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Rapport Mondial 2002 : Nigeria FREE    Recevez des Nouvelles 
mai 2002

NIGERIA

Les Bakassi Boys : légitimation du meurtre et de la torture


Resume et Recommendations



RESUME

La violence liée à l'autodéfense et les abus commis par les groupes d'autodéfense ont atteint des proportions alarmantes au Nigeria, au cours des dernières années. En dépit des promesses répétées du gouvernement de s'attaquer au crime, de réformer la police et d'augmenter ses effectifs, le nombre de vols à main armée et d'autres formes de crimes violents reste très élevé au Nigeria. La grand public a toujours aussi peu confiance en sa police qu'il perçoit comme inefficace, corrompue et souvent complice de crimes. Dans plusieurs régions du pays, en particulier dans les grandes villes, les gens se sentent si frustrés et démunis face à l'incapacité de la police à assurer leur sécurité qu'ils ont pris en main la question du respect de la loi et ont formé des groupes d'autodéfense. Dans certains états, ces groupes d'autodéfense ont été officiellement approuvés par les gouvernements de ces états et ont été utilisés non seulement pour lutter contre le crime mais aussi pour s'en prendre précisément aux opposants politiques. Ces groupes sont responsables de graves atteintes aux droits humains, notamment de nombreuses exécutions sommaires, actes de torture et détentions arbitraires sur de longues périodes.


Sur le même thème

En français :

HRW documents sur L'Afrique de L'Ouest

En anglais :

THE BAKASSI BOYS: The Legitimization of Murder and Torture
May 2002, HRW complete report

HRW documents about Nigeria


 
Parmi les plus célèbres groupes d'autodéfense se trouvent les Bakassi Boys, actifs dans plusieurs états du sud-est du Nigeria. Initialement créés par des commerçants pour lutter contre le crime généralisé, dans les grands bourgs que sont Aba, dans l'état d'Abia et Onitsha, dans l'état d'Anambra, les Bakassi Boys ont depuis étendu leurs opérations vers d'autres régions des états d'Abia, d'Anambra et d'Imo, avec le soutien actif des gouvernements de ces états. Dans l'état d'Anambra, ils ont été légalement reconnus, par le biais d'une loi exceptionnelle adoptée en août 2000. Les méthodes utilisées par les Bakassi Boys pour mener à bien leur "mission" sont extrêmement brutales, impitoyables et arbitraires. De nombreuses personnes ont été exécutées hors de tout cadre légal ou mutilées en public par les Bakassi Boys. Des centaines d'autres ont été torturées et détenues dans leurs "cellules". Peu de gens semblent mettre en question la légalité de ces actions. De larges segments du public, des médias et certains hommes politiques ont applaudi l'action des Bakassi Boys parce qu'ils ont "réussi" à faire baisser le taux de criminalité dans les régions où ils opèrent. De la même façon, peu de gens ont mis en doute l'affirmation des Bakassi Boys selon laquelle toutes les personnes qu'ils prennent pour cibles sont des criminels reconnus. La plupart des gens ont préféré fermer les yeux sur le fait que nombre des victimes des Bakassi Boys sont peut-être innocentes et que même celles qui sont coupables doivent jouir du droit fondamental à être traitées selon un processus légal.

Du côté du grand public comme des hommes politiques, il semble y avoir un consensus général pour accepter l'idée que seule la violence peut combattre la violence. Règne également une tolérance inquiétante à l'égard de ces groupes qui sont autorisés à opérer pratiquement en toute impunité. L'encouragement à la violence liée à l'autodéfense contribue actuellement à rendre la société plus brutale et perpétue l'anarchie et le crime tout en prétendant combattre ce dernier. A travers les actions des Bakassi Boys, dans les villes où ils opèrent, le vol à main armée a été partiellement remplacé ou déplacé au profit d'une autre forme de violence, plus insidieuse mais tout aussi brutale, par ailleurs cautionnée par les autorités. Selon les propres mots d'un homme détenu et torturé par les Bakassi Boys à Onitsha : "La paix que nous avons maintenant, c'est celle des cimetières."

Des chercheurs de Human Rights Watch et du Centre for Law Enforcement Education (CLEEN), une organisation non-gouvernementale nigériane basée à Lagos, se sont rendus dans les états du sud-est du Nigeria, Enugu, Anambra, Imo et Abia, en octobre 2001. Ils y ont rencontré un large éventail de personnes, notamment des victimes d'abus commis par les Bakassi Boys, des défenseurs des droits humains, des avocats, des autorités policières et les chefs des groupes d'autodéfense eux-mêmes. Malheureusement, les gouverneurs des états où sont actifs les Bakassi Boys ne nous ont pas accordé d'entretiens, en dépit de nos nombreuses demandes pour les rencontrer. Nombre de victimes d'actes de torture et d'autres abus commis par les Bakassi Boys ont couru de graves risques en acceptant de témoigner. Certains de leurs noms sont par conséquent omis de ce rapport afin de les protéger. D'autres, en revanche, voulaient que leur cas soit rendu public afin de montrer la brutalité des Bakassi Boys et l'impunité qui les protège.

Les recherches conduites par Human Rights Watch et CLEEN ont confirmé que non seulement les Bakassi Boys s'en prennent délibérément à des criminels, réels ou supposés mais qu'ils sont aussi de plus en plus utilisés pour atteindre d'autres objectifs. S'éloignant de leur "mission" initiale de lutte contre le crime, les Bakassi Boys ont été requis pour régler des disputes personnelles entre des individus, pour intimider et tenter d'éliminer des personnes perçues comme des opposants politiques aux gouverneurs d'états. Ils ont tué et torturé en toute impunité, sous la protection des autorités de l'état. Dans l'état d'Anambra en particulier, ils se sont livrés à de graves atteintes aux droits humains avec le soutien actif du gouvernement de l'état et d'individus proches du gouvernement, certains d'entre eux étant soupçonnés d'avoir été personnellement impliqués dans des cas de détention illégale, de torture et de meurtres. Dans plusieurs cas pour lesquels Human Rights Watch et CLEEN ont recueilli des informations, il est apparu qu'une communication rapprochée et régulière existait entre les responsables des groupes d'autodéfense et des personnalités officielles du gouvernement de l'état d'Anambra et que les Bakassi Boys recevaient leurs instructions directement du gouvernement de l'état. Dans un cas, par exemple, les Bakassi Boys sont entrés de force dans la maison d'un homme qu'ils ont enlevé puis tué, en annonçant : "Nous sommes les Bakassi Boys. C'est un ordre du gouvernement."1 Dans un autre cas, les Bakassi Boys ont déclaré à un homme qu'ils avaient enlevé : "Le gouvernement veut ta mort." 2 Dans certains des rares cas où des membres des Bakassi Boys ont été arrêtés, des responsables du gouvernement de l'état sont intervenus afin de s'assurer qu'ils seraient rapidement relâchés et qu'ils ne seraient pas jugés pour une quelconque infraction pénale.

Certains craignent que dans la période conduisant aux élections de 2003 au Nigeria, les Bakassi Boys ainsi que des groupes d'autodéfense dans d'autres régions du pays, ne soient de plus en plus utilisés comme un outil pratique pour mener à bien des actes de violence motivés par des raisons politiques. Certains redoutent également qu'ils ne soient utilisés par de puissants politiciens locaux pour faire taire les voix de l'opposition. Les tensions entre la police et les Bakassi Boys pourraient aussi augmenter au cours de cette période si les gouverneurs d'état intensifient le déploiement des Bakassi Boys contre leurs opposants. La police reste une institution nationale, responsable devant le gouvernement fédéral et non devant les gouvernements de chaque état. Nombreux sont les gouverneurs d'état, dans tout le Nigeria, qui ont appelé à la création de forces de police propres à leur état - une demande à laquelle s'est fortement opposé le gouvernement fédéral. En attendant, les gouverneurs des états du sud-est utilisent les Bakassi Boys comme substituts à leurs propres forces de police. Les Bakassi Boys leur offrent l'avantage de pouvoir être déployés et utilisés comme bon leur semble. Ils ne disposent d'aucune structure ni d'aucun mécanisme de régulation et ils ne sont responsables devant personne.

Dans cette période critique, il est essentiel que le gouvernement fédéral agisse rapidement - comme il aurait déjà dû le faire depuis longtemps - pour éviter une escalade de la violence et pour restaurer le respect à l'égard des agences dûment responsables du maintien de l'ordre. A long terme, la tolérance ou pire encore, une acceptation officielle et active de la violence des groupes d'autodéfense va encourager des segments du public à continuer à s'emparer de la loi et va saboter toute tentative pour améliorer la conduite et l'efficacité des forces de sécurité et du système de justice dans son ensemble.

Human Rights Watch et CLEEN pensent que les fonctions de maintien de l'ordre, dans quelque pays que ce soit, doivent être remplies par des agences officielles de maintien de l'ordre et que des efforts doivent être entrepris pour s'assurer que ces agences sont capables de travailler efficacement, avec une formation et des ressources adaptées et sans violer les droits humains. L'existence d'un cadre légal clair est essentielle pour assurer que toutes les agences de maintien de l'ordre travaillent dans le cadre de l'état de droit et qu'elles sont redevables de leurs actes, au sein de structures et mécanismes officiels, afin de prévenir les abus et les erreurs de justice.

Des groupes d'autodéfense auto-proclamés ne devraient jamais se substituer aux agences de maintien de l'ordre. Dans certaines circonstances, des membres du grand public peuvent coopérer avec la police et la soutenir dans ses fonctions de contrôle du crime. Cependant, si des citoyens participent à des opérations comme celles "des patrouilles de surveillance des quartiers" (neighborhood watches), cette participation doit être régulée par une loi et il doit y avoir des mesures adaptées pour veiller au respect de l'obligation de rendre des comptes et pour prévenir les abus.3 Les sections 12 et 14(1) du Nigerian Criminal Procedure Act (CPA) autorisent les arrestations conduites par des personnes privées. La section 12 affirme : "Toute personne privée peut, dans un état, procéder à l'arrestation de toute personne, qui selon elle commet un délit tombant sous le coup de la loi ou pour laquelle il est permis de soupçonner qu'elle a commis un délit […]". Cependant, la section 14(1) ajoute : "Toute personne privée arrêtant une quelconque autre personne sans mandat, devra aussi rapidement que possible remettre la personne ainsi arrêtée à un officier de police ou en l'absence d'un officier de police, devra conduire cette personne au poste de police le plus proche." Détention et poursuites judiciaires ne doivent être mises en œuvre que par des agences officiellement et légalement chargées de le faire. Si, comme dans le cas du Nigeria, ces agences se sont révélées incapables de remplir efficacement ces fonctions, le gouvernement devrait prendre des mesures pour les réformer et améliorer leurs relations avec les communautés afin qu'elles soient en mesure d'accomplir correctement leurs tâches.

L'application du droit coutumier au Nigeria offre un contexte parallèle dans lequel la marge d'action des groupes d'autodéfense a pu être interprétée différemment. Par le passé, des communautés à travers tout le Nigeria ont disposé de pouvoirs pour faire appliquer le droit coutumier. Bien que le droit coutumier, selon le Traditional Rulers' Edict, soit techniquement limité aux affaires civiles plutôt que criminelles, une telle distinction a perdu de son acuité, dans la théorie comme dans la pratique, en particulier pour des délits comme les menus larcins. Le manque de clarté concernant l'application du droit coutumier, ainsi que des interprétations fluctuantes de codes judiciaires parallèles, ont créé suffisamment d'ambiguïtés pour que l'action des groupes d'autodéfense puisse régulièrement prendre de l'ampleur.

Le Nigeria est un état partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR). Les meurtres hors de tout cadre légal et les actes de torture perpétrés par les Bakassi Boys ainsi que la tolérance manifestée par les autorités gouvernementales des états pour ces abus violent clairement les articles 6 et 7 de l'ICCPR. L'Article 6 affirme : "Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie." L'Article 7 affirme : "Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants." Le Nigeria est également un état partie à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dont l'Article 1, dans sa définition de la torture, fait référence à la douleur ou à des souffrances "infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite." L'Article 2 exige de chaque état partie qu'il prenne "des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction."

De la même façon, les arrestations et les détentions réalisées par les Bakassi Boys équivalent à une violation de l'article 9 de l'ICCPR qui affirme : "Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs prévus par la loi et conformément à la procédure également prévue par la loi. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus bref délai, de toute accusation portée contre lui. […] Quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale." Les actions des Bakassi Boys, souvent accomplies avec le soutien des autorités de l'état ignorent également les garanties en matière de procédure légale que protège l'Article 14 de l'ICCPR ainsi formulé : "Toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie." Des dispositions identiques figurent à la fois dans la constitution nigériane et dans la Charte africaine sur les droits des hommes et des peuples, qui a été intégrée dans le droit national nigérian.

En tant que responsables gouvernementaux, tous les gouverneurs du Nigeria ont la responsabilité de s'assurer que les droits humains sont protégés dans leur état et que les agences de maintien de l'ordre, ainsi que les autres groupes auxquels ils délèguent les fonctions de maintien de l'ordre, respectent les droits humains en toute circonstance, en accord avec les normes internationales, y compris le Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l'application des lois. Les gouverneurs des états où opèrent les Bakassi Boys ont de toute évidence échoué à assumer ces responsabilités. Nombre de recommandations dans ce rapport sont adressées à la fois aux gouvernements des états et au gouvernement fédéral qui doivent travailler de concert pour enquêter sur les atteintes aux droits humains commises par les groupes d'autodéfense et pour les prévenir. Cependant, au vu de l'implication directe des gouvernements des états dans les activités des Bakassi Boys et de leur évidente réticence à lancer toute forme d'action pour contrôler ces derniers, la responsabilité de prévenir des violences supplémentaires de la part des groupes d'autodéfense dans le sud-est incombe essentiellement maintenant au gouvernement fédéral. En plus d'assumer la responsabilité finale pour ces abus tolérés ou cautionnés par les autorités des états, le gouvernement fédéral doit assumer la responsabilité des conséquences à long terme issues de cette situation. Certaines de ces conséquences sont décrites dans ce rapport. Des considérations politiques, comme ne pas souhaiter déclencher l'hostilité de certains politiciens dans les états, en période de préparation des élections de 2003, ne devraient pas empêcher le gouvernement d'adopter de toute urgence les mesures suivantes.

RECOMMANDATIONS

Au gouvernement nigérian :
  • Désarmer et dissoudre les Bakassi Boys. S'assurer qu'aucune organisation similaire n'est mise en place pour les remplacer.
  • Procéder à la fermeture de tous les centres de détention et de toutes les cellules utilisés par les Bakassi Boys.

Enquêtes et poursuites judiciaires :
  • Enquêter sur les abus contre les droits humains commis par les Bakassi Boys dans les états d'Abia, d'Anambra et d'Imo, y compris les cas spécifiques de détention illégale, torture et exécutions extrajudiciaires cités dans ce rapport, ainsi que d'autres qui ont été rapportés. Des dossiers devraient être établis sur tous les cas connus d'atteintes aux droits humains commis par les Bakassi Boys. La police devrait leur donner suite dans l'intention de conduire à des poursuites judiciaires.
  • Rendre publics les résultats de ces enquêtes.
  • S'assurer que les responsables de ces abus sont traduits en justice, y compris ceux qui ont commis les abus, ceux qui les ont ordonnés et les individus qui ont loué les services des Bakassi Boys pour des objectifs ayant conduit à des atteintes aux droits humains.
  • Enquêter sur le rôle plus large joué par les gouverneurs d'état en donnant l'ordre, en encourageant ou en tolérant les abus contre les droits humains commis dans leur état par des groupes d'autodéfense.
  • Offrir des compensations aux victimes de détentions illégales, de tortures et de mauvais traitements perpétrés par les Bakassi Boys et aux parents de ceux qui ont été tués.


Prévention de violences supplémentaires liées à l'autodéfense :

Human Rights Watch et CLEEN reconnaissent que certaines formes d'implication des citoyens dans le contrôle des crimes peuvent contribuer de façon utile à la sécurité locale. Cependant, des mesures devraient être prises pour s'assurer que tout groupe se consacrant à la lutte contre le crime, effectivement actif, est tenu pour responsable de ses actions et que ses activités sont étroitement surveillées afin de prévenir tout abus. Il devrait être exigé de tels groupes qu'ils remettent immédiatement à la police tout suspect qu'ils pourraient détenir. Quelles que soient les circonstances, ils ne devraient jamais être autorisés à détenir des gens, ni à "faire leur procès", ni à les "juger", ni à leur administrer des sanctions.

  • Abroger les lois approuvant les activités des Bakassi Boys, en particulier la loi établissant l'Anambra State Vigilante Services. Les lois passées au niveau des états et au niveau fédéral devraient suivre les mêmes règles, basées sur des normes internationales concernant l'implication des citoyens dans la mise en œuvre de la loi, les polices communautaires et autres sujets proches.

  • S'assurer que les gouverneurs n'introduisent pas les Bakassi Boys ou des groupes de même type dans leur état ni ne permettent leur introduction. Encourager publiquement et soutenir les gouverneurs qui ont jusqu'à ce jour résisté à la pression publique favorable à leur introduction.

  • S'assurer que toute force jouissant des pouvoirs de mise en application de la loi, avec l'approbation du gouvernement, observe les normes internationales en matière d'application de la loi, y compris le Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l'application des lois et les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois. S'assurer que les membres de cette force sont correctement formés en application des normes citées ci-dessus.

  • S'assurer que toute personne soupçonnée d'avoir commis un crime est arrêtée, que le crime fait l'objet d'une enquête et le cas échéant, que l'auteur présumé est inculpé et jugé dans un délai raisonnable, uniquement par des autorités compétentes, légalement habilitées à remplir de telles fonctions. La présomption d'innocence et le droit à la vie et à l'intégrité physique devraient être respectés dans tous les cas.

  • Entreprendre une campagne publique d'éducation afin que les gens prennent conscience de l'illégalité des opérations des groupes d'autodéfense tels que les Bakassi Boys et du fait qu'ils violent régulièrement les droits humains. Affirmer publiquement que les individus qui embauchent les Bakassi Boys pour servir leurs propres fins seront traduits en justice.

    Une telle campagne devrait être menée dans toutes les zones où opèrent les Bakassi Boys et devrait être conduite en consultation, et le cas échéant, en collaboration avec des organisations de défense des droits humains, des avocats et d'autres groupes concernés par ces problèmes dans la communauté.

  • Accorder une attention particulière aux risques d'escalade de la violence en période pré-électorale, dans les états où les Bakassi Boys ou des groupes d'autodéfense similaires sont actifs. Prendre des mesures préventives, notamment celles listées plus haut, pour empêcher des candidats aux élections et leurs partisans de recourir aux Bakassi Boys ou à des groupes similaires, contre leurs opposants. Tout candidat pour lequel une cour de justice ou une commission électorale indépendante découvrirait qu'il a eu recours à des groupes d'autodéfense ou donné l'ordre de recourir à la violence d'autodéfense pour faire avancer ses objectifs politiques devrait se voir interdit de participation au scrutin.


Réforme de la police :

  • Consacrer rapidement son attention et des ressources financières généreuses à la réforme et l'amélioration des forces de police nationales pour leur permettre de mener à bien leur mission de façon efficace. Si restaurer le respect et la confiance du public pour la police est un objectif de long terme, des mesures immédiates peuvent être prises pour amorcer ce processus. Le gouvernement devrait payer correctement et dans des délais normaux, les officiers de police. Il devrait également améliorer leurs conditions de travail, leur bien-être et leur équipement dans la perspective d'améliorer leur moral. Des mécanismes devraient être mis au point pour éradiquer la corruption dans la police et traduire en justice les officiers de police responsables de violations des droits humains. La police devrait avoir accès à des formations approfondies qui pourraient être suivies en conjonction avec des organisations de défense des droits humains possédant une expertise en la matière. Ces formations devraient couvrir la question de l'application concrète des normes internationales en matière de droits humains, notamment le Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l'application des lois et les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois.

    Dans les états où les Bakassi Boys sont actifs, des mécanismes de soutien et d'encouragement devraient être spécialement mis à disposition des forces de police pour leur permettre de mener à bien leurs fonctions, y compris l'arrestation et la traduction en justice de tout membre des Bakassi Boys présumé responsable d'abus. Les forces de police devraient etre soutenues dans leurs efforts pour resister aux pressions politiques provenant des autorites gouvernementales de l'etat ou d'autres demandant la liberation sans inculpation de membres des Bakassi Boys qui ont ete arretes, ou demandant des actions de police fondees sur des partis pris politiques.

  • Promouvoir le dialogue et la coopération entre la police et les communautés locales afin de les encourager à travailler ensemble dans la lutte contre le crime. Des forums de discussion sur le travail de la police devraient être créés dans tous les postes de police du Nigeria, au niveau local et à celui de la division afin que les priorités de la police puissent intégrer les préoccupations de la communauté. De telles mesures contribueront finalement à créer une situation dans laquelle les gens ne ressentiront plus la nécessité de se tourner vers des groupes d'autodéfense comme celui des Bakassi Boys pour faire appliquer l'ordre et la justice.

  • L'éventail des situations permettant des contacts entre police et citoyens devrait être élargi pour englober des cas de figure où la police remplit des fonctions plus "sociales". Par exemple, la police devrait apporter assistance au grand public de façon pratique, au cours de ses activités quotidiennes plutôt que de réagir automatiquement aux situations, d'une façon agressive ou menaçante. Ceci créerait un environnement favorable à long terme à une coopération entre le public et la police, dans ses devoirs de mise en application de la loi.

  • Le grand public devrait être éduqué sur le rôle et les pouvoirs de la police et sur ceux de citoyens privés en matière d'assistance à la police. L'importance de la coopération entre grand public et police devrait être soulignée afin de promouvoir une sécurité d'ensemble, tant individuelle, communautaire que nationale.

  • Les candidats potentiels à l'entrée dans les forces de police devraient être minutieusement sélectionnés et testés au cours de leur formation initiale avant d'être définitivement enrôlés. Ces mesures ont pour but de s'assurer que ces candidats possèdent les qualités appropriées, ont une bonne compréhension de leur rôle en matière de maintien de l'ordre et ne sont pas connus pour avoir fait preuve de comportements violents ou avoir trempé dans des affaires de corruption. Des cours de perfectionnement devraient être périodiquement organisés pour tous les niveaux de personnel dans la police afin d'approfondir leurs compétences professionnelles et leur permettre de comprendre les changements et les dynamiques affectant les sphères politiques, sociales et économiques du pays et ayant des conséquences sur leur travail.

  • La Police Nationale nigériane devrait changer ses pratiques et son style en matière d'application de la loi, actuellement caractérisés par des manières réactives. La priorité devrait plutôt être donnée à des stratégies policières dynamiques de prévention comme les rondes à pied et la recherche par la police de solutions, en partenariat avec la communauté.


Aux gouvernements étrangers et aux organisations intergouvernementales :
  • Condamner avec fermeté les atteintes aux droits humains commises par les Bakassi Boys ainsi que la tolérance pour ces atteintes ou les encouragements en ce sens manifestés par les gouvernements des états. Insister sur la responsabilité du gouvernement fédéral dans la prévention de ces abus, compte tenu du manque de volonté des gouvernements des états d'agir en ce sens. Exhorter le gouvernement nigérian à mettre en œuvre les recommandations formulées ci-dessus et à agir rapidement pour prévenir une escalade de la violence dans la période préalable aux élections.

  • Les gouvernements apportant une assistance au Nigeria dans le domaine de la réforme du secteur judiciaire et des forces de sécurité, en particulier le Royaume Uni et les Etats Unis, sont encouragés à veiller à ce que toute formation qu'ils fournissent ou toute autre forme d'aide qu'ils apportent comporte, en bonne place, une composante droits humains. Les gouvernements qui sont déjà en train de planifier des programmes pour faciliter la réforme de la police nigériane devraient s'assurer que ceux-ci comportent une formation, tant pratique que théorique, sur les normes en matière de droits humains, en particulier le Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l'application des lois et les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois. Ils devraient mettre en place des mécanismes pour contrôler régulièrement la façon dont ces normes et les droits humains sont respectés par les forces même qu'ils ont aidées ou formées.



1 Voir les détails du meurtre du prophète Eddie Okeke dans la Section IV,1. (en anglais)
2 Voir les détails de l'arrestation et de la torture de Ifeanyi Ibegbu, dans la Section IV,1. (en anglais)
3 En plus des groupes d'autodéfense comme celui des Bakassi Boys, certains groupes locaux de surveillance des quartiers, dans plusieurs régions du Nigeria, sont également responsables d'abus et d'excès.