Rapports de Human Rights Watch

III. Contexte

Après plus de dix ans de guerre civile au Burundi, le groupe rebelle le plus important en nombre, le Conseil national pour la défense de la démocratie—Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), a remporté les élections administratives locales et parlementaires en 2005, et Pierre Nkurunziza, dirigeant des CNDD-FDD, s’est présenté comme candidat unique à l’élection indirecte pour la présidence.  Nkurunziza et d’autres ont promis que son gouvernement serait respectueux des droits humains.2

Cependant, depuis les élections, des membres des forces de sécurité d’Etat se sont rendus responsables de graves violations des droits humains, souvent au cours de poursuites de supposés combattants et partisans des FNL, le seul groupe rebelle qui combattait encore le gouvernement. Des centaines de civils ont été arbitrairement arrêtés et détenus, et certains ont même été torturés et tués par des policiers, des militaires et des agents de renseignement.3 Les groupes de défense des droits humains et les observateursdes droits humains de l’ONUB4 ont dénoncé ces actes comme des violations du droit burundais et international.5

Après des mois de discussions, le gouvernement et les FNL ont signé un accord de cessez-le-feu le 7 septembre 2006. Bien qu’un accord de paix global n’ait pas encore été signé et que la démobilisation des combattants des FNL soit en retard sur le calendrier, le Burundi est plus proche de la paix qu’à aucun autre moment au cours des treize dernières années.

Le Service de Renseignement National et l’état de droit

Depuis que le nouveau gouvernement a pris le pouvoir en août 2005, le Service National de Renseignement et son ancienne incarnation la Documentation Nationale6 ont été reconnus comme ayant commis des actes de torture et sont fortement incriminés pour avoir effectué des exécutions extrajudiciaires, crimes pour lesquels les responsables ont jusqu’ici échappé à toute punition. Un habitant de Bujumbura, la capitale, a déclaré à un chercheur de Human Rights Watch :

Les agents [du SNR] font peur aux gens. Les gens ne les soutiennent pas. On s’enfuit quand on les voit. . . Beaucoup d’arrestations ont été faites sans raison.7

En mars 2006, le président Nkurunziza a paraphé deux nouvelles lois qui gouvernent la structure et le personnel du SNR et qui ont été adoptées lors de la session de janvier du parlement.8 La nouvelle loi sur les fonctions du SNR stipule que sa mission est « la recherche, la centralisation et l’exploitation de tous les renseignements d’ordre politique, sécuritaire, économique et social nécessaires à l’information et à l’orientation de l’action du Gouvernement  en vue de garantir la sûreté de l’Etat. »9 Elle mandate le SNR pour enquêter sur un vaste éventail d’actes illégaux, depuis le terrorisme jusqu’aux menaces contre l’environnement.10

Le SNR est dirigé par un administrateur général et un administrateur général adjoint; tous deux ont le rang de ministre et sont nommés par le Président avec l’approbation du Sénat.11 L’administrateur général rend directement compte au Président, une disposition qui a conduit les gens à parler du SNR comme de la « police présidentielle. »12 Depuis que le nouveau gouvernement est entré en fonction, le Général Adolphe Nshimirimana, combattant des FDD13 pendant la guerre, a dirigé la Documentation Nationale et puis le SNR depuis son début en mars. La propre escorte de sécurité du Général Nshimirimana a été impliquée dans des exécutions extrajudiciaires et des tortures en 2005 et certaines victimes ont signalé que le Général Nshimirimana lui-même était présent au cours des séances d’interrogatoire comportant des actes de torture.14 Le Colonel Léonidas Kiziba, l’administrateur général adjoint, était officier de l’armée burundaise et était auparavant procureur militaire.

Les agents du SNR portent des vêtements civils mais sont censés avoir des pièces d’identité les identifiant comme agents du SNR.15 En plus des employés permanents, le SNR en appointe d’autres, dont beaucoup sont d’anciens combattants des FDD, qui donnent des renseignements ou fournissent d’autres services de façon occasionnelle.16   Le 30 mars, le Colonel Kiziba, s’exprimant à la Radio Nationale après une réunion à Kayanza avec des agents du SNR venus de tout le pays et à laquelle assistait aussi le président Nkurunziza, aurait dit que « les crimes dont sont accusés certains agents sont pour la plupart perpétrés par des informateurs qui ne sont pas eux-mêmes membres du service » (voir aussi ci-dessous).17

Dans le cadre des Accords d’Arusha (l’accord de partage du pouvoir entre les parties belligérantes signé en 2000), les forces gouvernementales au Burundi doivent actuellement maintenir un équilibre strict entre les différentes ethnies. La Police Nationale et l’armée ne peuvent avoir plus de 50 pour cent de leurs membres appartenant à un groupe ethnique particulier. Ceci a été prévu pour remédier aux déséquilibres ethniques importants qui avaient existé au sein des forces gouvernementales et avaient par le passé contribué à l’instabilité. Cependant, le statut spécial du SNR est accentué par le fait qu’il est exempté des quotas ethniques. L’Accord d’Arusha stipule que « la composition du service de renseignement doit répondre au souci de préserver, au regard de sa spécificité, le secret de son fonctionnement, mais aussi satisfaire au souci de se soumettre au contrôle de l’Assemblée nationale. »18 

Pouvoirs ambigus et double chaîne de commandement

La loi établissant le SNR donne à ses agents des pouvoirs vagues pour prendre toute « mesure légale nécessaire à l’accomplissement de sa mission » de protection de sécurité de l’Etat, un champ qui laisse une grande latitude d'action.19 Elle les charge aussi  « de mener des enquêtes sur des dossiers judiciaires qu’il soumet au Ministère Public pour instruction.»20 Les agents du SNR ont les compétences d’officiers de Police Judiciaire (OPJ)21 qui sont également chargés d’enquêter sur des crimes, de présenter des preuves aux procureurs, de procéder à des arrestations, et de mettre à exécution les mandats du procureur.22 

Les OPJ, y compris les agents du SNR, sont censés opérer « judiciairement sous les ordres et l’autorité du Ministère Public » pour mener des enquêtes et préparer des dossiers criminels.23 Cette disposition crée une double chaîne de commandement : les OPJ ordinaires sont soumis à la hiérarchie de la police (commissaire général de la Police Judiciaire, directeur général de la Police, et ministre de l’Intérieur et Sécurité Publique) ainsi qu’au procureur, tandis que les agents du SNR sont sous l’autorité de l’administrateur général et du Président, ainsi que du procureur.

Manque de surveillance

Les agents du SNR ont utilisé l’ambiguïté inhérente à cette disposition pour fonctionner avec peu de contrôle de la part du bureau du Procureur, arrêtant des personnes selon leur bon vouloir. Le Procureur auprès du Tribunal de Grande Instance de Bujumbura Mairie, qui selon la loi est chargé de diriger les agents du SNR pour les questions judiciaires qui se posent à Bujumbura Mairie, a dit à un chercheur de Human Rights Watch qu’il travaille rarement avec des agents du SNR ; il a affirmé ne les contacter que lorsqu’une personne accusée qu’il recherche est très difficile à trouver.24 S’exprimant sur le Burundi en mars 2006, le Secrétaire général des Nations Unies a noté que « les lacunes observées au niveau du commandement et du contrôle » des services du renseignement, ainsi que de l’armée et de la police, ont contribué au nombre considérable de violations des droits humains et de crimes de droits communs qui ont été commises.25

A la recherche de solutions possibles au problème du contrôle du SNR, un chercheur de Human Rights Watch a parlé à certains membres de l’Assemblée nationale. Le député Jean Marie Ngendahayo, membre du CNDD-FDD, a reconnu qu’un comité parlementaire sur le renseignement ayant un contrôle sur le SNR pourrait améliorer la situation. Il a remarqué que peut-être des parlementaires seraient probablement moins intimidés par le SNR que certains officiers judiciaires, et pourraient garantir le soutien du gouvernement au personnel du bureau du Procureur pendant les investigations.26

Si un comité parlementaire sur le renseignement devait être constitué, il est crucial qu’il soit composé de divers partis politiques, pour garantir que le SNR serve les intérêts de tous les Burundais. Mettre fin aux abus du SNR exigera aussi d’amender la loi pour définir ses pouvoirs plus clairement et exigera en même temps d’accroître le contrôle sur ses activités, tout en octroyant aux juges l’indépendance leur permettant de mener des enquêtes criminelles sur des agents du SNR.  




2 “Burundi: President lays out new policy,” IRINnews, 29 août 2005, http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=48797 (consulté le 9 octobre 2006).

3 Human Rights  Watch, Burundi – Faux pas à un moment crucial, 4 novembre 2005, http://hrw.org/backgrounder/africa/burundi1105/; Human Rights  Watch, Dérapages : abus perpétrés au Burundi, 27 février 2006, http://hrw.org/french/reports/2006/burundi0206/.

4 L’Opération des Nations Unies au Burundi (ONUB) a démarré ses activités le 1er juin 2004, à la suite de la résolution 1545 de UNSC. L’ONUB est mandatée pour assurer le respect des accords de cessez-le-feu  en surveillant leur mise en oeuvre et en enquêtant sur leurs violations, assurer la sécurité des sites de regroupement en vue du désarmement, recueillir et entreposer en lieu sûr les armes, protéger les civils en danger immédiat de violence physique; mener à bien les réformes institutionnelles ainsi que la constitution des forces intégrées de défense nationale et de sécurité intérieure et, en particulier, la formation et la supervision de la police; et achever la mise en oeuvre de la réforme du système judiciaire et pénitentiaire. Conseil de Sécurité des Nations Unies, Résolution 1545 (2004), S/RES/1545 (2004), http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/359/89/PDF/N0435989.pdf?OpenElement (consulté le 18 octobre 2006) paras. 5-7.

5 “Burundi: Iteka Denounces Rights Violations” IRINnews, 21 octobre 2005, http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=49673 (consulté le 9 octobre 2006).

6 Par le passé, le service du renseignement était connu sous le nom de Sûreté Nationale, mais il était désigné communément sous l’appellation de Documentation Nationale. Il a été établi initialement par Décret no 100/90 du 14 juillet 1984 portant réorganisation et fonctionnement de la Sûreté Nationale et Décret no 100/91 du 14 juillet 1984 portant statut du Personnel de la Sûreté Nationale.

7 Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 30 août 2006.

8 « Adoption de l’ordre du jour de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale »,  Agence Burundaise de Presse, 18 janvier 2006.

9 Loi No 104 du 2 mars 2006 portant création, organisation, et fonctionnement, du Service National de Renseignement, art. 3.

10 Ibid.

11 Ibid., arts. 4 et 5.

12 Ibid., art. 11. Selon l’Article 117 de la constitution burundaise, le président lui-même bénéficie de l’immunité pour tous les actes officiels, sauf en cas de haute trahison.

13 Les FDD (Forces pour la défense de la démocratie)  est le nom du groupe rebelle armé qui était un prédécesseur du parti politique actuellement au pouvoir, le CNDD-FDD.

14 Human Rights Watch, Faux pas à un moment crucial, pp. 11-12 ; Département d’Etat des Etats-Unis, Bureau de la Démocratie, des Droits de l’Homme et du Travail, “Country Reports on Human Rights Practices – 2005 : Burundi,”  8 mars 2006, http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2005/61557.htm (consulté le 28 septembre 2006).

15 Loi No 1/05 du 2 mars 2006 portant sur le personnel du Service National de Renseignement, arts. 5-10. Selon cette nouvelle loi portant sur le personnel du SNR, celui-ci est classé comme inspecteur, officier et administrateur, en ordre ascendant de pouvoir.

16 Human Rights Watch, Faux pas à un moment crucial, p. 11.

17 Radio-Télévision nationale du Burundi (en français), 30 mars 2006, repris en français et en traduction anglaise) aux Nouvelles brèves du matin de l’office de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), 30 mars 2006, http://www.reliefweb.int/ochaburundi/am_brief/bur300306.htm (consulté le 29 septembre 2006).

18 L’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, http://www.usip.org/library/pa/burundi/pa_burundi_08282000_pr3ch2.html (consulté le 10 octobre 2006), Protocole III, art. 14.  Le Parlement du Burundi est constitué de deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat.

19 Loi No 1/04 du 2 mars 2006 portant sur la création, l’organisation et le fonctionnement du Service National de Renseignement, art. 7.

20 Ibid., art. 8.

21 Loi No 1/05 du 2 mars 2006 portant sur le personnel du Service National de Renseignement, art. 13.

22 Loi No. 1/08 du 17 mars 2005 portant code de l’organisation et de la compétence judiciaires. arts. 142-147.

23 Loi No. 1/020 du 31 décembre 2004 portant création, organisation, missions, composition et fonctionnement de la police nationale, art. 31.

24 Entretien de Human Rights Watch avec le Procureur auprès du TGI de Bujumbura Mairie Stanislas Nimpagaritse, 29 septembre 2006.

25 Conseil de Sécurité des Nations Unies, Sixième rapport du Secrétaire Général sur l’Opération des Nations Unies au Burundi, S/2006/163, 14 mars 2006, http://www.un.org/docs/sc/sgrep06.htm (consulté le 10 octobre 2006).

26 Entretien de Human Rights Watch avec le Député Jean Marie Ngendahayo, 27 septembre 2006.