Rapports de Human Rights Watch

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I. Résumé

Avec son président, Lansana Conté, que la rumeur dit gravement malade, son économie en déliquescence et son armée qui passe pour être profondément divisée, la Guinée est un pays en équilibre sur le fil de la transition politique.1 Si l’avenir politique de la nation est incertain, il est un fait qui lui ne l’est pas: les citoyens ordinaires font régulièrement l’objet d’exactions perpétrées par les forces de sécurité, celles-là mêmes qui sont chargées de les protéger. L’adoption de mesures immédiates visant à combattre la culture de la violence qui prévaut au sein des forces de l’ordre est capitale car ces mesures pourraient promouvoir la stabilité du pays en cette période de transition politique imminente où plane l’incertitude.

En Guinée, les membres des forces de sécurité et autres agents du gouvernement violent régulièrement quelques-uns des droits civils et politiques les plus fondamentaux, notamment le droit intrinsèque à la vie, le droit de ne pas être torturé, la liberté d’expression, la liberté de réunion et le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Ces violations sont perpétrées à l’encontre de personnes accusées de délits de droit commun ainsi qu’à l’encontre de ceux perçus par les forces de sécurité comme des opposants au gouvernement.

Même si les brutalités commises par les forces de sécurité guinéennes sont parfois largement couvertes par la presse locale et internationale, il est de graves violations des droits de l’homme qui échappent souvent à l’attention du public, en particulier celles qui sont perpétrées dans des centres de détention tels que les postes de police et les prisons. Human Rights Watch a interrogé 35 personnes, dont des enfants, qui ont fourni des récits circonstanciés et concordants à propos des mauvais traitements et des actes de torture infligés par des policiers alors qu’elles étaient garde à vue. Les victimes ont confié à Human Rights Watch que lors des interrogatoires de police, elles avaient été attachées avec des cordes, battues, brûlées avec des cigarettes et des substances chimiques corrosives et coupées avec des lames de rasoir jusqu’à ce qu’elles acceptent d’avouer le délit dont elles étaient accusées. La plupart des personnes interrogées présentaient des cicatrices presque identiques sur le corps, cicatrices qu’elles nous ont rapporté être le résultat des tortures subies lors des interrogatoires de police.

Une fois transférés du poste de police à la prison dans l’attente d’un procès, beaucoup de détenus se retrouvent dans des cellules exiguës où ils croupissent pendant des années, confrontés à la faim, la maladie et parfois la mort. Human Rights Watch a interrogé nombre de détenus qui étaient en détention provisoire depuis quatre ans. Presque tous nous ont confié qu’ils se trouvaient là en partie sur base d’aveux qui leur avaient été arrachés sous la torture.

D’autres formes de brutalités commises par les forces de sécurité guinéennes ont lieu non pas entre les quatre murs d’un poste de police mais en public, au vu et au su de tous. En juin 2006, le gouvernement a férocement réprimé des manifestations et une grève nationale contre la hausse des prix des produits de base. Human Rights Watch a interrogé plus de 50 victimes et témoins de la violence commise et a recueilli des récits détaillés accusant la police d’être impliquée dans des meurtres, des viols, des agressions et des vols. Les témoins de treize meurtres ont déclaré à Human Rights Watch que les forces de sécurité avaient tiré directement sur les foules de manifestants non armés. Des dizaines de Guinéens, dont beaucoup assistaient aux manifestations en simples spectateurs, ont été violemment passés à tabac et dévalisés par les forces de police, sous la menace d’une arme.

La répression de juin 2006, la plus importante de ces dernières années, était le dernier incident en date au cours desquels les forces de sécurité guinéennes ont fait un usage excessif et parfois meurtrier de la force à l’encontre de manifestants qui protestaient contre la détérioration des conditions économiques.

Pour mettre un terme à ces brutalités, il faudrait notamment combattre l’impunité qui permet trop souvent aux exactions de se poursuivre sans entrave. Aux yeux de bon nombre de personnes interrogées par Human Rights Watch, le fait que les atteintes aux droits de l’homme commises sous le premier président de Guinée, Sékou Touré, n’ont pas été combattues a ouvert la voie à une perpétuation de ces mêmes violations sous la présidence de Lansana Conté.2 S’il veut empêcher que l’impunité ne s’insinue en profondeur, le gouvernement guinéen doit immédiatement ouvrir des enquêtes et punir, conformément aux normes internationales, les crimes commis par les forces de sécurité de l’Etat lors de la grève nationale de juin 2006. Il doit en outre ouvrir sans délai des enquêtes indépendantes à propos des accusations de torture et de mauvais traitements sur des personnes en garde à vue.

Parallèlement, alors que la communauté internationale commence à envisager la perspective d’une transition politique pacifique en Guinée, il est capital que la traduction en justice des auteurs de violations des droits de l’homme joue un rôle central. Les bailleurs de fonds internationaux tels que la France, les Etats-Unis et l’Union européenne devraient commencer à appeler, tant en public qu’en privé, le gouvernement guinéen à ouvrir des enquêtes et, s’il y a lieu, à punir les responsables des violations décrites dans ce rapport.

Le présent document se fonde sur des entretiens effectués en Guinée aux mois d’avril et de juin 2006 par Human Rights Watch auprès de fonctionnaires du Ministère de la Justice guinéen, de diplomates, de journalistes, de représentants des Nations Unies, d’organisations internationales non gouvernementales, de syndicats, d’organisations locales de la société civile et de partis de l’opposition, ainsi qu’auprès de victimes et de témoins de violations des droits de l’homme en Guinée. Human Rights Watch a reçu l’autorisation du Ministère de la Justice d’interroger des prisonniers et des détenus incarcérés à la Maison Centrale, principale prison de Conakry. Tous ces entretiens ont été réalisés sans la présence de gardiens de prison ou autres autorités gouvernementales. Les noms des prisonniers, des détenus et autres témoins ne sont pas mentionnés afin de préserver leur anonymat et de protéger leur vie privée. Human Rights Watch remercie le Ministère de la Justice de lui avoir octroyé le droit de visiter librement la prison et elle espère que cette ouverture est le signe d’une réelle possibilité de réforme.



[1] “Guinea: Ailing president in Switzerland for medical treatment,” IRINnews, 20 mars 2006,http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=52325&SelectRegion=West_Africa&SelectCountry=GUINEA. (consulté le 10 août 2006). “Guinea: Grinding poverty drives unprecedented general strike,” IRINnews, 3 mars 2006, http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=52006&SelectRegion=West_Africa&SelectCountry=GUINEA. (consulté le 10 août 2006). International Crisis Group, “Guinea in Transition,” 11 avril 2006, http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=4067&CFID=30852257&CFTOKEN=55231897 (consulté le 10 août 2006). Entretiens de Human Rights Watch avec des diplomates, des représentants des Nations Unies (ONU), des journalistes, des organisations internationales non gouvernementales, des défenseurs locaux des droits de l’homme, des dirigeants de la société civile et des membres des partis de l’opposition, Conakry, avril et juin 2006.

[2] Entretiens de Human Rights Watch avec des diplomates, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des dirigeants de la société civile, avril et juin 2006.


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