Commentaire

L’Afrique seule face à elle-même : intervention régionale et droits humains

Par Binaifer Nowrojee

Publié en Rapport mondial 2004 : droits humains et conflits armés

En dépit de la réalité toujours morose d’un bon nombre de récits en provenance d’Afrique, le moment présent est en fait un temps d’espoir pour le continent. Bien qu’un quart des pays africains ait été affecté par un conflit en 2003, plusieurs guerres qui duraient depuis longtemps ont récemment pris fin, dont celle de l’Angola vieille de vingt-cinq ans. En République Démocratique du Congo (RDC), tous les acteurs majeurs ont signé des accords et ont entamé une période de transition politique, même si une activité militaire éparse se maintient dans l’Est. Au Burundi, le gouvernement et la plus importante force rebelle ont conclu un accord, en octobre et novembre 2003, mais le gouvernement continue de se battre contre un groupe rebelle plus petit, dans des zones proches de la capitale. Des discussions pour mettre un terme aux guerres brutales du Soudan et du Liberia semblent susceptibles d’aboutir.

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De façon encore plus importante peut-être, de nouvelles institutions et de nouveaux cadres politiques, à l’échelle du continent, sont en train de créer l’espace politique nécessaire pour que soient abordées les racines du conflit – la source des pires abus commis en Afrique – dans les menaces contre la démocratie, les droits humains et l’état de droit. La transformation de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en Union Africaine (UA), en 2002, offre des opportunités sans précédent pour commencer à aborder les raisons pour lesquelles l’Afrique a été un continent aussi perturbé, depuis l’accession à l’indépendance de la plupart de ses états, il y a quarante ans environ.  
 
Concernant le maintien de la paix ou « la mise en application de la paix », l’intervention militaire dans des pays touchés par un conflit, soutenue par des institutions du continent africain ou des institutions sous-régionales est en train de devenir une réalité de plus en fréquente. Les principales puissances mondiales n’ont pas donné aux Nations Unies (ONU) la capacité de répondre efficacement aux guerres africaines. Et bien que les anciennes puissances colonisatrices de l’Afrique aient envoyé des troupes, au cours des dernières années, dans les zones ravagées par un conflit – notamment l’intervention britannique de 2000 en Sierra Leone et l’actuel engagement de la France en Côte d'Ivoire, depuis la fin 2002 – les principales puissances ont, à maintes reprises clairement affirmé qu’elles ne prendraient pas les engagements nécessaires pour prévenir les violations massives des droits humains qui résulteraient d’un conflit en Afrique (le Rwanda, la RDC, le Burundi et la République Centrafricaine illustrent une telle attitude d’abandon). L’intervention de l’Union Européenne dans la région de l’Ituri, au nord-est a constitué une exception, suscitée par la peur d’un génocide et strictement limitée dans le temps à la période nécessaire aux Nations Unies pour augmenter leurs effectifs dans cette région en proie aux troubles. Dans ce contexte, les pays africains n’ont pas d’autre choix que de relever eux-mêmes le défi.  
 
Au niveau international comme à celui du continent, la réponse apportée historiquement à une guerre en Afrique est le désarroi lorsque les hostilités sont déclenchées mais peu ou pas d’actions préventives sérieuses. Cependant, des signes évidents se manifestent souvent pour indiquer qu’une guerre pourrait se produire – en particulier des politiques officielles violant les droits humains par le biais d’une discrimination systématique et d’un mépris pour l’état de droit, des élections escamotées (si tant est que des élections soient organisées) et l’impunité pour des abus flagrants. Sur le papier au moins, l’UA et les initiatives qu’elle a adoptées – dont le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) et la Conférence sur la Sécurité, la Stabilité, le Développement et la Coopération en Afrique (CSSDCA) – offrent un moyen aux états africains qui se sont engagés à faire progresser le respect des droits humains et à prévenir les conflits, pour exercer des pressions contre les gouvernements qui abusent de leur pouvoir.  
 
Cet essai esquisse les contours des nouvelles institutions de l’UA et les engagements en faveur des droits humains que ces dernières ont pris. Il aborde ensuite quatre interventions récentes de maintien de la paix – au Burundi, au Liberia, en Côte d'Ivoire et en RDC – soutenues par les institutions régionales africaines. Bien que ces interventions aient été entreprises avec des motivations explicitement humanitaires, la composante droits humains a continué d’être insuffisante. Pour finir, cet essai envisage comment, malgré leurs engagements sur le papier, les états africains doivent encore agir sur les engagements pris dans l’acte constitutif de l’UA pour assurer le respect de la démocratie, les droits humains et l’état de droit dans tous les états du continent – la plus importante mesure de prévention des conflits qui soit disponible.  
 
Construire une capacité institutionnelle d’intervention : l’Union Africaine et la prévention des conflits  
 
Les responsables africains ont récemment réformé, de façon assez radicale, les institutions et les politiques du continent. En 2002, l’OUA, vieille de quarante ans a été dissoute et reconstituée sous le nom d’UA. A la différence de l’OUA, l’UA est dotée d’un Acte constitutif qui envisage une gouvernance plus intégrée au niveau du continent, parallèle possible, au final, de ce que réalise l’Union Européenne. Sous l’OUA, la souveraineté des états était le ma”tre mot : la non-ingérence dans les affaires intérieures des états membres était la marque distinctive de l’organisation. Les interventions régionales ou sous-régionales comme celles de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans les conflits du Liberia et de la Sierra Leone étaient l’exception plutôt que la règle.  
 
Dans l’Acte constitutif de l’OUA, est exprimé un engagement à « promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples » et il est spécifié que « les gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens anti-constitutionnels ne sont pas autorisés à participer aux activités de l’Union. » L’Acte prévoit aussi un Conseil de Paix et de Sécurité composé de quinze membres pour remplacer le Mécanisme de prévention, de gestion et de résolution des conflits de l’OUA. Une fois établi, le conseil facilitera la réponse de l’UA aux crises et « assurera la promotion et encouragera les pratiques démocratiques, la bonne gouvernance et l’état de droit, la protection des droits humains et des libertés fondamentales, le respect du caractère sacro-saint de la vie humaine et le droit international humanitaire dans le cadre des efforts de prévention des conflits. » A la date d’octobre 2003, dix-sept pays africains, sur les vingt-sept requis, ont ratifié le Protocole de l’UA sur la Paix et la Sécurité, qui devrait mettre sur pied le Conseil de Paix et de Sécurité. Le Protocole de l’UA autorise explicitement l’organisation « à intervenir dans un état membre – dans certaines circonstances graves à savoir les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité. »  
 
Au moment même où se déroulait la démarche établissant l’UA, les gouvernements africains – conduits par l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Sénégal et l’Algérie – créaient un autre mécanisme nouveau pour promouvoir la bonne gouvernance et le développement économique : le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) ainsi que le Mécanisme africain d’examen par les pairs qui lui est lié. Le NEPAD se concentre sur le développement économique mais chose inhabituelle, il reconna”t explicitement que : « La paix, la sécurité, la démocratie, la bonne gouvernance, les droits humains et une gestion économique saine sont des conditions pour un développement durable. » Il propose des systèmes de suivi du respect de l’état de droit pouvant promouvoir le respect des droits humains, en plus de servir peut-être de moyen de contrôle des conditions dans un pays donné afin d’éviter que celles-ci ne se détériorent jusqu’à déclencher une insurrection ou un conflit. Le NEPAD a maintenant été adopté comme l’un des programmes formels de l’UA.  
 
L’un des systèmes proposés pour suivre le respect de l’état de droit est le Mécanisme africain d’examen par les pairs (MAEP) du NEPAD. Selon le MAEP, un groupe de « personnalités [africaines] éminentes » doit conduire des examens périodiques des « politiques et pratiques » des états membres pour « s’assurer que des progrès sont accomplis vers la réalisation des objectifs mutuellement consentis. » L’appartenance au MAEP n’est pas obligatoire. Au contraire, les états choisissent l’examen par les pairs en signant un mémorandum additionnel d’accord, adopté en mars 2003. Au moment de la rédaction de ce texte, une douzaine de pays avait signé ce document.  
 
La Conférence sur la Sécurité, la Stabilité, le Développement et la Coopération en Afrique – pour laquelle l’UA a également adopté un Mémorandum d’accord en 2002 – inclut un ensemble de promesses sur un large éventail de questions liées aux droits humains, à la démocratie et à l’état de droit. La CSSDCA, librement inspirée de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) dispose d’un mécanisme d’examen par les pairs de la mise en œuvre des réformes qui ressemble à celui du NEPAD mais qui est, par certains aspects, plus fort que ce dernier. Il existe des zones évidentes de recoupement entre la CSSDCA et le NEPAD et une tentative est maintenant mise en œuvre pour coordonner les deux démarches. Des discussions sont actuellement en cours sur l’harmonisation des normes utilisées et la division des responsabilités entre les deux systèmes différents d’examen.  
 
Le NEPAD a été approuvé par pratiquement toutes les agences internationales et tous les bailleurs bilatéraux, de l’Assemblée générale des Nations Unies à l’Union Européenne (UE), en passant par le Japon et les Etats Unis (EU) comme étant le cadre général autour duquel la communauté internationale devrait structurer ses efforts de développement en Afrique. La plus importante peut-être de ces approbations est celle du Groupe des huit (G8) pays industrialisés qui a adopté un Plan d’action pour l’Afrique lors de son sommet de 2002. Le plan du G8 établit une liste détaillée des engagements en appui aux priorités de l’UA, se centrant sur les droits humains et la gouvernance politique ainsi que sur les questions économiques. Le Plan du G8 comprenait une bonne formulation – bien que limitée – sur la question de la promotion de la paix et de la sécurité en Afrique. La seule promesse du G8 dotée d’une date limite ferme consistait à « remettre un plan conjoint, d’ici 2003, pour le développement d’une capacité africaine à entreprendre des actions de soutien de la paix, notamment au niveau régional. » Un rapport sur les progrès dans la mise en œuvre du Plan d’action pour l’Afrique a été présenté, comme prévu, au sommet du G8 en 2003. Si le rapport affirme que beaucoup a été accompli, en pratique, les discours l’emportent sur les actions ou le soutien financier. Le plan promis sur le développement d’une capacité africaine relative à des opérations de soutien à la paix reconnaissait lui-même librement « qu’il faudrait du temps et des ressources considérables pour créer et établir les conditions permettant de soutenir l’éventail complet des capacités nécessaires pour entreprendre pleinement des opérations complexes de soutien à la paix ainsi que les activités qui leur sont liées. »  
 
Interventions régionales  
 
Il est probable que nous serons amenés à voir davantage d’interventions africaines endiguer un conflit dans les années à venir. Si elles peuvent apporter une contribution utile, comme le montrent les exemples ci-dessous, de nombreux pièges possibles sont susceptibles de se présenter comme ces cas et d’autres l’ont déjà montré. Une intervention régionale peut ignorer des composantes critiques de l’après conflit comme la justice, la démobilisation et la restructuration des forces armées. La politique régionale peut interférer avec la nature humanitaire de l’intervention et la mettre en danger. Des limitations financières peuvent entraver l’opportunité dans le temps et l’efficacité de l’intervention. Les soldats de maintien de la paix peuvent être recrutés dans des armées nationales qui commettent régulièrement des abus contre leurs propres citoyens et dans certains cas, dans des pays voisins qui ont un intérêt au conflit sur lequel ils sont censés avoir une activité de maintien de l’ordre. L’intervention peut échouer à établir des mécanismes de recherche des responsabilités pour punir les soldats de maintien de la paix qui commettent des violations des droits humains, l’intervention contribuant alors en elle-même à renforcer un environnement d’impunité.  
 
Pour finir, les interventions africaines régionales peuvent renforcer la communauté internationale au sens large dans sa tendance à abdiquer ses responsabilités quand il s’agit de répondre aux crises africaines. La réalité est que les capacités africaines de maintien de la paix ne peuvent pas, à court terme, être équivalentes à celles de pays plus riches. Même si les pays plus riches s’engagent financièrement en faveur du maintien de la paix en Afrique de façon plus conséquente que cela n’a jamais été le cas dans l’histoire – c’est à dire même si les promesses du G8 sont tenues – on ne devrait pas attendre de l’Afrique qu’elle assume seule la charge de tenter de prévenir la guerre sur le continent ou d’y répondre.  
 
En 2003, les organes africains régionaux et ceux du continent ont fait preuve d’une volonté accrue de répondre, tant de façon militaire que politique aux crises régionales. De tous les organes sous-régionaux, le groupe ouest-africain qui constitue la CEDEAO a continué à jouer le rôle le plus important en s’attelant aux conflits de la Côte d'Ivoire et du Libéria. En mai, le Comité de sécurité de la CEDEAO a décidé de créer une force militaire de réponse rapide pour traiter des crises sous-régionales et a également accepté de renforcer le moratoire régional sur les armes. La CEDEAO est également en train d’établir des centres d’alertes précoces dans cette région en proie aux troubles qu’est l’Afrique de l’Ouest.  
 
La tendance vers une intervention régionale plus importante a été la plus évidente dans quatre pays :
  • Le Burundi où l’UA a monté sa première opération de maintien de la paix en 2003.  
     
  • La Côte d'Ivoire où environ 1 300 soldats de la CEDEAO en coordination avec 3 800 soldats français assurent le suivi du fragile cessez-le-feu qui a mis un terme à la guerre initiée en septembre 2002.  
     
  • Le Libéria où après le départ du Président Charles Taylor, 3 500 soldats de maintien de la paix de la CEDEAO se sont déployés dans la capitale Monrovia et dans ses environs, en attendant l’arrivée des forces des Nations Unies. La CEDEAO a également servi d’intermédiaire dans l’instauration d’un cessez-le-feu, en août 2003, ainsi que dans un accord pour établir un gouvernement intérimaire.  
     
  • La République Démocratique du Congo, où la Communauté pour le Développement de l’Afrique Australe (SADC) a justifié son intervention par le fait qu’un état membre de la SADC combattait une menace extra-territoriale. L’intervention comprenait des tentatives pour servir d’intermédiaire dans l’établissement de la paix en RDC ainsi qu’un déploiement de troupes.
 
 
Toutes ces interventions ont été déclenchées par un conflit qui a causé des souffrances massives aux populations civiles. Cependant, leur composante droits humains est restée marginale.  
 
Burundi  
 
La guerre civile qui durait depuis dix ans au Burundi a été déclenchée par l’assassinat du Président hutu, élu en 1993, par des soldats de l’armée du gouvernement à majorité tutsi. La guerre a fait plus de 200 000 victimes et a été caractérisée par des violations quotidiennes du droit international humanitaire commises par toutes les parties : meurtres, viols et torture de civils, recours à des enfants soldats et déplacement forcé de populations.  
 
Après une série d’accords de cessez-le-feu entre le gouvernement et trois des quatre mouvements rebelles, un gouvernement de transition a pris le pouvoir. Les législateurs ont adopté plusieurs lois importantes à l’exercice de la justice, y compris une loi promise depuis longtemps contre le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Le pays a également reçu un nouveau versement d’aide étrangère. Mais le gouvernement et le principal mouvement rebelle, les Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD) ont continué à combattre de façon sporadique jusqu’en octobre et novembre 2003 lorsqu’ils ont signé des protocoles renouvelant leur engagement en faveur d’un cessez-le-feu et ont commencé à incorporer les membres des FDD dans le gouvernement et dans l’armée. Le protocole final de cessez-le-feu comportait des garanties sur une « immunité provisoire », illimitée et indéfinie, contre des poursuites en justice à l’encontre des deux forces, remettant en question tous les efforts précédents pour garantir que les coupables de violations du droit international humanitaire seraient tenus pour responsables de leurs actes. Pendant ce temps, la guerre s’est poursuivie entre les troupes du gouvernement et un mouvement rebelle plus petit, les Forces pour la Libération Nationale, qui tenait le territoire autour de la capitale.  
 
L’intervention initiale de l’UA au Burundi était une mission traditionnelle de maintien de la paix, déployée pour faire respecter les Accords de paix d’Arusha de 2000 plutôt que pour écourter une crise immédiate. Elle reposait sur une petite force de soldats sud-africains, dont elle a augmenté les effectifs, qui étaient présents pour protéger les responsables politiques de l’opposition, selon les termes des Accords d’Arusha. En janvier 2003, l’UA a autorisé l’envoi d’une petite mission militaire d’observation pour suivre le cessez-le-feu. Un mois plus tard, lors d’un sommet extraordinaire, l’UA approuvait une mission plus vaste de maintien de la paix, la Mission Africaine au Burundi (MAB). L’UA a confié à la MAB le mandat de désarmer, démobiliser et réintégrer dans la société toutes les troupes rebelles et de surveiller la transition du pays vers la démocratie, après la guerre. Au mois d’octobre, une force de 3 500 hommes avait été déployée au Burundi, essentiellement composée de soldats en provenance d’Afrique du Sud, de l’Ethiopie et du Mozambique. Cependant, des délais dans les financements des bailleurs, une certaine inertie bureaucratique et l’absence d’accord politique ont initialement fait échouer l’effort de paix de l’UA. De plus, une inquiétude de plus en plus importante s’est manifestée sur le fait que des installations et des dispositions insuffisantes au cantonnement des rebelles hutu allaient mettre en danger la mise en œuvre du cessez-le-feu.  
 
La mission de maintien de la paix au Burundi a confié pour tâche aux soldats de maintien de la paix de protéger les bâtiments du gouvernement, de faciliter la démobilisation des rebelles et de préparer les élections de 2004. Le mandat ne donnait aucune instruction sur la protection des civils mais ses règles d’engagement prévoient effectivement une intervention dans le cas d’une violence massive contre les civils. Avec une présence encore largement limitée à la capitale au moment de la rédaction de ce texte en décembre 2003, les soldats de la MAB n’avaient pas joué un rôle important dans la limitation des abus contre les non-combattants. Malgré l’absence de mandat en matière de droits humains, elle comportait des questions liées aux élections, une première pour des interventions initiées par l’UA.  
 
Comme dans tout effort de ce type, les difficultés et les défis à relever ne manquaient pas. Parce que les parties au processus de paix ont échoué à résoudre les problèmes tels que la restructuration de l’armée nationale, les soldats de maintien de la paix n’ont pas pu avancer sur les programmes concernant la démobilisation et la réintégration des combattants.  
 
Les responsables régionaux, conduits initialement par la Tanzanie et l’Ouganda, avaient depuis longtemps multiplié, sans succès, les tentatives pour mettre un terme à la guerre. L’Afrique du Sud a assumé un rôle plus important après la signature des Accords d’Arusha. Lorsque les Nations Unies, désignées par les Accords pour fournir des troupes afin de protéger les responsables de l’opposition, ont refusé de le faire tant qu’un cessez-le-feu ne serait pas effectif, l’Afrique du Sud a fourni les soldats nécessaires pour que la mise en œuvre des Accords puisse se poursuivre. L’Afrique du Sud a assumé la charge financière de ces soldats qui ont ensuite constitué le cœur de la force la MAB alors que les autres contributeurs à la MAB, l’Ethiopie et le Mozambique recevaient le soutien des Etats Unis et du Royaume Uni pour les aider à couvrir leurs frais. L’Afrique du Sud a exercé des pressions vigoureuses en faveur des protocoles d’octobre et de novembre 2003 mettant un terme aux combats entre le gouvernement et les rebelles des FDD, en partie parce que l’Afrique du Sud pouvait ensuite demander aux forces de maintien de la paix de remplacer ses propres troupes et de mettre un terme à son onéreux engagement pour le maintien de la paix au Burundi. En réservant un accueil favorable aux protocoles, les responsables sud-africains ne se sont pas prononcés sur la garantie d’une immunité provisoire. D’autres responsables internationaux – dont le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan – tout aussi impatient de mettre un terme aux combats au Burundi, sont restés silencieux sur le délai indéterminé pour exiger que justice soit rendue pour les crimes commis contre les civils.  
 
Liberia  
 
Le Liberia conna”t depuis 1990 des opérations de maintien de la paix conduites par la CEDEAO. Le flux d’armes et de combattants, dont des mercenaires, à travers ses frontières poreuses a déstabilisé le pays pendant plus d’une décennie et son conflit a débordé chez ses voisins, la Sierra Leone et la Côte d'Ivoire ainsi qu’en Guinée. Le Liberia va très certainement rester une source régionale d’instabilité pendant quelque temps encore, en dépit des efforts de la CEDEAO et de son intermédiation réussie en faveur d’un accord de paix.  
 
L’intervention militaire de la CEDEAO, au début de la guerre civile, en 1990 était une opération dirigée par le Nigeria et elle est demeurée au Liberia pendant neuf ans. Cette intervention est parvenue à mettre sur pied une zone de paix relative autour de la capitale et a protégé les civils à l’intérieur du périmètre qu’elle contrôlait – bien que les soldats de maintien de la paix aient également commis des abus contre des civils ou des rebelles présumés, à certaines occasions. Les soldats de maintien de la paix ont également fourni un soutien économique et un soutien en armes à des factions opposées à Charles Taylor (le chef de l’un des groupes armés remportant le plus de succès et le plus enclin à commettre des abus), contribuant ainsi à la prolifération des groupes rebelles. En 1997, avec le soutien des Nations Unies, la CEDEAO a assuré la promotion d’un plan de paix et a supervisé les élections très contestables qui ont amené Charles Taylor au pouvoir comme chef d’état. En 1999, les troupes de la CEDEAO ont quitté le Liberia.  
 
Suite à l’intervention des années 90, la CEDEAO a commencé à renforcer ses mécanismes institutionnels de réponse à un conflit. En 1993, la CEDEAO a étendu le traité qui avait présidé à sa création pour inclure la sécurité et la paix dans son mandat. La CEDEAO a ensuite créé un Conseil de médiation et de sécurité ayant autorité pour déployer des forces militaires par un vote à la majorité des deux-tiers. Peu de temps après, la CEDEAO a déployé une force de maintien de la paix en Sierra Leone. Suite à l’insurrection en 1997 du Front Révolutionnaire Uni (RUF), un groupe rebelle soutenu par Charles Taylor, alors Président du Libéria, la CEDEAO a envoyé des troupes en Sierra Leone pour réprimer la guerre civile qui ravageait le pays depuis dix ans. En 1998, les troupes de la CEDEAO ont aidé à restaurer au pouvoir le gouvernement élu du Président Ahmad Tejan Kabbah. Le mandat de la CEDEAO en Sierra Leone a pris fin en 1999, lorsque les Nations Unies ont déployé des soldats de maintien de la paix. La plupart des contingents de la CEDEAO ont été absorbés dans la mission des Nations Unies. En 2000, la Sierra Leone est retombée dans la guerre pour deux ans alors que le RUF reprenait le maquis mais une intervention bilatérale du Royaume Uni et une présence renforcée des Nations Unies ont contribué à la fin de la guerre et à la tenue des élections de 2002. Les troupes des Nations Unies, ainsi qu’un petit contingent britannique, sont encore présents dans la Sierra Leone de l’après-guerre, à la fin 2003.  
 
En 2002, le Liberia a de nouveau replongé dans la guerre civile. Les deux groupes rebelles, les Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie (LURD) et le Mouvement pour la Démocratie au Libéria (MODEL) ainsi que les forces du gouvernement ont tous commis des atrocités sur une vaste échelle. Mais ce n’est qu’en 2003 que la CEDEAO a finalement redéployé des soldats de maintien de la paix au Libéria. La situation au Libéria s’est détériorée dans la seconde moitié de 2003 alors que le LURD et MODEL livraient combat pour se frayer un chemin jusqu’à la capitale Monrovia, bombardant à l’aveuglette des zones civiles. Sous les auspices de la CEDEAO, le Président John A. Kufour du Ghana a commencé à accueillir les négociations de paix en juin 2003. Un cessez-le-feu a été signé mi-juin mais les combats se sont poursuivis. Début août, Taylor a démissionné de la présidence et a pris la fuite en direction du Nigeria où l’asile lui a été offert, en dépit de l’accusation de crimes de guerre prononcée par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Après deux mois et demi, les négociations du Ghana ont abouti à la signature d’un accord de paix le 18 août 2003.  
 
Les premiers soldats de maintien de la paix du nouveau contingent de la CEDEAO sont arrivés au Libéria le 4 août 2003. La CEDEAO a déplacé des troupes de la Sierra Leone afin de déployer environ 3 000 soldats ouest-africains de maintien de la paix de l’ECOMIL (Mission militaire de la CEDEAO au Liberia). Les troupes de l’ECOMIL ont apporté à la capitale le calme dont elle avait tant besoin et ont préparé la voie pour le déploiement d’une force de maintien de la paix des Nations Unies forte de 15 000 hommes, approuvée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies début septembre. La mission s’est déployée en octobre et les soldats de l’ECOMIL sont devenus le premier contingent de soldats des Nations Unies au Libéria.  
 
Compte tenu de leurs liens historiques avec le Libéria, les Etats Unis semblaient le candidat évident pour conduire une mission internationale de maintien de la paix comme le Royaume Uni et la France l’avaient respectivement fait en Sierra Leone et en Côte d'Ivoire. Cependant, les Etats Unis ont refusé d’assumer tout risque ou toute responsabilité pour écourter la crise au Libéria. Après de longs débats, les Etats Unis ont procédé à une intervention limitée et largement symbolique : environ 2 000 Marines américains ont été postés sur des bateaux, au large mais 200 seulement ont débarqué à Monrovia. Ces 200 soldats ont débarqué uniquement après la prise de contrôle de Monrovia par l’ECOMIL et le retrait des rebelles de la zone immédiate. Ils sont restés au sol quelques jours seulement et l’ensemble des forces américaines s’est retiré de la zone environ dix jours plus tard. L’intervention dérisoire des Etats Unis fut une grosse déception. Beaucoup pensaient que la présence des troupes américaines calmerait de façon significative une situation très instable et permettrait aux soldats ouest-africains de maintien de la paix de se déployer en dehors de la capitale où de graves abus se poursuivaient. Cette intervention aurait également grandement facilité le recrutement d’une force de maintien de la paix des Nations Unies.  
 
Le rôle de l’UA s’est révélé décevant sur la question de la justice. L’UA a gardé le silence sur l’accusation portée par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour crimes de guerre en lien avec le soutien apporté au RUF. L’UA n’a pas pris position lorsque l’accusation a été révélée et le Président Kufour du Ghana a fait le choix de ne pas procéder à l’arrestation de Taylor pendant les discussions de paix à Accra. Ni l’UA, ni la CEDEAO n’ont appelé le Président Obasanjo du Nigeria, qui avait offert l’asile à Taylor au Nigeria, à arrêter Taylor et à le transférer en Sierra Leone pour son procès. L’accord de paix obtenu par l’intermédiaire de la CEDEAO n’a formulé aucune recommandation claire pour la justice ou sur des engagements en faveur de la justice. L’incertitude demeure sur le type de mécanismes judiciaires, si ceux-ci sont établis, qui seront mis en œuvre pour traiter des crimes commis pendant la guerre. Compte tenu de la nature régionale dangereuse de la crise du Liberia, la Guinée et la Côte d'Ivoire fournissant un soutien continu aux groupes rebelles libériens, l’UA devrait également adopter des mesures pour dénoncer les voisins du Liberia et d’autres qui apportent un soutien à des groupes armés responsables de l’insurrection et auteurs des abus. L’UA a nommé un envoyé spécial pour le Liberia qui pourrait et devrait exhorter au respect des droits humains.  
 
Côte d'Ivoire  
 
Depuis le 19 septembre 2002, la Côte d'Ivoire a été saisie par un conflit interne qui a paralysé l’économie, divisé les responsables politiques et mis en lumière l’extrême polarisation de la société ivoirienne le long de lignes ethniques, politiques et religieuses. Ce conflit a été caractérisé par relativement peu d’hostilités actives entre les combattants mais par des abus généralisés et flagrants contre les civils. C’est un conflit qui bien qu’essentiellement interne, a développé des dimensions régionales lorsque les groupes rebelles ivoiriens comme le gouvernement ivoirien ont recruté des mercenaires libériens pour soutenir leurs forces dans l’ouest.  
 
La CEDEAO a rapidement reconnu la gravité de la situation ivoirienne qui touchait le cœur économique de la région. L’organisation a entamé des efforts de médiation dans les jours qui ont immédiatement suivi le soulèvement initial. Les préoccupations de la CEDEAO étaient essentiellement centrées sur l’impact économique et humanitaire de la crise et sur les risques que le conflit faisait peser sur la stabilité régionale. En octobre 2002, les médiateurs de la CEDEAO ont servi d’intermédiaires pour que soit conclu un cessez-le-feu et le gouvernement ivoirien, comme le principal groupe rebelle, le Mouvement Patriotique de la Côte d'Ivoire (MPCI) ont autorisé la présence d’une mission d’observation de la CEDEAO. Cependant, l’engagement de la CEDEAO à envoyer des troupes a été gêné par des contraintes financières et mis au point mort pendant plus de deux mois après sa conclusion. Pendant ce temps, la France a accepté de combler le vide en augmentant sa présence militaire, déjà ancienne et en élargissant son mandat de la protection des ressortissants français au suivi du cessez-le-feu.  
 
En dépit de ces efforts, le conflit ivoirien s’est intensifié avec l’ouverture d’un front occidental, l’implication des forces libériennes dans les deux camps et la prolifération des groupes rebelles en décembre 2002. L’engagement militaire de la CEDEAO est resté minimal jusqu’au début de l’année 2003, en dépit des efforts cohérents pour arriver à des cessez-le-feu, mettre en place des négociations de paix et amener les parties au conflit autour de la même table. Alors que les efforts de la CEDEAO atteignaient un point de blocage, les préoccupations françaises se sont accentuées et les contributions de la France se sont accrues, tant sur le front militaire que politique. Au début de 2003, plus de 2 500 soldats français se trouvaient en Côte d'Ivoire, travaillant conjointement avec plus de 500 soldats de la CEDEAO. Un accord de paix, grâce à la médiation de la France, les accords de Linas-Marcoussis, a été signé par le gouvernement et les trois groupes rebelles. Les officiels de la CEDEAO et de l’UA ont continué à exercer des pressions tant sur le gouvernement ivoirien que sur les forces rebelles, le Président ghanéen, John Kufuor jouant un rôle particulièrement important à la tête de la CEDEAO.  
 
Des accords supplémentaires de cessez-le-feu et des négociations ont conduit à la proclamation officielle de la fin du conflit, en juillet 2003 mais la mise en œuvre des accords de Linas-Marcoussis a été lente. Travaillant conjointement avec une petite mission politique et militaire de liaison des Nations Unies, la MINUCI et environ 4 000 soldats français, l’opération de la CEDEAO a contribué à assurer le suivi du respect de l’accord de paix entre le gouvernement ivoirien et les forces rebelles. A la fin du mois de mai 2003, environ 1 300 soldats de la CEDEAO étaient en place dans le pays. Cependant, des ressources insuffisantes ont continué à représenter une grave contrainte.  
 
En dépit d’intenses efforts régionaux et français, les espoirs de paix de la Côte d'Ivoire sont restés bloqués à la date de novembre 2003. Au moment de la rédaction de ce texte, le désarmement n’a toujours pas été mené à bien et le gouvernement de réconciliation nationale formé par l’accord de paix a été handicapé par des divisions continuelles entre les différentes parties en guerre. La montée en puissance d’une milice favorable au gouvernement, faisant violemment conna”tre ses positions et disposant de liens avec les forces armées de l’état a peu fait pour alléger les tensions. Les abus contre les civils, tant à Abidjan que dans les zones rurales, se sont poursuivis, bien qu’à une échelle moindre que pendant la guerre « officielle ».  
 
Le maintien de l’impunité demeure un problème fondamental. En dépit de la reconnaissance nationale, régionale et internationale des graves abus commis pendant le conflit et lors de la violence liée aux élections de 2000, à ce jour, il n’y a eu aucune avancée significative de faite pour traduire les responsables d’abus devant la justice. D’importantes dispositions relatives aux droits humains, dans les accords de paix, comportaient l’établissement d’une commission nationale sur les droits humains ainsi que celui d’une commission internationale d’enquête. Aucune cependant n’a encore vu le jour. En février 2003, l’UA a appelé au lancement d’une investigation par la Commission africaine des droits de l’homme mais est depuis demeurée silencieuse sur le sujet. Cependant, l’impunité reste l’une des causes sous-jacentes importantes du conflit en Côte d'Ivoire. Une résolution à long terme du conflit exigera non seulement un engagement politique et militaire de la CEDEAO et de l’UA mais une action résolue pour condamner les abus commis contre les droits humains et l’utilisation de moyens de pression financiers et politiques pour restaurer l’état de droit.  
 
Depuis le début du conflit, les Nations Unies se sont tournées vers la France pour les questions politiques et militaires relatives à la Côte d'Ivoire. Une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies, en février 2003, a condamné les abus commis contre les droits humains pendant le conflit et a donné autorité aux forces françaises et à celles de la CEDEAO pour intervenir. La Mission des Nations Unies en Côte d'Ivoire (MINUCI) a été proposée fin avril et approuvée début mai 2003. Initialement, la mission comportait des observateurs militaires et des officiers de liaison ainsi qu’une composante de suivi des droits humains absolument vitale. Mais le Conseil de Sécurité a coupé les ressources humaines et financières pour les composantes civiles de la mission, essentiellement sur la base des préoccupations américaines relatives au budget et au personnel. En défendant de telles coupures, les Etats Unis ont fait preuve d’un grave manque de prévoyance : la multitude des abus commis en Côte d'Ivoire soulignait amplement le besoin urgent d’inclure, dans l’effort de maintien de la paix, une composante consacrée au suivi des droits humains. La communauté internationale et celle des bailleurs doivent faire pression de façon agressive en faveur de la recherche des responsabilités et du respect des droits humains, notamment par le recours aux sanctions et la définition de conditions pour l’octroi de l’aide. Même là où les responsables africains prennent des initiatives, la communauté internationale a toujours à jouer un rôle important.  
 
République Démocratique du Congo (RDC)  
 
D’août 1998 à 2003, la RDC a été prise au piège de la guerre la plus dévastatrice et la plus vaste qu’ait connue l’Afrique, opposant à un moment donné les armées du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi associées à des groupes rebelles congolais contre le gouvernement de la RDC soutenu par le Zimbabwe, l’Angola et la Namibie. En dépit de trois accords de paix destinés à mettre un terme à la guerre et d’un nouveau gouvernement de transition qui a débuté son travail en juillet 2003, des combats sporadiques se sont poursuivis dans l’Est de la RDC jusqu’à la fin 2003. Il a été estimé que la guerre avait directement ou indirectement conduit à la mort de plus de trois millions de civils, faisant de ce conflit le conflit le plus meurtrier pour les civils depuis la Seconde guerre mondiale.  
 
Le conflit en RDC a présenté des défis critiques aux responsables africains. Pour l’UA, ce fut un test fondamental de son engagement en faveur de la prévention, de la gestion et de la résolution des conflits en Afrique. Pour la Communauté pour le Développement de l’Afrique Australe, la guerre a créé de considérables problèmes politiques régionaux alors que des états membres, le Zimbabwe, la Namibie et l’Angola rejoignaient, sous le parapluie de la SADC, l’ancien gouvernement à Kinshasa pour lutter contre l’invasion de l’Ouganda et du Rwanda. Des questions ont également été soulevées concernant la légalité de l’intervention de la SADC et afin de savoir si des procédures correctes d’autorisation avaient été suivies par l’Organe sur la Politique, la Défense et la Sécurité de la SADC, dirigé à l’époque par le Président du Zimbabwe, Robert Mugabe.  
 
Sous le leadership du Président Thabo Mbeki, le premier président de l’UA, l’Afrique du Sud a organisé des discussions visant à la conclusion d’un accord de paix entre l’ancien gouvernement à Kinshasa et le Rwanda. Les discussions ont abouti aux Accords de paix de Pretoria en 2002. L’Afrique du Sud a également accueilli le long dialogue inter-congolais qui a préparé le chemin pour un éventuel gouvernement d’unité nationale. L’Afrique du Sud a ensuite fourni une contribution militaire substantielle à l’opération de paix des Nations Unies en RDC, acceptant de mettre à disposition environ 1 500 soldats sud-africains dans une base avancée située dans l’Est du pays très instable.  
 
Tout en reconnaissant la volonté de l’Afrique du Sud de jouer un rôle de premier plan pour tenter de résoudre le conflit, les critiques ont fait remarquer que les responsables sud-africains avaient échoué à dénoncer de nombreuses violations des droits humains commises par toutes les parties à la guerre. Certains ont mis en question la neutralité de l’Afrique du Sud, l’accusant d’avoir des ambitions économiques en RDC et un partenariat rapproché avec le Rwanda. L’Afrique du Sud a également fait preuve d’inefficacité dans son rôle d’observateur neutre pour le Mécanisme de vérification de la tierce partie (TPVM), un mécanisme pour mettre en œuvre les accords qui a finalement été dissout fin 2003.  
 
En dépit des apparences qui portent à croire que la paix est plus proche que jamais, d’immenses défis attendent encore le nouveau gouvernement d’unité nationale à Kinshasa, parmi lesquels le besoin de justice pour les massives violations des droits humains commises au Congo par toutes les parties en guerre – nationales et internationales. Les groupes issus de la société civile ont fermement demandé la fin de l’impunité. La communauté internationale, dont le Conseil de Sécurité des Nations Unies, a affirmé à plusieurs reprises que les auteurs de crimes commis pendant la guerre seraient tenus pour responsables de leurs actes. Cependant, au moment de la rédaction de ce texte, aucun mécanisme n’est en place pour traduire en justice les crimes commis avant juillet 2002. Juillet 2002 marque l’inauguration officielle de la Cour Pénale Internationale (CPI) que le Congo a ratifiée et les crimes commis ensuite relèvent de son domaine de compétences. La capacité de l’UA à répondre efficacement aux nombreux problèmes restants, en situation de post-conflit en RDC, pourrait être le test le plus difficile pour son engagement à adopter un rôle plus actif et plus large sur le continent.  
 
Conclusion  
 
L’engagement de plus en marqué de l’UA, même s’il reste hésitant, dans certains des pires conflits africains est un développement dont on ne peut que se réjouir. Cependant, les interventions de l’organisation doivent comporter une forte composante droits humains complètement intégrée à tous les aspects des opérations de maintien de la paix. Comme le montrent les cas mis en évidence dans cet essai, les forces africaines de maintien de la paix ont besoin à la fois d’une meilleure formation et de mandats plus fermes pour protéger les civils. Il existe également un besoin évident d’intégrer les initiatives africaines de maintien de la paix dans les efforts de l’ONU, notamment en s’assurant que le Conseil de la Paix et de la Sécurité de l’UA est étroitement lié au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il faut également augmenter le soutien international – notamment de l’ONU et du G8 – aux initiatives de maintien de la paix sur le continent. Il est ironique de constater que c’est sur le continent le plus pauvre que les opérations de maintien de la paix sont de plus en plus laissées aux institutions régionales plutôt qu’internationales.  
 
De plus, le maintien de la paix n’est qu’un remède limité. Les interventions de maintien de la paix affrontent habituellement le conflit tard dans son déroulement et se concentrent essentiellement sur la fourniture de solutions militaires de court terme, souvent limitées géographiquement. Alors que de telles interventions peuvent sauver des vies et amener des améliorations significatives dans la sécurité à court terme, elles n’abordent pas nécessairement en elles-mêmes les causes structurelles sous-jacentes au conflit, y compris l’assurance du respect des droits humains, la présence d’un gouvernement assumant la responsabilité de ses actes et l’état de droit.  
 
Parmi les plus difficiles de ces questions se trouve celle concernant la fin de l’impunité pour les crimes contre les droits humains passés et présents, un domaine où l’UA n’a pas été aussi ferme qu’elle aurait dû l’être. Bien que le Conseil des ministres de l’UA ait approuvé le « Plan d’action contre l’impunité en Afrique » de 1996 adopté par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples un peu plus tôt cette année, aucune volonté politique réelle ne s’est manifestée pour mettre en œuvre ce document essentiellement élaboré par les ONG. Les responsables africains ont pris l’engagement (dans une déclaration sur la CSSDCA adoptée en 2000) de « condamner le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sur le continent et d’entreprendre de coopérer avec les institutions appropriées mises en place pour traduire en justice les coupables » - cependant, un état membre de l’UA – le Nigeria – refuse actuellement de remettre à la justice et au Tribunal Spécial pour la Sierra Leone l’ancien Président, Charles Taylor. Aucune voix ne s’est élevée dans l’UA pour protester contre ce refus.  
 
Le NEPAD propose quatre domaines clefs pour construire la capacité africaine à gérer tous les aspects d’un conflit, y compris le besoin de renforcer les institutions régionales pour la prévention des conflits, la gestion et la résolution, pour le maintien de la paix, pour la reconstruction après un conflit et pour le « combat contre la prolifération illicite de petites armes, d’armes légères et de mines. » Personne ne peut soutenir que ces questions ne sont pas urgentes mais en l’absence d’une stratégie pour traiter des causes plus profondes, toute tentative sur ces points est très probablement vouée à l’échec. Ces causes plus profondes incluent une impunité généralisée, non seulement pour les pires atrocités mais également pour le vol plus banal, pratiqué sur une vaste échelle, des fonds publics, l’extraction illégale et la vente des matières premières africaines ainsi que la discrimination systématique sur des bases ethniques ou régionales.  
 
Finalement, l’UA doit renforcer son engagement institutionnel et sa capacité à suivre et aborder les violations des droits humains de façon régulière – et elle doit agir avant que la situation ne détériore jusqu’au point de crise nécessitant alors une intervention militaire. Bien que les documents mettant en place les nouvelles institutions africaines, dont l’Acte constitutif de l’UA, le NEPAD et la CSSDCA, comportent des déclarations très audacieuses sur l’importance d’une bonne gouvernance et sur l’état de droit, les responsables africains doivent encore montrer leur volonté de condamner publiquement les abus commis par leurs pairs et insister pour que des mesures soient prises afin de mettre un terme à ces abus. Les mécanismes de révision par les pairs du NEPAD et de la CSSDCA devraient en théorie aider à corriger ce problème. La communauté internationale a la responsabilité de s’assurer que ces organismes ont les ressources pour ce faire et que les groupes de la société civile sont en mesure de suivre ces organismes alors qu’ils débutent leurs travaux.  
 
Les opportunités offertes par ces nouvelles initiatives régionales africaines – ce moment d’espoir – ne doivent pas être gaspillées.  
 

 
1 La rédaction de cet essai a été coordonnée par Binaifer Nowrojee mais s’appuie fortement sur les contributions de tous les membres de la Division Afrique de Human Rights Watch en particulier Bronwen Manby, Alison DesForges, Anneke Van Woudenberg, Corinne Dufka, Leslie Lefkow, Sara Rakita, Nobuntu Mbelle et Kate Fletcher.