Africa - West
  FREE    Join the HRW Mailing List 
La Mauritanie: Cessez le harassment de l'opposition
Une Lettre de Human Rights Watch
22 juin 2001

Président Ould Taya
Nouakchott
Mauritania

Monsieur le Président,

Je vous écris pour vous exprimer la préoccupation de HRW, suite au récent procès de Mohamed Lemine Chbih Ould Cheikh Malainine ainsi que de deux de ses collègues et à leur condamnation pour "conspiration criminelle." Nous appelons à leur libération sans conditions.

Related Material



 
Human Rights Watch craint que les charges portées contre Chbih Ould Cheikh Malainine, Mokhtar Ould Haibetna et Bouba Ould Hassan soient le résultat de manœuvres politiques. Candidat à l'élection présidentielle de 1997, Chbih est actuellement à la tête du parti d'opposition, le Front Populaire (FP). Il a été arrêté à son domicile, le 8 avril 2001 et accusé d'être impliqué dans les activités de groupes terroristes présumés dont un projet présumé de coup d'état soutenu par la Lybie. Il apparaît que ces accusations ne reposent sur aucune preuve solide.

Le 14 juin, Malainine a été accusé des chefs d'inculpation mentionnés ci dessus et condamné à cinq ans de prison. Ses avocats ont l'intention de faire appel. Nous vous exhortons à tout mettre en œuvre pour que tout appel soit examiné sans aucune ingérence du pouvoir exécutif. Les avocats de Malainine doivent pouvoir jouir des droits qui sont les leurs, selon le droit international, de rencontrer librement et confidentiellement leur client et de le représenter au tribunal, sans subir de pressions.

Cette affaire a été jugée à Aioun, à 800 kilomètres environ au sud est de la capitale, Nouakchott et non dans la capitale elle-même, comme cela aurait dû être le cas, suite à des manifestations. Le 25 avril 2001, les forces de sécurité ont eu recours aux gaz lacrymogènes pour disperser une manifestation organisée, à Nouakchott, par le Front Populaire, pour protester contre cette arrestation. Suite à ce transfert, les avocats de Malainine ont protesté en suspendant temporairement leur activité, citant des entraves à leur droit de communiquer avec leur client. Finalement, une équipe de 16 avocats conduite par le président du barreau a été constituée pour assurer la défense dans ce procès. Ce procès s'est tenu sous étroite surveillance de la police et de sérieuses inquiétudes existent sur le non-respect des procédures légales, pendant son déroulement. Les preuves avancées contre les accusés étaient constituées de leurs propres déclarations signées - dont ils affirment qu'elles ont été obtenues sous la contrainte - et de deux témoins à charge écartés par le tribunal qui les a estimés sujets à caution. Deux des juges chargés de l'audition du cas ont quitté le tribunal à plusieurs reprises, en contravention totale des procédures judiciaires. Le fait que des observateurs de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme et de l'Association des Avocats du Barreau Marocain n'aient pu assister au procès nous inquiète également.

Le Front Populaire a dénoncé, dans une déclaration du 10 mai 2001, les " interrogatoires intensifs " auxquels Cheikh Malainine a été soumis lors de son arrestation. Les conditions de détention dans la prison de Aioun sont très mauvaises. Nous vous exhortons faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que ces accusations soient vérifiées et que Malainine soit détenu dans des conditions conformes aux normes du droit international en la matière.

Le procès de ce chef de l'opposition met en évidence le harcèlement continu dont sont victimes les personnalités considerées comme des opposants au gouvernement mauritanien. Nous nous inquiétons du fait que votre gouvernement ait augmenté les mesures de répression au cours de l'année écoulée en entravant la liberté de la presse, en interdisant le parti de l'Union des Forces Démocratiques-Ere Nouvelle dirigé par Ahmed Ould Daddah et en dispersant les manifestations de protestation par l'usage de gaz lacrymogènes. L'année dernière, plusieurs membres de l'opposition ont été emprisonnés dont Daddah. En 1998, Daddah a été détenu pendant plusieurs semaines après avoir accusé, dans une manifestation, le gouvernement de prêvoir d'accepter le stockage, en Mauritanie, de déchets nucléaires israéliens.

Deux des plus importantes organisations mauritaniennes de défense des droits de l'homme, SOS-Esclaves et l'Association Mauritanienne des Droits de l'Homme (AMDH) ne peuvent fonctionner efficacement parce que le gouvernement a refusé de les agréer. En 1998, des figures de proue de ces deux organisations ont été condamnées à treize mois d'emprisonnement, selon une loi de 1973 qui juge criminelles les activités de gestion ou l'appartenance à une " organisation non autorisée ". Les personnes emprisonnées en vertu de cette loi ont cependant été libérées, après quelques semaines.

Nous vous prions également de faire en sorte que cesse le harcèlement dont sont victimes les défenseurs des droits de l'homme et les membres de l'opposition. Des accusations peuvent être portées contre une personne si et seulement existent, contre elle, de réelles preuves de son implication dans une activité criminelle.

Personne à ce jour n'a été traduit en justice pour les nombreuses tortures, abus et spoliation de terres et de biens dont ont été victimes les Afro-Mauritaniens à la fin des années 80 et au début des années 90 et qui a conduit à l'expulsion, par la force, de milliers d'entre eux. Human Rights Watch vous exhorte aussi à mettre fin à l'impunité dont bénéficient les auteurs de ces actes et à traduire en justice ceux soupçonnés d'en être responsables. Enfin, nous vous demandons d'engager une action plus résolue pour mettre fin à l'esclavage et autres pratiques apparentées qui ont cours en Mauritanie.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments distingués.

Peter Takirambudde
Directeur de la Division Afrique de HRW