Africa - West

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VIII. PASSE INCERTAIN, AVENIR INCERTAIN : LES MASSACRES DE CIVILS AU NORD-KIVU AUJOURD'HUI

La plupart des massacres de civils perpétrés aujourd'hui au Congo le sont dans la province du Nord-Kivu, échantillon de ce que pourrait être le pire des avenirs pour ce pays nouvellement rebaptisé Congo. Le Nord-Kivu a connu plusieurs vagues d'immigration du Rwanda depuis les années 1920, mettant en place les conditions pour qu'explosent les violences ethniques que l'on a connu ces dernières années et sur lesquelles l'Etat avait fermé les yeux. C'est surtout depuis mars 1993 que les civils de la région ont été victimes de la politique gouvernementale qui a incité les extrémistes et les chefs des communautés à prendre les armes pour résoudre leurs conflits. Ces différends tournent autour de trois thèmes étroitement mêlés : le pouvoir coutumier et civil, la citoyenneté et le droit foncier. Ces problèmes, que le régime Mobutu a laissé couver, doivent encore être résolus par le nouveau gouvernement de l'AFDL.

Le conflit au Nord-Kivu s'est compliqué et a été exacerbé par l'arrivée dans la région des ex-FAR et des milices armées en juillet 1994. A ce moment, les alliances entre groupes ethniques ont changé, comme elles l'ont d'ailleurs fait à plusieurs reprises au Nord-Kivu de 1993 à ce jour, alors que les exactions infligées par des groupes armés à la population civile restaient une constante. Depuis la fin 94 jusqu'à l'arrivée de l'AFDL au Nord-Kivu, les victimes civiles se sont comptées par centaines, et des milliers de personnes appartenant à une diversité de groupes ethniques incluant les Tutsi, Hutu, Hunde, Nyanga, Tembo et Nande, ont été déplacées.

Sous le régime Mobutu, les civils appartenant aux Hunde et à d'autres groupes ethniques indigènes de la zone du Masisi sont devenus la cible des FAZ pendant les opérations "Mbata" et "Kimia" menées en 1996 par les FAZ avec pour objectif l'élimination des milices armées de ces groupes ethniques113 . Les communautés hutu du Nord-Kivu ont été victimes d'attaques fréquentes en 1995 et 1996 et ont été déplacées par ces milices qui cherchaient à forcer tous les Banyarwanda114 , y compris les réfugiés hutu, à "rentrer au Rwanda". De la mi 1994 à octobre 1996, l'ethnie tutsi au Nord-Kivu a fait l'objet d'attaques de plus en plus fréquentes des milices hutu et des ex-FAR. En raison de ces attaques, des milliers de Tutsi ont fui le Nord-Kivu tout au long de l'année 1996 pour se rendre dans des camps de réfugiés au Rwanda. Mois après mois et ce jusqu'en octobre 1996, sur tout le territoire congolais, l'ethnie tutsi a été soumise à des pressions de plus en plus fortes pour qu'elle fuie le Congo, suite à une campagne d'intimidation chapeautée par l'Etat115 .
Sous l'AFDL, les massacres de civils se sont poursuivis au Nord-Kivu et ont pris une ampleur alarmante, particulièrement au cours des premiers mois de la guerre et d'avril 1997 à aujourd'hui. Bien que dans certains cas, les victimes peuvent être associées aux combats entre l'AFDL ou ses alliés et leurs ennemis des ex-FAR, des ex-FAZ et des milices armées, de nombreux civils ont été délibérément attaqués par ces différents groupes armés et l'AFDL, faisant des centaines de victimes116 -117 .

Bon nombre des massacres de ces derniers mois ont été associés à des problèmes non résolus de droits sur les terres, de pouvoir coutumier et de leadership politique. Avec l'arrivée de l'AFDL en octobre et novembre 1996 et la dispersion des ex-FAR et des Interahamwe, beaucoup de Congolais de l'ethnie tutsi ont tenté de quitter leur exil au Rwanda pour revenir sur leurs terres dans la zone du Masisi. Leur retour, s'ajoutant aux rumeurs d'une annexion du Nord-Kivu et du Sud-Kivu par le Rwanda, à l'installation de Tutsi à des postes dans la nouvelle administration civile et à la répression brutale imposée par l'AFDL et les forces de l'APR dans le Masisi, a accru les tensions entre les civils tutsi et les autres groupes ethniques. Beaucoup de Tutsi rentrés d'exil ont été attaqués par ce qu'ils ont qualifié de mélange d'ex-FAZ, d'ex-FAR et de membres de milices de groupes indigènes, dont les Mai-Mai118 .

Ces attaques ont provoqué plusieurs déplacements massifs de civils tutsi au Nord-Kivu et un nombre indéterminé de victimes civiles. En juillet 1997, plusieurs milliers de Tutsi ont fui la zone du Masisi après les attaques des ex-FAZ, des ex-FAR et des milices sur des villages dans les zones de Masisi, Ngungu et Minova. En août, un grand nombre de ces personnes déplacées ont tenté de rentrer chez elles sous la protection des troupes de l'APR. Suite à de nouvelles attaques, beaucoup de ces Congolais de l'ethnie tutsi se sont vus à nouveau forcés de quitter la zone de Masisi et de Goma au début septembre, plusieurs milliers cherchant refuge au Rwanda119 .

HRW et la FIDH ont recueilli de nombreux témoignages provenant des régions du Masisi, de Rutshuru et de Nyragongo dans le Nord Kivu, où des massacres de civils ont été perpétrés par l'AFDL ou l'APR depuis novembre 1996. Des villageois et des employés d'organisations humanitaires ont donné des témoignages oculaires concernant le massacre d'un grand nombre de civils tués par les troupes de l'AFDL ou de l'APR dans la zone du Masisi seulement au cours du mois d'août 1997. Dans la ville de Masisi elle-même, des employés d'organisations humanitaires ont décompté plus de soixante cadavres de civils le 25 août 1997 après un raid sur la ville mené par les troupes de l'AFDL et de l'APR. L'hôpital général a été rasé pendant ce raid et les corps des patients ont été jetés dans les latrines. Plus tard en août, d'autres exécutions de civils se sont déroulées dans les villages de Kalangala et Ruzirantaka, où respectivement vingt-quatre et dix neuf personnes ont été tuées par des membres de l'AFDL ou de l'APR parlant Kinyarwanda. Parmi les morts on comptait beaucoup de femmes, d'enfants et de personnes âgées.

HRW et la FIDH ont recueilli de nombreux témoignages à Goma à propos d'hélicoptères qui auraient fait à maintes reprises le trajet entre le Rwanda et la zone du Masisi, apparemment pour des raisons militaires120 . De nombreux habitants de Goma ont déclaré qu'on pouvait voir régulièrement des convois de camions de soldats de l'APR provenant de Gisenyi au Rwanda et se dirigeant dans la zone du Masisi. Il est probable que certains de ces soldats ont été utilisés lors des attaques contre des civils perpétrées dans la zone du Masisi et décrites par des villageois de la zone à HRW et à la FIDH. Les habitants de Goma ont également parlé de l'insécurité générale régnant dans la ville et due en grande partie aux fréquents pillages et meurtres qui seraient l'oeuvre de soldats rwandais qui repasseraient souvent discrètement la frontière rwandaise suite à leurs exactions121 .

Le manque d'institutions législatives ou judiciaires en état de fonctionner au Congo et capables d'aborder ces problèmes a provoqué un regain de violence depuis mars 1997. Il est probable que ces cycles de violence continueront ou s'intensifieront dans l'Est du Congo, et peut-être dans d'autres provinces, si des solutions politiques aux problèmes fondamentaux que sont la citoyenneté, le droit foncier et le pouvoir coutumier ne sont pas trouvées. Le commandant de la 4ème Brigade Militaire du Congo stationnée à Goma a déclaré peu après son arrivée dans cette ville à la fin juillet qu'il n'y aurait "pas de prison pour les tueurs, les bandits et les voleurs armés" et il a ajouté que les soldats ou les bandits pris en train de commettre des crimes feraient l'objet d'exécutions publiques122 .






113 Principalement Hunde et Nyanga, ces milices comprenaient des membres des Nande, des Tembo et autres groupes.

114 Les Banyarwanda sont des personnes dont les ancêtres proviennent du Rwanda.

115 HRW / FIDH, "Forcés de Fuir : Violence Contre les Tutsi au Zaïre"; HRW / FIDH, "Attaqués de Toutes Parts"; Human Rights Watch/Africa, "Transition, Guerre et Droits de l'Homme".

116 Témoignages recueillis par HRW / FIDH à Goma, Congo, auprès de villageois de la zone du Masisi, août 1997.

117 Mission d'enquête sur la situation des droits de l'homme dans la province du Nord-Kivu, Action paysanne pour la reconstruction et le développement communautaire intégral, septembre 1997.

118 Témoignages recueillis par HRW / FIDH auprès de réfugiés rentrant d'exil à Gisenyi, Rwanda, septembre 1997.

119 Ibid.

120 Témoignages recueillis par HRW / FIDH à Goma, Congo, auprès de plusieurs personnes dont un pilote étranger, 27 août 1997.

121 Témoignages recueillis par HRW / FIDH à Goma, Congo, 26 août 1997.

122 Integrated Regional Information Network, Emergency Update No. 227 on the Great Lakes, 8 août 1997.

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