Les développements depuis la décision de l’Union africaine

Le 2 novembre 2006, soit quatre mois après l’engagement solennel pris par le Sénégal de juger Hissène Habré, le porte-parole du gouvernement sénégalais, M. El Hadji Amadou Sall, a annoncé une réforme législative à cette fin ainsi que la constitution d’une commission gouvernementale sous la présidence du Garde des Sceaux pour préparer le procès. Cette commission a délibéré pour la première fois en décembre, sous la direction du magistrat, M. El Hadj Malick Sow, qui est également le coordinateur du comité sénégalais des droits de l’Homme.

En février 2007, le Président Wade a promulgué les lois permettant au Sénégal de juger des faits de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture, même commis hors du territoire sénégalais. Ces lois contiennent également une disposition, directement tirée de l’article 15 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques,2 autorisant les poursuites pour de tels faits si, au moment de leur commission, ils étaient tenus pour criminels d’après le droit international.3 En conséquence, cette disposition autorise le jugement d’Hissène Habré pour génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture, même si les faits n’étaient pas incriminés en tant que tels par les lois tchadiennes ou sénégalaises lorsqu’ils ont été commis.

En mars 2007, le groupe de travail mené par M. Malick Sow a présenté son rapport au Président Wade (le « rapport Sow »).4 Ce rapport contient quelques conclusions clés. En particulier, il recommande au Sénégal de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour assurer la présence d’Hissène Habré au procès et il considère que le principe de procédure pénale non bis in idem (principe selon lequelnul ne peut être poursuivi ou puni pénalement deux fois pour les mêmes faits) ne s’applique pas en l’espèce, l’ex-dictateur n’ayant jamais été jugé au Sénégal au fond et n’ayant jamais bénéficié d’un non-lieu. Il propose également la création d’une nouvelle juridiction pour la tenue du procès, comprenant la construction d’un nouveau bâtiment et la nomination de quinze juges, rémunérés selon le barème des plus hauts fonctionnaires des Nations Unies. Le Président Wade aurait trouvé ce projet – et son coût de 66 millions d’euros – démesuré ; il aurait demandé un budget plus raisonnable.5

Le groupe de travail n’a pas pu examiner les preuves réunies dans l’affaire, ni apprécier le travail accompli par les autorités judiciaires belges.

En avril 2007, le Parlement européen a invité l’Union européenne (UE) « à encourager et à appuyer le gouvernement du Sénégal dans ses efforts en vue de préparer un procès rapide et équitable pour Hissène Habré, afin qu'il réponde devant la justice d'accusations de violations massives des droits de l'Homme ».

En juillet 2007, le ministre de la justice sénégalaise, M. Cheikh Tidiane Sy, a annoncé qu’Hissène Habré serait jugé par une Cour d’assises et non par une juridiction spéciale, comme il avait été suggéré dans le rapport Sow. Un nouveau budget de 28 millions d’euros a été préparé par une société d’audit (« Le Rapport Financier »).6 Un tiers de ce budget devrait être consacré à la reconstruction du Palais de justice de Cap Manuel.7

La présidente de la Confédération suisse, Mme Micheline Calmy-Rey, et le président de la République française, M. Nicolas Sarkozy, ont annoncé publiquement à Dakar, respectivement les 13 et 26 juillet 2007, que leurs pays assisteraient le Sénégal dans l’organisation du procès.

Le 18 juillet 2007, un an après le sommet de l’UA, le président Wade a écrit à l’UA, à l’UE ainsi qu’à un certain nombre de pays donateurs potentiels, dont les Etats-Unis et le Canada, pour les informer des projets du Sénégal concernant le jugement d’Hissène Habré et pour solliciter leur soutien et les inviter à une réunion de donateurs.

L’UE a accepté le principe d’un soutien et  décidé d’envoyer une mission d’experts à Dakar. La mission est composée de M. Bruno Cathala, le greffier de la Cour pénale internationale, et de M. Roelof Haveman, professeur de droit pénal international d’origine hollandaise.

Le Sénégal avait programmé une première réunion des donateurs pour le 18 octobre 2007, mais il a accepté de la différer en attendant l’arrivée de la mission d’évaluation de l’UE. Malheureusement, cette mission – initialement programmée pour le mois d’octobre – se heurte à des conflits d’emplois du temps qui la retardent. À l’heure actuelle, elle n’est pas attendue à Dakar avant la deuxième quinzaine du mois de janvier 2008.

En novembre 2007, il a été annoncé que l’UA avait nommé M. Robert Dossou, ex-ministre des Affaires étrangères et de la justice de la République du Bénin, comme envoyé spécial de l’UA pour le procès d’Hissène Habré. M. Dossou avait présidé le Comité d’Eminents Juristes Africains mis en place par l’UA pour examiner les options disponibles pour juger l’ex-dictateur.

Le 29 novembre, le Président Wade a de nouveau écrit aux donateurs pour les inviter à une réunion à Dakar, les 13 et 14 décembre 2007. Mais le 7 décembre, le Sénégal a reporté la réunion sine die.



2 Article 15 du PIDCP

1. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier.

2. Rien dans le présent article ne s'oppose au jugement ou à la condamnation de tout individu en raison d'actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels, d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations.

3 Article 431-6 alinéa 3 de la loi du 31 janvier 2007 n° 06/2007 modifiant le Code pénal 

 « Nonobstant les dispositions de l’article 4 du présent code, tout individu peut être jugé ou condamné en raison d’actes ou d’omissions visés au présent chapitre [génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre]  et à l’article 295.1 du Code pénal [torture], qui au moment et au lieu où ils étaient commis étaient tenus pour une infraction pénale d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’ils aient ou non constitué une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu ».

4 Rapport du Groupe de Travail sur l’Affaire Hissène Habré, Ministère de la Justice (Mars 2007).

5 « Sénégal—Procès Habré: devis exorbitant », Jeune Afrique, 1-14 avril, 2007.

6  Validation du Rapport Financier du Groupe de Travail sur l’Affaire Hissène Habré, Compagnie International de Conseil et d’Expertise.

7  Le budget actuellement retenu dans le rapport Sow Report est de 18,337,500,000.00 CFA (environ €27,955,000). Le budget utilisé par le Rapport Financier est de 18,750,971,825 CFA (environ €28,585,672).