I. Introduction et recommandations

Seize ans après la chute de l’ancien Président du Tchad, Hissène Habré et son arrivée au Sénégal, les victimes de son régime brutal attendent encore que justice soit faite. Hissène Habré a été inculpé deux fois de crime contre l’humanité – au Sénégal et en Belgique- et arrêté deux fois avant d’être relâché. Et pourtant, les victimes attendent toujours le jour du procès.

Hissène Habré a d’abord été inculpé au Sénégal, en 2000, avant que la justice sénégalaise ne se déclare incompétente pour le juger. Ses victimes se sont alors tournées vers la Belgique. A l'issue de quatre années d'enquête, un juge belge a délivré un mandat d'arrêt international à l'encontre de Hissène Habré l'accusant de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et d'actes de torture perpétrés durant les huit années de sa présidence de 1982 à 1990. Conformément à la demande d'extradition formulée par la Belgique, les autorités sénégalaises ont arrêté Hissène Habré en novembre 2005. Lorsque la justice sénégalaise s'est déclarée une nouvelle fois incompétente, cette fois-ci pour statuer sur l'extradition de Hissène Habré vers la Belgique, les autorités sénégalaises ont annoncé la consultation de l'Union africaine sur la « juridiction compétente » pour juger Hissène Habré. Le 2 juillet 2006, l'Union africaine, s'appuyant sur les recommandations du Comité d'Eminents Juristes Africains qu'elle avait désigné en janvier dernier, ainsi que sur les recommandations du Comité contre la Torture des Nations Unies, a demandé au Sénégal de juger Hissène Habré « au nom de l'Afrique », ce que le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a accepté.

La décision du Président Wade de juger Hissène Habré représente un tournant décisif dans cette longue campagne visant à traduire en justice l’ancien Président du Tchad. Le Sénégal a également annoncé l’établissement d’une commission chargée de préparer le jugement de Hissène Habré. Cependant, six mois après la décision du Président Wade, aucune avancée significative n’a eu lieu. De plus, les défis que soulève cette entreprise ne doivent donc pas être sous-estimés. Le Sénégal devra désormais faire face à la tâche complexe et coûteuse d’enquêter et de poursuivre des crimes commis massivement il y a plusieurs années et dans un autre pays. De plus, les partisans de Hissène Habré forment un groupe de pression puissant.

Cette note technique offre les recommandations suivantes au gouvernement du Sénégal ainsi qu’à tout autre acteur susceptible d’aider le Sénégal pour résoudre ces nombreux problèmes et difficultés et permettre le premier jugement devant la juridiction nationale d’un pays africain pour des crimes internationaux commis dans un pays tiers.

Sénégal

  • Maintenir les mesures légales appropriées pour s’assurer que Hissène Habré ne quitte pas le pays.

  • Amender le code pénal et le code de procédure pénal afin d’y inclure les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, la torture et le génocide et d’offrir à ces différents crimes une compétence universelle.

  • Ouvrir une enquête judiciaire contre Hissène Habré pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture.

  • Chercher le soutien matériel et technique des partenaires internationaux afin de conduire les enquêtes et de mener le jugement d’Hissène Habré.

  • Créer une unité spéciale chargée d’enquêter sur les crimes internationaux et chercher des formations relatives aux crimes internationaux pour la police et le personnel judiciaire.

  • Solliciter l’assistance de la Belgique, en particulier pour intégrer les quatre années d’instruction menées par le juge belge dans l’affaire Habré.

  • Prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des victimes, des témoins et des autres personnes impliquées dans l’affaire.

  • Faciliter l’accessibilité du peuple tchadien au jugement d’Hissène Habré

  • Union africaine

  • Nommer un envoyé spécial ou un coordonnateur pour assurer le bon déroulement de l’instruction et l’aboutissement du jugement d’Hissène Habré. Cette personne pourrait être chargée, en vertu de la promesse d’assistance faite par l’Union africaine au Sénégal, d’aider le Sénégal à obtenir des soutiens extérieurs tout en insistant sur la nécessité de l’engagement politique du Sénégal

  • Aider le Sénégal à obtenir les ressources nécessaires pour instruire et juger Hissène Habré. 

  • Tchad

  • Coopérer étroitement avec le Sénégal tout au long de l’instruction et du procès.

  • Prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des victimes, des témoins et des personnes impliquées dans l’affaire.

  • Assurer l’accessibilité du peuple tchadien au procès d’Hissène Habré par la diffusion d’émissions (radio et TV) au Tchad, tout au long de la procédure.

  • Belgique

  • Coopérer étroitement avec le Sénégal tout au long de l’instruction et du procès, en particulier en mettant à sa disposition les résultats des quatre années d’instruction sur les crimes allégués contre Hissène Habré.

  • Se tenir prêt à saisir les voies de recours de la Cour Internationale de Justice dans le cas où le Sénégal manquerait à ses engagements internationaux 

  • Communauté Internationale

  • Manifester au Sénégal son intérêt pour l’affaire Hissène Habré.

  • Soutenir le Sénégal dans sa tâche complexe et coûteuse d’instruire et de juger les crimes internationaux à travers une aide financière et des formations, tout en insistant sur la nécessité de l’engagement politique du Sénégal.

  • Comité des Nations Unies contre la torture

  • S’assurer que le Sénégal applique sa recommandation de traduire en justice Hissène Habré.