<<précédente | index | suivant>> I. SynthèseLe 7 janvier 2004, le roi Mohammed VI crée lInstance Equité et Réconciliation (IER), ce qui représente une avancée sans précédent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les autorités marocaines la présentent comme la preuve de leur engagement à entreprendre des réformes politiques. Le roi a fait savoir de manière claire quil considère cette instance comme une commission vérité. Son mandat est denquêter sur les disparitions forcées et les détentions arbitraires commises de 1956 à 1999, de rédiger un rapport sur ces violations et de proposer différentes formes de compensation et de réparation pour les victimes, incluant la réinsertion et la réhabilitation sociale ainsi que la prise en charge médicale et psychologique. Le roi a également demandé à lIER de formuler des recommandations pour aider le Maroc à commémorer ces abus et pour éviter leur répétition. LIER doit rendre son rapport final et ses recommandations au roi à la fin novembre 2005. Ainsi sachèvera une étape historique dans les efforts mis en uvre par le Maroc pour reconnaître et affronter les exactions du passé. Mais à linstar dautres pays qui ont crée des commissions vérité pour des objectifs similaires, lIER ne représente quune phase dun long processus, une phase dont la contribution finale à la réconciliation avec le passé et à la construction dun avenir plus démocratique dépend dans une large mesure des engagements pris par lEtat, pour traduire en actes, lesprit et la lettre des recommandations de lIER. Depuis sa création il y a près de deux ans, lIER a entendu des milliers de victimes et mené de nombreuses investigations dans les différentes régions du royaume. Elle a également organisé sept auditions publiques, dont certaines ont été retransmises à la télévision, au cours desquelles des Marocains ont décrit les violations quils, ou leurs proches, avaient subies. LIER a également mis en place une assistance médicale pour les victimes de la répression passée qui en avaient le plus besoin. Selon ses statuts, le mandat de lIER aurait du prendre fin en avril 2005. Cependant, le roi a accepté de le proroger jusquà la fin novembre 2005. Au cours de sa première année de travail, lIER a suscité de nombreuses controverses. De manière générale, les observateurs ont salué le mandat de lIER qui a permis de rouvrir le dossier des violations graves (un dossier que le Palais disait clos depuis quelques années) et de faire face à ces abus par des mesures dépassant les seules compensations financières. Ils ont également bien accueilli la nomination, comme membres de cette instance, de plusieurs militants respectés et indépendants des droits humains. Mais les critiques ont regretté les contraintes considérables qui pèsent sur lIER. Dabord, elle ne peut citer publiquement les noms des responsables ou de ceux qui ont été impliqués dans les violations graves des droits humains. Cette limitation est dautant plus difficile à accepter quun certain nombre de fonctionnaires, soupçonnés davoir ordonné ou participé à ces exactions, occupent toujours de hautes fonctions dans les rouages de lEtat et que certains types dabus sont toujours commis au Maroc. Par ailleurs, dautres critiques ont exprimé leurs inquiétudes sur le mandat de lIER qui semble se concentrer sur les disparitions forcées et les détentions arbitraires et exclure dautres formes de violations graves comme la torture. Les critiques se sont également interrogés sur la manière dont lIER pouvait obtenir la coopération des différents services de lEtat, dans la mesure où elle ne bénéficie daucun pouvoir statutaire de contrainte ou de sanction en cas de non-coopération. Dautres encore ont exprimé leur frustration vis-à-vis de la communication entre lIER et les familles de « disparus », jugée insuffisante. LIER est une instance consultative et, hormis le fait de verser des compensations aux victimes, aucun texte noblige une institution étatique à lui obéir ou même à considérer sérieusement ses recommandations. LIER nest pas la première instance de ce type à ne pouvoir citer publiquement les noms des tortionnaires ou à ne pouvoir contraindre les témoins. De même, elle nest pas la première commission vérité à avoir un mandat limité en termes de période ou de type dabus couverts. Les commissions vérité peuvent remplir différentes fonctions dans différentes sociétés. LIER, malgré ses limites, a un rôle important à jouer dans le règlement des violations graves du passé au Maroc et, potentiellement, en renforçant la primauté du droit dans le futur. Mais quelques soient les conclusions et les recommandations de lIER, les autorités marocaines ont lobligation dassurer à toutes les victimes des violations graves la jouissance de leurs droits selon les lois internationales, ce qui inclut le droit à la réparation, sans discrimination. Il leur appartient de mettre en application les recommandations de lIER pour reconnaître les abus du passé, les commémorer et faire en sorte que les gens noublient pas ce qui sest passé, et dadopter des mesures susceptibles de consolider la primauté du droit et capables de prévenir la répétition de ces violations graves. De même il relève de leurs obligations de sassurer que les responsables de ces violations ne bénéficieront pas de limpunité mais seront au contraire identifiés et traduits en justice.
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