Africa - West

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VII. REPONSES INDIVIDUELLES ET COMMUNAUTAIRES

Stratégies de protection

Les femmes et les filles de l'est du Congo, leur famille et leurs communautés ont développé différentes stratégies pour se protéger contre la violence sexuelle. Certaines familles ont envoyé leurs femmes et leurs filles dans des lieux plus sûrs. Un habitant de Bukavu a raconté aux chercheurs de Human Rights Watch : "J'ai une fille chez moi que ses parents ont envoyée loin de chez eux afin de la protéger contre un viol."204 Dans d'autres cas, la plupart des membres de la famille ont fui vers des zones plus sûres.205 Un prêtre d'une paroisse rurale a déclaré : "Les femmes, les filles et les jeunes hommes ne sont plus dans les villages - on ne trouve que des vieux."206

Une autre stratégie fréquemment utilisée est de rechercher la sécurité dans les grands nombres. Quand cela est possible, les femmes et les filles essaient de se rendre au marché, en forêt ou aux champs, en groupes, espérant ainsi décourager d'éventuels assaillants.207 Parfois efficace, cette pratique livre, à d'autres occasions, un nombre plus élevé de femmes et de filles aux mains des assaillants. Dans une variante de cette stratégie, des femmes plus âgées, supposées moins exposées aux attaques, ont remplacé les femmes plus jeunes et les filles dans les activités nécessitant de s'éloigner de la maison. Utile pour protéger celles qui seraient les plus visées sans cela, cette stratégie n'offre aucune protection aux femmes plus âgées. Et comme le faisait remarquer une jeune fille de quatorze ans, victime d'un viol : "Je ne pense pas qu'il y ait une façon de se protéger contre ça. Maintenant, on essaie d'envoyer les femmes plus âgées chercher la braise mais à un moment donné, tout le monde devra y aller."208

Dans certaines communautés, des hommes ont accompagné des groupes de femmes et de filles au marché ou lorsqu'elles partaient cultiver leur champ. Dans un cas étudié par les chercheurs de Human Rights Watch, un homme accompagnant un groupe de femmes a essayé en vain de prendre la défense de l'une d'entre elles lorsqu'un soldat armé a tenté de la violer. Il a lui-même essuyé un coup de feu tiré par le soldat et souffre depuis d'un handicap permanent.209

Dans les villes, les femmes et les filles portent maintenant une couche supplémentaire de vêtements désignée sous le nom de umugondo ou simplement gondo pour rendre plus difficile l'accès à leur corps par leurs assaillants.210

Confrontées à des hommes armés qui tentaient de les violer, certaines femmes et filles ont lutté en retour, usant de leur tête autant que de leurs poings et de leurs pieds. Certaines ont tenté de faire prendre conscience à leurs assaillants du caractère honteux de leurs actes ou de les persuader de les laisser en paix alors que d'autres ont résisté physiquement ou ont fui. Compte tenu du pouvoir disproportionné dont disposent les assaillants, relativement peu de femmes et de filles ont réussi à échapper au viol et à d'autres blessures. Une infirmière conseil expliquait ainsi : "La plupart des [agresseurs] disent qu'ils vont tuer [leurs victimes]. Ils disent, `combien ça coûte de te tuer, une balle, un dollar.' Les filles disent qu'alors elles abandonnent."211

La réponse de la société civile

L'ampleur et l'horreur de la violence sexuelle contre les femmes et les filles dans l'est du Congo ont encouragé des églises, des associations de défense des droits humains, des groupes de défense des droits des femmes et d'autres ONG à porter assistance aux victimes et à faire pression en faveur des droits des femmes.

Des églises et certaines ONG locales ont fourni, à la fois, un soutien matériel et émotionnel aux femmes et aux filles qui avaient été violées ou agressées d'une autre façon. Certaines ont apporté une assistance matérielle pour permettre aux femmes de reprendre leur vie dans la communauté après avoir été enlevées loin de chez elles pendant de longues périodes. Certaines organisations ont aidé les victimes à s'installer en ville, loin des villages où elles étaient rejetées. Souvent, elles ont offert un soutien moral, par le biais du personnel ou des membres de l'église prêts à écouter l'histoire de la victime et à donner des conseils.

Les églises et les ONG locales, non les autorités de fait, le Rwanda et le RCD, ont apporté des soins médicaux aux victimes de viols. En l'absence d'un système de santé officiel qui fonctionne, églises et ONG ont mis sur pied de petites cliniques où les femmes violées sont traitées pour leurs blessures et dans certains endroits, bénéficient d'un dépistage du VIH et des maladies sexuellement transmissibles. Ceci est fait avec des financements minimums. De plus, certains groupes de défense des droits humains ont apporté leur assistance aux victimes en cherchant des traitements pour les blessures plus complexes, en recueillant des fonds et en mettant ces victimes en contact avec des organisations médicales congolaises et internationales.

Dans certains cas, des ONG et des avocats, individuellement, ont fourni conseils juridiques et assistance aux quelques victimes qui envisageaient de déposer une plainte officielle.

Un nombre croissant d'associations de femmes et d'ONG de défense des droits humains ont commencé à dénoncer les abus contre les civils dans le contexte du présent conflit armé et la violence contre les femmes et les filles en particulier. Des enquêteurs se sont rendus régulièrement dans les zones rurales du Nord et du Sud Kivu, parlant aux victimes et aux témoins et ils ont rassemblé une quantité substantielle d'informations sur la violence sexuelle.212

De plus, de nombreux groupes de défense des droits mènent une campagne publique sur les attaques contre les femmes et les filles dans cette guerre. A l'occasion de la journée internationale des femmes, le 8 mars 1999, une coalition d'organisations de femmes a produit une affiche portant le titre "Trop, c'est trop - à quand la fin de la violence et de la guerre ? ", montrant une femme et ses enfants attaqués par des soldats. Le 8 mars 2000, des groupes de femmes ont organisé une "Journée sans femmes", pendant laquelle les femmes sont restées à l'écart de la vie publique afin de protester contre le tribut qu'elles payaient, du fait de la guerre. A l'occasion de la journée internationale des femmes de 2001, le mouvement des femmes avait prévu une manifestation pour protester contre les violations des droits et un groupe local de défense des droits humains a distribué un dépliant déclarant :

Les femmes disent NON à la violence sexuelle utilisée comme arme de guerre au Sud Kivu, en République Démocratique du Congo. Le viol des femmes et des filles, sans distinction d'âge, par des hommes armés, dans nos villages doit être sanctionné comme un crime contre l'humanité. Nous n'avons jamais souhaité, ni planifié la guerre dans notre pays, la République Démocratique du Congo. Pourquoi devons nous être les premières victimes ?

Les autorités du RCD qui se livrent régulièrement à un harcèlement des militants des droits humains et d'autres qu'ils perçoivent comme des voix critiques de l'opposition, ont interdit les activités et les manifestations planifiées par des groupes de femmes et de défense des droits et ont menacé certaines femmes leaders.213 Les autorités du RCD ont harcelé des militants des droits humains, y compris des femmes leaders en matière de droits des femmes. Ils les ont parfois emprisonnés et battus. En juillet 2001, les autorités du RCD ont brièvement détenu une militante des droits des femmes, à Goma et en août 2001, ils ont brièvement retenu Gégé Katana qui dirige un réseau de femmes à Uvira ainsi que son mari, Jules Nteba qui est à la tête d'une ONG pour l'éducation des adultes.214

Les acteurs de la société civile se sont mis d'accord sur un programme de demandes (Cahier des charges) qu'ils transmettront au Dialogue inter-congolais, avec notamment une recommandation en faveur d'un tribunal pénal international pour juger les graves abus contre les droits humains, commis au Congo. Ceci va de pair avec un appel en faveur d'une commission vérité et réconciliation chargée d'enquêter sur les abus, depuis 1960 et une ferme affirmation de la nécessité de lancer un processus constructif pour la réconciliation et le dialogue dans le pays. D'autres importantes recommandations concernent le retrait des troupes étrangères et une réforme démocratique.215

En octobre 2001, trente-cinq militants des droits humains et femmes leaders se sont rassemblés pour élaborer des stratégies afin de combattre la violence contre les femmes dans le contexte de la guerre. Leurs recommandations se basent sur le programme développé par des organisations de la société civile, avec quelques recommandations plus spécifiques sur la protection des femmes. Ils ont demandé, par exemple, qu'un tribunal pénal international poursuive en justice les auteurs de crimes sexuels et que les Nations Unies déploient plus de ressources pour aider les femmes et les filles victimes de violence sexuelle et celles affectées par le VIH/SIDA. Ces représentants ont également appelé à une réforme légale visant à traiter les femmes et les hommes comme égaux ainsi qu'à une protection légale pour les femmes affectées par le VIH/SIDA.216

204 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 16 octobre 2001.

205 Réunion collective conduite par Human Rights Watch, Goma, 23 octobre 2001.

206 Entretien conduit par Human Rights Watch, 17 octobre 2001.

207 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 15 octobre 2001.

208 Entretien conduit par Human Rights Watch, Murhesa, 19 octobre 2001.

209 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 25 octobre 2001.

210 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 25 octobre 2001.

211 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 16 octobre 2001.

212 Les Héritiers de la Justice, "Situation des Droits de l'Homme en République Démocratique du Congo (RDC) cas du Sud-Kivu. Une population désespérée, délaissée et prise en otage," Rapport avril-décembre 2000.

213 Voir aussi le chapitre sur les attaques contre les ONG des droits des femmes, "L'Est du Congo dévasté : civils assassinés et opposants réduits au silence".

214 Communiqués de presse Human Rights Watch, "Militant congolais détenu et battu dans l'est de la RDC" (New York, 25 novembre 2001) ; et "Est du Congo: les défenseurs des droits humains persécutés par les rebelles" (New York, 21 août 2001). Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, août 2001, Goma et Bukavu, août et octobre 2001.

215 Entretien avec Marie Shimati, déléguée des femmes de la société civile pour le nord Kivu, Goma, 27 octobre, 2001. L'intégralité du programme de la société civile est présentée dans : Rapport de la concertation inter-provinciale des forces vives, Bukavu, du 4 au 10 octobre 2001.

216 Recommandations de l'atelier de formation et de consultation sur les violences contre les femmes en situation de guerre, Goma, 22-23 octobre 2001.

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