(New York, 12 octobre 2005)—Au moins 2 225 délinquants mineurs purgent actuellement des peines de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle (“life without parole”, soit “LWOP”) dans des prisons américaines pour des crimes commis avant l’âge de 18 ans, comme l'ont affirmé Human Rights Watch et Amnesty International dans un nouveau rapport publié conjointement aujourd'hui.
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Le rapport de 157 pages, intitulé Le reste de leurs vies: la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle pour des délinquants mineurs aux Etats-Unis (The Rest of Their Lives: Life without Parole for Child Offenders in the United States), est la première étude nationale qui examine la pratique de juger des enfants en tant qu'adultes et à les condamner à la perpétuité dans des prisons pour adultes, sans possibilité de libération conditionnelle. Le rapport est basé sur deux années de recherche et sur une analyse de données pénitentiaires, qui n'avaient pas été recueillies précédemment, au niveau fédéral et au niveau des Etats. Ces données ont permis aux organisations de déterminer les tendances au niveau des Etats et au niveau national pour les condamnations “LWOP” jusqu'à la mi-2004, et d'analyser la race, les antécédents et les crimes de délinquants juvéniles.
“Les jeunes ayant commis des crimes sérieux ne devraient pas rester impunis,” a déclaré Alison Parker, chercheuse chez Human Rights Watch et auteur du rapport pour les deux organisations. “Mais s'ils sont trop jeunes pour voter ou acheter des cigarettes, ils sont aussi trop jeunes pour passer le reste de leur vie derrière les barreaux.”
Amnesty International et Human Rights Watch publient The Rest of Their Lives à un moment critique: alors que moins de jeunes commettent des crimes sérieux comme le meurtre, les Etats les condamnent de plus en plus souvent à la perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. En 1990, par exemple, 2 234 enfants avaient été reconnus coupables de meurtre et 2,9 % avaient reçu des peines de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. En 2000, le taux de condamnation avait chuté de presque 55 % (1 006), toutefois le pourcentage d'enfants condamnés à des peines “LWOP” avait augmenté de 216 % (à 9 %).
“Déliez les mains des juges d'Etat, des juges fédéraux et des procureurs,” a insisté Dr. William F. Schulz, Directeur éxécutif de Amnesty International USA (AIUSA). “Donnez leur d'autres options que de transformer les tribunaux en chaînes de montage qui fabriquent en série des peines obligatoires de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle pour des enfants, qui ignorent l'énorme capacité de ceux-ci à changer et qui les dérobent de tout espoir de rédemption.”
Dans 26 Etats, la peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle est obligatoire pour quiconque est reconnu coupable d'avoir commis un meurtre prémédité, quelque soit son âge. Selon le rapport, 93 % des délinquants mineurs purgeant une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle ont été reconnus coupables de meurtre. Mais Human Rights Watch et Amnesty International ont trouvé que près de 26 % avaient été reconnus coupables de “felony murder,” une infraction grave selon laquelle tout individu impliqué dans la perpétration d'un crime sérieux au cours duquel une personne a été tuée, est également reconnu coupable de meurtre, même s'il (ou si elle) n'a pas causé personnellement ou directement la mort.
Par exemple, Peter A., âgé de 15 ans, a reçu une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle pour “felony murder”. Peter s'était joint à deux connaissances de son frère aîné afin de commettre un vol. Il attendait dehors dans une camionnette quand l'une des connaissances a bâclé le vol et a tué deux victimes. Peter a dit: “Bien que présent sur les lieux, je n'ai jamais tiré sur personne ou tué quelqu'un.” Néanmoins, Peter a été jugé responsable du double meurtre parce qu'il avait été établi durant le procès qu'il avait volé la camionnette utilisée pour se rendre à la maison des victimes.
Les organisations des droits de l'homme ont également affirmé que les peurs répandues et infondées suscitées par des jeunes “super-prédateurs”—des adolescents violents avec de lourds casiers judiciaires qui s'en prennent à la société—a incité les Etats à juger de plus en plus souvent les enfants en tant qu'adultes. Dix Etats ne fixent aucun âge minimum pour condamner des enfants à la perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, et au moins six enfants qui purgent actuellement cette peine n'avaient que 13 ans lorsqu'ils ont commis leurs crimes. Sitôt condamnés, ces enfants sont envoyés à des prisons pour adultes et obligés de vivre parmi des gangs d'adultes et des prédateurs sexuels, dans de dures conditions. Pour plus de statistiques par Etat, veuillez consulter le récapitulatif State-by-State Summary (disponible en ligne à l'adresse: http://hrw.org/us/us100605.pdf).
Selon Amnesty International et Human Rights Watch, il n'y a aucune corrélation entre l'usage de la peine “LWOP” et le nombre de crimes commis par des mineurs. Il n'y a aucune évidence démontrant que cette peine aurait un effet dissuasif sur les crimes de mineurs, ou contribuerait d'une autre manière à en réduire le nombre. Par exemple, l'Etat de Géorgie condamne rarement les enfants à la perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle; néanmoins le nombre de crimes commis par des adolescents dans cet Etat est inférieur à celui du Missouri, qui impose bien plus fréquemment cette peine à des délinquants mineurs.
“La sécurité publique peut être protégée sans soumettre les jeunes à la peine de prison la plus dure qui soit,” a affirmé Parker.
À l'échelle nationale, les jeunes Noirs sont condamnés à des peines de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle à un rythme estimé à dix fois le nombre qui correspond aux jeunes Blancs (6,6 contre 0,6). Dans certains Etats le ratio est beaucoup plus élevé: en Californie, par exemple, le risque pour les adolescents noirs d'être condamné à une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle est 22,5 supérieur au même risque pour les adolescents blancs. En Pennsylvanie, la probabilité d'une telle condamnation pour les adolescents hispaniques est dix fois supérieure à celle pour les jeunes Blancs (13,2 contre 1,3).
Les Etats-Unis sont l'un des rares pays au monde à autoriser la condamnation d’enfants à des peines “LWOP”. La Convention sur les Droits de l'Enfant, ratifiée par chaque pays au monde à l'exception des Etats-Unis et de la Somalie, interdit cette pratique, et au moins 132 pays ont entièrement rejeté cette peine. Treize autres pays ont des lois autorisant la peine “LWOP” pour enfants, mais en dehors des Etats-Unis, on ne trouve actuellement qu'environ 12 délinquants qui purgent des peines de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle.
Human Rights Watch et Amnesty International ont également contesté la présomption selon laquelle les délinquants mineurs seraient incorrigibles, supposition implicite dans la peine qu'ils ont reçue.
“Les enfants qui commettent des crimes sérieux ont toujours la capacité de changer leurs vies pour le meilleur,” a déclaré David Berger, avocat chez O’Melveny & Myers LLP qui a travaillé en tant que juriste et chercheur sur ce rapport pour Amnesty International USA. “Il est temps maintenant pour les autorités des Etats et au niveau fédéral de prendre des mesures positives en instituant des pratiques qui permettent aux enfants de se racheter, au lieu de les jeter en prison pour le reste de leurs vies.”
Les organisations ont appelé les Etats-Unis à terminer la pratique de condamner les délinquants mineurs à la perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Pour ceux qui purgent déjà des peines de prison à vie, des efforts doivent être immédiatement entrepris pour leur accorder l'accès aux procédures de remise en liberté conditionnelle.