hrw news

Etats-Unis: Abou Ghraib, la “partie visible de l’iceberg”

(New York, le 27 avril 2005)— Les crimes perpétrés à Abou Ghraib font partie d’une vaste série d’exactions commises sur les détenus musulmans dans plusieurs pays dans le monde, a déclaré Human Rights Watch à la date anniversaire (28 avril) de la parution des premières photos montrant des soldats américains brutalisant des prisonniers.

« Abou Ghraib n’est que la partie visible de l’iceberg. Aujourd’hui il apparaît clairement que les exactions perpétrées sur les détenus sont une réalité non seulement à Abou Ghraib mais également dans des centres de détention en Afghanistan, à Guantanamo, dans des ‘lieux secrets’ à l’étranger ainsi que dans des cachots situés dans des pays tiers où les Etats-Unis ont envoyé des prisonniers. »
Reed Brody, conseiller juridique
  

Aussi disponible en

arabic  english 
Human Rights Watch a publié un condensé (below) qui décrit les exactions américaines commises sur des détenus en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo (Cuba), ainsi que les programmes de détention secrète de la CIA, les “extraordinary renditions” (restitutions extraordinaires) et les “reverse restitutions” (restitutions inverses).  
 
“Abou Ghraib n’est que la partie visible de l’iceberg,” a déclaré Reed Brody, conseiller juridique de Human Rights Watch. “Aujourd’hui il apparaît clairement que les exactions perpétrées sur les détenus sont une réalité non seulement à Abou Ghraib mais également dans des centres de détention en Afghanistan, à Guantanamo, dans des ‘lieux secrets’ à l’étranger ainsi que dans des cachots situés dans des pays tiers où les Etats-Unis ont envoyé des prisonniers.”  
 
Human Rights Watch a appelé cette semaine à la désignation d’un procureur spécial chargé d’enquêter sur la culpabilité du Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, de l’ex-directeur de la CIA George Tenet et d’autres personnes dans des cas de crimes contre des détenus.  
 
L’organisation de défense des droits humains s’est également inquiétée du fait que malgré tout le mal causé par le scandale des sévices infligés aux détenus, les Etats-Unis n’avaient pas mis un terme à l’usage des interrogatoires coercitifs illégaux. En janvier 2005, lors des audiences organisées pour le confirmer dans ses fonctions, le Ministre de la Justice Alberto Gonzales a soutenu dans une réponse écrite que l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants ne s’appliquait pas au personnel américain ayant affaire à des ressortissants non américains à l’étranger.  
 
Human Rights Watch a déclaré que le gouvernement américain détenait encore des informations capitales à propos du traitement des détenus, notamment des directives qui auraient été signées par le Président George W. Bush, autorisant la CIA à établir des centres de détention clandestins et à “restituer” des suspects à des pays qui recourent à la torture.  
 
“Si les Etats-Unis veulent effacer les horreurs d’Abou Ghraib, ils doivent poursuivre ceux qui, en haut lieu, ont fermé les yeux sur les exactions ou les ont ordonnées. Ils doivent par ailleurs révéler les choses que le président a autorisées” a indiqué Brody. “Washington doit répudier une fois pour toutes les mauvais traitements perpétrés sur les détenus au nom de la guerre contre le terrorisme.”  
 
 
Exactions américaines commises sur les détenus dans le monde  
 
Afghanistan:  
 
On sait aujourd’hui que neuf détenus sont morts alors qu’ils étaient aux mains des forces des Etats-Unis en Afghanistan. Quatre de ces cas ont déjà été qualifiés de meurtre avec préméditation ou d’homicide involontaire par les enquêteurs de l’armée. Des ex-détenus ont déposé de nombreuses autres plaintes pour torture et autres mauvais traitements. Dans un rapport publié en mars 2004, Human Rights Watch a décrit en détail comment dans certains cas, le personnel américain avait appréhendé arbitrairement des civils afghans, recourant sans aucune mesure à la force lors de l’arrestation de non-combattants et maltraitant les détenus. Des prisonniers détenus dans des bases militaires en 2002 et 2003 ont expliqué à Human Rights Watch qu’ils avaient été brutalement battus par les gardiens et les interrogateurs, privés de sommeil pendant de longues périodes et exposés intentionnellement à un froid extrême ainsi qu’à d’autres traitements inhumains et dégradants. En décembre 2004, Human Rights Watch a fait part de son inquiétude à propos de nouveaux décès de détenus, notamment un survenu plus récemment, en septembre 2004. En mars 2005, le Washington Post a révélé le décès d’une autre personne détenue par la CIA, soulignant que l’affaire faisait l’objet d’une enquête mais que l’agent de la CIA qui était impliqué avait été promu.  
 
Guantanamo, Cuba:  
 
Il est de plus en plus évident que les détenus de Guantanamo ont été soumis à des tortures et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Des récits d’agents du FBI, témoins d’exactions commises à l’égard de détenus —ils ont notamment vu des détenus enchaînés forcés de s’asseoir dans leurs propres excréments—, se sont fait jour récemment, s’ajoutant aux déclarations d’ex-prisonniers décrivant le recours à des positions pénibles et inconfortables, à des chiens militaires pour menacer les détenus, à des menaces de torture et de mort ainsi qu’à l’exposition prolongée à une chaleur, un froid ou un bruit extrêmes. Des ex-détenus ont également dit avoir été placés en isolement cellulaire pendant des semaines, voire des mois, en guise de punition pour leur manque de coopération. Dans leurs cellules, il régnait parfois une chaleur suffocante ou un froid glacial provoqué par l’air conditionné. Des vidéos de brigades anti-émeute filmées en train de maîtriser des suspects auraient montré les gardiens donnant des coups de poing à certains détenus, en attachant un à une civière pour l’interroger et forçant une dizaine d’autres à se déshabiller de la taille jusqu’aux pieds. Le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) a fait savoir au gouvernement américain dans des rapports confidentiels que les méthodes que ce dernier utilisait avec les détenus incluaient des actes de contrainte psychologique et physique “équivalant à de la torture.”  
 
Irak:  
 
Les techniques d’interrogatoire brutales et coercitives, par exemple forcer les détenus à rester dans des positions pénibles et inconfortables et les priver de sommeil pendant de longues périodes, sont utilisées régulièrement dans les centres de détention partout en Irak. La commission Schlesinger nommée par le Secrétaire Rumsfeld a relevé 55 cas avérés d’exactions sur des détenus en Irak, plus 20 cas de décès de détenus faisant encore l’objet d’une enquête. Le rapport antérieur du Général-Major Antonio Taguba avait fait état de “nombreux cas d’exactions flagrantes, sadiques et injustifiées” constituant “des exactions systématiques et illégales sur les détenus” d’Abou Ghraib. Un autre rapport du Pentagone avait décrit 44 accusations de crimes de guerre à Abou Ghraib. Un rapport du CICR en a conclu que dans les sections de la prison d’Abou Ghraib réservées aux renseignements militaires, “les méthodes de contrainte physique et psychologique utilisées par les interrogateurs semblaient faire partie des procédures normales utilisées par les membres des renseignements militaires pour obtenir des aveux et arracher des informations.”  
 
“Disparitions” et actes de torture impliquant la CIA:  
 
Au moins 11 personnes (mais très probablement beaucoup plus) soupçonnées d’appartenir à Al-Qaida ont “disparu” alors qu’elles étaient aux mains des Américains. L’agence centrale de renseignements (CIA) emprisonne les détenus dans des lieux gardés secrets, elle n’avertit pas leurs familles, n’octroie pas de droit de visite au Comité International de la Croix-Rouge et ne permet absolument aucun contrôle sur la façon dont les détenus sont traités. Dans certains cas, elle ne reconnaît même pas qu’elle les détient, ce qui les soustrait automatiquement à la protection de la loi. Un détenu, Khalid Shaikh Muhammed, aurait subi la technique du “sous-marin”, où une personne est déshabillée et maintenue de force sous l’eau pour lui faire croire qu’elle va se noyer. Par ailleurs, Abou Zubayda, atteint par une balle lors de sa capture, se serait vu confisquer ses antidouleur par des fonctionnaires américains, comme moyen pour le faire parler lors des interrogatoires.  
 
Les “restitutions extraordinaires”:  
 
La CIA a transféré de 100 à 150 prisonniers vers des pays du Moyen-Orient connus pour pratiquer habituellement la torture. Parmi eux figurait Maher Arar, un Canadien en transit à New York, qui a été arrêté par les autorités américaines et envoyé en Syrie. Il a été libéré par les Syriens dix mois plus tard sans avoir été inculpé et il a dénoncé les tortures répétées qu’il avait subies, souvent avec des câbles et des fils électriques. Dans un autre cas, un avion affrété par le gouvernement américain a transporté deux suspects égyptiens de Suède en Egypte. Des agents cagoulés leur avaient bandé les yeux et couvert le visage, ils les avaient drogués et leur avaient mis des couches pour adultes. En Egypte, les deux hommes ont été tenus au secret pendant cinq semaines. Ils ont par la suite fourni des récits détaillés des tortures qu’ils avaient subies, notamment des chocs électriques. Autre exemple, celui de Mamdouh Habib, un Australien détenu par les Américains, qui a été transféré du Pakistan en Afghanistan, puis en Egypte et enfin à Guantanamo. Aujourd’hui de retour en Australie, Habib affirme avoir été torturé en Egypte. Il a notamment subi des passages à tabac et des chocs électriques et il a été suspendu au mur par des crochets.  
 
Les “restitutions inverses”:  
 
Des détenus arrêtés par des autorités étrangères alors qu’ils ne combattaient pas et ne se trouvaient pas sur un champ de bataille ont été transférés aux Etats-Unis sans bénéficier des protections élémentaires dont jouissent normalement les personnes soupçonnées de crime. C’est notamment le cas d’Abd al-Salam Ali al-Hila, un homme d’affaires yéménite capturé en Egypte, qui a été remis aux autorités américaines et a “disparu” pendant plus d’un an et demi avant d’être envoyé à la Base navale de Guantanamo à Cuba. Six Algériens détenus en Bosnie ont été remis à des agents du gouvernement américain en janvier 2002 (en dépit d’un jugement de la cour suprême bosniaque qui ordonnait leur libération) et ils ont été envoyés à Guantanamo.