Par Reed Brody
Publié dans Le Soir
2 juin 2007
Le procès de l'ex-président libérien Charles Taylor, qui commence ce lundi 4 juin devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone à La Haye, est la preuve que le monde est devenu moins accueillant pour les individus accusés d'avoir commis des atrocités.
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Jusque récemment, en effet, il semblait que ceux qui tuaient une personne allaient en prison, alors que ceux qui en massacraient des milliers s'en sortaient. Les temps changent. Pensez à Augusto Pinochet et à Slobodan Milosevic. De même, la création de tribunaux concernant les crimes de guerre du Rwanda et de l'ex-Yougoslavie et celle de la Cour pénale internationale (CPI) sont autant de preuves de la détermination nouvelle avec laquelle la communauté internationale souhaite punir les crimes internationaux les plus graves.
Hélas, les dirigeants africains ont été notoirement réticents à l'idée de traduire l'un des leurs en justice - craignant peut-être que ce précédent puisse se retourner contre eux.
Mengistu Haile Mariam, dont la campagne de « terreur rouge » en Ethiopie a pris pour cible des dizaines de milliers d'opposants politiques, vit actuellement au Zimbabwe sous la protection du président Robert Mugabe. Dans la même veine, aucune tentative n'a été faite pour enlever Idi Amin Dada, accusé de crimes massifs en Ouganda, à son confortable exil en Arabie saoudite où il est mort tranquillement en 2003.
L'année dernière, après que la présidente Ellen Johnson-Sirleaf du Liberia et le président Olesegun Obasanjo du Nigeria ont coopéré pour arrêter Charles Taylor, certains dirigeants africains se sont plaints que l'envoi d'un président africain devant un tribunal en Europe insultait la « dignité africaine ». Ils oubliaient que Taylor sera jugé non pas par des Européens mais par un Tribunal soutenu par l'ONU, créé avec le gouvernement sierra-léonais et déplacé à La Haye pour des raisons de sécurité. Ils ont proclamé que les dirigeants africains ne devraient être confrontés qu'à une « justice africaine. »
Or, l'affaire test pour cette « justice africaine » devrait être celle de l'ancien dictateur du Tchad, Hissène Habré, accusé de milliers de meurtres politiques et de torture systématique alors qu'il était au pouvoir, de 1982 à 1990. Un groupe de victimes de Habré l'a suivi au Sénégal, où il vit dans l'opulence grâce au pillage des finances tchadiennes auquel il s'est livré.
Pourtant, en 2000, un tribunal sénégalais a bien inculpé Habré de crimes contre l'humanité mais, après interférence politique, les plus hautes instances judiciaires ont décidé qu'il ne pouvait pas être jugé au Sénégal pour des crimes commis à l'étranger.
Les victimes de Habré se sont mises en quête de justice ailleurs, et ont trouvé un tribunal belge qui a accepté d'instruire l'affaire dans le cadre de l'ancienne loi dite de « compétence universelle ». Le Tchad, qui ne veut pas du retour de Habré et qui ne pouvait lui offrir de procès équitable, a invité le juge belge au Tchad pour qu'il y mène son enquête.
Quand le juge belge a inculpé Habré après quatre ans d'enquête et a demandé son extradition du Sénégal, le gouvernement sénégalais s'est tourné vers l'Union africaine pour qu'il « indique la juridiction compétente ».
Soucieuse d'éviter l'extradition de Habré vers la Belgique, l'assemblée de l'UA, qui comportait des despotes notoires comme Mugabe, Omar al-Bashir du Soudan et Mouammar el-Kadhafi de Libye, a demandé en juillet dernier au Sénégal de poursuivre Hissène Habré « au nom de l'Afrique ». Abdoulaye Wade, le président du Sénégal, a accepté.
Le Sénégal, pays à la forte tradition démocratique, a maintenant l'occasion de montrer qu'un tribunal africain peut rendre justice à des victimes africaines.
Cependant, cela fait presque un an que le président Wade a donné son accord, et les autorités sénégalaises n'ont pas encore présenté de plan pour juger Habré. La Belgique, ce qui est tout à son crédit, a offert au Sénégal l'accès à ses dossiers d'enquête, ainsi que son assistance technique et financière pour le déroulement du procès, tout en se déclarant prête à saisir la Cour internationale de justice dans le cas où le Sénégal manquerait de juger ou d'extrader Hissène Habré conformément à ses engagements internationaux. Le Sénat belge a ratifié l'idée d'une telle saisine.
Maintenant que Charles Taylor est sur le banc des accusés, Hissène Habré doit être le suivant.