SynthèseDepuis la mi-2005, des centaines de civils ont été tués, plus de dix mille maisons ont été incendiées et environ 212 000 personnes terrorisées ont fui de chez elles pour aller vivre dans de terribles conditions au plus profond de la brousse dans le nord de la République centrafricaine (RCA). Partageant une frontière commune avec lest du Tchad et la région soudanaise du Darfour ravagée par la guerre, cette zone a été déstabilisée par au moins deux importantes rébellions menées contre le gouvernement du Président François Bozizé. La vaste majorité des exécutions sommaires et des morts illégales, ainsi que presque tous les incendies de villages, ont été commis par les forces gouvernementales, souvent en représailles aux attaques rebelles. Même si les deux principaux groupes rebelles se sont rendus responsables de pillages généralisés et de perception forcée dimpôts à lencontre de la population civile dans les zones quils contrôlent et que les rebelles du nord-est ont commis des meurtres, des passages à tabac et des viols leurs exactions paraissent dérisoires en regard de celles perpétrées par les Forces armées centrafricaines (FACA) et la Garde présidentielle (GP) délite.La Cour Pénale Internationale, qui entame des enquêtes sur les atrocités perpétrées lors de la rébellion de 2002-2003 contre lex-Président Patassé, devrait également enquêter sur les éventuels crimes de guerre relevant de sa compétence, commis au cours de la série de combats qui actuels. Le présent rapport décrit les atteintes aux droits humains et les violations du droit humanitaire international commises dans le nord de la RCA et il explique la constitution des plus importants groupes rebelles, leurs origines et leurs objectifs. LArmée populaire pour la restauration de la République et la démocratie (APRD) est active dans les provinces dOuham, dOuham-Pendé et de Nana-Grébizi, situées dans le nord-ouest. LUnion des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) est plus active dans les provinces reculées deBamingui-Bangoran et de Vakaga, qui se trouvent dans le nord-est. En février et mars 2007, les chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus dans la majorité des villes et villages affectés, recueillant des informations sur les exécutions sommaires, les décès survenus dans des conditions illégales, les passages à tabac, les incendies dhabitations, les actes dextorsion et de perception illégale dimpôts, le recrutement et lutilisation denfants soldats et de nombreuses autres violations des droits humains. Les chercheurs de Human Rights Watch ont interrogé plus de 100 personnes, notamment de nombreuses victimes et témoins, des fonctionnaires locaux et régionaux, des commandants militaires, des responsables rebelles, des chefs religieux, ainsi que des représentants dorganisations humanitaires locales et internationales actives dans le nord de la RCA. Il ny a pas si longtemps, la communauté internationale était peu sensibilisée à la situation dans le nord de la RCA. Néanmoins, en 2006, les atteintes aux droits humains et les violations du droit international humanitaire ont commencé à éveiller lattention. Aujourdhui, les exécutions, les villages incendiés, les déplacements, les souffrances humanitaires sont à loccasion relayés par la presse internationale et font lobjet dune attention diplomatique croissante, étant généralement considérés comme un « débordement » de la crise qui se poursuit au Darfour. Toutefois, peu de cas a été fait de la dynamique réelle du conflit, qui est largement interne. Les principaux protagonistes rebelles sont des Centrafricains porteurs de revendications locales. Les recherches de Human Rights Watch révèlent que le degré de lien avec la situation au Darfour a été exagéré. Dans le nord-ouest, lAPRD est si mal équipée quil est difficile dimaginer quelle bénéficie dun soutien étranger. Human Rights Watch na pas découvert dautres éléments démontrant un tel appui. Bien que des contacts entre lUFDR et les rebelles tchadiens parrainés par le Soudan, opposés au Président tchadien Déby et basés dans le nord-est de la RCA aient eu lieu début 2006, le soutien étranger ne semble pas constituer le moteur de la rébellion. De même, le problème des responsabilités en rapport aux atteintes aux droits humains et des violations du droit international humanitaire, ainsi que les mesures à prendre pour que les responsables répondent de leurs actes, nont fait lobjet daucune attention. Le fait malheureux est le suivant : les auteurs de violences et dexactions, dont la majorité sont des soldats gouvernementaux, ont à ce jour joui dune impunité totale pour des actes qui incluent des crimes de guerre. La rébellion de lAPRDLa rébellion menée par lAPRD dans le nord-ouest a été lancée presque immédiatement après que les élections controversées de 2005 eurent abouti à lélection du Général Bozizé à la présidence. Lors de ce scrutin, la candidature de lex-Président Patassé, renversé par le Général Bozizé en mars 2003, avait été exclue. Les dirigeants de la rébellion de lAPRD sont pour la plupart danciens membres de la Garde présidentielle de Patassé, lui-même originaire de la région. LAPRD compte un millier de membres mal équipés, dont 200 rebelles armés de fusils automatiques et 600 autres disposants darmes de chasse artisanales. Ils affirment que leur but nest pas de renverser le gouvernement mais plutôt dengager un « dialogue » visant à adresser la question de lexclusion politique de Patassé et de ses partisans et à améliorer la situation sécuritaire dans le nord-ouest. Lun des principaux griefs de la population du nord-ouest est le manque de sécurité. Des bandits armés, connus sous le nom de zaraguinas ou coupeurs de route, attaquent régulièrement les villageois et ont tiré parti du fait que lÉtat ne garantit pas suffisamment la sécurité pour multiplier les agressions. Les zaraguinas enlèvent fréquemment des enfants en vue de réclamer une rançon et tuent régulièrement des civils lors de leurs attaques. De nombreux éleveurs de bétail appartenant au groupe ethnique peulh du nord-ouest, particulièrement visés en raison de leur précieux cheptel, ont fui à la recherche de la sécurité des grandes villes et des camps de réfugiés au Tchad. Parallèlement aux revendications politiques des anciens partisans de Patassé, lincapacité des forces de sécurité de la RCA à protéger les communautés locales face au banditisme est un élément important dans le développement de lAPRD, et de nombreux groupes armés locaux dautodéfense se sont unis au groupe rebelle. La rébellion de lUFDRDoctobre à décembre 2006, le mouvement rebelle UFDR a attiré sur lui lattention internationale en prenant le contrôle militaire des principales villes des provinces reculées de Vakaga et de Bamingui-Bangoran, dans le nord-est de la RCA, juste à la frontière de la région soudanaise du Darfour. Loffensive militaire audacieuse de lUFDR a débouché sur une intervention militaire française menée en décembre 2006 au nom du gouvernement centrafricain, permettant aux forces de sécurité de récupérer le contrôle des centres urbains. La rébellion de lUFDR trouve son origine dans la profonde marginalisation du nord-est de la RCA, pratiquement coupé du reste du pays et presque totalement non développé. Des éléments du groupe ethnique gula, dont beaucoup ont reçu une formation militaire au sein dunités de lutte contre le braconnage, sont au cur de la rébellion. Ils invoquent comme griefs la discrimination dont souffre leur communauté ainsi que les détournements de fonds des compensations versées par le gouvernement soudanais, suite aux affrontements provoqués par les nomades soudanais en 2002, dont se seraient rendues coupables les autorités centrafricaines. A mesure que la rébellion sest étendue, un sentiment anti-gula sest développé en retour au sein des responsables gouvernementaux, de larmée et de la population en général. En conséquence, la majeure partie de la population gula a fui les zones sous contrôle gouvernemental par crainte de représailles. Une seconde composante de lUFDR comprend danciens collègues de Bozizé, surnommés ex-libérateurs, qui avaient participé au renversement de lex-Président Patassé en 2003. Ils accusent Bozizé davoir trahi ses promesses et de ne leur avoir pas compensé pour leur soutien. Les exactions des FACA et de la GPDès le début du conflit avec les forces rebelles dans le nord de la RCA à la mi-2005, les forces de sécurité centrafricaines ont perpétré de graves exactions généralisées à lencontre de la population civile, notamment de multiples exécutions sommaires et des morts illégales, des incendies dhabitations civiles sur une grande échelle et le déplacement forcé de centaines de milliers de civils, faits qui ont distillé la terreur au sein de la population civile. Dans la plupart des cas, les villages ont été incendiés et les personnes abattues en réaction directe à une activité récente menée par les rebelles dans la région. Ces actes constituent des représailles illégales contre la population civile. Ce sont les FACA et la GP qui sont responsables de la vaste majorité des violations les plus graves des droits humains commises au cours du conflit, et elles ont perpétré ces atrocités en étant pleinement convaincues de limpunité de leurs crimes. Au cours de ses recherches, Human Rights Watch a recueilli des informations sur 119 exécutions sommaires et morts illégales imputables aux forces de sécurité gouvernementales dans le nord-ouest et le nord-est (la vaste majorité dentre elles ont eu lieu dans le nord-ouest), dont 51 au moins commises depuis fin 2005 par une seule et même unité militaire, lunité de la GP basée à Bossangoa et commandée à lépoque par le Lieutenant Eugène Ngaïkossé. Human Rights Watch estime que les décès sur lesquels des informations ont été recueillies ne représentent quune fraction du nombre total de décès imputables aux forces de sécurité gouvernementales. Depuis le début du conflit, des centaines de personnes auraient ainsi été tuées. Il nest pas rare que des dizaines de civils aient été tués par les forces de sécurité en une seule journée, et souvent avec une violence inouïe. Par exemple, le 11 février 2006, une seule unité de la GP a tué au moins 30 civils dans plus dune douzaine de villages différents situés le long de la route menant de Nana-Barya à Bémal. Le 22 mars, la même unité a décapité un enseignant à Bémal, lui coupant la tête avec un couteau alors quil était encore en vie. Dautres civils ont tout simplement « disparu » aux mains de larmée ; ils ont été arrêtés et nont pas été revus vivants depuis. Depuis décembre 2005, les forces gouvernementales, en particulier la GP, ont été pratiquement les seules responsables de lincendie de plus de 10.000 habitations dans le nord-ouest de la RCA. Des centaines de villages ont été détruits à travers de vastes étendues du nord-ouest du pays. Les troupes arrivent dans les villages et tirent au hasard sur la population civile, forçant les habitants à fuir avant de réduire en cendres leurs maisons, les pillant parfois au préalable. En décembre 2005, les forces de la GP ont incendié de 500 à 900 maisons dans la région de Markounda. Dans la région de Batangafo-Kabo-Ouandago-Kaga Bandoro, Human Rights Watch a recensé 2 923 habitations incendiées, dont plus de 1 000 rien que dans le large bourg de Ouandago. A certains endroits, chaque maison de chaque village avait été incendiée, sans exception. De même, des destructions à grande échelle peuvent être constatées tout autour de la ville de Paoua, sur toute la route vers lest menant à Nana Barya soit des centaines de kilomètres de villages détruits par les forces de sécurité gouvernementales. La tactique de représailles et de contre-insurrection des forces de sécurité centrafricaines a affecté la vie de plus d1 million de personnes, et on estime à 212 000 le nombre de civils forcés dabandonner leurs habitations situées en bord de route et daller vivre au plus profond de la brousse, trop effrayés de retourner dans leurs villages incendiés en cas de nouvelles attaques. Soixante dix-huit mille autres ont cherché refuge dans les pays voisins, le Tchad et le Cameroun. Le degré de peur qui règne parmi les civils dans le nord de la RCA est palpable. Dans bon nombre de zones, on naperçoit tout simplement personne, les habitants se cachant bien loin. Au son des voitures qui approchent, tous prennent la fuite, laissant sur place leurs biens, abandonnant même parfois des bébés dans leur précipitation. Les conditions de vie des déplacés sont extrêmement déplorables. Ils nont pas accès à leau propre, manquent souvent cruellement de denrées alimentaires, et leurs abris fortement dispersés se trouvent hors datteinte de la communauté humanitaire. Les infrastructures éducatives ont été fermées et hormis les cliniques mobiles gérées par des organisations internationales dans certaines régions, les soins de santé sont inexistants. Les exactions des rebellesDans le nord-ouest, les rebelles de lAPRD se sont livrés à des extorsions généralisées, à la perception forcée dimpôts, à des enlèvements pour réclamer une rançon et à des passages à tabac de civils, en particulier dans la région de Batangafo-Kabo-Ouandago située dans la province dOuham. Dans cette zone, surtout sur laxe Batangafo-Ouandago, presque tous les villages ont été systématiquement dépouillés de tout leur bétail, et les chefs de village ont fréquemment été enlevés en vue dune rançon. Les rebelles de lAPRD comptent également un grand nombre denfants soldats dans leurs rangs, dont certains nont pas plus de 12 ans. Des commandants de lAPRD ont déclaré à Human Rights Watch quils étaient prêts à démobiliser les enfants soldats si la sécurité de ces enfants après la démobilisation pouvait être garantie. Lors de ses recherches sur le terrain, Human Rights Watch a relevé une exécution sommaire imputable à lAPRD (celle de Mohammed Haroon en juin 2006, à Gbaïzera) mais aucun cas de maisons incendiées par le groupe na été identifié. Human Rights Watch na reçu aucun autre élément crédible émanant dorganisations locales ou internationales de défense des droits humains ou de journalistes à propos dexécutions sommaires ou dincendies de villages imputables aux rebelles de lAPRD. Le 11 juin 2007, des rebelles de lAPRD ont tiré sur un véhicule de lorganisation internationale humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF), tuant Elsa Serfass, une infirmière de MSF. Certes, lAPRD a immédiatement présenté ses excuses pour lincident, déclarant quil sagissait dune « erreur », mais il nen reste pas moins que les personnes responsables devraient répondre de leurs actes. Les recherches effectuées par Human Rights Watch ont révélé que dans le nord-est, les rebelles de lUFDR ont perpétré des exactions généralisées à lencontre de la population civile. Lors dattaques de villages et de villes, ils ont souvent tiré aveuglément sur les civils en fuite, abattant ainsi des personnes illégalement. Parallèlement, des rebelles de lUFDR se sont rendus responsables dexécutions sommaires de civils capturés. Doctobre à décembre 2006, les rebelles se sont livrés massivement au pillage des biens et du bétail de la population civile dans les zones quils contrôlaient. Des allégations de viol ont également été lancées à lencontre des rebelles de lUFDR, bien que Human Rights Watch nait pu corroborer quun seul cas celui dune femme violée par cinq rebelles de lUFDR lors de leur capture de Birao pendant une courte période en mars 2007. De même, lUFDR compte des enfants soldats dans ses rangs et Human Rights Watch a découvert que certains dentre eux avaient été recrutés de force. Le besoin de protectionLa mise en place de mécanismes crédibles visant à protéger la population civile contre les exactions est fondamentale à la résolution de la crise des droits humains dans le nord de la RCA. La responsabilité de protéger les civils incombe en tout premier lieu aux autorités centrafricaines : elles se doivent de prendre des mesures immédiates pour mettre un terme aux exactions de larmée et restaurer une force de police et un système judiciaire opérationnels, qui servent à protéger les droits de la population civile. Néanmoins, la communauté internationale peut également faire davantage. Une présence internationale renforcée pour assurer la protection dans le nord constitue un besoin urgent. LONU a déjà une présence importante en RCA au niveau des droits humains, à travers une section des droits de lhomme de 19 personnes au sein du Bureau dappui des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BONUCA), mission de longue durée de lONU établie en 2000 pour renforcer la paix. Toutefois, la section des droits de lhomme sest révélée fort passive à ce jour et elle nobserve pas ou ne rapporte pas les atteintes aux droits humains commises dans le nord comme il conviendrait de le faire. LONU devrait prendre les mesures nécessaires, notamment modifier le mandat de la section des droits de lhomme du BONUCA, afin de sassurer que celle-ci observe et rapporte comme il convient les violations des droits humains commises dans le nord, en opérant de la même manière que les sections des droits de lhomme des missions de maintien de la paix de lONU au Soudan et en RDC, deux pays voisins. Si le Conseil de Sécurité des Nations Unies procède au déploiement dune mission de protection de lONU en RCA et au Tchad, ladite mission devrait se focaliser sur les besoins réels de protection de la population civile des deux pays, et non se limiter à neutraliser « leffet de débordement » de la crise du Darfour. Le besoin de justiceLes crimes commis dans le nord de la RCA par les forces de sécurité gouvernementales ne sont un secret pour personne à lintérieur du pays. Les émissions radios et les journaux du pays en font fréquemment part, des parlementaires de lopposition ont rédigé des rapports publics décrivant les atrocités, et les émissaires diplomatiques expriment régulièrement leur inquiétude à ce sujet auprès du Président Bozizé. En dépit de cela, le gouvernement na pas enquêté, poursuivi ni puni un seul officier de larmée, et il ne les a même pas publiquement fustigés pour aucune de ces exactions. Même dans la capitale Bangui, les forces de sécurité se livrent impunément à des exécutions sommaires de personnes soupçonnées dêtre des bandits ou des rebelles. Au cours de la visite de Human Rights Watch, deux présumés rebelles tchadiens menottés ont été exécutés par les forces de sécurité à la périphérie de Bangui. Le Lieutenant Eugène Ngaïkossé, commandant de lunité la plus tristement célèbre, celle de la GP basée à Bossangoa qui a tué des dizaines de civils et est directement impliquée dans la plupart des incendies de villages dans le nord, reste à ce jour un homme libre et un officier de larmée en service actif. Le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a décidé de simpliquer en RCA, ayant annoncé en mai 2007 quil ouvrirait des enquêtes sur les crimes commis en RCA lors des combats de 2002-2003 et quil continuerait à suivre de près les crimes éventuels perpétrés au cours du conflit actuel. Les enquêtes de la CPI en RCA nenlèvent toutefois rien à lobligation primordiale des autorités centrafricaines de mettre fin à limpunité et de réclamer des comptes pour les crimes commis par ses forces armées et dautres. En définitive, la crise dans le nord de la RCA ne sera résolue que lorsque lordre public sera restauré et que les institutions judiciaires auront la capacité de punir ceux qui commettent des crimes contre la population civile, notamment les membres de larmée et de la GP délite. La communauté internationale tout particulièrement la France, dont le soutien militaire direct est indispensable à la survie du gouvernement du Président Bozizé se doit de dénoncer les exactions perpétrées dans le nord de la RCA et dexiger que les auteurs des crimes commis dans cette région répondent de leurs actes. |