Africa - West

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I. RESUME

Dans le cadre de la guerre plus large qui se déroule dans l'est de la République Démocratique du Congo (RDC), les parties impliquées mènent une autre guerre: celle de la violence sexuelle contre les femmes et les filles. Alors que les activités militaires augmentent dans une région, puis dans une autre, les viols et autres crimes contre les femmes et les filles suivent la même progression. Ce rapport s'appuie sur des recherches conduites dans les provinces du Nord et du Sud Kivu, une région contrôlée depuis 1998 par les forces rebelles luttant contre le gouvernement du Président Kabila, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) et son protecteur, l'armée rwandaise. L'armée rwandaise, qui occupe une grande partie de l'est du Congo, et le RCD sont opposés à plusieurs groupes armés opérant dans l'est du Congo, y compris des groupes armés burundais et des rebelles rwandais associés avec des forces impliquées dans le génocide rwandais de 1994.

La violence sexuelle a été utilisée comme une arme de guerre par la plupart des forces impliquées dans ce conflit. Les combattants du RCD, les soldats rwandais, ainsi que les combattants des forces qui leur sont opposées - les Mai-Mai, groupes armés de Hutu rwandais et les rebelles burundais des Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD) et du Front National pour la Libération (FNL) - ont violé des femmes et des filles au cours de l'année écoulée, de façon fréquente et parfois systématique.

Dans certains cas, des soldats et des combattants ont violé des femmes et des filles dans le cadre d'une attaque plus générale au cours de laquelle ils ont tué et blessé des civils ainsi que pillé et détruit leurs biens. Ils ont agi de la sorte pour terroriser les communautés et pour les forcer à accepter leur contrôle, ou pour les punir d'une aide réelle, ou supposée, aux forces adverses, en particulier s'ils avaient eux-mêmes été récemment attaqués par ces forces. Dans les cas où une attaque plus vaste ne s'est pas produite, des individus ou de petits groupes de soldats et de combattants ont aussi violé des femmes et des filles qu'ils ont rencontrées dans les champs, en forêt, le long des routes ou chez elles.

La guerre qui a ravagé cette région de façon intermittente depuis 1996 a détruit l'économie locale. Poussées par une extrême pauvreté, les femmes qui fournissaient les ressources pour maintenir leur famille en vie ont continué à se rendre aux champs afin de cultiver, dans les forêts pour y faire du charbon ou au marché pour y vendre leurs produits même si de telles activités les exposaient à la violence sexuelle. Les soldats et les combattants se sont attaqués à ces femmes et à ces filles ainsi qu'à d'autres qui avaient fui les combats pour vivre dans des structures temporaires et fragiles, dans la forêt. Dans de nombreux cas, des combattants ont enlevé des femmes et des filles et les ont conduites dans leurs bases, en forêt, les forçant à fournir des services sexuels et un travail domestique, parfois sur des périodes de plus d'un an. Parmi les centaines de milliers de personnes déplacées par la guerre se trouvaient de nombreuses femmes ayant cherché la sécurité dans les villes, pour elles-mêmes et pour leur famille. Au lieu de trouver cette sécurité, certaines ont été violées par des soldats basés dans des camps militaires proches ou par des responsables gouvernementaux.

Certains violeurs ont encore ajouté à la gravité de leurs crimes en commettant d'autres actes d'une brutalité extraordinaire, tirant sur leurs victimes avec une arme introduite dans leur vagin ou les mutilant avec des couteaux ou des lames de rasoir. Certains ont attaqué des filles de cinq ans seulement ou des femmes âgées de quatre-vingts ans. Certains ont tué leurs victimes sur le coup alors que d'autres les ont laissées mourir de leurs blessures.

Ce rapport se concentre sur les crimes de violence sexuelle commis par des soldats et d'autres combattants. Mais le viol et les autres crimes sexuels ne sont pas seulement pratiqués par des factions armées. Ils le sont aussi, de plus en plus fréquemment, par la police et d'autres personnes occupant des positions d'autorité et de pouvoir et par des criminels de droit commun et des bandits opportunistes qui profitent du climat d'impunité généralisée et de la culture de violence contre les femmes et les filles. Si les crimes commis par les criminels de droit commun ne sont pas examinés en détail dans ce rapport, ce dernier apporte néanmoins des informations sur des cas d'attaques conduites par des hommes en armes pour lesquelles on dispose d'indications montrant que leurs auteurs pouvaient être des combattants. De telles indications peuvent être la langue des attaquants, leurs armes, le degré d'organisation ou le type d'abus contre les civils.

Les combattants et les soldats réguliers responsables d'actes de violence sexuelle commettent des crimes de guerre. Dans certains cas, leurs crimes peuvent être considérés comme des crimes contre l'humanité. Le RCD, souvent décrit comme substitut du gouvernement rwandais, administre de larges zones dans l'est du Congo, notamment les provinces du Nord et du Sud Kivu, bien que son contrôle se limite principalement aux cités et villes. Certaines cours de justice fonctionnent bel et bien et ont sanctionné des cas de viols commis par des particuliers. Cependant, soldats et autres combattants commettent des crimes de violence sexuelle pratiquement en toute impunité et ni la police, ni les autorités judiciaires ne donnent sérieusement suite aux cas de viols. Peu de femmes ont porté plainte contre leurs violeurs, en partie parce qu'elles savaient qu'il y avait peu de chance de voir l'auteur de ce crime condamné, en partie parce qu'elles craignaient l'isolement social qui accompagne le fait de se présenter ouvertement comme victime d'un viol.

La peur d'être mises à l'écart a aussi empêché certaines victimes de chercher une aide médicale. Beaucoup d'autres qui auraient souhaité une assistance médicale n'avaient à leur disposition aucun lieu vers lequel se tourner. Les services de santé, détériorés après des années de mauvaise gestion, se sont complètement effondrés au cours de la guerre, dans de nombreuses communautés. Le manque d'une assistance de ce type a été particulièrement critique compte tenu de la prévalence du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) parmi les soldats et les combattants, estimée par un expert à soixante pour cent parmi les forces militaires présentes dans la région. Avec l'augmentation du nombre des viols, de nombreuses femmes se sont trouvées exposées non seulement au syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA) mais également à d'autres maladies sexuellement transmissibles. Ces femmes, comme beaucoup de celles gravement blessées par un viol ou d'autres attaques sexuelles, n'ont pu recevoir un traitement médical approprié.

Ces crimes de violence sexuelle ont des conséquences directes, profondes et bouleversantes pour les femmes et les filles qui sont attaquées ainsi que pour leur communauté. De nombreuses femmes et filles ne récupèreront jamais des effets physiques, psychologiques et sociaux de ces attaques et certaines en mourront. Un nombre significatif d'entre elles se retrouvent enceintes, suite au viol qu'elles ont subi et luttent désormais pour assurer la survie des enfants qu'elles ont portés. Certaines femmes et filles ont été rejetées par leur mari et leur famille et ont subi l'ostracisme de la communauté, parce qu'elles avaient été violées ou parce qu'on les soupçonne d'être infectées par le VIH/SIDA. Elles doivent maintenant tenter de commencer une nouvelle vie, parfois en rejoignant des communautés éloignées de leur ancien foyer.

La brutalité contre les civils, et la violence sexuelle en particulier, font partie intégrante de la guerre dans l'est du Congo. Les forces impliquées dans des actes de violence sexuelle contre des femmes et des filles continuent à être récompensées pour leurs actions, par leurs chefs et par leurs puissants alliés. Tant que le climat d'impunité persistera dans l'est du Congo, des femmes et des filles continueront à être prises pour cibles au c_ur de cette guerre dans la guerre.

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