Au cours de l'année 2000, les conflits permanents au niveau du leadership ont créé une confusion politique et administrative dans les zones du nord-est du Congo que le RDC-ML prétend contrôler. Les trois hauts dirigeants du RCD-ML, Wamba dia Wamba d'une part, et ses deux adjoints Mbusa Nyamwisi et Tibasima Ateenyi d'autre part ont développé des structures politiques et administratives parallèles à Bunia, la capitale du RCD-ML, et dans la ville de Beni. Les ailes militaires du RCD-ML ont reflété ces dissensions au niveau des dirigeants : le recrutement au sein des forces armées du RCD-ML s'est fondé en grande partie sur l'allégeance personnelle et/ou ethnique. La lutte politique a exacerbé les tensions ethniques dans la région, allant jusqu'à provoquer des massacres ethniques répétés.
Au moment où il a été absorbé de fait dans un nouveau front à la mi-janvier 2001, le RDC-ML devait encore adopter une plate-forme élémentaire en tant que mouvement politique, définir ses structures internes et leurs attributions respectives et choisir un dirigeant qui soit acceptable pour les diverses factions. Mis à part la philosophie générale non-militariste prônée par Wamba et un engagement théorique envers une résolution pacifique de la guerre au Congo, les objectifs que s'était fixés le mouvement dans la guerre nationale et sa position quant aux dimensions régionales complexes de la guerre étaient on ne peut plus flous. Les querelles entre hauts dirigeants du mouvement portaient souvent sur des accusations réciproques d'inaptitude politique, de détournement de fonds et de manipulation de l'ethnicité à des fins politiques mesquines.
En 2000, les deux adjoints de Wamba ont cherché, à au moins trois reprises, à le renverser bien qu'il ait été désigné président du mouvement. L'Ouganda, qui soutient la faction rebelle, a fini par intervenir. Lors de chaque crise, les trois rivaux et leurs principaux conseillers ont été convoqués à Kampala pour « consultation ». Les « alliés étrangers », en d'autres termes les Ougandais, n'ont pas clairement reconnu de vainqueur sur le terrain, ce qui a donné l'impression aux Congolais qu'ils prenaient en fait parti pour les deux camps en même temps.
Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD)
Les problèmes au sein du RCD-ML ont commencé lorsqu'il a fait dissidence d'avec le mouvement rebelle principal, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), lequel était soutenu par le Rwanda et avait ses quartiers généraux à Goma. Au début de la guerre, Wamba dia Wamba, professeur d'histoire et opposant à l'ancien président congolais Mobutu ayant longtemps résidé en Tanzanie, est arrivé à la présidence du RCD après une lutte initiale pour ce poste. Les commanditaires étrangers de la rébellion, le Rwanda et l'Ouganda, ont rassemblé en toute hâte la plupart des cinquante membres fondateurs du RCD en exil. Ils voulaient que le RCD serve de façade à leur intervention militaire au Congo en formant un gouvernement, qu'ils espéraient installer rapidement à Kinshasa. Mais la campagne éclair lancée pour s'emparer de la capitale congolaise a échoué et à mesure que la guerre s'éternisait, le RCD s'est trouvé confronté à de nombreuses défections. Commentant la défection d'un haut responsable du RCD, Roger Lumbala, en février 2000, Moïse Nyarugabo, Vice-Président du RCD à l'époque, faisait remarquer que « certaines personnes ont rejoint la révolution pensant qu'elle ne durerait que quelques semaines et elles ont obtenu des postes, mais maintenant que la lutte dure longtemps, des gens comme Roger Lumbala, qui était cadre, se sont désistés. »2
L'échec rencontré dans la conquête de Kinshasa allait semer les premières graines de discorde entre les parrains ougandais et rwandais de la rébellion. Songeant à préserver leurs intérêts dans ce qui serait la future RDC, les deux alliés ont d'abord bataillé pour s'assurer le contrôle politique du RCD. Alors que le Rwanda se montrait plus intéressé par une victoire militaire totale, le gouvernement ougandais du Président Yoweri Museveni a d'abord cherché à promouvoir l'émergence d'organisations politiques et militaires modelées sur son « système de mouvement » et son « armée populaire ». Il a offert aux hauts dirigeants du RCD, notamment à Wamba et de jeunes intellectuels congolais triés sur le volet, une formation à la fois militaire et idéologique visant à atteindre cet objectif. En mai 1999, Wamba a été expulsé par certains de ses collègues du RCD à Goma et, en compagnie de plusieurs membres fondateurs et cadres militaires du RCD, il est parti d'installer à Kisangani qui, à l'époque, était contrôlée conjointement par les armées ougandaise et rwandaise.
La faction du RCD basée à Goma et connue désormais sous le nom de RCD-Goma a continué à contrôler le contingent militaire congolais de la rébellion alors que la faction dirigée par Wamba, connue alors sous le nom de RCD-Kisangani, n'avait au départ pas de bras militaire important. Les tentatives de l'armée ougandaise, la Force de défense populaire ougandaise (UPFD - Uganda People's Defense Force), d'entraîner des recrues congolaises pour le RCD-Kisangani a irrité les commandants rwandais présents à Kisangani. Ils ont cherché à démanteler le camp d'entraînement, procédant à l'arrestation de dizaines de recrues sous prétexte qu'elles appartenaient aux milices extrémistes hutues qui avaient perpétré le génocide de 1994 au Rwanda.3 Par ailleurs, le RCD-Goma et ses parrains rwandais ont empêché Wamba d'organiser des meetings publics pour rallier la population à sa cause. Les rivalités autour des immenses ressources en minerais dont dispose Kisangani, la troisième plus grande ville congolaise, ainsi que les frictions politiques et militaires autour du RCD-Kisangani ont contribué à ébranler la confiance qui subsistait entre le Rwanda et l'Ouganda. Cela a précipité la première confrontation militaire entre les forces rwandaises et ougandaises pour prendre le contrôle de Kisangani en août 1999. Au cours de la bataille, qui a vu la défaite des Ougandais, quelque 200 civils ont été tués dans les échanges de tirs.
La bataille de Kisangani a également été provoquée par des dissensions portant sur le choix de la faction du RCD qui allait signer l'accord de cessez-le-feu de Lusaka, accord destiné à mettre fin à la guerre au Congo et négocié sous les pressions internationales intenses. Au cours de la bataille, Wamba et d'autres dirigeants du RCD-Kisangani ont miraculeusement échappé à la mort lors de l'assaut lancé par les Rwandais contre un hôtel qui leur servait de résidence et de quartier général. Etant donné qu'aucune des factions ne pouvait être éliminée et qu'aucune ne voulait reconnaître la légitimité de l'autre, les cinquante membres fondateurs du RCD se sont tous rendus à Lusaka pour signer l'accord au nom du « RCD ». Les fondateurs ont apposé leur signature sur le traité par ordre alphabétique pour éviter de nouvelles querelles sur qui devait signer le premier. Personne ne s'est demandé comment un mouvement qui n'arrivait même pas à se mettre d'accord sur ses représentants allait pouvoir remplir les obligations qui lui incombent aux termes de l'accord.
Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Mouvement de Libération (RCD-ML)
Après la victoire de l'Armée Patriotique Rwandaise (APR) sur les forces ougandaises en août à Kisangani, Wamba ne s'y sentait plus en sécurité et a transféré ses bureaux à Kampala dans une maison d'hôtes de la présidence. C'est là qu'en septembre 1999, il a fondé le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Mouvement de Libération (RCD-ML), une réincarnation du RCD-Kisangani. Il a annoncé que le quartier général de son mouvement se trouverait à Bunia, une petite ville jusqu'alors tranquille de la Province Orientale, située près de la frontière ougandaise.
Wamba aurait nommé les responsables de son nouveau gouvernement sans trop consulter ses conseillers, ce qui a conduit à la défection de plusieurs membres fondateurs du RCD-Kisangani en guise de protestation. Pendant que son séjour à Kampala se prolongeait de plusieurs mois, ses deux adjoints ont pris le contrôle effectif sur le terrain. Nommé commissaire général, ou premier ministre, du RCD-ML, Mbusa Nyamwisi a installé une administration du RCD dans sa ville natale de Beni, située dans la partie de la province du Nord-Kivu contrôlée par l'Ouganda. Homme d'affaires devenu politicien, Mbusa faisait partie du milieu d'affaires nande, puissant sur le plan économique. Tibasima Ateenyi, ancien parlementaire de la région de Bunia et ancien directeur des mines d'or de Kilomoto, dirigeait quant à lui une administration parallèle en dehors de Bunia. Wamba a confié à Tibasima trois ministères importants, celui des mines, des finances et du budget. Dirigeant de la communauté hema influente tant sur le plan économique que politique, Tibasima est entré en fonction alors que les Hema et les Lendu étaient déjà en conflit dans l'arrière-pays de Bunia. Au niveau local, beaucoup ont considéré que sa nomination renforçait le pouvoir des Hema et ce sentiment n'a fait qu'exacerber les tensions ethniques dans la région.
Ni Mbusa en tant que commissaire général, ni Tibasima en tant que ministre des finances n'avaient le mandat de recruter des soldats mais l'un comme l'autre l'ont fait au début 2000, s'engageant dans des processus de recrutement parallèles et concourants pour l'Armée Populaire Congolaise (APC), l'aile militaire du RCD-ML. Ils ont levé cette armée en grande partie en fonction de critères ethniques, Mbusa recrutant au départ principalement des Nande et Tibasima enrôlant surtout des jeunes de son propre groupe hema.4 Les deux processus avaient toutefois une chose en commun : l'armée ougandaise fournissait les instructeurs qui entraînaient et armaient les groupes de centaines de recrues qui se sont succédé au camp d'entraînement de Nyaleke à Beni et au camp d'entraînement de Rwampara à Bunia.
Selon un des principaux conseillers de Wamba, l'inquiétude s'est emparée des non-Hema de Bunia qui redoutaient la prépondérance des recrues hema entraînées au camp de Rwampara et le RCD-ML s'est senti forcé de diversifier son recrutement. Il l'a d'ailleurs fait en recrutant plusieurs groupes à Nyaleke présentant un meilleur équilibre ethnique. La Bataillon Usalama,5 le premier à avoir été formé à Nyaleke, comptait environ 25 pour cent de recrues lendu, 15 pour cent d'Hema, les autres provenant d'autres groupes tels que les Nande ou les Alur.6
L'APC n'avait pas de chef d'état-major et les commandants de bataillon étaient censés se placer directement sous les ordres de Wamba qui s'était autoproclamé commissaire à la défense ainsi que président du mouvement. Wamba aurait mis en doute la loyauté des commandants assimilés à ses adjoints et au début 2000, il a alors recruté sa propre Unité de protection présidentielle (UPP). Les soldats de ce petit corps d'armée ont été triés sur le volet parmi les soldats expérimentés de l'armée démobilisée de l'ex président Mobutu et parmi les déserteurs des Forces Armées Congolaises (FAC) du Président Kabila. Les opposants de Wamba ont affirmé qu'il avait favorisé ses proches wacongo lors du processus de sélection mais Wamba a répliqué que seuls 2 pour cent de l'UPP provenaient du Bas-Congo, sa région d'origine.7
En fait, ce sont les commandants de secteur de l'armée ougandaise qui avaient autorité sur toutes les affaires militaires et de sécurité dans chaque district. Certaines unités et certains cadres du RCD-ML ont opéré directement sous leur commandement. Même à Beni, à Bunia et à Butembo, villes où était concentré le pouvoir administratif du RCD-ML, les commandants de secteur de l'UPDF faisaient de l'ombre aux responsables politiques et militaires congolais.
En mars 2000, Wamba a cherché à enrayer les pouvoirs militaires et financiers de ses deux adjoints qu'il jugeait trop étendus. Ils ont alors essayé de le renverser dans une première tentative de coup d'Etat. A la mi-avril, Tibasima a déclaré aux journaux de Kampala qu'il avait évincé Wamba et qu'il l'avait remplacé par Mbusa. Le conflit entre les trois dirigeants menaçant de dégénérer, le Président Museveni les a convoqués à Kampala, ainsi que tous les autres membres fondateurs du RCD-ML, pour résoudre le différend. Ils se sont effectivement réconciliés, mais seulement pendant quelque temps.
En juillet, certains éléments militaires du RCD-ML, surtout des Hema et également quelques Tutsis congolais connus sous le nom de Banyamulenge, ont quitté le RCD-ML pour rejoindre les milices hema dans la brousse8. Les transfuges ont déclaré qu'ils viendraient à Bunia pour y déloger Wamba, lequel a accusé publiquement Tibasima de cette nouvelle tentative de coup d'Etat. Le 22 juillet, les transfuges hema ont attaqué le village de Nyankunde, à environ vingt-deux kilomètres au sud-ouest de Bunia, tuant quatre soldats du RCD-ML et blessant un civil. Au cours de l'attaque, ils auraient pillé l'hôpital du village et confisqué le matériel de communications d'une organisation humanitaire internationale opérant à cet endroit. L'incident a conduit l'organisation à quitter la région.9 L'attaque semblait avoir été prévue pour exploiter le retrait temporaire du bataillon de l'UPDF stationné à Bunia. Suite à une décision prise en juin de retirer ses troupes de Kisangani, l'Ouganda redéployait également des troupes ailleurs dans la région.
Le camp de Wamba aurait fait circuler des informations selon lequelles les transfuges s'étaient alliés à la Force Alliée Démocratique (ADF) et à l'Armée Nationale de Libération de l'Ouganda (NALU), des groupes d'insurgés ougandais basés en RDC, ce qui a persuadé l'UPDF d'envoyer de gros renforts à Bunia par voie aérienne et terrestre, notamment des véhicules blindés et un hélicoptère de combat et de reconnaissance.10 Les forces de l'UPDF n'ont pas attaqué, parce que le Président Museveni aurait plutôt décidé d'accepter l'appel pressant lancé par une délégation de « parents des transfuges », arrivés de Bunia pour demander que la reddition de leurs « enfants » soit négociée. Dans une déclaration faite à la presse, le chef de la délégation a indiqué que les transfuges appartenaient au « Léopard mobile », un groupe « composé de nos enfants qui a décidé de ne pas travailler avec Wamba dia Wamba en raison de sa mauvaise administration ».11 Le Président Museveni a accepté cette requête à condition que les « parents » rentrent à Bunia accompagnés d'une délégation d'Ougandais haut placés et qu'ils négocient la reddition pacifique des transfuges. En échange, les Ougandais ont accepté d'envoyer à Kampala ceux qui se rendraient pour y poursuivre leur entraînement militaire.12
Grâce à cette offre, le désastre imminent qui planait sur les auteurs de la tentative de putsch s'est transformé en récompense. Lorsque les transfuges ont quitté la brousse pour rentrer à Bunia le 24 août, leur nombre, estimé au départ à 300, était passé à 700, les membres des milices ayant quitté en hâte les villages éloignés pour se joindre au groupe initial dans l'espoir de pouvoir bénéficier de la proposition de formation ougandaise. Dans le district d'Ituri, de nouvelles recrues auraient été enrôlées pour gonfler le nombre des bénéficiaires de l'offre. Les habitants avaient espéré que l'UPDF désarmerait les transfuges à leur arrivée en ville, mais cela n'a pas été le cas. Leur arrivée a provoqué une nouvelle crise grave car les transfuges ont attaqué une prison locale le 28 août pour libérer un de leurs dirigeants qui se trouvait en détention car il était soupçonné d'avoir joué un rôle dans l'organisation de la mutinerie. Un soldat ougandais et un soldat congolais ainsi que deux des attaquants ont été tués lors de l'attaque.
Du 29 au 31 août, l'UPDF a organisé un pont aérien pour transporter les 700 transfuges de Bunia à Kampala. Selon les observateurs, bon nombre de transfuges avaient moins de quinze ans.13 Alors que les Nations Unies avaient reconnu le besoin de mettre un terme à l'utilisation des enfants soldats, le départ de ces enfants pour aller suivre une formation militaire s'est déroulé au vu et au su de toute la population, dans une ville où se trouvent des observateurs militaires de la Mission de l'ONU en République Démocratique du Congo (MONUC) et où l'UNICEF et d'autres agences humanitaires mènent des missions d'assistance aux victimes du conflit ethnique.14 Une délégation ministérielle ougandaise de haut rang, composée de James Wapakhabulo, commissaire politique national de l'Ouganda, de Ruhakana Rugunda et Muruli Mukasa, respectivement ministre de la présidence et ministre de la sécurité, et du Colonel Kahinda Otafiire, conseiller du président sur le Congo, se trouvait là pour « promouvoir la réconciliation » et superviser l'endiguement de la crise. Elle aussi a assisté au pont aérien organisé pour les transfuges.
Wamba a coopéré avec les médiateurs ougandais en prêtant sa voix pour des messages radiophoniques invitant les transfuges à retourner à Bunia pour bénéficier du pont aérien. Mais il s'est également servi de la crise pour chercher à se débarrasser de ses adjoints. A la mi-août, dans un entretien téléphonique avec Human Rights Watch, il a déclaré que Tibasima et Mbusa étaient suspendus vu leur implication évidente dans l'organisation d'une mutinerie au sein de l'armée rebelle, ce qui constituait selon lui un acte de haute trahison et un désengagement total par rapport aux objectifs du mouvement.15
Fin juillet, Kitenge Amisi, commandant du Bataillon Usalama du RCD-ML et également conseiller militaire principal de Mbusa, a transféré ses troupes de Beni à Bunia, apparemment pour remplacer les soldats de l'UPDF en partance. Elles ont été déployées autour de la ville pour dissuader les transfuges de mener des attaques. Mais Wamba se méfiait du commandant et a ordonné son arrestation. Le départ des transfuges n'a pas pour autant rétabli l'ordre à Bunia car Kitenge a été libéré par ses officiers subalternes le 1er septembre. Il a alors occupé Radio Candip, une radio tenue par l'Eglise, et a ordonné aux techniciens de ne diffuser que des chants révolutionnaires et des appels au calme.
Cette tentative de prise de contrôle a échoué et le commandant du Bataillon Usalama et ses gardes du corps ont trouvé refuge, d'après leurs propres dires, au quartier général de la MONUC.16 Cette situation a eu de sérieuses implications pour la MONUC car elle donnait à penser que les membres de la force de l'ONU, soit seulement quatre officiers de liaison et le personnel logistique, avaient été pris en otage. La crise n'a été désamorcée que lorsque l'Ambassadeur Kamel Morjane, Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU et chef de la MONUC, est arrivé en ville, accompagné d'une délégation ougandaise. Le jour même, il ramenait à Kampala ses pensionnaires armés non invités, qui, au moment où sont écrites ces lignes, seraient toujours à Kampala et y suivraient un entraînement spécial. Leur départ a laissé le bataillon sans structure de commandement cohérente et bon nombre de ses hommes, particulièrement ceux d'origine lendu, s'en sont allés, réduisant le bataillon à un petit groupe de partisans de Mbusa se tenant prêts pour les prochaines confrontations.17
Ils n'ont d'ailleurs pas dû attendre bien longtemps, en dépit du calme relatif qui régnait à Bunia en septembre et octobre alors que les médiateurs locaux et régionaux peinaient pour resouder le RCD-ML. Une conférence des chefs coutumiers organisée à Bunia a exhorté trois des dirigeants rivaux du RCD-ML à trouver un moyen de résoudre leur différend.18 Tous les trois ont signé une déclaration à Kampala le 12 octobre après des négociations menées sous la médiation des Ougandais. Des délégations de Tanzanie et du Mozambique étaient présentes et ont contresigné le document, lequel confirmait la présidence de Wamba et nommait Mbusa premier vice-président en charge de l'administration et Tibasima deuxième vice-président responsable de la diplomatie. Il chargeait un « groupe de contact », comprenant les deux adjoints et des représentants du camp de Wamba, d'élaborer les « documents de base » du mouvement. Les auteurs des documents devaient restructurer le mouvement et définir les responsabilités de ses dirigeants.19 Comme condition préalable à une réconciliation avec ses rivaux, Wamba aurait insisté sur le démantèlement du Bataillon Usalama - qui restait déployé à Bunia - et sur une restructuration des troupes du RCD-ML en un seul bataillon placé sous la direction d'un seul commandant.
L'accord s'est brisé avant même qu'une seule de ses dispositions ne soit mise en _uvre. Réagissant aux rumeurs selon lesquelles le Col. Charles Angina, alors commandant de secteur de l'UPDF à Bunia, était sur le point d'être remplacé, les partisans de Wamba ont organisé des manifestations le 30 octobre et le 1er novembre. Les manifestants dénonçaient ce qu'ils appelaient les actions unilatérales de l'UPDF et en même temps, ils demandaient que l'officier ougandais soit maintenu à son poste. Cherchant apparemment à profiter des troubles, Mbusa, qui venait de rentrer de Kampala, a accusé le camp rival de Wamba d'être anti-Ougandais et d'avoir incité à la haine ethnique. Les soldats du Bataillon Usalama, fidèles à Mbusa, ont encerclé la résidence de Wamba après que Mbusa ait annoncé à la radio locale qu'il destituait Wamba et qu'il occuperait lui-même le poste de président. Les « putschistes », comme on les a appelés, ont attaqué la résidence à au moins trois reprises au début et à la mi-novembre mais à chaque fois, ils ont été repoussés par l'Unité de protection présidentielle (UPP). Le 11 novembre, Mbusa a déclaré au Monitor de Kampala que ses forces continueraient à attaquer Wamba jusqu'à ce qu'il soit capturé mort ou vif.20 Pendant cette crise, le troisième dirigeant du mouvement, Tibasima, est resté discret et a publiquement pris ses distances par rapport à la tentative de putsch.21 Le nombre de victimes de ces affrontements diffère selon les sources. Selon certaines sources, il n'y aurait eu qu'une seule victime, selon d'autres, vingt civils et un nombre indéterminé de soldats auraient été tués.22
L'UPDF a déclaré qu'elle s'engageait à protéger Wamba et a envoyé deux chars pour garder la résidence où il se terrait avec six de ses ministres et plusieurs autres cadres du mouvement. Selon les partisans de Wamba, l'UPDF n'est toutefois pas intervenue dans la bataille lorsque la résidence a été attaquée.23 Le Major Katirima, porte-parole de l'UPDF, a déclaré à l'AFP le 6 novembre que le mandat de l'armée ougandaise au Congo était de maintenir l'ordre dans les zones où elle était présente, ajoutant que « nous ne pouvons pas accepter que des changements à la direction du RCD-ML soient opérés par la violence ».24 Le Général Katumba Wamala, commandant de l'UPDF en RDC, a déclaré à la population de Bunia dans un message radiophonique que l'UPDF essayait de résoudre les problèmes du RCD-ML « sans verser le sang des civils ».25 Le 17 novembre, le Colonel Otafiire de l'UPDF a déclaré au Monitor qu'il était retourné à Kampala après un bref séjour à Bunia accompagné de « tous les dirigeants » de la ville, soit un total de soixante hauts responsables des factions rivales. En leur absence, l'UPDF a pris le contrôle de l'administration de Bunia.26
Les exactions liées aux rivalités politiques
Chaque fois qu'un bouleversement politique a secoué le RCD-ML en 2000, les dirigeants rivaux ont arrêté des responsables de la faction rivale, les soumettant souvent à des mauvais traitements. Suite à l'échec de la mutinerie du mois d'août, Wamba a ordonné l'arrestation de militaires haut placés et de conseillers civils de Tibasima Ateenyi. Parmi les personnes arrêtées en cette circonstance se trouvaient le commandant Mukalayi et le commissaire adjoint de Tibasima aux mines et à l'énergie, Michel Rudatenghua. Leur faction a affirmé à l'époque qu'eux deux, ainsi que d'autres membres du groupe, avaient d'abord été détenus au camp militaire de Rwampara pour être ensuite transférés dans des cellules creusées dans le sol du jardin de la résidence de Wamba. Les chefs de la faction ont également affirmé que les détenus étaient sauvagement battus tous les jours. Wamba a déclaré à Human Rights Watch que les détenus faisaient l'objet d'une enquête pour mutinerie et qu'ils seraient bien traités. Les deux détenus ont été libérés par la suite.27 Cette démarche ainsi que des pressions semblables de la part d'Amnesty International ont, selon Tibasima Ateenyi, conduit à une nette amélioration dans le traitement des détenus et à une libération plus rapide des hommes d'affaires accusés par le camp de Wamba d'avoir appuyé les transfuges : Mbameraki, Hindura, Bahimuka et d'autres.28
Trois conseillers de Wamba ont été portés disparus après la tentative de putsch du 3 novembre. Un officier de l'UPDF serait intervenu pour faire libérer deux des conseillers, Jonas Kabuyaya et Mbula, le 27 novembre bien que leur arrestation n'ait pas été reconnue, mais le troisième, Mokili, n'avait toujours pas été retrouvé au moment de la rédaction du présent rapport.29
Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-National (RCD-National)
La désorganisation régnant au sein du RCD-ML a provoqué la formation de factions dissidentes encore plus petites ayant des programmes limités au niveau personnel ou local. Roger Lumbala, fondateur du RCD-National et seul membre important de cette faction, faisait à l'origine partie du groupe principal du RCD-Goma mais il a fait défection en février 2000 et est parti à Kampala. Il y aurait rejoint le RCD-ML et aurait été envoyé à Bafwasende, au nord-est de Kisangani, comme officier de mobilisation. Lumbala a dit à Human Rights Watch par la suite que l'unité militaire du RCD-ML que Wamba avait stationnée à Bafwasende avait le sentiment d'avoir trop longtemps été négligée. « Je leur ai donné de la nourriture et des médicaments et ils se sont joints à moi pour lancer le RCD-National. Maintenant, toute la population du district me soutient. C'est pour cela que j'ai créé le RCD-N, » a déclaré Lumbala.30 Interrogé sur sa position à propos de la division entre le RCD-Goma et le RCD-ML, Lumbala nous a répondu que sa faction observait une stricte neutralité car elle était basée dans un district situé entre les deux zones contrôlées par les factions plus importantes.31
A chaque défection, Lumbala a été accusé de fraude financière par les porte-parole de la faction qu'il abandonnait. Il a, pour sa part, accusé le RCD-Goma de corruption. Après avoir lancé des accusations, aucune des parties n'a toutefois précisé la nature de la supposée malhonnêteté financière.32 Par exemple, l'importance capitale de Bafwasende semble résider dans le fait qu'elle se situe dans une zone riche en diamants. En octobre, un porte-parole du RCD-ML, Jean-Ernest Louis Kayiviro, a accusé le cadre dissident d'être impliqué dans un « trafic de diamants ».33
Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Populaire (RCD-Populaire)
Une faction s'identifiant comme étant le RCD-Populaire a fait son apparition sous les cieux moroses de la rébellion congolaise en novembre et puis n'a plus fait parler d'elle pendant un petit temps. Nyonyi Bwanakawa, le gouverneur du Nord-Kivu pour le RCD-ML, basé à Beni, et Poley Swako, qui est membre fondateur du RCD et était responsable de la supervision des dépenses publiques pour Wamba, se sont engagés à continuer de soutenir Wamba et à organiser une résistance contre Mbusa au moment critique du putsch de novembre.34 Plutôt que d'accepter le contrôle de Mbusa, ils avaient menacé de lancer une nouvelle faction, le RCD-Populaire qui limiterait ses ambitions territoriales aux territoires de Beni-Butembo. Les partisans de la nouvelle faction se sont rendus à Kampala pour présenter leur position aux pourparlers de réconciliation et sont rentrés à leur base lorsque les négociations ne se sont pas concrétisées.
Mbusa a réagi sans ménagements face à ce défi direct à son autorité dans sa propre zone d'influence. Selon un journaliste congolais qui l'avait interviewé à Kampala le 21 novembre 2000, Mbusa considérait que le RCD-Populaire était une « aventure suicidaire ».35 Il a invité ses fondateurs à unir leurs forces aux siennes ; autrement, a-t-il dit, leur résistance ne conduirait qu'à des confrontations armées à Beni et à Butembo. D'après le journaliste, Mbusa, a donné à entendre qu'une nouvelle faction exposerait la population des deux villes à de nouvelles confrontations meurtrières puisque l'APC était déterminée à prendre le contrôle.36
Le Mouvement de Libération du Congo (MLC)
Alors que le RCD-ML était au bord de la débâcle à la fin 2000, le Mouvement de Libération du Congo (MLC) semblait offrir tout ce que les partenaires ougandais avaient espéré de leur alliance avec le RCD-ML sans jamais pouvoir l'obtenir. Dirigé avec poigne par Jean-Pierre Bemba, le MLC avait un commandement politique et militaire unifié et ne connaissait pas les dissensions internes ni les spectaculaires défections qui secouaient régulièrement tant le RCD-Goma que le RCD-ML. Selon les informations des journalistes et des autres personnes s'étant rendus dans la zone où il était présent, le MLC jouissait dans la province d'Equateur, au nord-ouest du Congo, d'un degré de popularité auquel aucun des autres mouvements rebelles ne pouvait prétendre dans les territoires sous leur contrôle.
En octobre 1998, une poignée d'exilés congolais dirigés par Jean-Pierre Bemba ont déclaré au président ougandais qu'ils voulaient changer le gouvernement de leur pays mais qu'ils ne voulaient pas se joindre au RCD. Les autorités ougandaises ont envoyé le groupe à un stage intensif de formation militaire et idéologique et, quelques semaines plus tard, les ont emmenés par avion dans l'Equateur pour lancer ce qui allait devenir le MLC. Moins de deux ans plus tard, « Bemba a fait l'éloge des soldats ougandais qui avaient entraîné 20.000 soldats » pour le MLC.37 Dans un article sur la conférence de presse de septembre 2000 à Gebadolite au cours de laquelle Bemba avait reconnu l'aide de l'UPDF, la New Vision l'a cité demandant à l'UPDF de poursuivre le retrait de ses troupes de RDC : « Nous sommes fiers des Ougandais. Mais pourquoi devraient-ils mourir pour nous lorsque nous (soldats congolais) nous en sortons plutôt bien sur les lignes de front ? »38 Contrairement au RCD-ML, le MLC livrait une guerre active et directe contre l'alliance gouvernementale. Avec un soutien crucial de l'UPDF sur les lignes de front, le MLC est parvenu à repousser une grande offensive gouvernementale au cours du second semestre 2000. En contraste avec les deux autres grands groupes rebelles, le MLC jouirait également d'une autosuffisance financière, principalement en levant des taxes sur les produits locaux.39
Le Front de Libération du Congo (FLC) : fusion ou prise de pouvoir ?
Pour sortir de la crise du RCD-ML, l'Ouganda a proposé fin novembre un regroupement de tous les groupes rebelles congolais sous son patronage : le MLC, le RCD-ML et le RCD-N. Le Col. Kahinda Otafiire, chef d'état-major de l'UPDF et conseiller du Président Museveni pour la RDC, a justifié la proposition de regroupement en faisant valoir que « cela faciliterait les choses pour nous et pour la rébellion et de cette façon, les Congolais pourraient s'occuper de ce qui les concerne, » et il a ajouté : « nous sommes fatigués de tout diriger à leur place. Il faut qu'ils assument entièrement leurs responsabilités ».40 Soulignant l'urgence du processus d'unification aux yeux des Ougandais, le Lt Col. Noble Mayombo, chef des services de renseignements de l'armée et l'un des principaux médiateurs dans les pourparlers, a déclaré : « L'Ouganda veut que la rébellion au Congo se regroupe et ait un seul territoire, une seule armée, un seul programme, un seul ennemi et qu'elle se subvienne à elle-même sur le plan économique en organisant les ressources qu'elle contrôle ».41 Wamba a insisté pour que les partenaires congolais soient autorisés à discuter de cela entre eux et il s'est plaint qu'une solution soit « imposée » par l'Ouganda, mais en vain.
Les Ougandais étaient déterminés à créer un front unifié qui porterait le nom de Front de Libération du Congo (FLC) car une campagne électorale présidentielle vivement controversée propulsait à l'avant-plan tous les aspects de l'implication de l'Ouganda dans la guerre au Congo. Par ailleurs, la conduite des troupes ougandaises au Congo avait attiré de plus en plus l'attention et les critiques de la communauté internationale suite à la troisième bataille pour le contrôle de Kisangani en juin 2000. Les combats avaient fait 760 victimes civiles congolaises, 1.700 blessés et ils avaient en outre détruit totalement ou partiellement 4.000 habitations et gravement endommagé les principales infrastructures.42 L'attention se portait de plus en plus sur la région d'Ituri touchée par l'agitation. Comme l'a fait remarquer le Lt. Col. Mayombo, l'un des instigateurs du regroupement, « tout groupe qui refuse de signer n'est pas conscient des pressions auxquelles l'Ouganda doit faire face de la part de sa population et de la communauté internationale à propos du Congo. Une fusion pourrait également mettre un terme aux affrontements ethniques à Bunia ».43
Le RCD-ML et le MLC avaient signé un protocole d'accord antérieur dans la capitale tanzanienne, Dar es Salaam, le 30 juillet 1999. Il avait échoué car son unique objectif était de prévoir le partage des ressources publiques dans les zones contrôlées par chacun, « de façon à couvrir équitablement les dépenses engendrées par la libération ».44 Le MLC, actif sur les lignes de front, devait recevoir 70 pour cent des ressources, le RCD-ML devant recevoir le restant. Une prestigieuse liste de témoins ont contresigné l'accord : le Colonel Otafiire, le Brigadier Général Kazini, le Major Mayombo et l'ambassadeur tanzanien Marwa.45 Mais en définitive, le RCD-ML a refusé de remettre les fonds promis.
L'accord de regroupement intervenu fin 2000 semblait prouver que Bemba avait eu raison. En fait, il masquait à peine une tentative de prise de pouvoir du RCD-ML par le MLC, démarche fortement affaiblie par des divisions politiques, une armée scindée et des finances désorganisées. Il prévoyait la création d'un comité exécutif commun aux trois mouvements avec un système d'alternance annuelle à la présidence que Bemba a assumé la première année. L'accord prévoyait aussi l'unification des armées des trois mouvements mais garantissait que chacune des parties, MLC, RCD-ML et RCD-National préserverait son autonomie pour les besoins du dialogue intercongolais prévu par l'accord de Lusaka. Le MLC se préparerait d'ailleurs à se lancer comme parti politique national après la guerre.
Les nouveaux dirigeants du FLC attendaient certainement de Mbusa et de Tibasima originaires du nord-est du Congo, qu'ils facilitent son implantation dans la région. Ils bénéficient tous deux de l'allégeance de certaines unités militaires - bien que désorganisées - et sont parvenus à exploiter au moins quelques-unes des extraordinaires ressources de la région. Cependant, le FLC devra s'atteler à faire appliquer les mesures de transparence et de responsabilité financières, question qui avait posé problème au RCD-ML antérieurement. Sans nommer les coupables, le Lt Col. Mayombo avait soulevé ce problème fin juillet 2000 lorsqu'il a accusé « des personnalités au sein de l'équipe dirigeante du RCD-Kisangani » qui ont refusé de se plier à leur « responsabilité financière stricte » d'être à l'origine de la mutinerie de juillet.46
En échange de l'aide de Mbusa, le FLC lui a accordé une nouvelle légitimité en le nommant coordinateur exécutif, ou premier ministre, du nouveau mouvement, renforçant ainsi sa puissance face au défi posé par le RCD-Populaire sur son propre territoire à Beni. Au c_ur de cette querelle se posait le problème du contrôle de la perception des taxes aux différents postes frontières de la région. Le FLC allait donc hériter à Beni des nombreux ennemis que Mbusa s'était faits au cours d'une année et demie d'agitation, de confusion politique et d'aventures militaires, comme nous le décrivons plus loin.
Dans le district instable d'Ituri, le retour de Tibasima en tant que secrétaire national ou ministre des mines du FLC a fait plaisir à ses partisans mais a inquiété les autres car cela semblait signifier un pouvoir plus grand de la communauté hema qu'il représentait. Effectivement, la nouvelle de l'établissement d'un nouveau front et de l'alignement des forces soutenant ce front a conduit à un regain d'instabilité à Bunia et dans la région.
Alors que l'accord concernant le FLC était négocié à Kampala, le face à face armé entre l'Unité de Protection Présidentielle, fidèle à Wamba et le Bataillon Usalama, lié à Mbusa, se poursuivait dans la ville de Bunia. Des unités fortement armées gardaient les résidences de leurs chefs respectifs, de nombreux enfants soldats étant visibles parmi les combattants des deux camps.47 Une équipe de partisans de Wamba, dirigée par Jacques Depelchin, et un autre groupe, le « cabinet » de Mbusa, prétendaient chacun être la seule autorité légitime. En fait, aucune de ces administrations ne fonctionnait réellement, les parents gardaient les enfants à la maison, les empêchant d'aller à l'école, et l'activité du marché stagnait alors que la ville attendait un signal de Kampala concernant la résolution des querelles politiques. Les deux ailes militaires rivales du mouvement étaient totalement absorbées par leur rivalité et n'assuraient pas un leadership politique clair, faisant de l'UPDF la seule force disponible pour maintenir l'ordre, responsabilité qu'elle n'a pas assumée.
Ce face à face a eu de terribles effets sur la population. Lors d'une rencontre avec des représentants de la société civile à Bunia en décembre, l'un d'eux a expliqué aux chercheurs de Human Rights Watch en visite dans la région que « Wamba, les Ougandais et Mbusa sont dans la `zone rouge' ; les gens évitent de se rendre dans la zone où se trouvent les deux quartiers généraux et ils ne circulent plus nulle part après 17 heures. Même les activités sportives sont suspendues car les gens ont peur ».48 Un autre a ajouté : « Le calme que vous voyez maintenant est suspect. Cela peut changer à tout moment ».49 Parlant au nom d'une organisation qui s'occupe des enfants déplacés que la guerre entre Hema et Lendu a rendus orphelins, une jeune militante a fait un compte rendu effrayant de la réalité à laquelle elle et ses collègues sont confrontés dans leur travail quotidien : « Depuis juin 1999, le conflit interethnique a terriblement aggravé la malnutrition infantile. Par ailleurs, les enfants sont traumatisés après ce qu'ils ont vu, par exemple ce qui est arrivé à leurs parents. Le nombre d'enfants non accompagnés a augmenté. Il y a des filles qui se prostituent en raison de leur misère, surtout avec les étrangers armés ». Elle a également parlé de l'augmentation du nombre de viols de femmes et de fillettes entraînant des grossesses non désirées, des fillettes abandonnées, du nombre de cas de sida en hausse et du nombre croissant de veuves. « Si vous regardez la situation objectivement, depuis la guerre avec Kabila, la population a été abandonnée. Elle n'a plus de pouvoir d'achat, plus de salaires, plus de contrôle. »50
Le conflit entre les Lendu et les Hema a repris en décembre, comme nous l'expliquons plus loin, prouvant que les prémonitions de la population étaient bien fondées. Des représentants des Hema et des Lendu de la zone de Djugu, zone la plus agitée, se sont adressés au commandant de secteur de l'UPDF à Bunia, considéré comme l'autorité suprême dans la région, et l'ont appelé à contenir l'escalade des affrontements dans les zones rurales entourant Bunia.51
Le commandant de secteur ougandais, le Col. Edison Muzoora, qui était entré en fonction après le départ mouvementé du Col. Angina à la fin octobre, a tout d'abord gardé un semblant de neutralité en rendant régulièrement visite aux deux quartiers généraux des factions rivales du RCD-ML, tout en gardant symboliquement ses distances par rapport aux deux camps. Au début décembre, il a changé de position et a démis de ses fonctions de gouverneur d'Ituri Ernest Uringi Padolo, un fervent partisan de Wamba, et a nommé l'administrateur général de la province au poste de gouverneur par intérim.52 Comme il l'a expliqué aux chercheurs de Human Rights Watch d ans son quartier général à l'aéroport, la population ne pouvait pas attendre indéfiniment que l'administration recommence à fonctionner. Pour souligner les risques que poserait une confusion administrative prolongée, il a critiqué la tentative des fidèles de Mbusa de s'emparer par la force du poste frontière lucratif de Kasindi, sans attendre les résultats des négociations de Kampala.53
Le 8 janvier, le colonel a placé Padolo, le gouverneur démis de ses fonctions, en résidence surveillée et quatre jours plus tard, il l'a envoyé à Kampala sans avis préalable. Bien que les Ougandais aient parlé d'un mandat d'arrêt international, Padolo a déclaré par la suite à Human Rights Watch qu'il n'avait pas été arrêté à son arrivée à Kampala mais qu'on l'avait simplement laissé à l'aéroport.54 Alors que le conflit ethnique prenait de l'ampleur à la mi-janvier, le colonel a placé Depelchin en résidence surveillée pendant près de trois semaines. Le 28 janvier, des soldats de l'UPDF, sous la conduite du colonel, ont fouillé la résidence de Wamba et ont confisqué un ordinateur et un téléphone-satellite. Le même jour, les soldats ont arrêté Depelchin et l'ont ensuite envoyé à Kampala après l'avoir accusé d'être l'instigateur de la dernière vague de violences ethniques.55
2 ONU, IRIN, « DR CONGO : Defections not a threat, rebels say, » Bulletin d'information No. 870 pour les Grands Lacs, le 28 février 2000.
3 Entretien téléphonique de Human Rights Watch, Kisangani, mai 1999.
4 Tibasima a déclaré à Human Rights Watch qu'il recrutait principalement des Hema car les personnes pouvant être enrôlées à Bunia provenaient surtout de ce groupe. Entretien téléphonique de Human Rights Watch, Kampala, août 2000.
5 Un bataillon du RCD-ML est composé de 750 à 1000 soldats.
6 Entretien téléphonique de Human Rights Watch, Kampala, le 22 décembre 2000.
7 « Communiqué très important à l'attention de tous les membres du commissariat général », Bureau du président, RCD-ML, Bunia, le 14 juin 2000.
8 Voir plus bas la partie consacrée aux milices hema.
9 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Wamba dia Wamba, Bunia, le 4 août 2000.
10 Entretiens de Human Rights Watch avec des témoins, Bunia, 8-14 décembre 2000.
11 « DRC : Anti-Wamba group named », IRIN, Bulletin d'information No. 986 pour les Grands Lacs, le 10 août 2000.
12 Entretien de Human Rights Watch avec Mme Akiiki, chef de la délégation des parents, Kampala, les 22-23 décembre 2000.
13 Entretiens de Human Rights Watch, Bunia, 8-14 décembre 2000.
14 Le pont aérien a eu lieu exactement quatre semaines après que le Conseil de Sécurité de l'ONU ait organisé un débat spécial sur les enfants et les conflits armés.
15 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Wamba dia Wamba, août 2000.
16 Entretiens de Human Rights Watch avec les commandants du Bataillon Usalama, par téléphone, Kampala, septembre 2000, et avec des observateurs militaires de la MONUC, Bunia, décembre 2000. Il faut signaler que les observateurs militaires de l'ONU avaient établi domicile ainsi que leurs quartiers généraux dans une propriété louée qui avait servi de résidence principale à Tibasima jusqu'à leur arrivée.
17 Entretiens de Human Rights Watch, Bunia, 8-14 décembre 2000.
18 « Wamba, Tibasima et Mbusa se confient aux notables et chefs de collectivités, » Le Millénaire, No. 008, octobre 2000, p. 8.
19 Entretiens de Human Rights Watch, Bunia, 8-14 décembre 2000 ; voir aussi « Vendredi Saint macabre à Bunia : plus de 20 morts, » Les Coulisses, No. 85, novembre 2000, p. 9.
20 « Nyamwisi orders Wamba out of Bunia today ,» le Monitor, Kampala, le 11 novembre 2000.
21 « UPDF rush to rescue Wamba, », le Monitor, Kampala, le 6 novembre 2000.
22 Entretiens de Human Rights Watch, Bunia, 8-14 décembre 2000. Voir aussi : « Calm restored in northern Congo, » Associated Press, le 7 novembre 2000 ; « Four dead, one wounded in fighting between DR Congo party factions, » AFP, le 6 novembre 2000, et « Vendredi saint macabre à Bunia : plus de 20 morts, » Les Coulisses, Ibid.
23 Entretiens téléphoniques de Human Rights Watch avec Wamba et Colette Ram, directrice des affaires du cabinet du RCD-ML, Bunia, novembre 2000.
24 « UPDF rush to rescue Wamba, » le Monitor, Kampala, le 6 novembre 2000.
25 Dépêche de l'IRIN, CEA- Bulletin d'information hebdomadaire, le 10 novembre 2000.
26 « UPDF takes over Bunia », le Monitor, Kampala, le 18 novembre 2000.
27 Voir la lettre de Human Rights Watch à Wamba dia Wamba et le communiqué de presse qui l'accompagnait, le 9 août 2000.
28 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Tibasima Ateenyi, Kampala, le 15 août 2000.
29 Voir : « DRC : RCD-ML officials freed by rival faction, » IRIN, Bulletin d'information No. 1063 pour les Grands Lacs, le 30 novembre 2000.
30 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Roger Lumbala, Kampala, le 16 août 2000.
31 Ibid.
32 Voir : « DR Congo : Defections not a threat, rebels say, » IRIN, Bulletin d'information No. 870 pour les Grands Lacs, le 28 février 2000, et « DRC : « New » rebel group operating in northeast, » IRIN, Bulletin d'information No. 1042 pour les Grands Lacs, le 30 octobre 2000.
33 «DRC : « New » rebel group operating in northeast, » Ibid.
34 Un gouverneur du RCD-Goma au Nord-Kivu est basé à Goma.
35 « Mbusa Nyamwisi : Wamba n'est plus à l'ordre du jour, » Le Millénaire, No. 009, novembre 2000.
36 Ibid.
37 « Bemba hails UPDF, » New Vision, le 19 septembre 2000.
38 Ibid.
39 Entretien de Human Rights Watch avec Dominique Kanku, commissaire du MLC aux affaires étrangères, New York, le 20 juin 2000 ; Voir également : Prof. Herbert Weiss, « War and Peace in the Democratic Republic of the Congo, » American Diplomacy, Vol. V, No. 3, été 2000, article basé sur les résultats d'une mission menée en juin 2000 dans les trois zones rebelles.
40 « DR Congo rebels in unity talks again, » AFP, le 6 janvier 2001.
41 « Congo rebels agree to merge, » New Vision, Kampala, le 16 janvier 2001.
42 Conseil de Sécurité de l'ONU, « Report of the inter-agency assessment mission to Kisangani, » S/2000/1153, le 5 décembre 2000.
43 Ibid.
44 RCD-Kisangani, mémorandum interne signé par Wamba dia Wamba, le 30 septembre 1999.
45 « Protocole d'Accord » signé par Jean-Pierre Bemba pour le MLC et le Prof. Wamba dia Wamba pour le RCD-Kisangani, Dar es Salaam, le 30 juillet 1999.
46 « New rebel group formed in DR Congo, » New Vision, Kampala, le 27 juillet 2000.
47 Observations de Human Rights Watch sur le terrain, 8-14 décembre 2000.
48 Rencontre avec les groupes de la société civile à Bunia, le 11 décembre 2000.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Information reçue des membres de la délégation commune, le 10 décembre 2000.
52 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Jacques Depelchin, Bunia, le 11 décembre 2000.
53 Ibid.
54 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec le gouverneur Ernest Uringi Padolo, Kampala, janvier 2000.
55 « RCD-ML/Bunia : Kidnappings and deportations, » communication électronique du RCD-ML, le 29 janvier 2001.