda qui l'avait appelé par radio dans le camp de Ketele pour lui dire de se rendre au pont avec toutes les troupes qu'il pourrait rassembler. Mungura a regroupé une trentaine d'hommes et est arrivé au pont où les civils essayaient de tirer les cadavres hors de l'eau.78 Voici ce qu'a déclaré un des soldats présents :

Les commandants Biamungu, Mungura, Christian de la Cinquième Brigade, le commandant Frank [Kamindja] et deux autres officiers rwandais que je n'ai pas reconnus à l'aéroport se trouvaient là. Biamungu a ordonné de tirer en l'air pour disperser la population. Ensuite, le commandant Biamungu a ordonné au commandant Christian d'aller chercher quelques personnes pour aider à ensevelir les cadavres.

Nous sommes allés au marché voisin et avons trouvé vingt-sept jeunes hommes. L'un des deux Rwandais venus de Goma a expliqué qu'ils devaient ensevelir les corps et qu'ils seraient payés 150 dollars US.

Nous avons retirés neuf cadavres de la rivière et les avons placés dans un camion. Ensuite nous sommes allés à l'aéroport de Bangboka. Le propriétaire du camion a été laissé au Kilomètre 13 pendant que nous continuions vers l'aéroport. C'était un vieux camion Leyland de l'UNIBRAS.

A l'aéroport de Bangboka, nous avons vu quatre avions de la MONUC. Nous avons caché le camion derrière un bâtiment. Plus tard (quand les officiers de la MONUC furent partis) nous avons jetés les corps dans une fosse commune qui avait déjà été creusée tout au bout de la piste. Alors que nous mettions les corps (dans le trou), d'autres soldats sont arrivés avec treize hommes entravés - des policiers que je connaissais pas. Il était près de 22h00. Après ça, nous sommes allés boire et manger au poste militaire jusqu'à 2h00 du matin.79

Dans les jours qui suivirent, des cadavres ont continué d'être trouvés dans la rivière au-delà de Kisangani : une vingtaine à Yakossu à vingt-cinq kilomètres en amont ; vingt autres à Vananonge, quatre vingts-dix kilomètres plus loin ; et dix cadavres à Yanliambi, à quelque 150 kilomètres de Kisangani.80

Autres sites de massacres

Pendant et après le 14 mai, les soldats du RCD ont tué d'autres soldats, des policiers et des civils au camp militaire de Ketele, à la base militaire de l'aéroport de Bangboka et à la brasserie UNIBRAS.

Peu après avoir repris le contrôle de la station de radio, le commandant Ibuka a donné ordre à tous les policiers de regagner leurs casernes et leurs postes.81 Lui-même a été arrêté peu après et se serait trouvé parmi les premiers exécutés.82 Mais à ce moment, des dizaines de policiers suivaient ses ordres et ont regagné leurs casernements et postes. Vers la mi-journée, la Septième Brigade de la police militaire interrogeait des policiers passant d'un poste à l'autre, arrêtant quiconque avait déserté son poste aux premières heures de la matinée, pour échapper aux mutins ou parce contraints de les rejoindre.

La police militaire a emmené à pied ceux qu'elle arrêtait, mains liées dans le dos, jusqu'au camp de Ketele, la caserne militaire la plus proche du centre-ville. Selon des témoins, plusieurs policiers de ce groupe ont été immédiatemment emmenés vers un lieu isolé dans l'enceinte du camp, se sont vus ordonner de s'asseoir et de tourner le dos à leurs gardiens. Les gardes les ont alors aussitôt abattus, même quand ils pleuraient en proclamant leur innocence.83

Les soldats du RCD ont exécuté des policiers sur la base militaire de l'aéroport de Bangboka. Human Rights Watch a interrogé un soldat (voir son témoignage ci-dessous) qui a vu treize policiers entravés, escortés jusqu'à la fosse commune située en bout de piste puis sommés de descendre dans la tombe- il a ensuite quitté les lieux et n'a jamais revu les prisonniers, ce qui le laisse penser qu'ils ont été exécutés.84  Un autre témoin a fait état de scènes similaires à l'aéroport, mais a assuré qu'elle s'était passée la nuit précédente. Il a vu des soldats parlant le kinyarwanda qui gardaient un groupe d'une dizaine de soldats détenus assis sur le sol. Il a déclaré que vers 23h30 le 14 mai, il avait vu des soldats donner ordre aux policiers de marcher vers une décharge proche. « Je ne pouvais pas voir ce qui se passait à la décharge à cause de la nuit », a expliqué ce témoin, "mais j'ai distinctivement entendu les prisonniers sangloter, hurler et implorer miséricorde pendant qu'ils étaient tués. Je me souviens d'un qui négociait avec les soldats : « Pourquoi devez-vous me massacrer ? au moins, tuez moi d'une balle ».85

En au moins une occasion, les soldats du RCD ont déversé des corps de leurs victimes militaires directement dans le fleuve Congo. Un témoin a vu un officier jeter trois cadavres de soldats dans le Congo, non loin du centre de Kisangani.86

Dans l'après-midi du 14 mai, trois soldats du RCD se sont faits déposer à la brasserie UNIBRAS par des vélos-taxis et ont refusé de payer les jeunes cyclistes. En revanche, ils les ont obligés à pénétrer dans une villa du complexe de l'UNIBRAS où une dizaine de soldats se pressaient dans le salon. Les soldats ont donné ordre aux trois jeunes gens de s'allonger sur des bâches plastique ensanglantées et leur ont dit qu'ils allaient bientôt être tués. L'un des trois a eu la vie sauve grâce à un soldat congolais qui le connaissait mais, plus d'un mois après, au moment où les chercheurs de Human Rights Watch se trouvient à Kisangani, les autres étaient toujours portés disparus plus d'un mois plus tard.87

Les détentions et le traitement des detenus

Au cours de la reprise en mains qui a suivi la mutinerie, les autorités du RCD ont arrêté des dizaines de soldats et de policiers dont le sort reste inconnu. Selon un témoin bien placé pour suivre le déroulement des événements, « au moins dix personnes ont été arrêtées avant l'arrivée (des officiers de Goma)... dans la soirée, il y en avait facilement plus de trente... Ça, ce ne sont que les officiers de l'armée, mais beaucoup d'officiers de police ont été également arrêtés par la suite, sans motif précis ».88 Comme mentionné plus haut, au moins certains de ces soldats et policiers arrêtés ont été sommairement exécutés à Kisangani, mais selon des témoins, plusieurs hauts gradés arrêtés ont été envoyés à Goma pour interrogatoire, notamment Ngwizani envoyé là-bas le 18 mai.89

Les commandants Nyembo-Kilonda et Ibuka figuraient au nombre de ceux qu'un témoin a vus dans la cellule de détention du poste de commandement central de la Septième brigade à Kisangani, vers 17h00 le 14 mai. Nyembo étaient en sous-vêtements. A peu près au même moment, le témoin a vu Biamungu hors de cette cellule, frappant de ses poings et de ses pieds des soldats arrêtés et attachés les coudes dans le dos: "Biamungu disait aux prisonniers qu'ils allaient bientôt être décapités » a déclaré le témoin. « Je l'ai également vu donner un coup de poing dans l'estomac de Marie Bagalet, secrétaire dans la police. Il a ordonné qu'elle soit emmenée dans un Land Cruiser blanc avec quatre autres soldats ».90

Dans un document manuscrit communiqué à Human Rights Watch, le commandant Mabele, qui a survécu aux exécutions sur le pont de Tshopo en réussissant à s'échapper, a assuré que soixante-trois soldats du RCD et un nombre indéterminé de policiers du détachement provincial de la police nationale à Kisangani avaient été sommairement exécutés.91 Parmi la quinzaine de cadres de l'armée et de la police qu'il a cités au nombre des victimes, figuraient les officiers détenus Nyembo-Kilonda et Ibuka. Mabele ayant fui vers un village reculé, loin de Kisangani, Human Rights Watch n'a pas été en mesure de s'entretenir avec lui.

Le 15 mai, Jean-Pierre Lola Kisanga, porte-parole du comité exécutif du RCD-Goma et responsable du département Culture et Communications du mouvement, a déclaré à un journaliste que les autorités du RCD avaient arrêté un dizaine d'insurgés, « dont un ancien général et un capitaine (des anciennes Forces armées zaïroises) ».92 Trois jours plus tard, il a indiqué à un autre journaliste que les autorités du RCD avaient arrêté dix-sept partisans des insurgés, se référant aux jeunes gens qui avaient manifesté pour soutenir la mutinerie.93 Depuis, le RCD-Goma n'a fait aucune déclaration concernant les personnes arrêtées.

L'attitude du RCD

Au fur et à mesure que les informations sur les tueries se répandaient et que les critiques internationales s'élevaient, le RCD a commencé d'évoquer une commission d'enquête internationale et a dépêché à Kisangani sa propre mission d'établissement des faits, composée de quatre de ses dirigeants et dirigée par Jean-Pierre Lola Kisanga.94

Afin de minimiser l'ampleur des exactions, Kisanga a observé que « il y avait eu des morts des deux côtés...»95 En juin, il a annoncé que la commission d'enquête avait dénombré quarante-et-un décès lors des événements de la mi-mai : quatre Rwandais lynchés par la foule, « dix-sept civils tués par des balles perdues et onze mutins qui s'étaient noyés en tentant de fuire en canot ». Kisanga a balayé les nombreuses informations faisant état de corps flottant dans la rivière, assurant que les morts étaient « des mutins qui avaient essayé de fuire en canot et s'étaient noyés ».96 Le RCD a remis les conclusions de cette enquête à Mme Asma Jahangir, Rapporteur spécial des Nations Unies pour les exécutions extra-judiciaires, arbitraires et sommaires.

Etant donné la responsabilité évidente des forces du RCD dans les massacres, il est peu probable que les familles des victimes ou les victimes elles-mêmes aient cherché à contacter la mission d'enquête du mouvement. La mission quant à elle n'a peut-être pas cherché à collecter des informations auprès de ces personnes : sur une vingtaine de rescapés des tueries ou leurs proches interrogés par les enquêteurs de Human Rights Watch, personne n'avait été contacté par cette mission. En outre, les proches de plusieurs officiers portés disparus qui recherchaient des informations sur leur sort ont vu leurs maisons pillées par les soldats du RCD. Le responsable du RCD qui a révélé cette information à Human Rights Watch a indiqué que la nouvelle de ces agressions avait découragé d'autres familles de réclamer des investigations sur leur proche disparu.97

Dans un communiqué daté du 17 mai, le RCD a démenti que des troupes rwandaises ou même que des renforts de ses propres armées aient été envoyés à Kisangani pour mater la mutinerie. Il a seulement reconnu que les commandants Gabriel Amisi et Laurent Nkunda avaient été envoyés de Goma à Kisangani et indiqué que leur contribution avait permis « la répression de l'insurrection armée du 14 mai ».98

25 Voir : "L`Est du Congo dévasté - Civils assassinés et opposants réduits au silence", Rapport de Human Rights Watch, vol.12, no.3 (A), mai 2000. Les autorités du RCD assurent qu'elles appliquent la législation congolaise. Celle-ci autorise les autorités à détenir une personne sans charge pendant 48 heures et, une fois l'accusation prononcée, à la garder encore deux semaines en prison avant de les transférer à la prison centrale. Les représentants de l'autorité peuvent arrêter des personnes pour des raisons liées au conflit armé, mais ils sont alors tenuz par les dispositions du droit international humanitaire. Notamment, le processus judiciaire doit être régulier et respecter les droits de l'accusé à être informé sans délai des crimes dont il est accusé, la présomption d'innocence jusqu'à preuve de la culpabilité et le droit de choisir son défenseur, etc. Le RCD a conservé les institutions judiciaires existantes et l'essentiel de leur personnel. Le RCD a omis de payer régulièrement les nombreux fonctionnaires du gouvernement, notamment les magistrats. Dans une situation économique de plus en plus désespérée, le personnel judiciaire exige fréquemment des pots-de-vin pour faire son travail et les citoyens doivent payer pour obtenir justice.Selon de nombreux détenus, les membres de leur famille ont dû payer pour recevoir l'autorisation de leur rendre visite ou de leur apporter à manger et les prisonniers ont dû payer également pour bénéficier d'un meilleur traitement. Les gardiens seraient parfois réticents à libérer leurs prisonniers parce qu'ils perdraient une partie de leurs revenus.

26 Entretiens avec Human Rights Watch, Kisangani

27 Ibid.

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