Africa - West

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III. METHODOLOGIE

Ce rapport s'appuie sur une mission de trois semaines réalisée par les chercheurs de Human Rights Watch, en République Démocratique du Congo1 et au Rwanda, en octobre et novembre 2001 ainsi que sur des recherches antérieures et postérieures à cette mission. Notre équipe a conduit ses recherches à Bukavu, Shabunda et Uvira dans la province du Sud Kivu et à Goma et ses environs, dans la province du Nord Kivu. Cette recherche s'est faite conjointement avec des collègues d'organisations congolaises de défense des droits humains, notamment les suivantes : Héritiers de la Justice, Réseau des Femmes pour la Défense des Droits et la Paix, Promotion et Appui aux Initiatives Féminines, Solidarité pour la Promotion Sociale et de la Paix, Action Sociale pour la Paix et le Développement ainsi que plusieurs autres associations à Uvira.2 Nous avons interrogé plus de cinquante femmes et filles3 qui avaient été soumises à des violences sexuelles sexospécifiques4 ainsi que d'autres qui avaient échappé à une tentative de viol. Nous avons également parlé avec des membres des familles des femmes et des filles qui avaient soit été violées, soit avaient échappé au viol et avec d'autres qui avaient été les témoins de ces agressions. Les personnes interrogées venaient à la fois des villes et des zones rurales. De plus, nous avons interrogé des autorités locales, du personnel religieux et médical et des représentants d'organisations non-gouvernementales (ONG) locales et internationales travaillant dans les domaines des droits humains, des droits des femmes et de la santé ainsi que des responsables de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Nous avons participé à des réunions avec des associations de victimes de viols, des organisations de femmes et des groupes de soutien aux femmes infectées par le VIH ou malades du SIDA.

La recherche sur la violence sexuelle est une activité très sensible. Elle exige que soient prises en compte les conséquences pour les survivantes/victimes5 de leurs révélations, que ce soit sur leur sécurité immédiate, leur position dans la communauté ou leur état psychologique et émotionnel.6 Les auteurs de ces agressions menacent de nombreuses victimes de maux supplémentaires si elles parlent du viol. Elles sont donc réticentes à dénoncer le crime. Certaines risquent leur vie en révélant ce qui leur est arrivé. Si les auteurs de ces actes appartiennent aux autorités militaires ou civiles contrôlant la zone immédiate, le risque lié au fait d'évoquer publiquement le viol peut être accru. Des membres d'ONGs et du personnel médical et religieux qui ont parlé des viols se sont aussi vus menacés de représailles, en particulier si leurs commentaires impliquaient des critiques contre les autorités locales. Certains d'entre eux hésitent maintenant à parler du problème. Les victimes de viols sont souvent mises à l'écart par le reste de la communauté et même par les membres de leur propre famille. Parler du crime peut exposer les survivantes à un tel rejet. Les membres des familles peuvent partager les inquiétudes des survivantes concernant leur sécurité et leur position dans la communauté et peuvent les pousser à garder le silence. Les victimes qui relatent les circonstances du crime peuvent manifester des réactions liées à un stress psychologique et physique, renouvelé ou intensifié, caractéristiques du syndrome de stress post traumatique.

Prenant en considération ces préoccupations, nous avons interrogé les victimes en présence seulement d'un traducteur si nécessaire, et d'un membre de la famille ou d'un ami, d'un professionnel de la santé ou d'un conseiller religieux, si la présence d'un tel individu était souhaitée par la personne interrogée. Dans presque tous les cas, le traducteur était un individu connu de la personne interrogée. Habituellement, toutes les personnes présentes étaient des femmes. Pour les quelques cas où un homme était présent, ceci s'est fait avec la permission de la personne interrogée. Afin de préserver la confidentialité de toutes les informations, les noms des personnes interrogées ont été changés et parfois, les détails des dates et des lieux des entretiens ont été omis, dans ce rapport. Si nous avons cherché à obtenir le plus d'informations possibles lors de chaque entretien, nous avons également considéré le bien-être de la personne interrogée comme prioritaire et certains entretiens ont ainsi été écourtés.

Nous avons été frappés par le courage et la force de nombreuses survivantes qui ont partagé leur expérience avec nous malgré les risques, la peur et la gêne que cela impliquait. Une jeune fille de douze ans qui a été violée a conclu son témoignage en disant qu'elle était prête à parler du viol parce qu'il "était important que ceci n'arrive pas à d'autres."7

Ce rapport fait partie d'un projet plus large de Human Rights Watch et d'associations congolaises de défense des droits humains pour combattre les violations des droits humains, en particulier la violence sexuelle au Congo. En septembre 2000, Human Rights Watch et les Héritiers de la Justice ont organisé, sur ce sujet, un atelier de travail avec des associations de femmes et de défense des droits humains de Bukavu. En octobre 2001, Human Rights Watch et Promotion et Appui aux Initiatives Féminines (PAIF) ont dirigé un second atelier de travail pour les membres des organisations de femmes et de défense des droits humains, pour le personnel médical et pour des avocats des provinces du Nord et du Sud Kivu, afin d'examiner l'aspect médical et l'aspect droits humains de la violence sexuelle, dans le contexte de la guerre au Congo.

1 Dans ce rapport, nous désignerons la République Démocratique du Congo par le seul terme de Congo.

2 Les collègues travaillant sur les droits humains à Uvira ont demandé que leurs associations ne soient pas nommées dans ce rapport.

3 Dans ce rapport, les termes "filles" et "garçons" font référence à des enfants. L'article 219 du Code congolais de la Famille définit un enfant comme une personne de moins de dix-huit ans. Selon le droit international, les personnes de moins de dix-huit ans sont considérées comme des enfants (art. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant, 2 septembre 1990). Tous les états sont parties à la Convention relative aux droits de l'enfant sauf les Etats Unis d'Amérique et la Somalie.

4 Le terme "violence sexuelle" est utilisé dans ce rapport pour désigner toutes les formes de violence de nature sexuelle, telles que viol, tentative de viol, agression sexuelle et menace sexuelle. La violence sexospécifique est une violence dirigée contre un individu, homme ou femme, sur la base du rôle spécifique qu'il tient dans la société, en fonction de son genre. Dans le cas des femmes et des filles, un exemple serait le fait d'être forcées de cuisiner et de nettoyer. La violence sexuelle et la violence sexospécifique sont fréquemment associées.

5 Les femmes et les filles qui ont été violées peuvent être présentées et/ou perçues soit comme victimes, soit comme survivantes et le débat se poursuit pour savoir quel est le terme le plus approprié. Dans ce rapport, les deux termes sont utilisés de façon interchangeable, sans distinction significative.

6 Sur les questions de méthodologie, voir Agnès Callamard, Méthodologie de recherche sexospécifique (Québec : Publications Amnesty International et le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, 1999) ; Documenter les violations des droits humains par les agents de l'Etat : la violence sexuelle (Québec : Publications Amnesty International et le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, 1999).

7 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 25 octobre 2001.

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