RésuméEn janvier et février 2007, les citoyens guinéens ont essuyé l’une des plus violentes tempêtes de leur histoire depuis l’indépendance, quand les forces de sécurité gouvernementales ont brutalement réprimé une grève générale organisée par les principaux syndicats guinéens pour protester contre la corruption, la mauvaise gouvernance et la détérioration des conditions économiques. D’après les propres chiffres du gouvernement, la brutale répression s’est soldée par 129 morts au moins, et plus de 1700 blessés dont des centaines par balle. Même si la grève s’est terminée avec la nomination d’un nouveau Premier ministre de consensus à la fin du mois de février, mettant fin à la crise immédiate, la stabilité politique de la Guinée est fragile et la possibilité de nouveaux troubles et de répression demeure très réelle. Pour stabiliser la situation et pour empêcher de nouveaux épisodes de violente répression, il est décisif de faire rendre des comptes aux auteurs des violations des droits humains commises pendant la grève. Avec une troisième grève générale en moins d’un an, l’appel des syndicats à la grève à la mi janvier a entraîné une paralysie immédiate et généralisée quand l’activité économique à Conakry et dans tous les secteurs et les villes principales, y compris les exploitations minières qui fournissent une partie importante des recettes de l’Etat, s’est arrêtée. Pour la première fois depuis l’indépendance de la Guinée en 1958, des dizaines de milliers de personnes —hommes et femmes, vieux et jeunes, comprenant des membres de tous les principaux groupes ethniques de Guinée— sont descendus dans la rue pour réclamer un meilleur gouvernement, obstruant les rues tandis qu’ils se rassemblaient, défilaient et, parfois, s’affrontaient avec les forces de sécurité. Le slogan scandé le plus souvent par les manifestants était un simple mot : changement. Le changement, sous la forme d’un nouveau Premier ministre de consensus ayant le pouvoir de nommer son propre gouvernement, allait se produire, mais au prix fort. Tout au long de la grève, les forces de sécurité en Guinée se sont livrées à des violations courantes de certains des droits politiques et civils les plus élémentaires de leurs concitoyens, comme le droit à la vie, à la sécurité et à la liberté de la personne, ainsi qu’aux libertés d’expression, d’association et de réunion. Human Rights Watch a interrogé 115 victimes et témoins des violences qui ont eu lieu au cours des six semaines de crise, et a rassemblé des comptes-rendus détaillés alléguant l’implication de membres de l’armée, de la police et de la gendarmerie dans des meurtres, des viols, des agressions et des vols. Les témoins oculaires de dizaines de meurtres ont dit à Human Rights Watch que les forces de sécurité avaient tiré directement sur des foules de manifestants non armés, souvent avant d’avoir épuisé les méthodes non violentes de contrôle de la foule, et avaient blessé par balle des manifestants qui essayaient de se mettre à l’abri. Un grand nombre de Guinéens, dont beaucoup étaient de simples spectateurs des manifestations, ont été sévèrement battus et volés sous la menace des armes par les forces de sécurité, souvent dans leurs propres maisons. Lors d’opérations qui semblent avoir été bien organisées, des leaders syndicaux et de la société civile, ainsi que des journalistes, ont été menacés de mort, attaqués, volés, arrêtés arbitrairement et parfois battus par les forces de sécurité guinéennes. Les forces de sécurité ont pillé le lieu de travail de l’un des syndicats organisateurs de la grève, ainsi que celui de l’une des stations de radio privées de Guinée. Les tentatives pour réduire les syndicats au silence semblent être venues des plus hautes sphères du gouvernement, y compris le Président Conté et son fils Ousmane Conté. La répression de janvier-février 2007, la plus importante de ces dernières années, a été la dernière d’une série d’incidents au cours desquels les forces de sécurité guinéennes ont fait un usage excessif et parfois mortel de la force contre des manifestants protestant contre l’aggravation des conditions économiques.1 Le gouvernement guinéen n’a pas fait rendre de comptes aux auteurs de ces premières exactions. Dans beaucoup de cas, le gouvernement semble fermer les yeux sur les exactions commises par les forces de sécurité. Pour mettre un terme à la brutalité et à la répression, il faut répondre à l’impunité qui trop souvent permet aux exactions de se poursuivre sans se laisser décourager. Bien que l’ancien ministre guinéen de la Justice ait annoncé la création d’une commission nationale d’enquête pour enquêter sur les violations des droits humains liées à la grève, beaucoup des personnes avec lesquelles Human Rights Watch s’est entretenu, des diplomates et des leaders de la société civile aux victimes de violations des droits humains dans les banlieues de Conakry, notent que ce type de commissions ont un bilan médiocre en Guinée. Elles font remarquer qu’une précédente commission établie par le ministère de la Justice pour enquêter sur les abus à la suite d’une précédente répression violente en juin 2006 n’a pas abouti à la publication d’un rapport de conclusions, encore moins à des poursuites contre des coupables.2 Pour permettre une enquête en laquelle les Guinéens puissent avoir confiance, et qui procédera de façon équitable, indépendante, rapide et transparente, Human Rights Watch estime qu’il est décisif que soit créé un organe indépendant chargé d’enquêter sur les crimes commis par les forces de sécurité de l’Etat pendant la grève générale de janvier-février, ainsi que les grèves précédentes comme en juin 2006 au cours desquelles des abus similaires ont été commis.3 Cet organe devrait s’appuyer sur l’expertise de la communauté internationale avec la participation de membres de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, et du Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Pour sa part, la communauté internationale a un rôle clé à jouer pour garantir le devoir de rendre des comptes pour les exactions liées à la grève. Des bailleurs de fonds internationaux comme les Etats-Unis et l’Union européenne, ainsi que des organismes internationaux comme l’Union africaine (UA) et le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), doivent faire pression sur le gouvernement guinéen pour qu’ait lieu rapidement une enquête indépendante qui s’appuie sur l’expérience et l’expertise de la communauté internationale. Cette enquête doit être suivie de l’application de sanctions pénales appropriées contre les individus coupables. Ce rapport s’appuie sur des entretiens menés par Human Rights Watch en Guinée en janvier, février et mars 2007 avec des fonctionnaires du ministère guinéen de la Justice ; du ministère guinéen de la Sécurité ; de l’armée guinéenne ; des diplomates ; des journalistes ; des représentants des Nations Unies (ONU), des organisations non gouvernementales internationales, des syndicats, et des organisations locales de la société civile ; ainsi qu’avec des victimes et des témoins oculaires des violations des droits humains commises en Guinée. Les noms des victimes et autres témoins ont été omis pour protéger leur identité et pour garantir leur vie privée. 1 Pour un compte-rendu des violations perpétrées par les forces de sécurité guinéennes durant les grèves de juin 2006 et d’autres, voir Human Rights Watch, “Le côté pervers des choses, Torture, conditions de détention inadaptées et usage excessif de la force de la part des forces de sécurité guinéennes,” vol. 18, no. 7(A), août 2006, http://hrw.org/reports/2006/Guinea0806. Voir aussi, Amnesty International, “Guinea: Maintaining Order With Contempt for the Right to Life,” AI Index: AFR 29/001/2002, Mai 2002, http://web.amnesty.org/library/pdf/AFR290012002ENGLISH/$File/AFR2900102.pdf (consulté le 3 avril 2007). 2 Entretiens de Human Rights Watch avec des diplomates, des membres de la société civile guinéenne, et des victimes des violations des droits humains liées à la grève, Conakry et Labé, Janvier, février et mars 2007. 3Human Rights Watch, Le côté pervers des choses. |