<<précédente | index | suivant>> Les victimes de Hissène Habré toujours en attente de justice au TchadDe même que larrestation du Général Augusto Pinochet en Grande-Bretagne brisa le mythe de limpunité de Pinochet au Chili, linculpation de Habré au Sénégal eut un impact immédiat au Tchad, ouvrant de nouvelles voies à la justice. Les victimes et les organisations de défense des droits humains, qui avaient déclenché les poursuites au Sénégal, gagnèrent une autorité nouvelle dans la société tchadienne, ayant accompli un exploit que personne naurait cru possible. Le 27 septembre 2000, le Président Idriss Déby a accordé une audience aux dirigeants de lAssociation des Victimes et a affirmé que « lheure de la justice avait sonné » et quil retirerait « tous les obstacles, venant du Tchad ou de létranger », à leur quête de justice. Depuis plusieurs années, le gouvernement tchadien a apporté son soutien aux procédures légales engagées contre Hissène Habré à létranger. Ce soutien sest manifesté notamment lors de la visite du juge belge à NDjaména aux mois de février et mars 2002 dans le cadre de la commission rogatoire internationale. Le gouvernement tchadien a également donné aux victimes et aux groupes les appuyant un accès illimité aux archives de la DDS et a levé limmunité internationale de Hissène Habré en octobre 2002. Aussi important et essentiel quil soit, le jugement de Hissène Habré par un tribunal étranger ne garantira pourtant quune justice partielle aux victimes de son régime. Un tel jugement ne permettra pas à la société tchadienne daffronter complètement son passé afin den finir définitivement avec celui-ci. Le gouvernement tchadien na malheureusement toujours pas pris, au Tchad, les mesures nécessaires et complémentaires qui simposent et qui permettraient que justice soit enfin rendue. Le gouvernement tchadien na, en particulier, toujours pas accordé la moindre réparation aux victimes du régime de Hissène Habré. La Réparation en Droit InternationalSelon les principes internationaux relatifs aux droits de lhomme, le soutien et la réadaptation sociale, lindemnisation et la satisfaction font partie des obligations que les Etats sont tenus de respecter en vertu du droit à réparation des victimes43. Le Tchad est obligé par un certain nombre dinstruments internationaux daccorder réparation aux victimes de violations massives des droits de lHomme. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 2(3)), que le Tchad a ratifié en 1995, oblige les parties à « garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera dun recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans lexercice de leurs fonctions officielles » et à fournir réparation à tout individu victime darrestation ou de détention illégale (art. 9(5)). La Convention contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 14), que le Tchad a ratifiée en 1995, établit que: « Tout Etat partie garantit, dans son système juridique, à la victime dun acte de torture, le droit dobtenir réparation et dêtre indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. En cas de mort de la victime résultant dun acte de torture, les ayants cause de celle-ci ont doit à indemnisation. »
Ces mesures se fondent sur le principe tiré de larticle 8 de la Déclaration Universelle des Droits de lHomme qui énonce que « Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ». En 2000, le projet de Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations du droit international relatif aux droits de lhomme et du droit international humanitaire, conclu que: « Lobligation de respecter, de faire respecter et dappliquer le droit international humanitaire et les droits de lhomme comprend, en particulier, lobligation de lÉtat: « Les réparations incarnent la reconnaissance et les remords dune société pour corriger les maux infligés »45. Les réparations peuvent être dordre matériel (restitution, traitement médical) ou dordre moral (reconnaissance officielle, amener les responsables des crimes devant la justice et/ou les démettre de postes de pouvoir). Un auteur souligne que: « les réparations ont une double fonction. Elles visent à compenser pour les pertes subies et à rétablir le nom de ceux qui ont été diffamés, mais aussi à réintégrer les marginaux et les personnes isolées dans la société en vue de leur permettre de faire partie de la reconstruction du pays Les réparations morales, également, servent cette double fonction: elles visent à exposer et à punir les responsables, mais aussi à minimiser leur pouvoir et leur rôle au sein de la société daprès conflit. Après tout, si les bandits locaux demeurent en charge, peu de choses vont changer » 46. Lidée du droit à réparation doit ainsi être considérée au sens large du terme, selon le droit international, incluant la restitution, lindemnisation, la satisfaction et les garanties de non-renouvellement ainsi que la réadaptation et la réhabilitation des victimes47. Les complices de Hissène Habré ont gardé leurs responsabilités au sein du pouvoir tchadienMalgré les recommandations de la Commission dEnquête publiées dès 1992, limpunité dont jouissent les complices de Hissène Habré demeure une réalité. En effet, plus dune quarantaine danciens responsables de la DDS restent à ce jour à des postes clefs de ladministration ou de lappareil sécuritaire de lEtat, retardant ainsi la possibilité de voir un jour une paix réelle et définitive sinstaurer au Tchad. Une liste détaillée de 41 personnes qui occupaient des postes de responsabilité au sein de la DDS sous la présidence de Hissène Habré et qui sont toujours en poste aujourdhui au Tchad est publiée en annexe du présent rapport. Un ancien Chef de Service de la DDS, par exemple, accusé de tortures directes par plusieurs de ses victimes est aujourdhui Chef de Cabinet du Directeur général de la Police Nationale. Des trois ex-Directeurs de la DDS toujours au Tchad, lun est actuellement Délégué régional de la Police Nationale, le second est Préfet et le troisième travaille au Ministère de la Communication du Tchad. Lancien Directeur de la Police Judiciaire pendant le régime de Hissène Habré est aujourdhui le Directeur des Services de Police. Lun des « tortionnaires les plus redoutés » de la DDS, pour reprendre les termes de la Commission dEnquête, est maintenant Commandant de Police. Un ancien Chef de Service de la DDS contre qui plusieurs plaintes ont été déposées pour torture est lactuel Chef de Sécurité à laéroport international de NDjaména. Enfin, un Directeur de la Sûreté Nationale pendant le régime de Hissène Habré occupe le poste de Coordinateur National adjoint de la Zone pétrolière et un Directeur adjoint de lancienne Sûreté Nationale est lactuel Directeur de la Police Judiciaire. Lors dun discours à NDjaména en juin 2003, le Président de lAVCRP Ismael Hachim Abdallah a déclaré: « nos tortionnaires et nos tueurs nous côtoient chaque jour sans être inquiétés par la justice de notre pays auprès de laquelle nous avons déposé depuis longtemps nos plaintes. ( ) Nos bourreaux continuent à nous narguer et défient la justice qui reste empêtrée dans les problèmes de tous ordres qui lempêchent de dire le droit et de sanctionner les coupables et leurs complices »48. Tel quexpliqué par M. Hachim, la présence de ces anciens dirigeants de la DDS dans ladministration et aux postes de pouvoirs entretient un climat dimpunité au sein de la société tchadienne et est peu respectueuse de létat de droit. Cette situation encourage ainsi les nombreuses intimidations et même les agressions dont sont victimes les défenseurs des droits humains au Tchad. La réhabilitation danciens responsables accusés de torture ne sarrête cependant pas aux frontières tchadiennes. En novembre 2004 lAVCRP a informé Human Rights Watch de la présence dun autre des « tortionnaires les plus redoutés » du Tchad au sein de la police civile de lOpération des Nations Unies en Côte dIvoire (ONUCI), où il enquêtait sur des plaintes de violations des droits de lhomme. Daprès la Commission dEnquête, Mahamat Djibrine, aussi appelé « El Djonto », faisait partie des cinq membres de la Commission chargée dinterroger les détenus et qui « utilisaient systématiquement la torture durant ces interrogatoires ». La Commission dEnquête ajoute que Mahamat Djibrine fut également membre des deux commissions chargées de larrestation des membres des ethnies Hadjaraï en 1987 et Zaghawa en 1989 lorsque le régime Habré organisa des campagnes de nettoyage ethnique dans tout le Tchad. Avant de partir pour la Côte dIvoire, Mahamat Djibrine était toujours Chef de cabinet du Directeur Général de la Police Nationale au Tchad. En janvier 2005, à la suite dune plainte de Human Rights Watch auprès des Nations Unies, le Tchad a rappelé Mahamat Djibrine. Les victimes et ceux qui les soutiennent sont menacésLe cas de lagression contre Jacqueline Moudeïna, lavocate tchadienne des victimes de Habré dans la procédure tchadienne contre les ex-agents de la DDS (voir infra), et les répercussions de cette agression, démontrent que le pouvoir de ces anciens agents est un obstacle à ce que justice soit rendue aux victimes de Habré. Maître Moudeïna a été victime dune agression à la grenade le 11 juin 2001, alors quelle participait à une manifestation pacifique de femmes devant lambassade de France protestant contre le déroulement des élections présidentielles tchadiennes. Plusieurs éléments font penser quelle a été visée en tant quavocate des victimes des complices de Hissène Habré. Lescadron de police responsable de lattaque était commandé par Mahamat Wakaye, le Directeur adjoint de la Sécurité Nationale sous le régime Habré et visé dans une des plaintes déposées par Maître Moudeïna. Wakaye est lactuel Directeur de la Police judiciaire au Tchad. Le gouvernement tchadien na pas mené denquête concernant cette attaque, qui a également fait dautres blessés. Lorsque Maître Moudeïna est rentrée au Tchad après plus dun an en France où elle était hospitalisée pour ses blessures, elle a déposé une plainte contre Wakaye. Cest seulement en raison des pressions de la part de groupes de défense des droits humains tchadiens et internationaux que le cas a finalement donné lieu à un procès devant la justice tchadienne. Les preuves présentées durant le procès, auquel a assisté Human Rights Watch, suggéraient que Maître Moudeïna avait été identifiée par des policiers placés sous les ordres de Mahamat Wakaye avant que la grenade ne soit lancée. Après que Maître Moudeïna ait été blessée, la voiture la transportant à lhôpital a été la cible de coups de feu. Malgré ces preuves, Mahamat Wakaye a été relaxé le 11 novembre 2003 par le tribunal de NDjaména de toutes les accusations portées contre lui. Lors du procès, Maître Moudeïna a fait lobjet dintimidation. Une nuit, son domicile a été encerclé par 3 véhicules militaires qui nont quittés les lieux que très tôt le lendemain matin. Selon des sources anonymes non confirmées par Human Rights Watch, Maître Moudeïna ferait depuis lobjet dune filature par un agent de lAgence nationale pour la sécurité (ANS). La simple présence dun ex-complice de Hissène Habré à un poste aussi important que celui de Directeur de la Police judiciaire ne peut que remettre en cause les attentes de justice et retarder la fin des intimidations dont sont victimes les défenseurs des droits humains au Tchad. Les harcèlements contre les victimes de Hissène Habré et ceux qui les soutiennent sont devenus plus intenses avec la visite du juge belge au Tchad en février et mars 2002:
En Mars 2005, le ministère tchadien des affaires étrangères et de lintégration africaine a conditionné le paiement des indemnisations de licenciement de Souleymane Guengueng (par ailleurs calculées par la CBLT sans consultation préalable de son ancien employé) à lengagement exprès de labandon de toutes poursuites judiciaires à lencontre de la CBLT.
Les plaintes contre les complices de Hissène Habré piétinentMalgré les recommandations de la Commission dEnquête, le gouvernement du Tchad na pas cherché lextradition de Habré du Sénégal, ni engagé de poursuites contre les complices de Habré restés au Tchad. De retour de Dakar, les victimes de Habré ont annoncé leur intention de porter plainte devant les tribunaux tchadiens contre leurs tortionnaires directs et contre les chefs de lex-DDS toujours au Tchad. Comme lexplique Ismael Hachim Abdallah, Président de lAVCRP, « Nous navons jamais accepté et ne pourrons jamais accepter lidée que nos tortionnaires échappent à la justice. Après larrestation dHissène Habré au Sénégal, nous nous sommes rendus compte que nous pouvions également exiger que justice soit faite, ici, dans notre propre pays. Cest maintenant à la justice tchadienne de faire son devoir ». Quelques semaines plus tard, le 26 octobre 2000, dix-sept victimes, ont porté plainte au Tchad pour torture, meurtres et « disparitions » contre danciens membres de la DDS. Le juge dinstruction en charge du dossier sest toutefois déclaré incompétent en raison dune loi de 1993 prévoyant la création dun tribunal spécial pour juger Hissène Habré et ses complices, tribunal qui na jamais été établi49. Les victimes ont fait appel de cette décision dincompétence et la Cour dappel de NDjaména a saisi le Conseil Constitutionnel du Tchad qui a décidé que les tribunaux de droit commun étaient bien compétents pour entendre ces plaintes50. Linstruction a finalement commencé devant un autre juge dinstruction, au mois de mai 2001. Des dizaines dautres victimes ont par la suite porté plainte contre leurs tortionnaires directs. Le juge dinstruction a entendu des dizaines de victimes et a commencé à recueillir le témoignage des accusés. Certains accusés ont comparu devant le tribunal alors que dautres ont refusé. Laccusé Mahamat Wakaye (voir plus haut) aurait déchiré sa convocation devant le juge mais se serait ensuite vu ordonner par le Ministère de la Justice de se présenter et de témoigner. Depuis, toutefois, linstruction piétine. Le juge dinstruction tchadien a manifesté à répétition son besoin de moyens financiers supplémentaires, et surtout dune protection adéquate afin de poursuivre son enquête concernant des figures politiques toujours puissantes. Lors dune réunion du Conseil extraordinaire des Ministres le 14 mai 2003, le Ministre de la Justice avait informé le Conseil des démarches entreprises par le juge dinstruction en vue de solliciter le soutien du Gouvernement tchadien. Le Ministre avait soutenu que la procédure concernant laffaire Hissène Habré rencontrait des difficultés de tous ordres: financiers, humains et sécuritaires. Le Conseil des Ministres sétait alors « engagé à tout mettre en uvre pour ne pas entraver le cours de la justice, afin que la vérité sorte au grand jour et que le procès aboutisse ». Malgré cet engagement du gouvernement tchadien, aucune aide financière ni protection nont encore été apportées afin que le juge dinstruction puisse mener son enquête dans de bonnes conditions. Les victimes nont toujours pas reçu de réparation matérielle de la part du gouvernement tchadienLa Commission dEnquête a chiffré le sombre bilan des années Habré à « plus de 40 000 victimes, plus de 80 000 orphelins, plus de 30 000 veuves et plus de 200 000 personnes se trouvant, du fait de cette répression, sans soutien moral et matériel ». Malgré ce terrible constat, aucune réparation matérielle na été accordée aux victimes51. Comme il a été démontré précédemment, le Tchad a une obligation à la fois juridique et morale de réparer les dommages causés par ses agents. Les expériences tenues dans dautres pays ont montré quil pouvait exister différentes possibilités de réparation matérielle adéquates. A travers le monde, les processus de transition démocratique ont été accompagnés par des mesures de réparation pour les victimes des pires atrocités. A titre dexemple, au Chili, après la dictature militaire dAugusto Pinochet (1973-1990), le rapport de la Commission réparation et réconciliation, entraîna, en décembre 1996, lindemnisation de 4630 proches de 2730 personnes disparues considérées décédées. Ainsi, en septembre 1997, le gouvernement versa aux proches des disparus environ 85 millions de dollars US en guise dindemnisation, conformément au plan de pension mis en place. Ce plan de pension prévoyait le versement à environ 5000 Chiliens de bourses scolaires, de pensions de santé et autres rentes mensuelles (pour certaines à vie), et aussi une possibilité de dérogation au service militaire obligatoire. En décembre 2004, après la publication du premier rapport officiel sur les actes de tortures commis sous les autorités militaires, le congrès chilien a voté une loi prévoyant lindemnisation de plus de 28 000 victimes de torture à hauteur denviron 2 500$ par an. Un processus de réparation a été également engagé suite à la dictature militaire qua connue lArgentine entre 1976 à 1983 et les nombreux crimes de sa « sale guerre » commis contre les opposants. Les familles des victimes, les survivants, les anciens prisonniers politiques et les exilés ont reçu léquivalent de 220 000 à 3 millions de dollars US. La Commission vérité et réconciliation, établie après lélection du premier gouvernement démocratique en Afrique du Sud en 1994, a eu pour objectif daider les citoyens à surmonter les traumatismes du passé en constituant des archives des pires violations des droits humains commises durant le régime dApartheid des années soixante-dix ainsi quen prévoyant daccorder des réparations à plus de 20 000 victimes identifiées. La Commission avait notamment recommandé daccorder aux victimes et aux familles de victimes environ 3 500 dollars US chaque année durant au moins six années, et, plus symboliquement, dédifier des pierres tombales ou de réécrire certains dossiers pénaux. En 1996, à la suite dune mission au Tchad et considérant la situation difficile des victimes et de leur famille et la pauvreté du pays, le Dr Hélène Jaffe a souligné limportance dadopter « Des solutions pratiques, réalisables à peu de frais, mais qui auraient lénorme avantage de faire en sorte que ces personnes soient reconnues en tant que victimes et que les morts eux aussi soient reconnus en tant que martyrs »
Le Docteur Jaffe a alors proposé « par exemple la prise en compte des années passées en prison dans le calcul des années de retraite, lexonération partielle ou totale pour les enfants de victimes des frais dinscription à lécole ou à luniversité. Sur un plan symbolique, il semblerait que lérection dun monument à la mémoire des victimes de la violence dEtat ait beaucoup intéressé nos patients, tout comme lidée quune des avenues de NDjaména qui porte le nom dun dictateur puisse être débaptisée et porter un nom rappelant leur combat »52. Jusquà ce jour, les victimes tchadiennes de la dictature Habré nont toujours pas reçu une quelconque réparation matérielle de la part du gouvernement tchadien. Lors dune rencontre entre lAVCRP et le chef de lEtat le 26 Septembre 2000, ce dernier sétait montré favorable à ce quune partie des revenus pétroliers soit reversée à lindemnisation des victimes. En janvier 2004, faisant suite à cette rencontre, lAVCRP a présenté officiellement au gouvernement un projet de mémorandum prévoyant laffectation dune partie des ressources publiques à lindemnisation des victimes. Ce projet chiffre notamment le montant des réparations à 40 millions de Francs CFA par victime pendant 10 ans (soit environ 74 000$). Il y est fait, en outre, référence à dautres mécanismes nationaux dindemnisation existant. A titre dexemple lAfrique du Sud, lAllemagne, le Chili et lEgypte ont indemnisé chaque victime de crimes et répression politiques à hauteur respectivement de 2 100 000 Francs CFA (environ 4 160$) pendant 6 ans, 5 millions de Francs CFA (environ 9909$) pendant 4 ans, 20 millions de Francs CFA (environ 39 600$) pendant un an et 90 millions de Francs CFA (environ 178 300$) pendant 5 ans. Lors de ce meeting en janvier 2004, la représentante du ministre de la Justice a assuré que le gouvernement sefforcerait de tout mettre en uvre pour indemniser les victimes. Pourtant, cette promesse na pas encore été honorée53. En Mars 2005, lAVCRP a remis à lAssemblée Nationale un projet de proposition de loi, réaffirmation de ses précédentes requêtes au gouvernement et fruit de lensemble de ses travaux de recherches, portant sur lindemnisation des victimes. Ainsi, lAVCRP a recommandé la mise en place dun Fonds dindemnisation pour les victimes des exactions du régime Habré, financé notamment par des mesures de confiscation des biens du régime de Hissène Habré. LAVCRP a estimé que les victimes directes et indirectes (veuves et veufs, orphelins, ascendants, frères et surs) soient indemnisées à hauteur de 40 millions de Francs CFA (soit environ 74,000 $) pendant 10 ans. Il est, en outre, précisé que cette indemnisation englobe non seulement les préjudices dordre moral liés aux souffrances occasionnées par les exactions subies mais également les préjudices dordre économique nés notamment de la perte de revenus, de la perte demploi ou de la rétrogradation professionnelle. LAssemblée Nationale na cependant pas encore donné suite à cette proposition de loi. LAVCRP a cherché, avec un succès limité, à aider les victimes à trouver dautres sources de financement. En 2003, elle a obtenu une première aide financière provenant du fond des Nations Unies pour les victimes dactes de torture afin dassurer une assistance directe aux victimes de Hissène Habré. En décembre 2003, lassociation a été alors capable de distribuer 100 premiers sacs de mais.
Les recommandations de la Commission dEnquête concernant les réparations morales sont restées lettres mortesLa Commission dEnquête recommandait, dès 1992, « dédifier un monument à la mémoire des victimes de la répression Habré », de « décréter un jour de prière et de recueillement pour lesdites victimes » et de « transformer lancien siège de la DDS et la prison souterraine de la « Piscine » en un musée pour rappeler ledit sombre règne ». Toutefois, aucune de ces recommandations na encore été mise en uvre par le gouvernement tchadien. Les victimes attendent toujours que leur souffrance et les épreuves quelles ou leurs familles ont endurées soient reconnues officiellement par la société tchadienne. En complément des poursuites pénales engagées contre lex-dictateur et ses complices, de tels actes auraient des effets très bénéfiques sur le processus de justice et de réconciliation nationale. Il est aujourdhui largement reconnu, comme le suggérait la Commission dEnquête, que les mesures de portée symbolique peuvent honorer et apporter une certaine réparation aux victimes. Ainsi, lancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur limpunité, Louis Joinet, a souligné à cet égard que:
« Sur un plan collectif, les mesures de portée symbolique sont de nature à apporter une réparation morale et peuvent prendre la forme par exemple dune reconnaissance formelle et publique de la responsabilité de lEtat, de déclarations émanant de représentants du gouvernement dans le but de restaurer la dignité des victimes, de dresser des cérémonies commémoratives, des endroits publics ou dériger des monuments en lhonneur des victimes afin de soulager le poids du souvenir »54. Au Tchad malheureusement, aucune de ces mesures symboliques na été prise. Il ny a ni cérémonies, ni monuments et ni manuels scolaires à la mémoire des victimes. Même si les Tchadiens connaissent les horreurs du régime Habré, le gouvernement actuel a pris peu de mesures pour éduquer les Tchadiens ou leur rappeler cette période. Les quelques copies du Rapport de la Commission dEnquête disponibles au Tchad sont exagérément chères et presque aucun Tchadien consulté par Human Rights Watch na lu le rapport. Selon Louis Bickford du Centre international pour la Justice transitionnelle « Quil soit question de se souvenir de lHolocauste en Allemagne, des abus des droits humains pendant la dictature dans des sociétés en voie de démocratisation comme lArgentine, de commémorer les souffrances des victimes de lApartheid en Afrique du Sud ou de se battre contre le souvenir des torts commis par les Etats-Unis, confronter le passé à travers la création de monuments commémoratifs est de plus en plus perçu comme un élément essentiel pour la démocratisation présente et future. » Lîle Sud-africaine de Robben, utilisée pendant lApartheid pour isoler les leaders démocratiques tels que Nelson Mandela, est aujourdhui un musée offrant des visites guidées pour renforcer sa devise « jamais, plus jamais ». Au Chili, des activistes des droits humains, des membres dorganisations sociales et de syndicats, des leaders étudiants, danciens prisonniers et dautres ont participé à la construction du Parc des Arts, un mémorial construit autour de labominable centre de torture du Général Pinochet, la Villa Grimaldi. Tuol Sleng, le sinistre centre de détention du Cambodge dans lequel plus de 20,000 personnes ont été assassinées brutalement, est aujourdhui un Musée des Crimes de Génocide qui présente des expositions et des peintures représentant les événements sétant déroulés dans le centre.
Au Tchad, cependant, laccès à la « Piscine » reste encore interdit. Il nexiste pas dendroit où le peuple tchadien puisse venir apprendre ou se souvenir des années Habré, ni même honorer la mémoire de ses victimes. [43] Voir Naomi Roht-Arriaza, Reparations Decisions and Dilemmas, 27 Hastings International and Comparative Law Review. 157 (2004) [44] E.CN.4/2000/62. Voir le projet de Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations du droit international relatif aux droits de lhomme et du droit international humanitaire, Nations Unies ESCOR, 56e session, Annexe 6-7, Doc. des Nations Unies E/CN.4/2000/62 (2000) [Principes ci-après]. [45] Roht-Arriaza, op cit, p. 159. [46] Roht-Arriaza, op cit. [47] Voir les Principes fondamentaux et directives du droit à réparation des victimes de graves violations des droits de lHomme et du droit humanitaire (principes Van Boven) E/CN.4/Sub.2/1996/17 (La « Restitution exige, entre autres, la restauration de la liberté, du droit à la vie de famille, à la citoyenneté, au retour dans son lieu de résidence, à lemploi ou à la propriété. . Lindemnisation doit être prévue pour tout dommage résultant de violations des droits de lhomme et du droit humanitaire qui se prête à une estimation financière La réadaptation doit être prévue qui englobe une prise en charge médicale et psychologique ainsi que laccès à des services juridiques et sociaux. La satisfaction et garanties dun non renouvellement [comprennent]: a) la cessation des violations en cours; b) la vérification des faits et divulgation publique et complète de la vérité .. d) les excuses, notamment reconnaissance publique des faits et acceptation des responsabilités; e) les sanctions judiciaires ou administratives à lencontre des personnes responsables des violations; f) les commémorations et hommages aux victimes; g) linclusion dans la formation aux droits de lhomme et dans les manuels dhistoire dun compte rendu fidèle des violations commises dans le domaine des droits de lhomme et du droit humanitaire »). LArticle 75.1 du Statut de Rome établissant la Cour Pénale Internationale prévoit que « La Cour établit des principes applicables aux formes de réparation, telles que la restitution, lindemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit ». [48] Discours du Président de lAssociation des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad à loccasion de la tenue des états généraux de la justice à NDjaména, le 19 juin 2003. Ce discours peut être consulté à ladresse suivante : http://hrw.org/french/press/2003/tchad0619.htm.
[49] Lordonnance du juge peut être consultée à ladresse suivante: http://www.hrw.org/french/themes/habre-ordonnance.html. [50] La décision de la cour peut être consultée à ladresse suivante: http://www.hrw.org/french/themes/habre-decisionduconseil.html. [51] Les crimes et détournements de lex-Président Habré et de ses complices, Rapport de la Commission dEnquête Nationale du Ministère tchadien de la Justice, Éditions LHarmattan (1993), p.97. [52] Mission AVRE au Tchad 1991 / 1996, Association pour les Victimes de la Répression en Exil (AVRE). [53] Les revenus tirés de la vente du pétrole ont atteint 143 millions de dollars en 2004 sachant que le gouvernement tchadien est actuellement en pourparlers avec les compagnies pétrolières étrangères afin de renégocier sa part perçue sur la vente totale du pétrole (soit 18.5% depuis 1998). [54] Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. LAdministration de la Justice et les droits de lHomme des détenus, UN. Doc E/CN.4/Sub 2/1996/18, juin 1996 Principe 45. Parmi les mesures de portée symbolique suggérées par le Rapporteur se trouvent: (a) la reconnaissance publique, par lEtat, de la responsabilité, (b) des déclarations officielles réhabilitant les victimes dans leur dignité, (c) la mise en place de cérémonies commémoratives, dénomination de voies publiques, monuments, etc (d) les hommages périodiques aux victimes, (e) la prise en compte dans les manuels dhistoire et de formation aux droits de lhomme de la narration fidèle des violations dune exceptionnelle gravité qui ont été commises ».
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