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Rapport Mondial 2002

La Tunisie


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Vue d'ensemble sur la situation des droits de l'Homme
La possibilité de surveiller les droits de l'Homme
Le rôle de la communauté internationale

VUE D'ENSEMBLE SUR LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME

Des opposants et des militants des droits de l'Homme ont été arrêtés ou harcelés et des centaines de prisonniers politiques ont été maintenus en détention dans des conditions difficiles. Les principaux médias n'ont relayé pratiquement aucune critique contre le gouvernement et les véritables partis d'opposition ont été soit interdits soit activement muselés.

Les associations issues de la société civile, les prisonniers politiques, les anciens détenus et des personnalités politiques qui avaient jusqu'alors gardé le silence se sont néanmoins mobilisés pour braver ce statu quo.

L'évolution la plus inquiétante apparue cette année tient au recours croissant à la force physique employée par des policiers en civil contre les défenseurs des droits de l'Homme et les opposants. Les premières cibles de la répression sont néanmoins restées les membres présumés du mouvement islamiste interdit an-Nahda (Renaissance). Ils représentent la majeure partie des prisonniers politiques du pays, qui seraient près d'un millier. La plupart ont été inculpés pour appartenance à des "organisations non reconnues" ou participation à des "réunions non reconnues", sans avoir été impliqués dans le moindre acte de violence.

Si le regain d'activisme au sein de la société civile ne s'est pas traduit par des rassemblements ou des manifestations de masse - toujours interdits par les autorités -, il a pris de nouvelles formes. Premièrement, de nombreuses personnes se sont publiquement prononcées contre la candidature du président Zine el-Abidine Ben Ali à un quatrième mandat en 2004, qui exigerait un amendement à la Constitution. Deuxièmement, les militants des droits de l'Homme se sont plus que jamais concentrés sur le sort des islamistes persécutés, s'inscrivant résolument en faux contre les autorités qui s'emploient à les présenter comme des extrémistes violents.

Troisièmement, avec des alliés établis à l'étranger, les militants tunisiens des droits de l'Homme ont nommément dénoncé des tortionnaires présumés et ont réclamé que soient engagées à leur encontre des poursuites judiciaires. Le 6 juillet, dans une lettre ouverte au président Ben Ali, le juge du tribunal civil de Tunis, Mokhtar Yahiaoui est sorti de la réserve généralement observée par sa profession en dénonçant l'absence d'indépendance du système judiciaire. Il a notamment déploré que les juges "rendent des verdicts qui leur sont dictés par l'autorité politique et qui ne sont susceptibles de faire l'objet d'aucune prise de distance ou de critique". M. Yahiaoui a été mis en congé sans solde, mais face au tollé qu'a soulevé cette mesure, il a été réintégré dans ses fonctions deux semaines plus tard.

Le magistrat a proclamé haut et fort ce qu'affirment depuis longtemps les associations des droits de l'Homme, à savoir que le système judiciaire est un pilier de la répression d'État. Dans les affaires politiques, les juges ont systématiquement bafoué les droits des prévenus à un procès équitable, refusant d'accorder à la défense la comparution de témoins et empêchant les avocats d'interroger les accusés à la barre, au prétexte que les dépositions des prévenus enregistrées par la police ou le juge suffisaient. Les avocats ont souvent rencontré des difficultés à accéder à temps à leurs clients détenus et aux pièces du dossier avant le début du procès.

Le 24 novembre 2000, le juge Tahar al-Yefreni a tenu à poursuivre le procès de huit hommes accusés d'appartenir à une organisation islamiste "non autorisée", malgré l'état comateux de deux prévenus en grève de la faim, Abdellatif Bouhjila et Yassine Benzarti, incapables de répondre aux questions. En signe de protestation, leurs avocats ont quitté la salle d'audience. Le juge a condamné les deux hommes respectivement à dix-sept et onze ans de prison. En mars, ce verdict a été confirmé en appel.

Dans d'autres affaires distinctes, trois Tunisiens vivant à l'étranger ont été arrêtés à leur arrivée à Tunis, informés qu'ils avaient été inculpés par contumace pour des délits politiques, puis ont été rejugés et emprisonnés. Mehdi Zougah, possédant la double nationalité franco-tunisienne, a été arrêté en 2000 et il lui a été signifié qu'il avait été inculpé pour avoir milité au sein du parti an-Nahda dix ans plus tôt, alors qu'il vivait en France. (La loi tunisienne permet de poursuivre en justice les Tunisiens ayant mené des activités politiques "illégales" à l'étranger, même lorsque ces activités sont légales dans le pays d'accueil.). Ces chefs d'inculpation, que M. Zougah a réfutés, étaient fondés sur le témoignage d'un dénonciateur qui se serait par la suite rétracté mais qui n'a pas été cité à comparaître à la barre des témoins. M. Zougah a de nouveau été inculpé le 22 février et condamné à deux ans de prison, dont un avec sursis. Il a été libéré le 30 mars et autorisé à rentrer en France, après que le président français Jacques Chirac eut évoqué son cas avec le président Ben Ali.

Haroun Mbarek, étudiant en droit, a été arrêté peu après avoir été expulsé du Canada vers la Tunisie, le 6 janvier. Au terme d'un procès très similaire à celui de M. Zougah, M. Mbarek a été inculpé et condamné à trois ans de prison en mars. Laissé en liberté provisoire le 26 mai, il est retourné au Canada en septembre, et le 4 octobre sa peine a été réduite en appel.

Lofti Farhat a eu moins de chance que Mehdi Zougah, qui disposait de la nationalité française, et que Haroun Mbarek, qui a bénéficié de la sollicitude embarrassée des autorités canadiennes. En août 2000, alors qu'il quittait la France pour un voyage en Tunisie, il a été appréhendé et placé en garde à vue dans une cellule du siège du ministère de l'Intérieur. Pendant sa détention, a-t-il confié à ses avocats, la police l'a passé à tabac, immobilisé dans des positions inconfortables et suspendu par les pieds en lui plongeant la tête dans un seau d'eau sale. Ce serait dans ces conditions qu'il a signé les aveux qui furent l'unique preuve retenue contre lui par le tribunal militaire qui l'a inculpé le 31 janvier et condamné à sept ans de prison pour complot contre l'État en tant que membre d'une organisation terroriste opérant à partir de l'étranger. Le tribunal militaire, dont le verdict ne pouvait faire l'objet d'aucun appel, a admis les "aveux" de Farhat, estimant que ses allégations de torture n'étaient "pas prouvées".

Les médias tunisiens ont continué de faire l'objet d'un contrôle étroit, malgré les appels répétés des autorités à plus d'audace. Dans une interview publiée le 11 mai dans la presse tunisienne, le président Ben Ali exhortait les journalistes à "[écrire] sur tous les sujets [qu'ils voudraient]; il n'y a pas de tabou, en dehors de ceux que prévoit la loi et que détermine l'éthique de la profession journalistique." Le Parlement a adopté des révisions au Code de la presse qui suppriment le délit de "diffamation de l'ordre public" et réduisent le nombre de délits de presse passibles de peines de prison.

Malgré ces mesures opportunes, seuls quelques magazines à faible tirage se sont risqués à émettre des critiques prudentes. Les quotidiens privés ne se sont guère démarqués de la presse officielle, à cette différence près qu'ils ont dénigré avec plus de virulence encore les détracteurs du régime. Les publications plus audacieuses ont été soit interdites, soit confisquées. Plusieurs éditions d'Al-Maoukif ("La Plate-forme"), organe du Rassemblement socialiste progressiste, petit parti légal, ont été saisies à l'imprimerie. Les autorités ont refusé d'accorder au journaliste de gauche Jalal Zoughlami une autorisation légale pour lancer le journal Kaws el-Karama ("L'Arc de dignité"). Passant outre cet empêchement, M. Zoughlami a tout de même décidé de faire paraître son journal, ce qui lui a valu d'être agressé le 3 février en plein centre de Tunis par des hommes armés de barres de fer, présumés appartenir à la police. Puis, le 6 février, il a de nouveau été agressé avec plusieurs de ses amis devant son domicile de Tunis par des policiers en civil. Les victimes avaient le visage en sang et présentaient plusieurs fractures osseuses. Le 21 février, alors que des membres de l'association française de défense de la liberté de la presse, Reporters sans Frontières (RSF), distribuaient le journal Kaws el-Karama dans les rues de Tunis, des policiers en civil ont saisi leurs exemplaires et expulsé vers la France deux représentants de RSF. Au 1er novembre, M. Zoughlami n'avait toujours pas obtenu de passeport.

La diffusion des éditions de journaux étrangers comportant des articles critiques à l'égard du régime tunisien a été interdite. Les lecteurs tunisiens n'ont ainsi pas pu se procurer le numéro du 6 avril du quotidien français Le Monde, qui publiait un entretien avec le nouveau ministre des Droits de l'Homme, Slaheddine Maâoui, prônant un nouvel esprit d'ouverture et de réforme.

La radio et la télévision publiques tunisiennes, contrôlées par l'État, se sont abstenues de tout commentaire négatif sur la politique gouvernementale, mis à part quelques critiques modérées entendues dans certaines émissions polémiques. Le 17 juillet, la télévision officielle a diffusé un débat exceptionnel sur la démocratie, au cours duquel l'opposant Ismaïl Boulahia a appelé à une plus grande indépendance de la justice.

Hamma Hammami, dirigeant du Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens (PCOT, interdit), est entré en février dans sa quatrième année de clandestinité. En 1999, il avait été condamné par contumace à neuf ans de prison pour "maintien d'une association qui appelle à la haine" et devait répondre d'autres chefs d'inculpation couramment invoqués pour bâillonner l'opposition politique pacifique. Deux de ses coaccusés, également inculpés, sont aussi restés dans la clandestinité en 2001.

Mohamed Mouada, l'ancien dirigeant du jadis puissant Mouvement des démocrates socialiste (MDS, légal), a été réincarcéré le 19 juin. Il avait bénéficié d'une libération conditionnelle en 1996 après avoir purgé un an d'une peine de onze ans d'emprisonnement prononcée sur la base d'accusations montées de toutes pièces. Il a été réincarcéré pour avoir cosigné avec le dirigeant en exil d'an-Nahda, Rachid Ghannouchi, un manifeste daté du 20 mars en faveur des libertés publiques et contre un quatrième mandat du président Ben Ali. M. Mouada s'est par ailleurs exprimé sur la chaîne de télévision al-Mustakillah, station satellite basée à Londres qui offre régulièrement une tribune aux dissidents tunisiens. Officiellement, l'arrestation de M. Mouada, aujourd'hui sexagénaire, a été justifiée par des infractions non précisées aux modalités de sa liberté conditionnelle.

Les prisonniers politiques et les anciens détenus ont entamé individuellement et collectivement des grèves de la faim pour protester contre leurs conditions de détention, l'absence de soins médicaux et le harcèlement de leurs familles. Parmi les prisonniers les plus mal traités, figuraient des dirigeants d'an-Nahda, tels qu'Ali Laadridh et Sadok Chorou, qui ont purgé plus de dix ans en détention solitaire et ont souvent été privés de tout matériel de lecture et de correspondance. Les détenus étaient généralement confinés dans des cellules collectives surpeuplées et insalubres, et les prisonniers politiques étaient constamment transférés d'un établissement pénitentiaire à un autre, au mépris de la proximité du lieu de résidence de leur famille.

En avril, le Parlement a adopté une loi de réforme des prisons qui, entre autres innovations, prévoit une séparation entre détenus en garde à vue et prisonniers condamnés et limite le droit des gardiens à recourir à la force. En octobre 2001, il était encore trop tôt pour juger de l'impact de ces nouvelles dispositions sur les conditions de détention. Aucune organisation indépendante n'a été autorisée à inspecter les prisons. Le Comité supérieur des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, nommé par l'État, a néanmoins bénéficié d'un accès illimité aux établissements pénitentiaires. Il n'a pas publié ses conclusions mais a affirmé dans une lettre adressée le 30 août à Human Rights Watch que ses rapports confidentiels remis au président Ben Ali avaient bel et bien contribué à améliorer les conditions de détention.

Les islamistes présumés libérés ont dû faire face à des mesures arbitraires comme la privation de passeport, des "contrôles administratifs" aussi contraignants qu'onéreux et des pressions visant à dissuader les employeurs de les embaucher. En août 2000, pour protester contre le harcèlement dont il faisait l'objet en tant qu'ancien détenu, Ali Sghaïer a emmené plusieurs de ses sept enfants au marché de Douz, brandissant une pancarte sur laquelle il avait inscrit : "On m'empêche de travailler et je ne peux plus nourrir mes enfants. Quelqu'un voudrait-il bien me les acheter ?" M. Sghaïer a presque aussitôt été arrêté et condamné à une nouvelle peine de six mois d'emprisonnement pour refus de se soumettre à un ordre extrajudiciaire, l'obligeant à se présenter régulièrement au poste de police local. Il a été libéré en février 2001.

Depuis l'Indépendance, les femmes tunisiennes ont réalisé des progrès considérables dans la lutte pour l'égalité avec les hommes - ce qui se traduit également par des restrictions de leurs droits politiques et civils. Au moins quatre militantes des droits de l'Homme ont été agressées par la police cette année et une a été incarcérée. La police a harcelé les épouses des islamistes présumés en prison ou en exil. Le principal groupe indépendant de défense des droits des femmes, l'Association tunisienne des femmes démocratiques (ATFD), a dans certains cas été empêchée d'organiser des réunions publiques.

En février, dans le canton de Genève, une victime de la torture a porté plainte contre l'ancien ministre de l'Intérieur Abdellah Kallel alors que celui-ci se rendait dans la ville suisse pour y subir une intervention de chirurgie cardiaque. Le plaignant accusait M. Kallel d'avoir ordonné et supervisé les tortures dont il avait été victime dans les locaux du ministère de l'Intérieur, à Tunis. Le procureur suisse, invoquant la ratification par la Suisse de la Convention des Nations Unies contre la torture, a estimé que la plainte était suffisamment fondée pour ouvrir une enquête préliminaire. Sur quoi, M. Kallel a précipitamment quitté le pays. En août, certains groupes de défense des droits de l'Homme ont protesté contre la désignation d'Habib Ammar à la tête du comité d'organisation des Jeux Méditerranéens qui se sont tenus à Tunis en septembre. M. Ammar avait selon eux été impliqué dans des cas de torture dans les années quatre-vingt, à l'époque où il travaillait au ministère de l'Intérieur.

Le président Ben Ali a publiquement déclaré à plusieurs reprises que les membres des forces de sécurité responsables d'abus seraient traduits en justice. Mais le fait même que des policiers en civil aient plus d'une fois brutalisé des avocats et des militants des droits de l'Homme dans des lieux publics, sans que soient prises en compte les plaintes des victimes ni les dépositions des nombreux témoins oculaires, a reflété le climat d'impunité qui règne en Tunisie. Exception encourageante, en juillet, quatre gardiens de prison ont été condamnés à quatre ans de prison ferme pour avoir torturé un prévenu de droit commun auquel l'État a été sommé de verser des indemnités.

LA POSSIBILITE DE SURVEILLER LES DROITS DE L'HOMME

Si les autorités ne sont pas allées jusqu'à réprimer les activités de défense des droits de l'Homme, elles ont cherché à les restreindre par des manœuvres d'intimidation et de harcèlement. Deux militants ont payé leur franc-parler d'une peine d'incarcération, et la direction dynamique de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH) a été harcelée pendant la majeure partie de l'année par des poursuites judiciaires encouragées par l'État.

La plainte contre la LTDH provenait de quatre de ses membres, après que le dirigeant du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir, eut condamné l'issue des élections internes à la Ligue en octobre 2000. Les plaignants demandaient au tribunal d'invalider le scrutin pour vice de procédure.

En novembre 2000, un tribunal de Tunis a prononcé un jugement portant sur la suspension provisoire de l'activité du Comité directeur récemment élu, lui interdisant l'accès aux locaux de la LTDH. Défiant ce verdict, le Comité s'est obstiné à publier des communiqués dénonçant les violations des droits de l'Homme et à se réunir dans des domiciles et des bureaux privés. La police a empêché la tenue de plusieurs réunions de la LTDH. Le président et le vice-président de la Ligue ont été convoqués au tribunal pour avoir refusé d'obéir à une décision de justice. Le 12 février, le parquet a décidé l'invalidation des élections de la Ligue, verdict qui a été atténué par une décision contradictoire prononcée en appel le 21 juin : la juridiction supérieure maintenait l'invalidation des élections mais ordonnait au Comité sortant d'organiser un nouveau scrutin. Les dirigeants de la Ligue ont poursuivi leurs activités, mais les incertitudes juridiques ont pesé sur la Ligue dont les réunions ont parfois été empêchées par la police.

Le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), l'autre grande association de défense des droits de l'Homme fondée en 1998, n'a toujours pas obtenu de statut légal. En décembre 2000, son co-fondateur, Nejib Hosni, a été renvoyé derrière les barreaux pour achever de purger une peine de huit ans de prison prononcée sur la base d'accusations de fraude fabriquées. Les autorités judiciaires ont justifié cette mesure en prétendant qu'il avait enfreint les modalités de sa libération conditionnelle en reprenant son activité d'avocat. Dans cette affaire, il semblait une fois de plus que M. Hosni a été incarcéré pour avoir défendu des accusés politiques, parmi lesquels des islamistes. Soutenu par le Conseil de l'ordre des avocats tunisiens et une campagne internationale, il a été libéré le 12 mai, dans le cadre d'une amnistie présidentielle. Sihem Ben Sedrine, porte-parole du CNLT et rédactrice en chef du journal en ligne Kalima, a été arrêtée le 26 juin à son retour de Londres où elle avait condamné la corruption du système judiciaire dans un entretien accordé à la chaîne al-Mustakilla. Déférée devant un juge, elle a dû répondre de "diffusion de fausses nouvelles" et diffamation envers un magistrat. Mme Ben Sedrine est restée en prison jusqu'au 11 août. Le 6 septembre, les autorités l'ont arbitrairement empêchée de quitter le territoire pour se rendre à l'étranger. A l'heure où nous bouclions ce rapport, la date de son procès n'avait pas été fixée.

Le 30 décembre 2000, Moncef Marzouki, ancien porte-parole du CNLT, a été inculpé de participation à une "association non autorisée" (le CNLT) et de "diffusion de fausses nouvelles" après avoir dénoncé le manque de transparence d'une fondation caritative publique. Lorsque, invoquant une justice aux ordres, il a refusé de faire appel du verdict le condamnant à un an de prison, c'est le procureur lui-même qui a demandé un procès en appel, jugeant la sentence trop clémente. M. Marzouki, qui avait déjà été démis de son poste de professeur de médecine en 2000, est en liberté provisoire, mais n'a cessé de faire l'objet de harcèlements. Sa ligne téléphonique a presque tout le temps été coupée; il était étroitement surveillé par la police qui a parfois interrogé les personnes venues lui rendre visite à son domicile de Sousse. Soumis à une interdiction de quitter le territoire, il n'a pu prendre le poste qui lui était proposé dans une université française. Il est resté privé du droit de voyager après que le 29 septembre, une cour d'appel a commué sa peine d'un an de prison ferme en peine avec sursis, mais maintenu la suspension de ses libertés civiles. Parmi les autres Tunisiens privés de passeport tout au long de l'année 2001 ou pendant la majeure partie de l'année, figuraient d'autres militants du CNLT, tels que Sadri Khiari et Nejib Hosni. Le 15 décembre 2000 et le 6 septembre 2001, un autre membre du CNLT, Omar Mestiri a été appréhendé par la police qui dispersait des rassemblements de militants des droits de l'Homme, embarqué dans une voiture banalisée, puis déposé quelques heures plus tard dans un endroit isolé.

Les policiers en civil en faction devant le bureau du CNLT en plein centre de Tunis ont souvent éconduit, voire agressé des individus qui tentaient de se rendre au siège de l'association. Le 1er mars, plusieurs membres du CNLT, dont Khedija Cherif, ont été passés à tabac et chassés. Le 10 mars, Mme Cherif a de nouveau été agressée près d'un tribunal par des hommes en civil qui lui ont confisqué des documents liés à la plainte qu'elle avait déposée pour l'agression précédente. Le ministre des droits de l'Homme, M. Slaheddine Maâoui, a affirmé dans Le Monde du 6 avril qu'un agent de police avait été sanctionné pour l'agression "intolérable" dont avait été victime Mme Chérif. Celle-ci n'a toutefois jamais été informée des suites données à l'affaire. Quelques jours plus tard, une autre militante, Souhayr Belhassen, vice-présidente de la LTDH, a été giflée et traitée de "traître" par des hommes en civil à l'aéroport de Tunis, après que des douaniers lui eurent confisqué des papiers qu'elle introduisait dans le pays.

Le président Ben Ali a lui-même contribué à assimiler les militants des droits de l'Homme à des "traîtres", en déclarant dans un entretien publié le 11 mai dans la presse tunisienne que "l'utilisation des droits de l'Homme comme alibi et surtout pour alimenter des campagnes hostiles est devenue une marchandise courante pour ceux qui se sont vendus à l'étranger."

Le 29 septembre, la police de Tunis a agressé deux délégués d'Amnesty International en visite officielle et a confisqué leur matériel de travail. Jérôme Bellion-Jourdan et Philippe Luther ont été arrêtés par des agents de la circulation, emmenés de force dans une voiture sans plaques d'immatriculation par des hommes en civil qui leur ont confisqué leurs effets par la force. Leur matériel leur a par la suite été restitué, mais ils n'ont pu récupérer ni leurs documents, ni leur film. Début novembre, les autorités tunisiennes n'avaient pas répondu à la plainte officielle d'Amnesty International sur cet incident.

La plupart des procès ont été ouverts au public et les diplomates et observateurs étrangers ont pu y assister librement. Cependant, le 28 janvier, l'avocat français Eric Plouvier, envoyé en observation au procès de la LTDH par l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, a été refoulé à la frontière tunisienne. La Tunisie n'a en outre pas levé l'interdiction d'entrer dans le pays dont font l'objet le chercheur d'Amnesty International, Donatella Rovera, et l'ex-président de la Fédération internationale des droits de l'Homme, Patrick Baudoin.

LE ROLE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE

L'Union européenne
L'UE a fait part aux autorités tunisiennes de son inquiétude quant aux atteintes aux droits de l'Homme, mais n'a en rien insinué que ces atteintes seraient susceptibles de compromettre l'Accord d'association avec la Tunisie, premier pacte bilatéral entre l'UE et un pays de la Méditerranée, signé voici trois ans.

Romano Prodi, premier président de la Commission européenne à se rendre en visite officielle en Afrique du Nord, a rencontré les autorités tunisiennes à Tunis, le 12 janvier. Dans une allocution prononcée ce jour-là, M. Prodi a indiqué que les négociations portaient sur le commerce et la coopération. Au lieu de profiter de ses déclarations publiques pour soulever la question des droits de l'Homme, M. Prodi a salué les réformes économiques de la Tunisie : "L'Union européenne respecte la souveraineté politique de la Tunisie et ne veut pas s'ingérer dans les affaires intérieures du pays," a-t-il souligné. Le 19 juin, lors de sa rencontre à Tunis avec le président Ben Ali et le Premier ministre Mohamed Ghannouch, le Commissaire européen Chris Patten a en revanche accordé davantage de place à la question des droits de l'Homme. Le 14 décembre 2000, le Parlement européen a adopté une résolution engageant les institutions européennes à "mettre en œuvre tous les moyens prévus par l'accord d'association entre l'UE et la Tunisie pour obtenir le respect des libertés démocratiques et des droits de l'Homme" et, considérant que "l'accord d'association entre l'Union européenne et la Tunisie établit comme un élément essentiel la promotion des droits de l'Homme", a déploré que ce dialogue franc et ouvert "n'ait pas suffi à inciter les autorités tunisiennes à progresser sur la voie de la démocratie et des droits de l'Homme."

La France
La France est le premier partenaire commercial de la Tunisie. Avec quelque 100 millions de dollars de prêts et subventions, elle accorde à la Tunisie une aide par habitant bien plus substantielle que celle qu'elle concède à tout autre pays.

En 2000, les questions des droits de l'Homme ont commencé à entamer ces étroites relations et le gouvernement français est officiellement sorti de sa réserve publique. Les pressions exercées sur Paris ont été en partie le fait d'une communauté de défenseurs de droits de l'Homme plus assurée en Tunisie et de ses sympathisants en France. Le 25 janvier 2001, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme a en outre engagé le gouvernement français à réagir plus vivement à "la dégradation de l'état des libertés publiques et des droits de l'Homme en Tunisie." Le bureau national du parti socialiste français - formation politique du Premier ministre Lionel Jospin - a publié en avril 2001 une déclaration estimant qu'il "ne pourra désormais entretenir des relations normales" avec le parti au pouvoir en Tunisie, tant que "la LDH et les organisations démocratiques seront en pratique réduites au silence."

Au cours des seuls mois de janvier et février, les autorités françaises ont publiquement déploré l'inculpation de Moncef Marzouki, les pressions exercées à l'encontre de la LTDH, le refus de laisser entrer en Tunisie l'observateur français Eric Plouvier, le passage à tabac par "des inconnus" de Jalal Zoughlami et "l'usage croissant de la violence par les forces de sécurité tunisiennes à l'égard des défenseurs des droits de l'Homme." L'ambassade de France a par ailleurs envoyé plus régulièrement des observateurs assister aux procès politiques.

Dans son édition du 1er avril, le journal Le Parisien citait le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, qui affirmait qu'"une frustration démocratique grandit en Tunisie," et que la "réussite économique" devrait permettre au pays de "franchir quelques étapes en matière de démocratisation".

Le 31 mai, après un report de la date de son voyage suite à un désaccord sur des questions relatives aux droits de l'Homme, le ministre français de la Coopération Charles Josselin a été le premier membre du gouvernement français à se rendre en visite officielle en Tunisie depuis un an. Selon un article du Monde daté du 5 avril, les autorités tunisiennes avaient menacé de limiter les entretiens à haut niveau de M. Josselin au cas où il rencontrerait également un groupe de militants des droits de l'Homme, parmi lesquels des représentants du CNLT qui n'a aucune reconnaissance légale (voir ci-dessus). Au bout du compte, M. Josselin a eu une entrevue avec un groupe plus restreint de militants des droits de l'Homme et a pu s'entretenir avec le président Ben Ali et d'autres hauts responsables du pays, avec lesquels il aurait abordé la question des droits de l'Homme.

Les États-Unis
Bien que la Tunisie n'ait pas constitué une priorité de leur politique étrangère, les États-Unis ont considéré ce pays comme un allié dans une région agitée, engagé sur la voie des réformes économiques et favorable aux initiatives étasuniennes. Les États-Unis ont mené plusieurs exercices militaires conjoints avec la Tunisie, mais ne lui ont fourni qu'une aide étrangère minimale. Il n'y a eu au cours de l'année écoulée que de rares rencontres bilatérales, et Washington n'a fait aucune déclaration sur la situation des droits de l'Homme.

Pour ce qui est de la promotion des droits de l'Homme, les principales contributions des États-Unis tiennent au chapitre détaillé du Rapport par pays du Secrétaire d'État américain sur les pratiques en matière de droits de l'Homme, publié par le Département d'État, et à l'évaluation suivie des conditions sur le terrain, assurée par un membre de l'ambassade étasunienne. Les diplomates américains ont par ailleurs régulièrement rencontré des militants des droits de l'Homme et assisté à de nombreux procès politiques, y compris ceux des défenseurs des droits de l'Homme et des islamistes. L'ambassade n'a pas publiquement exprimé les inquiétudes de Washington, mais a assuré à Human Rights Watch qu'elle profitait "de nombreuses occasions pour aborder le sujet des droits de l'Homme avec le gouvernement tunisien."

Rapport de Human Rights Watch sur la Tunisie : A Lawsuit Against Human Rights: An Assault on all Rights Activists. 4/01.
Human Rights Watch / Moyen-Orient et Afrique du Nord
Human Rights Watch est une organisation non gouvernementale établie en 1978 dans le but d'observer et de promouvoir les droits humains internationalement reconnus en Afrique, dans les Amériques, en Asie, au Moyen-Orient et parmi les signataires des accords d'Helsinki. L'organisation est financée par des contributions de personnes privées et de fondations à travers le monde. Human Rights Watch n'accepte pas de contribution directe ou indirecte de la part de gouvernements. Kenneth Roth est le directeur exécutif et Jonathan Fanton est le président du conseil. Sa division Moyen-Orient a été créée en 1989 pour surveiller et promouvoir le respect des droits de l'Homme internationalement reconnus au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Hanny Megally est directeur exécutif.