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Rapport Mondial 2002 : Burundi FREE    Recevez des Nouvelles 
Burundi : l'escalade de la violence exige des actions
Document de présentation part Human Rights Watch, novembre 2002
Dans un contexte de négociations intermittentes pour mettre fin à la guerre civile au Burundi, les rebelles comme l'armée gouvernementale ont intensifié leurs activités militaires, tuant des civils et soulevant le risque de massacres à large échelle commis sur une base ethnique. Les forces rebelles sont essentiellement hutu, comme la majorité de la population. L'armée est dominée par les Tutsi bien qu'elle ait incorporé dans ses rangs un nombre croissant de Hutu, au fil de la guerre. Comme le décrit ce rapport, le gouvernement et le camp des rebelles semblent de plus en plus disposés à ignorer leurs obligations légales de protection des civils en temps de guerre.1


Sections du document


Le groupe rebelle des Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD) a bombardé la capitale, Bujumbura, les 22 et le 23 novembre, tuant au moins cinq civils et en blessant une douzaine d'autres. Les troupes de l'armée burundaise ont en retour bombardé la colline de Nyambuye, à la limite nord de la capitale où les rebelles auraient entreposé leur artillerie. Depuis la mi-novembre, les troupes rebelles et celles du gouvernement se sont opposées dans les provinces de Bubanza, Kayanza et Muramvya. Le nombre de morts civils n'est pas connu mais au moins vingt personnes auraient été tuées par le bombardement lancé par le gouvernement depuis Kibimba, dans la province de Muramvya, le 21 novembre. Selon des sources internationales en matière de sécurité, des milliers de rebelles bien armés sont arrivés aux abords de la capitale.

Depuis juillet, date à laquelle le rythme des combats s'est intensifié, les soldats de l'armée burundaise ont tué des centaines de civils, blessé des centaines d'autres et privé encore de nombreuses autres personnes de leurs biens. Au cours du pire incident qui se soit produit, des soldats de l'armée ont massacré plus de 174 civils dans la commune d'Itaba, dans la province de Gitega.2 Si ce massacre a été le plus important depuis juillet, il ne fut que l'un des nombreux meurtres délibérés de civils perpétrés par les troupes du gouvernement, au cours des quatre derniers mois.

Au cours de la même période, les rebelles ont tué des douzaines de civils lors d'attaques, d'embuscades et d'assassinats d'officiels locaux. Ils ont également détruit des centaines de maisons et de bâtiments publics et pillé les biens des fermiers locaux. Les forces rebelles ont bombardé Bujumbura, Gitega et Ruyigi, tuant des civils et détruisant leurs biens. Les rebelles ont également continué à recruter de force des enfants afin qu'ils servent dans leurs rangs.

L'augmentation du nombre de personnes tuées et l'incapacité à intenter une action contre les tueurs présumés, sauf dans les cas les plus flagrants comme celui d'Itaba, prouvent que les rebelles comme le gouvernement font peu de cas de leur obligation de protection des civils. Les officiels du gouvernement s'inquiètent très peu des victimes civiles. Début août, le porte-parole de l'armée, le Colonel Augustine Nzabampena a déclaré lors d'une conférence de presse que tout civil qui ne fuyait pas devant les forces rebelles, souvent désignées du terme " d'assaillants " " serait traité comme un assaillant. "3 Selon des observateurs burundais des droits humains, le Ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique a exprimé des sentiments similaires.4 Lors d'une conférence de presse le 21 juillet, le Ministre de la Défense, le Général de division Cyrille Ndakuriye a insisté sur ce qu'il estimait être la nature ethnique du conflit, affirmant que les rebelles mettaient en œuvre une idéologie génocidaire essentiellement dirigée contre les Tutsi. Dans une déclaration similaire à celle du porte-parole de l'armée, Nzabampema, le Général Ndakuriye a paru identifier les civils burundais aux forces rebelles. Il a critiqué les habitants des communes comme Rutegama, lieu de récents combats, parce qu'ils avaient toléré la présence de rebelles.5

Le 13 novembre, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour le Burundi, Madame Keita Boucum, a exprimé ses préoccupations quant à la détérioration des relations entre l'armée et les civils. Le porte-parole de l'armée a rejeté ses conclusions.6

Le 13 novembre, le porte-parole des FDD, Gelase Ndabirabe, a averti les civils qu'ils devaient quitter la ville pour leur propre sécurité, réduisant ainsi encore davantage les zones de sécurité disponibles pour les civils.7

A la fin novembre, environ 40 000 personnes avaient fui les combats, amenant le total des personnes déplacées à l'intérieur du pays à 390 000, la plus importante concentration en Afrique selon des sources onusiennes.8 Les mois d'octobre et novembre étant des périodes cruciales pour les cultures vivrières dans ce pays où la plupart des gens sont des agriculteurs, les déplacements de population ont perturbé les activités agricoles, engendrant un risque de futures pénuries alimentaires.

Le 3 novembre, les FDD ont déclaré unilatéralement un cessez le feu qui n'a pas été accepté par le gouvernement. Les négociations de paix prévues pour la mi-novembre ont stoppé lorsque les FDD ne se sont pas présentées mais elles ont repris le 24 novembre. Sur la question d'un accord de paix, le gouvernement fait face à une opposition interne de la part de radicaux tutsi rassemblés dans le Parti pour la Renaissance Nationale (PARENA) dirigé par l'ex-Président, Jean-Baptiste Bagaza. Le 1er novembre, les autorités ont arrêté Bagaza, l'accusant de mettre en danger la sécurité de l'état et ont suspendu le PARENA pour six mois. De jeunes partisans de Bagaza ont essayé de perturber la vie à Bujumbura en lançant des attaques à la grenade et en bloquant les routes après l'arrestation de Bagaza. Les autorités ont emprisonné onze partisans ou partisans présumés du PARENA. Sans une pression internationale efficace sur toutes les parties afin qu'elles acceptent un cessez-le-feu, les négociations ont de bonnes chances d'échouer. Contexte La guerre a débuté au Burundi suite à l'assassinat, en octobre 1993, du Président Melchior Ndadaye par un groupe d'officiers tutsi de l'armée. Ndadaye, élu de façon libre et juste quelques mois auparavant, était le premier Hutu à accéder à la tête de l'état, au Burundi. Sa victoire faisait suite à des réformes instituées par le Président tutsi, Pierre Buyoya, qui fut le premier à nommer un nombre substantiel de Hutu à des postes ministériels. Des tentatives antérieures déployées par la majorité hutu pour obtenir une partie du pouvoir avaient été réduites à néant par les Tutsi, une minorité représentant environ 15 pour cent de la population qui dominait la vie politique, économique et sociale. Après l'assassinat de Ndadaye, des Hutu, parfois sous les ordres de responsables administratifs ou politiques locaux, ont massacré des milliers de Tutsi et l'armée dominée par les Tutsi a massacré des milliers de Hutu.9

Certains partisans de Ndadaye et d'autres ont pris les armes, rassemblés dans trois mouvements rebelles. En 2002, deux de ces mouvements restent importants, les Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD) avec environ 10 000 combattants et les Forces Nationales pour la Libération (FNL) avec moins de 3 000 combattants. Fin 2001, les FDD ont fait scission : la partie la plus importante a suivi Pierre Nkurunziza et un groupe plus restreint est resté loyal au commandant précédent, Jean-Bosco Ndayikengurukiye. Les FNL se sont également divisées en août 2002, le dissident Alain Mugabarabona réclamant le pouvoir au commandant Agathon Rwasa qu'il accusait de bloquer les efforts de négociations. Mugabarabona a cependant échoué à gagner le soutien de la plupart des membres des FNL qui ont continué à suivre Rwasa.

Le gouvernement actuel, installé en novembre 2001, comprend dix-sept partis politiques et présente un équilibre prudent entre Hutu et Tutsi. Il est le résultat des Accords d'Arusha d'août 2000, salués à l'époque comme une avancée majeure vers la fin de la guerre parce qu'ils avaient amené autour de la même table d'importants partis d'opposition ainsi que le gouvernement. Mais ni les FDD, ni les FNL n'ont signé l'accord et les combats se sont poursuivis. Au premier semestre 2002, l'armée burundaise a remporté des victoires significatives contre les FNL, les chassant de leurs bases autour de la capitale. Mais des FDD bien armées, renforcées par des troupes venues de l'extérieur du Burundi, ont lancé des offensives majeures en 2002.

La guerre a également impliqué des pays voisins. De nombreux combattants FDD sont basés en Tanzanie et font depuis ce pays des incursions au Burundi en dépit des efforts apparents du gouvernement tanzanien pour décourager une telle activité. Le 4 juillet, dans le cadre de leur contre-offensive, les FDD ont envoyé deux colonnes de combattants, chacune comprenant des centaines de combattants, de la Tanzanie au Burundi. Le Ministre burundais de la Défense, le Général de division Ndakuriye a dénoncé, le 21 juillet, cette dernière incursion et ce qu'il a décrit comme la tolérance continue de la Tanzanie pour les activités rebelles. Il a appelé à la mise en place d'une force internationale pour patrouiller à la frontière et mettre un terme aux incursions FDD.10

Les combattants FDD comme ceux des FNL ont eu des bases en territoire congolais et ont bénéficié du soutien de Kinshasa mais une bonne partie de leurs troupes est rentrée au Burundi en 2002. Environ 3 000 d'entre elles ont consolidé les rangs des forces actuellement dans le Nord Ouest du Burundi. De plus, les mouvements rebelles burundais ont incorporé dans leurs rangs certains Rwandais combattant actuellement contre le présent gouvernement du Rwanda. Certains de ces combattants faisaient partie de l'armée de l'ex-gouvernement rwandais (Forces Armées Rwandaises, FAR) ou étaient membres d'une milice (Interahamwe) et certains d'entre eux ont participé au génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda.11

De l'autre côté, les troupes de l'armée burundaise sont soutenues par des soldats de l'actuelle armée rwandaise, la Force de Défense Rwandaise, qui a aidé l'armée burundaise, en particulier dans le Nord Ouest du pays, au nord de la capitale.

L'Afrique du Sud et la Tanzanie ont tenté, avec peu de succès, d'agir comme médiateurs dans le conflit. Les leaders régionaux, sous la direction du Président ougandais, Yoweri Museveni, ont fait une nouvelle tentative pour faciliter les négociations en juillet. Le résultat de ces efforts a été la signature, en août, d'une déclaration commune d'intention entre le gouvernement et la plus petite branche des FDD, celle sous contrôle de Ndayikengurukiye. Les parties en présence sont tombées d'accord pour faire cesser les hostilités entre leurs troupes et cantonner les combattants de Ndayikengurukiye dans certaines zones spécifiques.

Juillet : civils tués à Kiganda et Rutegama
Lorsque les deux colonnes FDD sont entrées au Burundi début juillet, l'une a traversé Ruyigi et s'est déplacée vers l'ouest tandis que l'autre a traversé la province de Makamba, plus au sud et s'est déplacée vers le nord. Les troupes de l'armée burundaise ont cherché à bloquer l'avance des FDD et à les empêcher d'atteindre la forêt de Kibira où les rebelles disposent de bases.

Comme par le passé, les forces des FDD ont avancé rapidement à travers des quartiers peuplés, prenant comme butin de la nourriture, des vêtements et des animaux de ferme et détruisant des biens dans un effort apparemment déployé pour prouver l'incapacité du gouvernement à protéger ses citoyens. Les FDD n'ont pas commis de massacres à large échelle mais dans de nombreuses communautés, elles ont tué des civils en petits nombres, souvent ceux qui ne se pliaient pas à leurs exigences. Dans la commune de Bugendana, dans la province de Gitega par exemple, les combattants FDD auraient tué quatre civils et dans la commune de Gitega, dans la province de Gitega, ils en ont tué trois autres.12 Début juillet, les FDD ont bombardé la ville de Makamba, blessant un civil et mi-juillet, elles ont bombardé une brasserie dans la ville de Gitega.13 Le 17 juillet, les combattants FDD ont tendu une embuscade à des véhicules dans deux lieux différents, sur la route nationale 1. Lors d'une attaque près de Bugarama, ils ont tué une personne et blessé plusieurs autres et près de Bukeye, ils ont tué cinq civils et blessé dix-huit autres.

A la mi-juillet, les forces FDD ont combattu les troupes de l'armée burundaise dans les communes de Rutegama et Kiganda, dans la province de Muramvya et certaines troupes se sont déplacées vers la colline de Kivyeyi à Kiganda. L'armée a suivi et un combat a eu lieu sur les collines de Kivyeyi et Nyagisozi le 18 juillet. La plupart des habitants ont fui les combats comme leur avait conseillé à plusieurs reprises l'administration. Le 20 juillet, de sévères affrontements se sont produits à Kiganda causant la mort de deux soldats et des blessures à quatorze autres. Selon des chiffres officiels, vingt-huit membres des FDD ont aussi été tués. Les forces FDD ont alors quitté la zone.14

Tard dans la soirée du 20 juillet ou tôt dans la matinée du dimanche 21 juillet, des soldats de l'armée burundaise ont découvert un groupe de civils qui avaient trouvé refuge dans une vallée de la colline de Kivyeyi. Les civils dont la plupart venaient d'une seule famille élargie de la colline de Nyagisozi, appartenaient à un groupe religieux appelé les Abasohoke. Ils étaient occupés à préparer un repas lorsqu'ils ont été découverts. Les soldats ont ensuite tué ou poignardé les trente-trois autres, dont trois hommes, sept femmes et vingt-trois enfants. L'une des femmes avait quatre-vingt-deux ans et dix-huit des enfants avaient moins de dix ans, six d'entre eux deux ans ou moins. Sur les ordres du chef de zone et des soldats, les gens du coin ont rapidement enterré les morts dans une fosse commune.15

Des soldats auraient trouvé trois hommes, membres du même groupe familial, au sommet de la colline de Kivyeyi et les auraient tués. Des soldats de l'armée burundaise sont également accusés d'avoir tué trois autres civils de sexe masculin, l'un âgé de quatre-vingts ans et l'un de quatre-vingt-dix ans, sur la colline de Kayange, dans la commune de Kiganda, au cours de la même attaque.16

Selon des témoins, des soldats du bataillon mobile de Ngozi ont perpétré ces attaques. Deux témoins ont déclaré que des civils tutsi en provenance d'un camp pour personnes déplacées accompagnaient les soldats.17 De plus, des témoins ont rapporté que certains des soldats semblaient être déguisés en rebelles c'est à dire qu'ils arboraient un mélange de vêtements civils et militaires, probablement dans un effort pour se rapprocher des rebelles sans être reconnus.18

Août : autres tueries à Rutegama
Des habitants du coin ont déclaré que des soldats avaient tué des civils dans la commune de Rutegama, limitrophe de Kiganda, à la fin du mois de juillet mais les combats dans la région ont rendu impossibles les enquêtes sur de telles affirmations. On en sait davantage au sujet des tueries perpétrées par l'armée à Rutegama, plusieurs semaines plus tard. Le 22 août, les forces FDD se sont déplacées de la forêt de Kibira vers Muramvya. Elles ont traversé la ville de Muramvya et se sont dirigées vers Kiganda. En route, elles ont brûlé une ambulance, ont volé des médicaments dans un centre de santé et ont volé aux habitants du bétail, des chèvres et des poulets. Le 25 août, des soldats de l'armée ont bombardé une école primaire dans laquelle des civils avaient trouvé refuge, tuant une vingtaine de personnes. Selon une source, les civils avaient été pris en otages dans l'école par les FDD alors qu'une autre source affirmait que les civils avaient été appelés à se rassembler pour une réunion par les soldats qui les ont ensuite tués. Des recherches supplémentaires sont nécessaires afin d'établir si l'un ou l'autre de ces récits est correct ou si les civils avaient d'eux mêmes cherché refuge à l'école, pour être ensuite découverts puis tués par les soldats.19

Un peu plus tard ce même jour, des soldats ont tué plus de trente autres civils dans cette région. Le total des victimes civiles, à Rutegama, le 25 août, est de cinquante-huit. Selon une source, des soldats de Ngozi étaient responsables de ces tueries.20

Dans la commune de Bugendana, dans la province de Gitega, des soldats du gouvernement sont responsables de la mort de trois femmes. Lorsque les combats ont débuté, une femme déjà très avancée dans sa grossesse n'a pu s'enfuir et deux autres sont restées pour lui tenir compagnie. Elles ont été tuées par une bombe.21

Septembre : le massacre d'Itaba
Après des semaines de combats à travers tout le Burundi central, l'armée semblait avoir chassé les forces FDD de Gitega mais un groupe d'entre elles est ensuite revenu sur la colline de Kivoga, dans la commune d'Itaba, dans la province de Gitega, le 2 septembre. Elles se sont heurtées aux forces de l'armée dans la nuit du 3 au 4 septembre puis se sont déplacées vers les collines de Kanyonga et Kagoma, toujours à Itaba. Le lendemain, elles se sont dirigées vers le Nord et les soldats du gouvernement pensaient qu'elles étaient sur le chemin du retour vers la Tanzanie. Une centaine environ de soldats des FDD a écumé la ville de Gitega dans la nuit du 4 septembre, pillant des biens dont environ quatre-vingts caisses de bière dans un entrepôt local. Si les autorités militaires avaient estimé possible l'attaque de la ville, elles n'étaient apparemment pas préparées à ce raid éclair et les FDD ont pris la fuite avec leur butin. Le 7 septembre, les combattants sont retournés à Kanyonga et Kagoma, à Itaba et cette nuit là, environ une centaine d'entre eux a lancé un autre raid sur les maisons et les magasins de la ville de Gitega, emportant de l'argent, des vêtements, des radios et d'autres biens de valeur. Au cours de ces attaques, les FDD ont tué deux civils : une fille qui a tenté de donner l'alerte en les voyant arriver et un jeune homme qui a refusé de remettre son argent, a pris la fuite et a été tué.22

Les collines de Kanyonga et Kagoma, situées dans Itaba, bordent Butaganzwa et Makebuko, deux autres communes importantes du centre du Burundi. Les combattants FDD avaient fréquenté pendant quelque temps ces collines stratégiquement situées. Selon le Ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique, Salvatore Ntihabose, "les deux collines ont fourni une base accueillante aux FDD" pour leurs opérations de juillet et août. Il a affirmé que le responsable de la commune d'Itaba s'était plaint au Président Buyoya, le 25 juillet, que les gens du coin ne coopéraient pas avec l'administration.23 Le Colonel Cyprien Hakiza, commandant de la seconde région militaire qui inclut Gitega, a raconté aux chercheurs de Human Rights Watch que les FDD avaient utilisé Itaba comme base parce qu'ils y trouvaient facilement de la nourriture et parce que les responsables administratifs locaux, intimidés par les FDD, étaient fréquemment absents, leur laissant plus grand liberté pour se déplacer aux environs.24 Selon des sources militaires et administratives, les combattants FDD qui ont lancé un raid contre Gitega, au début du mois de septembre ont rapporté leur butin à Itaba.25 Les soldats qui ont attaqué les collines ont rapporté avoir trouvé un hôpital qui selon eux avait traité des combattants FDD blessés et ils ont également affirmé qu'une école à Kigoma avait servi de secrétariat local aux FDD.26

Lorsque les FDD sont arrivées le 3 septembre, de nombreux habitants du coin avaient pris la fuite comme leur en avaient donné ordre les responsables du gouvernement à plusieurs reprises. Certains habitants sont revenus après que les rebelles eurent été chassés et n'ont pas ensuite repris la fuite lorsque les FDD sont venues pour la seconde fois, le 7 septembre. Selon des sources administratives, les FDD ont convaincu certains habitants que les collines de Knayonga et Kagoma avaient été sélectionnées comme zones de cantonnement pour les FDD, une affirmation qui pouvait sembler plausible compte tenu du fait que le cantonnement était stipulé dans l'accord de fin août, entre le gouvernement et la branche Ndayikengurukiye des FDD. Certains habitants du coin ont vendu des biens et des services aux combattants. D'autres ont été forcés de remettre leurs biens sans recevoir de paiement en échange. Les FDD auraient volé des chèvres puis les auraient rendues afin de se ménager un soutien populaire plus important. Les FDD ont assuré les résidents qu'elles avaient l'intention de prendre pour cibles uniquement les soldats et le personnel administratif local et non pas les simples citoyens. Face à leurs menaces, les chefs des collines et des sous collines ont fui, accompagnés de certains des habitants du coin.27

Le commandant de la seconde région militaire qui comprend la province de Gitega a sollicité de l'aide pour traiter avec les FDD et le 4ème bataillon de commando a été envoyé à Itaba, le 5 septembre. Basé dans la province de Ngozi, le bataillon est une unité d'élite mobile envoyée pour s'occuper de situations difficiles dans différentes parties du pays. Ces hommes étaient en mouvement depuis le début du mois de juillet pour contrer l'avance des FDD, déployés d'abord dans la forêt de Kibira, dans la province de Cibitoke, puis à Gitega, Muramvya et Ngozi avant d'être envoyés à Itaba. Le 4ème bataillon de commando comprend trois compagnies et est commandé par le Lieutenant Colonel Nizigimana. En route, il avait été rejoint à Muramvya par le 33ème bataillon de la province de Kayanza, dirigé par le Major Ngexahayo. Seules deux des trois compagnies du 4ème bataillon ont été envoyées à Itaba mais apparemment les trois compagnies du 33ème ont participé à l'opération.

Le commandant de la seconde région militaire, le Colonel Hakiza est responsable de toutes les opérations militaires dans la province de Gitega. Comme il l'a déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch, "Quelqu'un est toujours responsable. Dans l'armée, il y a toujours un responsable."28 Selon le colonel Hakiza, les soldats du gouvernement ont attaqué les FDD le dimanche après midi, le 8 septembre et ont poursuivi les opérations dans la région pendant encore deux semaines. D'autres sources affirment que les autorités militaires et civiles ont vu les combattants FDD sur les collines le dimanche mais qu'il n'y a pas eu d'affrontement ce jour là.29 Le Commandant Joseph Budigoma, commandant en second du 4ème bataillon, est rentré de permission le dimanche et a rejoint ses hommes à Itaba. Ils ont passé la nuit à Gihamagara. Le lundi matin, le 9 septembre, les deux compagnies du 4ème bataillon ont reçu leurs ordres du Lieutenant Colonel Nizigimana et du Colonel Hakiza qui a établi le plan de bataille pour la journée. Il a ordonné aux compagnies de se diriger vers Buhoro, une paroisse voisine où se trouvait un petit détachement militaire assurant la protection d'un camp pour personnes déplacées. Là bas, les hommes devaient se joindre à une équipe qui connaissait le terrain et pouvait servir de guide. Ils devaient ensuite attaquer les collines d'Itaba, se déplaçant du nord au sud et éliminant tous les ennemis se trouvant sur leur chemin. Les soldats du 4ème bataillon ont agi selon les ordres qu'ils avaient reçus, ont rencontré les soldats et l'officier du camp pour personnes déplacées qui les commandait, puis se sont déplacés pour attaquer Itaba.30

Les témoins diffèrent sur trois points : que le colonel Hakiza ait en personne donné ces ordres ou qu'ils aient simplement été transmis par l'intermédiaire du Lieutenant Colonel Nizigimana ; que le Colonel Hakiza ait fait référence au pillage de Gitega par les FDD dans les jours qui ont immédiatement précédé ; que les officiers en charge de commandement aient spécifiquement déclaré que tous les civils avaient quitté la zone de l'attaque.31

Après avoir été rejoints par les guides de Buhoro, les deux compagnies du 4ème bataillon, chacune comportant environ 175 hommes, se sont dirigées vers les collines de Kanyonga et Kagoma, arrivant dans la région en fin de matinée. Le 33ème bataillon a pris position sur la crête des collines, bloquant toute voie de sortie par cette route. Le Commandant Budigoma, qui dirigeait les deux compagnies du 4ème bataillon aurait été en contact avec son commandant, le Lieutenant Colonel Nizigimana par radio tout au long de la journée. Le Lieutenant Colonel Nizigimana aurait suivi la scène grâce à des jumelles depuis un point surélevé, tout proche.32

Juste après avoir traversé une petite rivière à environ 800 mètres de Buhoro, les soldats du 4ème bataillon sont tombés sous le feu des combattants FDD. Le commandant Budigoma a ordonné à ses hommes de se disperser et de se replier sur les pentes des collines avoisinantes. Les soldats ont déclaré que des personnes qui se cachaient dans des maisons et des plantations de bananes leur avaient tiré dessus et qu'ils avaient répliqué. Un soldat a été blessé, apparemment lors de l'un des premiers échanges de tir.33

Les soldats ont progressé à travers les collines, avançant d'environ sept kilomètres dans la journée. Selon des sources gouvernementales et militaires, les soldats ont essuyé les tirs des combattants FDD tout au long de la journée. Cependant, lorsque l'opération a pris fin autour de 4 heures de l'après-midi, aucun mort n'était à déplorer du côté des soldats et une seule personne avait été blessée lors du premier affrontement de la matinée, bilan très improbable si les troupes s'étaient en fait livrées combat tout au long de la journée.34

Des témoins sur place font un récit plus plausible. Ils affirment que les combattants FDD ont rapidement réalisé que les soldats les dépassaient en nombre et ont pris la fuite peu de temps après le premier échange de tirs. Après leur départ et pendant une durée de trois à quatre heures, les soldats ont massacré la plupart des civils trouvés sur la colline de Kanyonga et nombre de ceux trouvés sur la colline de Kagoma.35

Des soldats ont tiré sur certains civils alors qu'ils prenaient la fuite. Ils ont forcé d'autres qui se cachaient dans des maisons à sortir. Ils les ont volés, leur ont donné l'ordre de rentrer dans leurs maisons où ils les ont tués. Dans certains cas, ceux qui avaient suffisamment d'argent ont pu payer pour être épargnés ou pour que d'autres le soient. Un vieil homme a essayé de négocier avec des soldats pour sauver la vie d'environ quarante personnes qui avaient trouvé refuge dans sa maison. Les soldats ont accepté son versement de 60 000 francs burundais. Ils l'ont épargné mais ont tué tous les autres.36

Un autre groupe qui se cachait dans une maison a entendu les gens se faire tuer à côté. Pensant que les soldats avaient par erreur pris les victimes pour des rebelles, ils ont tenté d'échapper à un sort identique en sortant de la maison en criant qu'ils étaient des civils. Les soldats les ont dépouillés de tout ce qu'ils avaient dans leurs poches, les ont fait s'allonger au sol et les ont tous tués. Seul un membre du groupe a survécu et a pu raconter son histoire.37

Une femme rentrait de chez son père accompagnée de sa fille de vingt-et-un ans lorsqu'elle a rencontré un groupe de soldats qui lui a demandé de l'argent. La mère n'avait rien sur elle mais elle promit d'apporter 5 000 francs burundais de sa maison toute proche. Les soldats lui ont dit d'aller chercher l'argent mais ont insisté pour garder sa fille avec eux. En revenant à l'endroit où elle avait laissé sa fille, la femme est tombée sur les soldats auxquels elle a remis l'argent. Lorsqu'elle a demandé où se trouvait sa fille, ils lui ont dit d'aller la trouver à l'endroit où elle l'avait laissée. Elle trouva la jeune femme avec le crâne fracassé. Elle courut à la maison de son beau-frère et là-bas, elle trouva son beau-frère et sa femme à l'agonie devant leur maison, tous les deux avec le crâne fracassé. Elle trouva aussi un second beau-frère mort.38

L'état et la localisation des corps constatés par des officiels et des gens du coin, dans les jours qui ont suivi les tueries, accréditent la thèse d'un massacre délibéré. Certains corps ont été dispersés sur la colline, les victimes ayant été tuées par balles ou touchées par des grenades ou d'autres projectiles. Des groupes de dix à trente-quatre corps ont été découverts dans des maisons incendiées. D'autres corps ont été trouvés dans des maisons qui n'avaient pas été incendiées.39 La majorité des personnes tuées était sur la colline de Kanyonga, le reste sur la colline de Kagoma.

Des enregistrements partiels des soins dispensés dans un centre de santé local accréditent également les descriptions faites localement d'un massacre. Parmi les personnes traitées dans les jours immédiatement après l'attaque se trouvaient des enfants âgés de quatre, cinq, sept, neuf et quinze ans, tous souffrant soit de blessures par balles, soit de brûlures.40

Environ 250 maisons ont été brûlées entièrement ou partiellement et un nombre beaucoup plus réduit a été endommagé par des balles ou d'autres projectiles. Plusieurs ont eu leur toit brûlé ainsi que les corps qu'elles contenaient, confirmant les rapports selon lesquels des soldats avaient brûlé des maisons avec des gens à l'intérieur.41

Selon un rapport du Ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique, 174 personnes ont été tuées dans le massacre, toutes sauf une connues de nom par les habitants du coin ou les autorités. La personne non identifiée, probablement originaire d'ailleurs, pourrait avoir été un combattant FDD.42 Selon un officiel, pratiquement tous les civils présents au moment de l'attaque ont été tués.43

Les gens du coin ont enterré les victimes les 12 et 13 septembre, sous la direction des officiels civils et militaires. Des témoins ont affirmé que dans certains cas, là où un nombre important de corps a été découvert dans une maison, les soldats ont tout simplement lancé des grenades sur la maison, provoquant son effondrement sur les corps. Ils ont affirmé que le nombre de victimes tuées à Itaba est beaucoup plus important que celui officiellement avancé, certaines d'entre elles maintenant enterrées avec les restes de leurs maisons.44

Selon un soldat, le commandant de bataillon, le Lieutenant Colonel Nizigimana a déclaré aux troupes, à la fin de la journée, qu'elles avaient bien travaillé. Mais le lendemain matin, les deux compagnies du 4ème bataillon ont été brusquement envoyées dans la commune de Bukirasazi où, selon ce qu'on leur avait dit, des combattants FDD avaient été vus. Une source militaire a affirmé que le Président Buyoya lui même avait donné l'ordre du départ soudain de ces deux compagnies. A leur arrivée à Bukirasazi, les deux compagnies ont appris qu'il n'y avait pas de combattants rebelles et elles ont poursuivi vers d'autres lieux de la province de Ruyigi. La 33ème compagnie est restée à Itaba. Le 10 septembre, des camions militaires sont arrivés pour emporter tous les animaux et tous les biens domestiques pillés par les soldats le jour précédent.45

Bien que les officiels aient eu connaissance du massacre le 10 septembre, ce n'est qu'une semaine plus tard qu'un membre de l'Assemblée Nationale a attiré l'attention publique sur le massacre. Léonidas Ntibayazi, président de la commission des droits de l'homme de l'Assemblée Nationale, a exigé une enquête sur le massacre qui selon lui pouvait avoir été commis soit par les FDD, soit par l'armée. Le porte-parole de l'armée, Nzabampema a déclaré que l'armée "n'était pas responsable" des tueries.46 Mais après des visites dans la région entre le 18 et le 23 septembre, le gouverneur, le commandant de la seconde région militaire et le Ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique ont tous conclu que les troupes de l'armée burundaise avaient perpétré le massacre. Le 29 septembre, le Président Pierre Buyoya s'est rendu de façon non officielle à Itaba et a promis aux gens du coin du matériel de toiture pour leur permettre de reconstruire leurs maisons. Le 2 octobre, les autorités ont arrêté deux officiers, le commandant Budigoma et l'un des lieutenants sous son commandement, D. Ngendakuriyo. L'autre lieutenant du 4ème bataillon présent lors du massacre n'a pas été arrêté.47

Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'Homme a maintenu un petit bureau de terrain au Burundi. Il s'occupe principalement de contrôler et assister le système judiciaire. Un représentant de ce bureau a rendu visite aux officiers accusés mais le bureau n'a fait aucune déclaration publique sur le cas. Il ne rend public aucun résultat de ses enquêtes.

Civils tués autour de Bujumbura
Le mouvement rebelle plus petit, les FNL, a tenu tête pendant plusieurs années à l'armée gouvernementale dans et autour de la capitale, Bujumbura. Le 31 juillet, les FNL, apparemment aidées des FDD, ont tiré au mortier sur Bujumbura, tuant cinq personnes et en blessant dix autres. Le lendemain, l'armée aurait tué au moins quarante-et-un civils lors de combats avec les FNL près de Bujumbura.48

Dans une campagne continue contre des officiels locaux, les FNL sont accusées d'avoir tué trois responsables administratifs locaux dans la partie nord de Bujumbura, en septembre. Les FNL ont attaqué un poste militaire dans la zone Gihosha de Bujumbura, en utilisant des armes à feu et des grenades, blessant un civil. Le 6 novembre, les combattants FNL seraient responsables du meurtre du chef de zone de Ruziba, dans le sud de Bujumbura.49

Le 19 septembre, sur la colline de Rohe, dans la commune de Kanyosha, dans la province de Bujumbura-rural, des soldats du gouvernement sont tombés sur des combattants FNL, peut-être en train de préparer une embuscade. Les soldats ont capturé deux des combattants FNL armés de grenades et les ont emmenés à un poste militaire tout proche où ils ont été exécutés ce même après-midi. Lorsque les civils ont entendu les coups de feu, certains ont fui en direction de la position militaire de Kamesa et ont traversé la rivière Kanyosha sans problème. Mais d'autres sont restés chez eux, se protégeant des tirs. Des soldats des postes militaires de Kamesa, Gisovu et Buhanga ont forcé des civils à sortir de leurs maisons, ont dépouillé certains d'entre eux et tué dix-neuf personnes. Les victimes incluaient une femme enceinte tuée d'un coup de baïonnette, une famille de cinq personnes, deux hommes âgés et plusieurs enfants. Des gens du coin ont enterré quinze des victimes à Kamesa et quatre autres à Rohe. Les soldats ont également volé dans vingt maisons environ.50

Les soldats responsables de l'attaque appartenaient à un groupe connu sous le nom "d'Abakanongwe", "Ceux qui castrent les léopards." Les unités militaires, avant la colonisation se dotaient de noms reflétant leur présumé courage et ce nom semble renouer avec cette pratique. Les Abakanongwe avaient également une chanson propre à leur unité. Décrits par les gens du coin comme rapides et sans pitié, les Abakanongwe comprendraient à la fois d'anciens membres de la branche Ndayikengurukiye des FDD qui ont rejoint le camp gouvernemental et d'anciens membres de la force paramilitaire des Gardiens de la Paix,51 soutenue par le gouvernement. Ils se distinguent parfois des soldats ordinaires par leurs uniformes militaires en haillons ou par leur apparence généralement négligée qui peut constituer un effort délibéré pour induire en erreur les gens du coin ou les rebelles quant à leur identité véritable. Dans certains cas, des gens du coin ont reconnu parmi les Abakanongwe des hommes qui combattaient avec la branche Ndayikengurukiye des FDD, plusieurs années auparavant. L'armée burundaise utilise apparemment ces rebelles recyclés pour attaquer les FNL.52

Au moment de leur attaque sur Rohe, ces combattants étaient sous les ordres d'un officier de l'armée burundaise basé à Camp Muha mais puisque ce ne sont plus des combattants réguliers, leur relation avec la hiérarchie militaire régulière n'est pas claire. L'après-midi du 19 septembre, leur commandant est venu à Rohe, a rassemblé tous les biens pillés par ses hommes et les a brûlés, apparemment pour insister sur le fait que le pillage était interdit.53

Le 31 octobre, au cours d'un autre incident à Rohe, un élève de lycée appelé Grégoire Minami et un homme âgé auraient été délibérément tués par des soldats du poste de Buhonga quand ils sont restés dans la zone, aux premiers signes de combat entre les forces du gouvernement et les FNL.54

Les Abakanongwe ont été transférés de la région de Rohe quatre ou cinq jours après le massacre du 19 septembre. Ils ont été envoyés à Migera, dans la commune de Kabezi, dans la province de Bujumbura rural. Peu de temps après, ils auraient été impliqués dans le massacre d'environ vingt civils.

Selon un rapport de la Radio Publique Africaine basée à Bujumbura, environ cinquante civils avaient été tués à Migera quelques semaines auparavant. Ils s'étaient rassemblés fin août pour célébrer la première communion de plusieurs enfants lorsque les troupes gouvernementales ont fait feu sur eux. Un homme qui s'est exprimé à la radio a déclaré que les soldats avaient tué dix-huit membres de sa famille.55

Enlèvement d'enfants par les FDD afin qu'ils remplissent des fonctions militaires
Fin 2001, les forces FDD ont lancé un raid sur deux écoles, l'une à Ruyigi et l'autre à Kayanza. Elles ont enlevé plus de trois cents enfants afin de les utiliser immédiatement comme porteurs et de les intégrer dans leur force pour un service à plus long terme.56 De nombreux enfants sont parvenus à s'échapper peu de temps après leur enlèvement mais d'autres ont été contraints à des mois de privation et de dur labeur au service des FDD, risquant fréquemment d'être tués ou blessés au combat. L'un de ces enfants, que nous appellerons Innocent, était un orphelin de douze ans qui rendait visite à un membre de sa famille à Kayanza. Innocent appartenait à un groupe de trois enfants vivant seuls, avec le soutien d'une religieuse. Elève en première année d'école primaire, il était allé voir des parents pendant ses vacances scolaires. Il s'est trouvé dans les environs lorsque les FDD ont frappé l'école de Musema, dans la province de Kayanza et a été embarqué avec les écoliers. Il pense que le parent auquel il rendait visite faisait peut-être partie des civils tués par les FDD au moment de l'attaque.57

Innocent a été emmené avec d'autres enfants dans une base FDD, dans la forêt de Kibira et une fois là bas, on lui a enseigné comment charger une kalachnikov et tirer avec. Au cours de cette période, il a été battu et durement traité tout comme les autres enfants enlevés. Il a alors entamé une année à suivre péniblement les combattants FDD, portant les bagages d'un officier et parfois aidant à préparer la nourriture pour les troupes. Un combattant FDD lui a donné la chemise d'un uniforme militaire à porter, ce qui faciliterait son repérage s'il tentait de s'échapper. Il a en effet essayé de prendre la fuite à quatre reprises au cours de l'année mais il a à chaque fois échoué et a été battu pour ses tentatives.58

Innocent faisait partie de la force FDD présente dans la région d'Itaba en novembre 2002. Au cours des combats, les combattants FDD ont fui en l'abandonnant. Le lendemain, des soldats l'ont repéré et ont crié, " Attrapez ce petit rebelle. " Il a alors reçu une balle dans la jambe et a été capturé. Il n'était pas armé. Lorsque les chercheurs de Human Rights Watch ont rencontré Innocent, il avait été détenu dans une cellule du quartier général de la seconde région militaire pendant trois jours. Il avait reçu des soins médicaux à deux reprises pour sa blessure par balle à la jambe. Petit, mince, avec de minuscules pieds et mains, Innocent était crasseux après ses mois d'activité militaire en brousse. Il n'avait que deux souhaits : rentrer chez lui retrouver son frère et sa sœur et retourner à l'école. Informé de son cas, les représentants de l'UNICEF travaillaient avec les autorités burundaises pour faire rentrer Innocent chez lui.59

Les FDD ont enlevé des centaines de civils, beaucoup de moins de dix-huit ans pour servir comme porteurs et hommes à tout faire. Lors d'entretiens avec des fugitifs conduits en 2001, les chercheurs de Human Rights Watch ont entendu de nombreuses histoires similaires à celle d'Innocent. Les FDD ont enlevé deux enfants dans les environs de Muhweza, Itaba en octobre 2002 et ont pris un autre enfant, un écolier de treize ans en sixième année d'école primaire, de Kiganda, dans la province de Muramvya, en juillet.60

Justice militaire
Le système judiciaire militaire relativement petit au Burundi comprend moins d'une douzaine de procureurs et leurs assistants, divisés en deux niveaux : le tribunal militaire qui juge les officiers des grades de major aux grades supérieurs et le conseil de guerre qui juge les officiers de rangs inférieurs et les simples soldats. Le tribunal militaire sert également de cour d'appel pour le conseil de guerre. L'actuel procureur militaire a récemment assumé ses fonctions sur une base intérimaire. Il était auparavant officier de gendarmerie et comme de nombreux autres dans le système judiciaire militaire, il n'a pas de formation en droit. 187 cas sont actuellement en instance de jugement, la plupart concernant des crimes de droit commun tels que vols, vente d'armes ou pillage. Il y a quelques cas de viols. 131 autres cas sont en cours d'investigation.61

Le cas des tueries à Itaba est l'un de ceux actuellement en cours d'investigation. Les deux accusés étant un commandant et un lieutenant, ils seront jugés par le conseil de guerre. Les enquêteurs ont interrogé des survivants et des responsables administratifs locaux. Le procureur militaire estime que d'autres pourraient également être inculpés dans cette affaire mais ceux-là seront probablement de simples soldats et non d'autres personnes en position de commandement.62

Dans le système judiciaire militaire, des dossiers peuvent être ouverts suite à des requêtes ou des plaintes en provenance de l'administration civile, des victimes, des membres du parlement ou d'autres. Le procureur militaire peut lui même initier un dossier sans plainte préalable d'autres personnes. Dans le cas d'Itaba, c'est le Ministre de la Défense qui a requis que le dossier soit traité en justice. Le procureur militaire a affirmé que le cas d'Itaba est le seul cas de ce type en cours d'investigation. Aucune enquête n'a été lancée dans quelque autre dossier que ce soit ayant été rapporté et concernant des civils tués par l'armée.63

Dans le passé, certains soldats accusés se sont plaints de ne pas avoir été correctement interrogés et que leurs cas soient passés en jugement sans qu'ils en aient été préalablement avertis. On leur a simplement demandé de se présenter au tribunal à une certaine date, sans qu'ils aient eu l'opportunité de consulter un avocat ou de faire comparaître des témoins leur étant favorables. Dans un cas, en octobre 2000, quatre soldats ont été arrêtés et traduits immédiatement en justice avec pour chefs d'inculpation d'avoir tendu une embuscade à un prêtre italien et de l'avoir tué. Ils ont été sommairement jugés au cours d'une procédure de moins d'une heure et n'ont pas bénéficié de l'aide d'un avocat. Trois ont été condamnés à de longues peines de prison et le quatrième a été condamné à mort, sentence exécutée dès le lendemain, ne laissant aucune chance au condamné pour faire appel.64

Deux membres du personnel du procureur militaire ont seulement brièvement interrogé les officiers accusés des tueries d'Itaba. Les officiers affirment qu'ils ont été choisis pour être les boucs émissaires de ce massacre et qu'ils ne s'attendent pas à bénéficier d'un procès équitable.65

Recommandations

Au gouvernement du Burundi :
  • Donner immédiatement ordre à toutes les forces armées du gouvernement d'adhérer strictement aux dispositions du droit humanitaire international concernant le traitement des civils en temps de guerre.
  • Enquêter sur tous les soldats et officiers accusés de violation du droit humanitaire international dans les massacres d'Itaba, Kiganda, Rutegama, Rohe, Migera et dans tout autre cas similaire. Traduire ces soldats en justice. Veiller à ce qu'ils soient jugés en accord avec les critères internationaux reconnus, notamment en ayant accès à un avocat pour assurer leur défense.
  • Mettre un terme à l'utilisation d'auxiliaires civils recrutés dans les camps pour personnes déplacées.
  • Entamer des négociations sérieuses avec les FDD et les FNL en veillant à ce que la recherche des responsabilités pour les crimes de guerre commis par toutes les parties figure dans l'accord final.
Aux FDD et aux FNL :
  • Donner ordre à tous les combattants sous votre autorité d'adhérer strictement aux dispositions du droit humanitaire international concernant le traitement des civils en temps de guerre.
  • Tenir pour responsables de leurs actes tous les combattants accusés de violation du droit humanitaire international en ayant tué ou blessé des civils ou pillé leurs biens.
  • Mettre immédiatement fin à la pratique des enlèvements d'enfants et d'autres civils pour servir dans vos forces.
  • Entamer des négociations sérieuses avec le gouvernement burundais en veillant à ce la recherche des responsabilités pour les crimes de guerre commis par toutes les parties figure dans l'accord final.
Au Haut Commissariat des Nations Unis pour les Droits de l'Homme :
  • Etendre le mandat et les ressources du bureau de terrain au Burundi afin qu'il puisse efficacement contrôler les violations du droit humanitaire international liées à la guerre actuelle. Demander au bureau de publier rapidement des rapports sur ses investigations.
Aux bailleurs qui apportent une aide au gouvernement burundais :
  • Insister pour que le gouvernement burundais donne immédiatement ordre à ses forces d'adhérer au droit humanitaire international concernant le traitement des civils en temps de guerre et qu'il traduise rapidement en justice ceux qui ont violé ce droit. Lier dons en matière d'aide internationale et acceptation de cette exigence.
  • Insister pour que la recherche des responsabilités pour violations graves du droit humanitaire international fasse partie de toute résolution négociée de la guerre au Burundi. Si le conflit prenait fin, aider le gouvernement avec les ressources adéquates à améliorer et étendre son système judiciaire militaire et civil afin que les personnes accusées de tels crimes puissent être traduites en justice de façon juste et rapide.

Notes en bas de la page
1 Le Burundi est partie aux Conventions de Genève et à leur Protocole additionnel II qui s'applique aux conflits armés non internationaux. L'Article 3 commun aux Conventions de Genève requiert que soient traitées avec humanité les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités et le Protocole additionnel II interdit spécifiquement les attaques contre les civils.

2 Gitega est également le nom d'une commune de la province de Gitega et de la ville qui est la capitale de la province.

3 Reuters, "Burundi Army Says 1,000 Rebels Enter from Tanzania," 9 août 2002.

4 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 31 octobre 2002 ; "Problématique du respect du droit humanitaire au Burundi," Bulletin Iteka, Numéro 49, Octobre 2002.

5 Conférence de presse du Ministre de la Défense, le Général Cyrille Ndakuriye, rapportée par Net Press, 21 juillet 2002.

6 OCHA-Burundi Situation Report, 11-17 Novembre 2002.

7 IRIN news service, 13 novembre 2002.

8 BBC News, "Thousands Flee Burundi Combat," 20 novembre 2002 ; Iteka, "La situation sécuritaire s'empire de plus en plus au Burundi," 6 novembre 2002.

9 Voir Human Rights Watch, Fédération Internationale des Droits de l'Homme, Ligue des Droits de la Personne dans la Région des Grands Lacs, Organisation Mondiale contre la Torture, Centre National pour la Coopération au Développement, Nationaal Centrum voor Ontwikkelingssamenwerking, NOVIB, "Commission d'Enquête sur les violations des droits de l'homme au Burundi depuis le 21 octobre 1993, Rapport Final."

10 Conférence de presse du Ministre de la Défense, le Général Cyrille Ndayikuriye, rapportée par Net Press, 21 juillet 2002.

11 Voir le bref rapport de Human Rights Watch, "Burundi: Neglecting Justice in Making Peace, Avril 2000.

12 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 31 octobre 2002 ; Col. Cyprien Hakiza, Commandant de la Seconde région militaire, Gitega, 2 novembre 2002 ; "Chronique Sécuritaire," Bulletin Iteka, numéro 48, Septembre 2002.

13 Ibid.

14 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 31 octobre ; Gitega, 3 novembre 2002 ; Association Burundaise pour la Protection des Droits Humains et des Personnes Détenues (APRODH), "Les violations des droits de l'homme imputées aux forces de l'ordre" [Bujumbura, 2002], p. 7.

15 Entretiens conduits par Human Rights Watch interviews, Bujumbura, 31 octobre ; Muramvya, 3 novembre 2002 ; APRODH, "Les violations des droits de l'homme," pp. 1-7.

16 APRODH, "Les violations des droits de l'homme," pp. 4-6.

17 Des milliers de Tutsi qui ont fui leurs maisons dans les premières années de la guerre vivent toujours près des postes militaires. Depuis le début du conflit, les civils tutsi de ces camps ont parfois accompagné les soldats pour leur servir de guides ou de porteurs pour les aider à transporter les produits de leurs pillages.

18 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Muramvya, 3 novembre 2002 ; APRODH, "Les violations des droits de l'homme," pp. 4-6.

19 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Gitega, 3 novembre 2002 ; Bujumbura, 5 novembre 2002 ; APRODH, "Les violations des droits de l'homme," pp. 4-6.

20 Entretien conduit par Human Rights Watch , Muramvya, 3 novembre 2002.

21 Entretien conduit par Human Rights Watch, Colonel Hakiza, Gitega, 2 novembre 2002.

22 Ibid. ; entretien conduit par Human Rights Watch, Tharcisse Ntibarirarana, Gouverneur de la province de Gitega, Gitega, 2 novembre 2002.

23 Ambassadeur Salvator Ntihabose, Ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique, "Visite des collines de Kanyonga et Kagoma, Commune d'Itaba, Province de Gitega," p. 3.

24 Entretien conduit par Human Rights Watch, Colonel Hakiza.

25 Ibid. ; Ambassador Ntihabose, " Visite des collines de Kanyonga et Kagoma, " p. 2.

26 APRODH, "Rapport sur le massacre d'Itaba."

27 Ibid. ; Tharcisse Ntibarirarana, Gouverneur de Gitega et Col. Cyprien Hakiza, Commandant de la seconde région militaire, "Rapport sur l'événement malheureux survenu en commune d'Itaba sur les collines de Kanyonga et Kagoma le lundi 9/9/2002," pp. 2-3.

28 Entretien conduit par Human Rights Watch, Colonel Hakiza, Gitega, 2 novembre 2002.

29 Ibid. ; entretiens conduits par Human Rights Watch interviews, Gitega, 2 novembre 2002.

30 Ibid.

31 Ibid.

32 Ibid.

33 Ibid.

34 Ibid ; entretiens conduits par Human Rights Watch avec le Colonel Hakiza et Tharcisse Ntibarirarana ; Ntibarirana et Hakiza, "Rapport sur l'événement malheureux survenu en commune d'Itaba" ; Ambassadeur Ntihabose, "Visite des collines de Kanyonga et Kagoma."

35 Ibid.

36 Entretien conduit par Human Rights Watch, Gitega, 2 novembre 2002.

37 Ibid.

38 Ibid.

39 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Gitega, 2 novembre 2002 ; Ntibarirana et Hakiza, "Rapport sur l'événement malheureux survenu en commune d'Itaba."

40 Registres examinés et copiés par les chercheurs de Human Rights Watch lors d'un entretien, Gitega, 2 novembre 2002.

41 Entretien conduit par Human Rights Watch, Gitega, 2 novembre 2002.

42 Ntihabose, "Visite des collines de Kanyonga et Kagoma."

43 Entretien conduit par Human Rights Watch, Gitega, 2 novembre 2002.

44 Entretien conduit par Human Rights Watch, Gitega, 2 novembre 2002; APRODH, "Rapport sur le massacre d'Itaba.."

45 Ibid.

46 Entretiens conduits par Human Rights Watch interviews, Gitega, 2 novembre 2002 ; Agence France Presse, "183 personnes, en majorité des civils, assassinées au Burundi," 17 septembre 2002.

47 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 31 octobre et Gitega, 2 novembre 2002.

48 Agence France Presse, "Burundi government, FDD rebels confirm ceasefire talks next week," 4 août 2002.

49 Iteka, "Burundi-Sécurité, Les chefs administratifs à la base continuent à être la cible des rebelles," 7 novembre 2002.

50 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 31 octobre, 4 et 5 novembre 2002.

51 Voir le bref rapport de Human Rights Watch, " Burundi : protéger le peuple : programme gouvernemental d'autodéfense au Burundi ". Décembre 2001.

52 Ibid.

53 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 5 novembre 2002.

54 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 4 et 5 novembre 2002.

55 Ibid.

56 Voir le communiqué de presse de Human Rights Watch, " Burundi : enfants enlevés pour services militaires. Mandela et les Nations Unies devraient agir pour libérer les enfants soldats ", 14 novembre 2001.

57 Entretien conduit par Human Rights Watch, Gitega, 2 novembre 2002.

58 Ibid.

59 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Gitega, 2 novembre et Bujumbura, 5 novembre 2002.

60 Entretien conduit par Human Rights Watch, Gitega, 2 november 2002 ; APRODH "Les violations des droits de l'homme imputes aux forces de l'ordre," p. 7.

61 Entretiens conduits par Human Rights Watch avec le procureur général pour le système judiciaire militaire, le Colonel Barahebura et le procureur militaire, le Lieutenant Colonel Kiziba, Bujumbura, 5 novembre 2002.

62 Entretien conduit par Human Rights Watch avec le Lieutenant Colonel Kiziba, Bujumbura, 5 novembre 2002.

63 Ibid.

64 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 31 octobre 2002.

65 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 31 octobre 2002 et Gitega, 2 novembre 2002 ; APRODH, Rapport sur Itaba, p. 3.