Rapports de Human Rights Watch

IX. L’échec du gouvernement à régler les autres problèmes structurels du système de santé

Affamer les hôpitaux: les désavantages de l’autonomie

Quand les hôpitaux sont devenus autonomes début 1988, ils ont dû assumer la responsabilité de financer la plupart de leur activités. S’ils échouent à recouvrer les dépenses passées, ils doivent tailler dans leurs dépenses futures, et, dans bien des cas, cela inclue les salaires du personnel.

L’Etat doit à l’hôpital de grosses sommes d’argent d’après les système d’assurance médical. D’après le personnel gérant de l’hôpital Prince Régent Charles, les factures d’assurance de 2004 à 2005 sont toujours énormes.195 Le Ministère des finances, responsable du règlement des factures, les paient avec de moins en moins de régularité au fur et à mesure que l’année passe et, d’après un responsable officiel de l’hôpital, « En juin, les paiements s’arrêtent ».196 Le budget total pour l’assurance médicale était de 180 millions FBU (180 000$) en 2005 et de 300 millions de FBU (300 000$) en 2006.197

Le gouvernement donne des subventions aux hôpitaux publics, mais ce soutien ne couvre qu’une fraction de leurs dépenses. La clinique Prince Louis Rwagasore, par exemple, reçoit environ 10% de son budget annuel de l’Etat198 et l’hôpital Price Régent Charles environ 30%.199  Les salaires du personnel médical sont très bas, en partie parce que l’aide aux hôpitaux est si limitée. Le salaire de début d’un praticien généraliste en 2004 était de 62 980 FBU (62$) par mois.200

Le manque de transparence dans les finances du secteur de la santé

Le secteur de la santé au Burundi est gangrené non seulement par le manque de financements, mais aussi par le manque de règles de conduite claires, de même que par la fraude et la corruption, dans leur manière d’être utilisées.

Le personnel hospitalier ne sait jamais quand et combien les dépenses de leur institution vont être remboursées par l’Etat, car l’assurance médicale et le système des cartes d’indigence ne fonctionnent pas comme ils devraient.  Les patients pauvres ne sont jamais sûrs du prix qu’ils vont devoir payer.

Le personnel hospitalier a parfois lui-même été impliqué dans des affaires de mauvaise gestion ou de corruption. En octobre 2005, des responsables officiels du CNRS ont découvert que le personnel du Roi Khaled soumettait de faux reçus et fabriquait et vendait des documents d’attestation du statut de pauvreté ou rapatrié. L’organisateur supposé de la fraude, un employé du CNRS basé dans l’hôpital, a été suspendu.201 D’après un responsable officiel du Ministère de la solidarité nationale, des droits de l’homme et du genre, la triche et la fraude restent un problème pour le Fonds d’aide aux victimes.202Les agences internationales qui paient les factures de l’hôpital pour certains de leurs bénéficiaires se sont plains que des factures fausses ou surévaluées étaient préparées par le personnel de l’hôpital.203

Le 24 février 2006, le ministre des finances a reconnu, dans une émission de radio, qu’un billion FBU (1 million de dollars) était passé par la trésorerie, apparemment pour l’achat de médicaments, mais qu’il ne pouvait rendre compte de son utilisation.204 Peu de temps après, des responsables officiels du secteur de la santé ont déploré la disparition de médicaments des centres de santé et ont exprimé l’inquiétude qu’il pouvait y avoir une « spéculation délibérée par les gérants des centres de santé » dans la vente de médicaments.205

En terme d’indications de corruption ayant eu lieu dans le passé, on peut citer le meurtre de Kassi Manlan, chef de l’Organsiation mondiale de la Santé au Burundi, apparemment assassiné pour avoir découvert des détournements de fonds destinés à acheter des médicaments par d’importants responsables officiels burundais.206

Suivant l’annonce faite par le président de mise en place de mesures anti-corruption, le parlement a voté, en juillet 2006, la création d’une brigade anti-corruption avec des pouvoirs policiers, et ce malgré les inquiétudes existantes concernant sa constitutionnalité.207




195 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le directeur administratif et financier, hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 10 février 2006.

196 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le directeur administratif et financier, hôpital Ngozi, Ngozi, 15 février. Des informations similaires ont été fournies par les directeurs administratif et financier des hôpitaux Roi Khaled et Prince Régent Charles.

197 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le Dr. Julien Kamyo, chef de cabinet, Ministère de la santé, 13 février 2006.

198 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le directeur et d’autres gérants, clinique Prince Louis Rwagasore, Bujumbura, 14 février 2006.

199 Entretien de Human Rights Watch/APRODH avec le directeur administratif et financier, hôpital Prince Régent Charles, Bujumbura, 10 février 2006.

200 République du Burundi, Ministère de la santé, « Plan national de développement sanitaire 2006-2010, » p. 26. Cette somme inclut une allocation au logement. Sur la situation du personnel médical, voir aussi Niyongabo et al., « Burundi: Impact de dix années de guerre civile sur les endémo-épidémies. »

201 Entretien de Human Rights Watch avec Claire Nzeyimana, Volet Affaires Financières et Mobilisation des Fonds, CNRS, 9 mai 2006.

202 Entretien de Human Rights Watch avec le représentant du Ministère de la solidarité nationale, des droits de l’homme et du genre, 10 mai 2006.

203 Entretien de Human Rights Watch avec une agence humanitaire, Bujumbura, le 12 février 2006.

204 Radio Bonesha, 24 février 2006.

205 « Gitega – Santé: Les principaux facteurs qui freinent encore l’accessibilité aux soins de santé, » Agence Burundaise de Presse, 21 avril 2006.

206 Lettre de Claude Beke Dassys, Ambassadeur de la Côte d’ivoire aux Nations Unies, Genève, au Président  Laurent Gbagbo, septembre 2002; Entretien de Human Rights Watch avec Alexis Sinduhije, Bujumbura, 10 mai 2006; “Burundi Court Convicts Killers of WHO Official”, Mail & Guardian Online, 4 mai 2005, http://www.mg.co.za/articlePage.aspx?area=/breaking_news/breaking_news__africa/&articleId=237024 (consulté le 29 avril 2006); “Burundi police killed aid worker,” BBC News Online,  4 mai 2005, http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/4512263.stm (consulté le 29 avril 2006); « Entrevue avec Me Bernard Maingain, membre du barreau de Bruxelles, avocat et conseiller de la partie civile dans l'affaire Kassy Manlan », Burundi news, 6 juin 2005, http://burundi.news.free.fr/interviewavocat.html (consulté le 29 avril 2006). 

207 « Burundi/Assemblée Nationale : Pas de quorum pour voter la loi portant création de la Brigade anti-corruption, » Burundi Réalités, 23 juillet 2006, http://www.burundirealite.org/burundi/display_news_f.cfm?loc=1802 (consulté le 31 juillet 2006); « Burundi-politique : La grogne s’intensifie à l’Assemblée Nationale au sein des députés du FRODEBU, de l’UPRONA et du CNDD de Nyangoma » Burundi Express, 13 juillet 2006,  http://www.burundiexpress.org/article.php3?id_article=128 (consulté le 8 août 2006). Les critiques ont maintenu que la brigade anti-corruption proposée sera un corps de police séparé de la police ordinaire. Cependant, la constitution stipule qu’il ne peut y avoir qu’une seule force de police nationale.