Rapports de Human Rights Watch

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Résumé

Le régime de l’ancien Président Hissène Habré au Tchad a été responsable, en huit ans de répression (1982-1990), de milliers de cas d’assassinats politiques, de « disparitions », de tortures et de détentions arbitraires. Habré, qui vit aujourd’hui en exil au Sénégal, a été inculpé en 2000 par un tribunal sénégalais de complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie avant que la Cour de Cassation du Sénégal ne déclare qu’il ne pouvait être jugé au Sénégal. Habré fait aujourd’hui l’objet d’une procédure d’instruction devant les tribunaux belges pour des accusations similaires. Au Tchad toutefois, 15 ans après qu’ Habré n’ait été évincé du pouvoir, ses victimes attendent toujours que le gouvernement tchadien et la société tchadienne reconnaissent leur souffrance et les épreuves qu’elles ou leurs familles ont endurées.

Une Commission d’Enquête nationale établie par l’actuel président Idriss Déby a recommandé, dès 1992, que des poursuites soient engagées contre ceux qui ont participé aux crimes du régime. La Commission a aussi demandé que les anciens responsables des organes répressifs, notamment de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), soient écartés de leur fonction dans l’appareil sécuritaire de l’Etat et que des mesures soient prises à la mémoire des victimes. Ces recommandations de la Commission d’Enquête sont toutefois restées lettres mortes. En effet :

  • Certains dirigeants qui opéraient déjà dans la structure de répression du régime Habré sont encore à des postes clefs de l’administration ou de l’appareil sécuritaire de l’Etat. Leur présence est à l’origine de pressions, d’intimidations et dans certains cas d’attaques envers d’anciennes victimes et des défenseurs des droits humains, rendant ainsi difficile la pleine restauration de l’état de droit au Tchad.
  • Les plaintes que des victimes du régime  Habré ont déposées en octobre 2000 devant les tribunaux tchadiens contre les anciens directeurs, chefs de service et agents de l’ex-DDS piétinent parce que le juge d’instruction tchadien ne dispose pas des moyens financiers, humains et sécuritaires nécessaires pour effectuer pleinement son enquête.
  • Les recommandations de la Commission d’Enquête « d’édifier un monument à la mémoire des victimes de la répression Habré », de « décréter un jour de prière et de recueillement pour lesdites victimes » et de transformer l’ancien siège de la DDS et la prison souterraine de la « Piscine » en un musée n’ont jamais été mises en oeuvre.

De plus, aucune réparation matérielle n’a été accordée aux victimes alors que la Commission d’Enquête a estimé le sombre bilan des années Habré à « plus de 40 000 victimes, plus de 80 000 orphelins, plus de 30 000 veuves et plus de 200 000 personnes se trouvant, du fait de cette répression, sans soutien moral et matériel »1.

Depuis plusieurs années, le gouvernement tchadien a apporté son soutien aux procédures légales engagées contre Hissène Habré à l’étranger, en coopérant avec la visite du juge belge à N’Djaména dans le cadre de la commission rogatoire internationale, en donnant aux victimes un accès aux archives de la DDS et en levant l’immunité de juridiction de Hissène Habré.

Aussi important et essentiel qu’il soit, le jugement de Hissène Habré par un tribunal étranger ne garantira qu’une justice partielle aux victimes de son régime. Un tel jugement ne permettra pas à la société tchadienne d’affronter complètement son passé afin d’en finir définitivement avec celui-ci. Les mesures nécessaires et complémentaires de la part du gouvernement tchadien n’ont, cependant, toujours pas été prises.



[1] Les crimes et détournements de l’ex-Président Habré et de ses complices, Rapport de la Commission d’Enquête Nationale du Ministère tchadien de la Justice, Éditions L’Harmattan (1993), p.97.


index  |  suivant>>juillet 2005